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jeudi 2 janvier 2025

Djinn T09 Le roi Gorille

Il est temps que les massacres s’arrêtent.


Ce tome fait suite à Djinn - Tome 8 - Fièvres (2008) qu’il faut avoir lu avant. Il s’agit d’une série qui compte treize tomes et trois hors-série. C’est également le quatrième tome du cycle Africa, composé de cinq albums. Sa parution originale date de 2009. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario et par Ana Mirallès pour les dessins et les couleurs. Il compte quarante-six pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec une introduction d’une page rédigée par Dufaux, évoquant la conclusion de ce cycle africain. Il fait plusieurs constats. L’Afrique mord dans la chair des ambitions pour en recracher la folie. Africa était l’enfance de la terre, les adultes l’ont piétinée car tout le monde n’aime pas se souvenir de son enfance. Toute narration reste cependant un sortilège. Africa s’avance comme une pirogue le long de rivages inexplorés, on est tenté d’aborder, mais nul ne peut prédire ce qui attend sur la terre ferme, ni si on en reviendra : Ainsi, parfois, passe sur le long fleuve une pirogue vide qui s’enfonce au cœur des ténèbres ; Africa, c’est l’histoire de cette pirogue vide.


Un magnifique paysage de savane avec de rares arbres, au soleil levant. Une femme habillée uniquement d’une large cape, et d’un pagne de perles s’avance, jusqu’à la rive. En face d’elle se tiennent deux minuscules silhouettes. Kim Nelson, la jeune femme sur l’autre rive, se félicite d’avoir enfin trouvé la femme, la légende, la djinn qu’elle cherchait. Enfin ! Elle indique à Jagger qui se tient à côté d’elle, qu’elle la voit : c’est elle, Jade. Il ne voit rien et lui demande si elle ne se moque pas de lui, à quel point elle est aveugle. Elle insiste : elle la voit et elle croit qu’elle aussi la voit, car le temps parfois forme une boucle, et tout devient possible lorsque les deux extrémités de la boucle se touchent.



De son côté, Jade se détourne et repart dans la savane. Elle se dirige vers un pont ferroviaire. Au milieu elle retrouve un général, le gouverneur et son conseiller, et un père blanc. Les négociations commencent. Le conseiller l’interroge sur le fait qu’elle représente toutes les tribus noires. Elle explique que le roi Kavi Mobo n’est plus, les Orushi l’ont exterminé, lui et ses hommes. En se tournant vers le général, elle ajoute : Comme ses mercenaires qui ont exterminé les réfugiés noirs qui se trouvaient dans son camp. Le général explique qu’il n’avait pas le choix face à une révolte organisée par des meneurs armés. Le père le contredit : On a toujours le choix, si l’on décide de tuer c’est que l’on a envie de tuer, le reste n’est qu’hypocrisie. Il ajoute : Il est temps que les massacres s’arrêtent, et que les deux communautés retrouvent la paix. La discussion reprend, et Jade formule ses demandes : Que tous les prisonniers retenus dans les camps soient libérés, une nouvelle frontière devra aussi être définie, les forces armées se retirant derrière les marécages de Nambou-Oloban en pays Sangu. Alors seulement les tribus déposeront les armes. Le gouverneur exige que le calme revienne à Manokko. Jade répond que le calme reviendra lorsque le Noir croira en la parole du Blanc.


Où est-ce que les auteurs vont avec cette histoire de perle noire et de soulèvement des tribus ? Dans son esprit, le lecteur sait que l’entremêlement des fils chronologiques va se poursuivre, qu’il sera question de la perle noire d’Anaktu, et que c’est la fin pour les personnages. De fait, le scénariste rappelle cet élément singulier et caractéristique de la série avec la première séquence : Jade et Kim Nelson se voient l’une en face de l’autre séparées par une large rivière, tout en étant également séparées par plusieurs décennies. De plus, Kim le dit explicitement : parfois le temps forme une boucle, et alors tout devient possible. Le fil narratif aux perles de la déesse aboutit à une conclusion claire et qui fait sens, attestant du soin que le scénariste a apporté à la construction de son intrigue sur deux temporalités. Le lecteur ressort de sa lecture satisfait de savoir ce qu’il advient de Jade et de ses compagnons, et au temps présent du récit (les années 1970), il peut découvrir si Kim Nelson a appris ce qu’elle souhaitait sur son ancêtre et ce qu’il advient d’elle par la suite. Il sourit en découvrant la présence de monsieur Prim dans la dernière page, et il comprend comment le prochain cycle va pouvoir s’articuler chronologiquement avec celui-ci. Enfin, la fibre fantastique du récit occupe une place centrale en cohérence avec tout ce qui a précédé, que ce soit la nature de Djinn de Jade et Kim Nelson, les coutumes, les croyances et les légendes, et la noirceur de l’âme humaine.



Quoi qu’il en soit, la simple perspective de retrouver les planches d’Ana Mirallès suffit au lecteur. Le plaisir atteint un niveau extraordinaire dès la première page : cinq cases de la largeur de la page alors que la silhouette de Jade s’approche du lecteur dans ce paysage sauvage et dégagé. La mise en couleurs opère sa magie : les touches orangées sur le sol alors que le soleil se lève, les motifs colorés sur le manteau de Jade, les bijoux en or, le bleu pâle du fleuve. Le lecteur se délecte de ces compositions : le noir de l’acier du pont ferroviaire tranchant sur le vert luxurieux de la végétation, le vert gorgé d’eau de la forêt avec ces arbres les pieds dans l’eau du marécage, la brume gris-bleu qui rend fantomatique l’arrivée et le regroupement de dizaines de gorilles dans la brume, le ton sépia pour les souvenirs de Kim petite fille, le rouge orangé dans la case de Zymba Motta alors qu’il crache violemment du sang, et… De la page trente à la page trente-trois, Kim Nelson et Jagger déambulent dans un marché découvert. : l’artiste se livre à une mise en couleur d’une minutie extraordinaire, évoquant par endroit celle de Barry Windsor Smith. Comme dans les tomes précédents, elle allie un détourage classique au trait noir, avec la couleur directe, dosant l’un par rapport à l’autre en fonction de la séquence et des éléments à représenter. À nouveau le lecteur se trouve sous le charme de l’élégance des compositions : le bleu pâle du fleuve aux doux miroitements, le vert insondable du marécage, les effets de texture sur les racines et le tronc de l’arbre démesuré dans lequel se trouve le roi gorille, les pelouses allant du vert au jaune desséché en fonction des zones, l’incroyable semi-transparence de la robe diaphane de Kim paralysée au sol, etc.


Cette fois encore, le lecteur éprouve la sensation de lire une bande dessinée réalisée par un seul et unique créateur, chaque séquence faisant preuve de la complémentarité sophistiquée entre texte et image, et d’un sens de la narration visuelle. Le lecteur sent bien l’intention de mise en scène pour un effet visuel. Que ce soit le choix d’un endroit spectaculaire comme le pont ferroviaire au-dessus de fleuve reliant deux berges vallonées verdoyantes, le marché et sa myriade de marchandises, la terrasse enténébrée de la maison isolée où réside Kim Nelson. Ou que ce soit une scène dont l’action se nourrit de l’interaction entre les personnages et leur environnement : cette effrayante avancée les pieds dans l’eau dans un sous-bois où se cache un serpent tueur, cette grande place dégagée à Manokko où se presse une foule compacte et silencieuse anxieuse de découvrir si le sorcier adoubera Zymba Motta lors de la cérémonie. Ana Mirallès réalise également quelques plans tout simplement splendides pour leur environnement, comme une vue en élévation de la jungle avec le fleuve serpentant au milieu, ou une route de terre dont les deux côtés sont mangés par la nuit.



Le lecteur attend également de découvrir le sort de chaque personnage, la fin de l’intrigue avec la perle, et la manifestation du surnaturel. Ce dernier est présent dans la série depuis le premier tome, jusque dans le titre qui évoque une créature de la mythologie arabique. Il se souvient que Jade et Kim sont passées par bien des épreuves qui les ont aguerries, au travers desquelles elles ont acquis une compréhension de leur condition de femme à leur époque, et une maîtrise de leur corps en tant que moyen pour donner du plaisir charnel, et en éprouver également. Cette fois-ci encore, Jade utilise son corps comme un outil pour parvenir à ses fins en satisfaisant un mâle. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut y voir une soumission gratuite, ou bien un choix assumé, d’une part sous l’angle de la fin justifie les moyens, d’autre part sous l’angle de participer de plein gré à une action plus grande que soi, en total consentement. Le scénariste continue d’utiliser le surnaturel à différentes fins. Dans la séquence d’ouverture, il montre comment la situation et les actions de Kim Nelson au temps présent découlent des actions de Jade une cinquantaine d’années plutôt. Lorsque Jade s’avance au milieu des gorilles, elle trouve en elle les ressources pour dépasser la peur d’être submergée par eux, une métaphore de l’individu qui se sent faible et qui interagit avec un groupe d’individus qu’il perçoit comme forts. Le poison utilisé par Suwani peut se voir comme l’incarnation d’un acte malveillant dont les conséquences échappent à celui qui l’a commis, avec des résultats imprévisibles. En parallèle de ces conventions fantastiques, des horreurs très réelles se font sentir comme l’extermination d’une population ou le trafic d’organes.


Ce tome vient conclure le cycle Africa, en cohérence avec les caractéristiques de la série, depuis le corps féminin perçu comme un moyen par la femme, jusqu’à l’existence de force dépassant les êtres humains, en passant par un pays perçu comme exotique par les personnages principaux. La narration visuelle d’Ana Mirallès rayonne à chaque page, de séduction, d’élégance et de délicatesse, un délice exquis du début à la fin. L’intrigue se termine avec clarté et justesse. Un grand cru.



mercredi 1 janvier 2025

La vérité sur l'affaire Vivès

Faire de l’autobio, quelle horreur.


Ce tome contient une suite de vingt-trois scénettes consacrées à l’auteur ou à son avatar. Sa première publication date de 2024. Il a été réalisé par Bastien Vivès. Il comporte cent-cinquante-six pages de bande dessinée, en noir & blanc. Il révèle toute sa saveur si le lecteur est conscient des accusations d’apologie de pédocriminalité qui ont été portées contre l’auteur à partir du début des années 2010 (en particulier contre Les melons de la colère, 2011, La décharge mentale, 2018, Petit Paul, 2018), et l’annulation de l'exposition Carte blanche au festival international de bande dessinée 2023 à Angoulême.


Depuis la rive droite, Bastien admire le quartier de Beaugrenelle de l’autre côté de la Seine, en tenant la poussette d’une main. Le journaliste venu pour l’interviewer arrive avec un peu de retard, et il présente ses excuses : c’est parce qu’il travaille de l’autre côté de Paris. Bastien attire son attention sur Beaugrenelle et lui explique que quand il a commencé la BD, il n’y avait rien ici, que des champs de patates tenus par de vieux Irlandais… et aujourd’hui c’est le futur de Paris. Il continue : ce sont leurs pères et leurs pères à eux qui ont fait sortir de la terre ces mastodontes. Il ajoute : N’empêche que la pédopornographie ça a toujours été la Rolls Royce de l’humour, tout comme les prouts et les blagues belges. Le journaliste lui fait observer que les Belges ont toujours détesté la condescendance des Français avec leurs blagues belges. Bastien rétorque que bien sûr que non, les Belges adorent ces histoires. Il en a raconté deux lors de son dernier passage à Bruxelles, ils étaient pliés en quatre. Le journaliste rebondit immédiatement en lui demandant s’il va souvent en Belgique. Bastien sourit : si son interlocuteur pense qu’il va tomber dans ce genre de pièce grossier… Son éditeur est belge, voilà tout.



Bastien reprend : Dans cette affaire, il n’y a qu’une seule victime, c’est la bande dessinée. La bande dessinée qu’il aime tant, cet espace de liberté incroyable qu’il chérit depuis sa plus tendre enfance. Touché, le journaliste lui demande pourquoi il ne mettrait pas ça dans un album, en faire son grand œuvre. Été 1991, Bastien a sept ans. Sa famille se réunissait tous les étés dans le Sud de la France. Ils passaient la journée au bord de la piscine, avec ses cousins, cousines. Il a peu de souvenir des choses en général, mais ce moment il ne l’oubliera jamais. Il est dans la piscine avec ses lunettes de plongée ; le moment : celui de sa tante s’apprêtant à rentrer dans l’eau. Il a repensé à ce moment toute la journée sans savoir qu’il y repenserait toute sa vie et qu’il allait être l’élément matriciel de tout son travail en bande dessinée. Dès lors, encombré d’un pénis surdimensionné, sa scolarité fut plus que chaotique… Bastien revient au moment présent : son épouse lui dit qu’elle part au boulot, et elle lui demande si c’est aujourd’hui qu’il se rend chez la police. Il a son fils dans les bras, et il lui répond que oui, et qu’il passe chez BD Occaz’ avant.


Bien sûr, il est possible de ne rien connaître de cet auteur, de n’avoir jamais entendu parler des accusations qui pèsent sur lui, de la polémique. Le lecteur découvre alors une bande dessinée vraisemblablement autobiographique (c’est l’auteur qui le dit dans le chapitre d’introduction), évoquant un acte répréhensible de nature pédocriminelle, même s’il n’est pas explicité, vraisemblablement une bande dessinée impliquant un acte sexuel avec un enfant. Le récit se présente sous la forme d’un prologue, et de vingt-deux chapitres comptant entre cinq et huit pages chacun, pouvant aller jusqu’à dix pages pour deux d’entre eux. La mise en page présente des caractéristiques très particulières : absence de bordure pour les cases, généralement deux dessins par pages, des arrière-plans majoritairement vides, quelques accessoires et meubles, des personnages présentant un niveau de détail s’approchant du croquis. Le lecteur observe également que le dessinateur utilise la technique de reproduire le même dessin à plusieurs reprises sur la même page, sur plusieurs pages à suivre : comme un plan fixe au cours duquel les mouvements des personnages sont insignifiants, leurs expressions de visage restent invisibles, toute la narration est portée par leur posture et les dialogues. L’introduction établit sans doute possible qu’il s’agit d’un récit humoristique jouant dans le registre de l’absurde, avec cette évocation hors de propos des Irlandais et de leurs champs de patates. Régulièrement, ses interlocuteurs rappellent à Bastien que la pédophilie ne prête pas à rire, qu’elle ne peut pas faire l’objet de blagues. Mais quand même…



Cette histoire paraît à l’automne 2024 : Bastien Vivès est alors l’auteur de plus d’une quarantaine de bandes dessinées, et certaines procédures judiciaires à son encontre n’ont pas encore fait l’objet d’un jugement. Au cours de la bande dessinée, le personnage principal est appelé Bastien Vivès de manière explicite… et dans le même temps la mise en œuvre d’un comique dans le registre de l’absurde indique clairement qu’il s’agit plus d’une autofiction que d’une autobiographie. À partir de là, libre au lecteur de projeter ce qu’il veut dans chaque scénette, de soupeser le pourcentage de réalité contenu dans chaque chapitre. Concrètement, il lui est impossible de savoir, ce qui provoque un automatisme de prise de recul très déstabilisant. Il s’agit donc d’une fiction, et dans le même temps chaque situation semble authentique et réelle, entre processus de prévention, de réhabilitation morale de l’individu, même s’il est supposé être innocent tant qu’un jugement n’a pas été prononcé. Il tombe sous le sens qu’il soit convoqué par la police pour être entendu, qu’il doit (sur un plan moral) se soumettre à une remise en question, et qu’elle pourrait très bien prendre la forme d’un stage, à l’instar des conducteurs qui veulent retrouver des points sur leur permis, après des infractions ayant donné lieu à des procès-verbaux. Le lecteur se trouve tout de suite convaincu par l’attitude de Bastien Vivès (le personnage) qui ne peut pas s’empêcher de faire de l’humour sur ce même sujet. Pour autant, son séjour en prison dépasse la réalité, puisqu’il n’a pas été condamné à une telle peine au moment où il réalise la présente bande dessinée. Par voie de conséquence, puisqu’il s’agit plus d’une fiction que de la réalité, le lecteur s’en trouve dédouané : il peut rire sans honte, sans arrière-pensée, sans se demander s’il serait en train de cautionner quelque chose.


En effet, l’humour de ces scénettes atteint sa cible pile entre les deux yeux : l’auteur marie l’exagération et l’absurde, du décalage, avec une précision imparable et un sens de l’économie incroyable en faisant un usage sophistiqué des sous-entendus et des non-dits. Bastien réagit à la seconde près sur le sous-entendu relatif à la Belgique, c’est-à-dire ses affaires de pédophilie. Puis le jeune Bastien marqué à jamais par la poitrine de sa tante moulée dans son maillot de bain : entre traumatisme indépassable et révélation, tout ça avec quelques tâches de noir qui ne sont rendues suggestives que par le bref commentaire. Puis la mention que ce moment clé a changé sa vie à jamais, et est l’élément matriciel de tout son travail en bande dessinée, entre dramatisation et autodérision (avec l’évidence que la majorité de la population masculine a vécu un moment similaire d’éveil sexuel devant le corps d’une femme). Bastien se retrouve dans un bureau devant deux policiers qui lui indiquent qu’il doit faire un stage anti-pédophilie, ce à quoi il répond qu’il n’est pas pédophile : imparable. Le lecteur subit comme lui le paradoxe imbécile de se voir projeter des images, avec des électrodes implantées pour tester ses réactions et déceler de tendances pédophiles, mais la docteure qui rectifie leur implantation est une magnifique blonde avec une grosse poitrine. Impossible de résister à l’intervenante sur le module de la bande dessinée déconstruite qui se trompe sur le genre d’un participant, et qui démissionne à la suite de cette erreur gravissime de mégenrage. Ou madame Vivès qui vient chercher son époux à la sortie de prison, et qui discute avec le gardien comme si elle venait chercher un enfant à la sortie de la crèche, ou encore l’analyse faite par l’éditeur de la BD proposée par Vivès, analyse réalisée par un robot et qui conclut à la composition suivante : 9% raciste, 17% sexiste, 12% misogyne, 3% négationniste, 2% antisémite et 88% pédophilie.



Ben si, il y a forcément des arrière-pensées à la lecture. L’auteur s’offre un droit de réponse sous la forme d’une bande dessinée, à des accusations pour lesquelles le procès ne s’est pas encore tenu. C’est plus compliqué que ça bien sûr : il y a eu deux classements sans suite à des signalements concernant Petit Paul, et d’autres plaintes déposées ensuite. C’est plus compliqué que ça : Bastien Vivès met en scène l’absurdité de suivre un stage anti-pédocriminalité alors qu’il n’a jamais été condamné. Il tourne en dérision ses interlocuteurs qui interprètent chacune de ses phrases avec l’intention d’y voir de la pédocriminalité. Il met en scène un intervenant lui-même accusé du même crime, vestimentairement. Il montre que cela ne sert à rien de protester : entre ses parents qui aggravent son cas en s’exprimant mal à la radio, l’analyse de son prochain ouvrage par un robot servant de lecteur sensible, ou même une tentative d’explication dans une émission de radio où le comique de service tourne tout à la dérision faisant tourner court tout début d’explication complexe. Il conclut avec un chapitre où des Japonais viennent sonner chez lui pour qu’il réalise un manga avec les mêmes caractéristiques, au Japon, pour le marché japonais, car culturellement cela correspond à critères mis en avant comme étant de qualité, sans une once de quelque criminalité potentielle. D’un côté, le lecteur prend fait et cause pour le narrateur pour les situations ubuesques auxquelles il doit se soumettre ; de l’autre côté, l’auteur réalise bien un ouvrage qui fait explicitement référence (rien que le titre) au lynchage médiatique qu’il a subi, en se moquant systématiquement de chaque reproche, de chaque forme de réhabilitation. Quand bien même ces processus ne sont pas justifiés, il prend un malin plaisir, et il le fait avec talent, à tout réfuter, sans nuance, sans aucun doute.


Voilà un bien étrange ouvrage. L’auteur Bastien Vivès a été accusé d’un crime grave, et condamné par une partie de l’opinion, après deux classements sans suite, et avant le jugement des plaintes postérieures. Il utilise sa possibilité de répondre avec une œuvre qui porte le titre explicite de La vérité sur l’affaire Vivès. Il fait à nouveau preuve d’une élégance dans la narration visuelle, d’une précision minimaliste d’une incroyable justesse et d’une efficacité imparable, pour des moments très drôles. Dans le même temps, il tourne en dérision et ridiculise chaque contradicteur, avec verve et sans questionnement. Il répare l’injustice qu’il a subie, sans volonté d’analyse.