Ma liste de blogs

jeudi 16 janvier 2025

Djinn - Tome 10 - Le Pavillon des plaisirs

Quant à Lady Nelson, elle s’inquiétait pour Jade.


Ce tome fait suite à Djinn - Tome 9 - Le roi gorille (2009) qu’il faut avoir lu avant. Il s’agit d’une série qui compte treize tomes et trois hors-série. C’est également le premier tome du cycle India, composé de quatre albums. Sa parution originale date de 2010. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario et par Ana Mirallès pour les dessins et les couleurs. Il compte quarante-six pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec une introduction d’une page rédigée par Dufaux, évoquant la diversité des démons présents dans le récit, en citant Michel Mourre (1928-1977, historien et philosophe) sur l’Histoire de l’Inde dans les années 1910 et 1920, le mouvement du cycle Africa qui va vers la dissolution des corps, l’espace non clos, les cages ouvertes, et il finit par louer les dessins et les couleurs, le talent d’Ana Miralles, indiquant qu’il ne la remercierait jamais assez.


Une vue d’une cité aux bâtiments peints en bleu. Les Indes. La ville bleue enfouie au cœur du Rajasthan. Le bleu, couleur de Krishna. Le bleu qui éloigne les insectes. Le bleu dominé par le palais des Eschnapur. Alors que ce territoire se trouve sous domination britannique en ce début du XXe siècle. Le bleu comme un rêve lointain vu d’une des tours du palais. Le bleu qui s’inscrit en arabesque le long d’une des portes donnant sur les appartements privés de la mère du maharadjah. La Rani Gaya Bashodra. Née princesse de Cooch Behar, apparentée aux souverains du Boroda, amie de Lord Curzon, vice-roi des Indes de 1899 à 1905. Celle-ci reçoit Jade dans ses appartements : elle lui indique qu’elle a pris ses renseignements sur elle. Elle sait que Jade était la favorite du sultan. Son interlocutrice lui répond qu’elle est mieux que cela : elle est une Djinn. Si elle le désire, aucune femme, aucun homme ne lui résiste. La rani estime que c’est un pouvoir bien grand, certes Jade est belle et elle semble aimer dominer. Pour autant, possède-t-elle une réelle science amoureuse ? Puis elle lui demande ce que les époux Nelson représentent pour elle.



La rani Gaya Bashodra explique à Jade pour quelle raison elle l’a fait venir : son fils Maharadjah va épouser Tamila la fille de Radjah Sing, un colonel en rébellion contre la présence britannique. La rani estime que les Anglais ne trouveront jamais le colonel Sing, celui-ci défi l’empire britannique depuis trois longues années. Quand ils ont emprisonné sa fille, les villes d’Ajmer, de Sujangah et Mahajan se sont révoltées. Depuis, les Anglais se montrent prudents. Ils ont relâché la fille, ils ont permis le mariage à venir entre Tamila et Maharadjah. Ils espèrent que ce dernier convaincra sa fille d’accepter la domination étrangère. Elle estime que son fils est un esprit faible : il croit en la parole de l’envahisseur qui propose de partager le pouvoir avec les aristocraties locales, les vieilles familles comme la sienne. Un leurre pour mieux assujettir les Indiens. La rani n’est pas dupe. Elle compte sur Tamila pour ramener Maharadjah à la raison, mais il manque l’essentielle à sa future épouse : parvenir au cœur de l’homme par les sens. Elle aimerait que Jade s’occupe de l’éducation de Tamila. Il reste un mois avant le mariage.


Le lecteur se retrouve dans une position étrange pour ce troisième cycle : les personnages principaux ont déjà annoncé qu’il se déroule en Inde, dans le cycle précédent qui se déroule après celui-ci. Monsieur Prim l’avait confirmé dans la dernière page du tome neuf. Il connaît donc également le destin desdits personnages, il sait qu’ils vont rencontrer une dénommée Saru Rakti. Il se doute également que les auteurs vont commencer par confronter leurs héros aux clichés de ce nouvel environnement, l’Inde et une nouvelle forme de Harem, des déités exotiques, des paysages sauvages, et pourquoi pas un tigre du Bengale (Divulgâcheur : il y en a un). Il sait également qu’il va retrouver une narration visuelle somptueuse : et c’est le cas dès l’illustration de couverture. Un magnifique jeu de teintes rouges pour ces longues draperies bordées d’or, la séduction renversante de Jade qui apparaît sans âge, la richesse de ses parures, ainsi que leur finesse, entre l’or, les pierres précieuses, les liens très fins, le tissu transparent ceint autour de ses hanches, les cordelettes de perles dans ses cheveux, etc. Somptueux. Le lecteur en oublierait presque de porter son attention sur l’arrière-plan : une jeune femme dénudée, sa longue tresse les plis de la literie, et ce qui s’avère être une statue de Shiva. En outre, ces éléments se trouvent réellement dans une scène intérieure.



Certes un nouvel endroit et ses stéréotypes ; dans le même temps, les auteurs les dépassent dès la première page. Le lecteur constate d’entrée de jeu qu’Ana Miralles s’investit pour une narration visuelle spécifique et magnifique. La première planche comprend deux cases de la largeur de la page : une vue de la vile avec les bâtiments formant une mosaïque concrète tirant vers le vitrail abstrait, une vision prise de plus loin révélant la quantité de maisons, au pied d’une élévation rocheuse sur laquelle a été construit un château fortifié, avec des montagnes dans un lointain brumeux. Le lecteur savoure chaque paysage urbain, comme naturel. Dans le premier registre : une case de la hauteur de la page, avec la façade d’une des tours du château sur la gauche, et la ville qui s’étend en contrebas, en page dix-huit une vue générale de l’extérieur du pavillon des plaisirs puis une plus rapprochée cadrée sur les sculptures des deux colonnes encadrant la grande porte, une vue en plongée oblique de la grande rue de la ville avec ses marchands de part et d’autre et les piétons. Dans le dernier tiers, l’action se déroule dans la jungle environnante. Le lecteur retrouve la capacité de la dessinatrice à marier des traits de contour très fins, des ombres plus consistantes et de la couleur directe, aboutissant à la sensation des feuillages et de l’herbe, la rugosité des troncs, la texture de la roche, comme si le lecteur y était.


La magie des lieux opère tout autant en intérieur. La magnificence de l’ameublement et de l’aménagement des appartements de la rani : les fauteuils en osier, les décorations finement ouvragées des huisseries, le délicat guéridon sur lequel est posé l’élégant service à thé, et les coussins. Le marbre des couloirs du palais rutile, avec quelques meubles et vases de grand prix pour la décoration. Le soir, Jade et les époux Nelson participent à une soirée mondaine donnée dans la grande salle d’apparat : une débauche de statuette, de lustres étincelants, et de tableaux. Après être passé par la paille d’une étable, le lecteur est enfin invité à passer le portail du pavillon des plaisirs : une vue magnifique de colonnades ouvragées bordant un bassin que se partagent les femmes de ce harem et de cygnes. Il découvre ensuite Arbacane, la favorite de ces lieux, alanguie sur un sofa, avec une superbe draperie verte rayée de jaune, puis les couloirs richement décorés de motifs géométriques et de tableaux. Le lecteur en vient presque à regretter de ne pas pouvoir enter dans la grotte sous les racines d’un arbre, de l’ermite Archanka pour pouvoir se reposer de toutes ces richesses.



L’artiste embrasse toutes les dimensions culturelles de cette région du monde à cette époque, en accordant la même intensité d’attention aux tenues vestimentaires : les saris, les bijoux, les tenues plus sobres des hommes avec leur tunique, leur ceinture de tissu, leur turban et leur arme blanche, les tenues coloniales des Britanniques, le pagne long en guenille de l’ascète, les tapis de selle des éléphants, les tenues de chasse, les uniformes militaires, les armes à feu, etc. En un seul tome, les auteurs ont mis en scène les clichés attendus et leur ont restitué du sens et de la pertinence, ainsi qu’une spécificité, par le soin qu’ils apportent. Le lecteur constate également que le scénariste donne plus de détails sur le contexte historique. À partir de l’âge de Saru Rakti, il est possible de situer le récit vers l’année 1922. Dans son introduction, le scénariste cite plusieurs extraits d’ouvrages de l’historien Michel Mourre portant sur la loyauté des Indiens aux Britanniques pendant la première guerre mondiale, le revirement des Anglais vis-à-vis de leur promesse d’associer les autochtones aux affaires de l’État, la première action d’envergure de Mohandas Karamchand Gandhi (1869-1948), appelant les Indiens à observer le hartal, et l’apparition de la revendication d’indépendance absolue au premier plan des idées nationalistes. De fait, la présence britannique est incarnée par Lord Antony qui représente Lord Chemlsford (Frederic John Napier Thesiger (1868-1933) vice-roi des Indes de 1916 à 1921, ce qui situe plus précisément le récit en 1920 ou 1921, et par d’autres officiels. L’intrigue puise sa dynamique dans l’opposition au sein de la famille du Maharadjah entre ceux partisans des Britanniques et ceux indépendantiste. Dans le même temps, la notion de séduction se révèle au cœur du récit, la jeune princesse Tamila devant être initiée et formée par Jade. Cette dernière retrouve même les clochettes dans un rituel d’une autre forme. Les protagonistes prennent conscience d’une autre présence surnaturelle, Saru Rakti sans découvrir de quoi il retourne. Le lecteur ressent que le scénariste a soigné l’entrée en matière de l’intrigue de ce cycle, et il lui tarde d’en découvrir plus.


Un nouveau (et dernier cycle) pour cette série : le lecteur se régale par avance de la beauté des planches et il est de suite comblé au-delà de ses espérances. L’investissement d’Ana Miralles est de toutes les planches, magnifiques, que ce soient les séquences urbaines ou les paysages naturels, et les intérieurs, les costumes et les accessoires : une reconstitution sublimée, d’une richesse et d’une élégance extraordinaires. Le scénariste a soigné son intrigue, à la fois pour le contexte historique, à la fois pour les enjeux des différents personnages, et leurs motivations composites. Formidable.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire