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lundi 6 janvier 2025

Autopsie T01 Le sacrificateur

On dit qu’à partir d’un certain degré d’horreur, le cerveau disjoncte.


Ce tome est le premier d’une trilogie qui promet trois albums, trois meurtres, trois médecins légistes. Sa première édition date de 2024. Il a été réalisé par Antoine Tracqui pour le scénario, Francesca Follini pour le storyboard, Paolo Antiga pour les dessins, Antonio Giustoliano pour les couleurs, ces trois derniers appartenant à Arancia Studio. Il comprend cinquante-deux pages de bande dessinée.


Bientôt juin, déjà ! … Dans un mois à peine, ce sera Midsommar. De la Scanie jusqu’au Norrland, bûchers et feux de joie célèbreront le solstice. Et consumeront les derniers souvenirs des mois de froidures. Pour elle aussi, c’est une page qui se tourne. Un nouveau chapitre qui s’ouvre. Mais avant cela, il me reste une épreuve à affronter. La psychologue n’était pas d’accord : elle a parlé Rebond d’anxiété, Réactivation du PTSD. On verra bien… Jennie Lund quitte sa chambre d’hôpital où elle a passé plusieurs mois, et elle prend le taxi pour se rendre à son rendez-vous avec la journaliste, une table en terrasse, au bord de l’océan. L’intervieweuse lui demande comment elle va, puis elle lui suggère de commencer par le début. Jennie Lund se lance.



À l’époque, les médias ont pas mal insisté sur la parenté de Jennie Lund avec le commissaire Sandström, donc la journaliste connaît déjà les grandes lignes. L’accident de ses parents alors qu’elle avait à peine trois mois, son adoption, son enfance dans un village de la côte sud, pas loin de Karlskrona… Les époux Lund ne pouvaient avoir d’enfants, ils l’ont accueillie comme un don du ciel. Elle a été choyée bien plus qu’elle n’aurait pu l’espérer. Pour autant, ils n’ont jamais voulu la couper de ses origines. Chaque année à Pâques, ils allaient en pèlerinage au phare d’Häradskär. Là où les cendres avaient été dispersées. À l’école, elle était une élève assidue, mais réservée et solitaire. Ce n’est qu’à la fac qu’elle a commencé à se faire des amis. Son dossier lui ouvrait toutes les portes, elle a choisi médecine sans hésiter. Mais elle a vite réalisé que le métier de soignant ne comblait pas ses attentes : il lui manquait quelque chose une excitation intellectuelle. Puis il y a eu ce cycle de conférences sur la médecine légale. Avec ce Russe, un certain Vlassov, qui parlait de morts célèbres, de crimes inexpliqués. Elle a tout de suite su que c’était sa voie. Par chance, elle a pu intégrer le cursus de l’institut Karolinska, à Stockholm. Un choix qu’elle n’a jamais regretté. Enfin… Jusqu’à l’hiver dernier bien sûr. La journaliste fait observer que cela les amène à Göteborg, le premier poste de Jennie. Celle-ci répond : Exact. Elle venait juste de terminer ses quatre années de formation. Elle n’aurait jamais dû être de garde ce soir-là. Normalement, il faut six mois d’ancienneté. Mais voilà, la patronne était en congrès au Canada avec la moitié du staff. Et le seul légiste titulaire, au lit avec une grippe carabinée. Elle se souvient très bien, il était 22h40 et la nuit s’annonçait calme. Voilà… C’est comme ça que tout a commencé.


Le titre, la couverture, la quatrième de couverture (Texte : des meurtres atroces, un rituel dément, une jeune légiste à la dérive : entre sang et glace, une enquête au tréfonds de la folie), tout annonce et promet un polar sérieux et angoissant. De fait, Jennie Lund, médecin légiste, a été adoptée suite à la mort de ses parents, elle est appelée sur la scène d’un crime, un vrai rituel immonde par défaut, tous les légistes avec de l’expérience étant indisponibles. Le lecteur a accès à sa voix intérieure et celle-ci parle avec la connaissance du futur : ce qui va arriver va être terrible et atroce. Il découvre la scène du sacrifice, en pleine forêt sous la neige, et il assiste à l’autopsie, commentée par le médecin légiste elle-même. La narration visuelle se situe dans un registre réaliste et descriptif, prenant bien soin d’éviter les exagérations gore ou voyeuristes. Par voie de conséquence, il se produit un effet de réel plaçant le récit dans le registre du plausible. Le lecteur acquiert la conviction de la véracité du macaron sur la couverture : le scénariste a bien exercé la profession de médecin légiste. Il en déduit que la représentation de la salle d’autopsie doit correspondre à la réalité, ainsi que le déroulement en respectant la procédure, les instruments. Il se dit qu’il en va de même pour ce qui est montré par les dessins : les tenues vestimentaires qui sont effectivement adaptées aux conditions climatiques, les uniformes, les rues et les constructions, les modèles de voiture et les accessoires.



En fonction de sa familiarité avec le genre du polar, le lecteur voit son horizon d’attente comprendre plus ou moins d’éléments. Peut-être a-t-il déjà eu l’occasion de lire des romans policiers mettant en scène Kay Scarpetta, médecin légiste, créée par Patricia Cornwell, apparue pour la première fois dans Post Mortem (1990). Dans ce cas, il s’attend à une enquête pimentée à la sauce Thriller. Ou peut-être est-il plus polar, avec une enquête révélant une facette peu reluisante de la société. Les auteurs utilisent la trame de l’enquête : un meurtre, un second, une enquêtrice, des indices, des découvertes. Dans un roman, l’écrivain peut facilement distraire le lecteur, l’orienter sur des fausses pistes, ou tout simplement lui donner trop peu d’éléments pour pouvoir prendre l’enquêtrice de vitesse. Cela s’avère plus difficile en bande dessinée, surtout quand elle est de nature réaliste. Ici, les auteurs commencent par montrer Jennie Lund en bonne santé, sortant de l’hôpital, alors que ses commentaires indiquent qu’elle va au-devant d’épreuves horribles : du coup, la tension s’en trouve diminuée d’autant puisqu’elle s’en sort saine et sauve. En outre, ils font usage à une ou deux reprises d’une coïncidence bien pratique : l’absence de médecin légiste confirmé justement la nuit de la découverte d’un sacrifice (bon d’accord, ça peut arriver), puis le fait que ce soit Shakti Kapoor (numéro deux de la brigade criminelle de Göteborg), une copine de fac de Jennie, qui se soit occupée de précédentes affaires similaires (bon d’accord, c’est possible aussi). Puis le fait que Jennie Lund découvre la date et le lieu du prochain sacrifice le jour même où il doit se produire, et comme par hasard Shakti Kapoor n’est pas joignable.


Dans le même temps, les auteurs respectent le principe d’une narration factuelle. Le lecteur remarque que cette bande dessinée semble avoir été conçue sur la base d’une chaîne de production : un scénariste qui n’est pas familier de la bande dessinée, une personne chargée du séquençage et du découpage, puis un dessinateur et enfin un metteur en couleurs. Cela permet aux artistes d’être pleinement investis dans leur tâche respective. Le dessinateur a visiblement effectué un travail conséquent de recherche et de repérage pour représenter Göteborg, ses rues, son fleuve Göta älv, quelques monuments, le centre médicolégal, quelques communes avoisinantes, le réseau routier, etc. Il fait preuve du même investissement pour représenter les intérieurs, avec des agencements différenciés, des ameublements spécifiques. Il détoure chaque forme d’un trait fin et prévis, avec un nombre d’informations visuelles souvent élevé dans chaque case de chaque page. En prenant un peu de recul, le lecteur remarque que cette sensation de densité est également générée par la mise en couleurs, elle aussi très travaillée. À la base une approche réaliste également, avec des dégradés pour rendre compte de la luminosité, ainsi que pour rehausser le relief de chaque surface. Le metteur en couleurs sait également jouer sur les nuances pour baigner une scène dans une atmosphère particulière, s’approchant d’un effet expressionniste, par exemple à base de vert sauge pour la froideur de la lumière émise par un écran, ou vert des teintes rouge-orange lors d’accès de violence.



La sensibilité du lecteur peut faire osciller son ressenti entre un contentement de découvrir une narration visuelle consistante et descriptive, ou la trouver un peu froide et impersonnelle, manquant d’une forme de point de vue. Dans les deux cas, il peut se projeter dans chaque endroit et suivre les découvertes de Jennie Lund. Une fois le petit plus de suspension d’incrédulité consentie, il sent la curiosité le gagner quant à ces sacrifices. Il découvre l’explication culturelle donnée par le spécialiste en archéologie médiévale, dépassant le folklore de pacotille pour touriste pressé. Les auteurs se tiennent à l’écart de la mise en scène sociologique de la société suédoise, s’attachant plus à cette résurgence de rituels issus du paganisme pour les dieux de la mythologie nordique, tel que le blót (sacrifice). L’intrigue s’avère bien ficelée, même si le mode d’exposition des explications met en évidence que le scénariste a plus pensé en termes de livre, qu’en termes de bande dessinée. Au travers de ces crimes rituels, le récit évoque la prédation sur les plus faibles, ainsi que la force des croyances attachées à une foi. Il n’y a pas de moquerie ou de forme de dérision de la part des auteurs, simplement la mise en scène que la foi peut être utilisée par des individus pour en asservir d’autres.


Une enquête menée du point de vue d’une jeune femme médecin légiste, sur des sacrifices sanglants. Le récit est raconté par des dessins réalistes et descriptifs et une mise en couleurs solide, donnant une sensation de réalité plausible et tangible. Il souffre par moments de maladresses provenant du fait que la bande dessinée rend visible toute incohérence, comme le nez au milieu de la figure, dans ce genre. Pour autant, le lecteur se prend d’amitié pour Jennie Lund qui veut montrer qu’elle a le niveau, dans un environnement où beaucoup de personnes semblent en savoir plus qu’elle.



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