L’important, c’est de cesser d’être une victime. De résister.
Ce tome fait suite à Requiem - Tome 11: Amours défuntes (2012) qu’il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier tome pour comprendre l’intrigue. Sa première édition date de 2024. Il a été réalisé par Pat Mills pour le scénario, et par Olivier Ledroit pour les dessins et les couleurs. Il comprend soixante-treize pages de bande dessinée. Il se termine par un bref mot de l’artiste qui remercie son public pour sa patience d’ange et sa fidélité.
An 11800 Anno Dracula à Berlin en Draconie : dans une ville à feu et à sang, sous un ciel en proie à des tourbillons cramoisis, Heinrich Augsburg et Otto von Todt se livrent un duel à l’épée, devant la porte de Brandebourg, sous les yeux de Rebecca. Von Todt demande à son ennemi s’il se souvient quand il est arrivé sur Résurrection et que lui Otto l’a sauvé des zombies. Est-ce que Augsburg ne s’est jamais demandé pourquoi il se trouvait sur les champs de bataille ? Von Todt continue d’expliquer : c’est parce qu’il cherchait ses frères d’armes, des camarades comme Augsburg. Il continue : Rebecca n’a jamais aimé Augsburg, elle couchait juste avec l’ennemi pour survivre. Requiem croit-il vraiment que s’il élimine Von Todt, ils partiront ensemble vers un ailleurs ? Tout en continuant à porter des coups d’épée et à parer, Requiem rétorque qu’il sait bien est là pour l’éternité, qu’il est damné. Il ajoute qu’il lui faut être au sommet de la chaîne, parce qu’il est dans la nature des vampires d’éliminer les rivaux. Et cela l’emporte sur l’amour fraternel. Mais les duellistes se rendent comptent que leurs lames refusent de se battre, elles savent qu’ils sont frères. Otto von Todt propose à son ennemi d’arrêter de se battre, et qu’ils oublient leurs différends. Dans le même temps, il prend Rebecca en otage, et la positionne contre lui, comme un bouclier humain. Rebecca enjoint Requiem de les tuer.
Une fois cette situation résolue, Requiem se met à marcher pour s’éloigner de la porte de Brandebourg. Il est hélé par Black Sabbat, accompagné de Léah sous sa forme de la déesse maléfique AIwass. La Bête demande au vampire s’il n’éprouve plus rien pour Rebecca. Requiem lui assure qu’un vrai vampire ne ressent rien pour ses amours terrestres., qu’un vrai vampire n’éprouve aucun sentiment. Black Sabbat l’invite prendre place dans son corbillard. Requiem s’enquiert des nouvelles de son ennemi juré Dracula. La Bête lui répond qu’après son duel spectaculaire avec Ruthra, le suzerain de Dystopie, le comte est retourné en Draconie. Il continue : leur combat fut long et épique, Néron a aussitôt composé un poème pour le commémorer, mû à l’évidence par l’inélégance de son dénouement. Plutôt, Ruthra se lance sur Dracula, son épée à la main en lui reprochant de l’avoir interrompu dans ses rêves, ces rêves qui ont inspiré le glorieux empire britannique sur Terre. Dracula, l’épée en avant, lui rétorque que ce rêve prend fin aujourd’hui. Il lui reproche que les lézards ont terni la beauté du mal absolu avec leurs transactions crapoteuses. Malgré toutes leurs parures, ils ne sont qu’une bande de narco-margoulins miteux. Les camelots de Résurrection !
Le lecteur n’est pas loin de se pincer : le tome onze était sorti en 2012, et depuis aucune nouvelle si ce n’est la réédition réalisée par Glénat. Douze ans plus tard, le tome suivant arrive dans toutes les bonnes librairies et il est extraordinaire. Le lecteur avait pu noter la modification significative de comportement de Requiem à la fin du tome précédent : ici la raison en est révélée et elle annonce la dernière phase du récit. Il est possible d’espérer que l’histoire soit conclue dans le tome treize, le dessinateur ayant expliqué que la série avait été initialement prévu en dix-neuf tomes, mais les auteurs ont choisi de condenser l’histoire en treize tomes pour assurer une conclusion satisfaisante, tant pour les fans que pour eux-mêmes. Le lecteur se prépare donc encore plus que d’habitude pour ce nouveau tome, en sachant qu’il sera plein à craquer comme les onze précédents, et qu’en plus l’intrigue va avancer rapidement et de manière définitive. Le titre l’annonce explicitement : La chute de Dracula. Bon, ceci étant dit, le lecteur sait aussi que le scénariste est familier des annonces qui claquent pour attirer le client et qu’il peut aussi jouer sur un sens plus nuancé de l’expression. Quoi qu’il en soit, tout est en place : une narration visuelle toujours aussi démesurée, et des scènes conçues comme des tableaux.
Comme à chaque tome, l’artiste fait encore plus fort que le précédent. Il reprend par exemple un dispositif qu’il a déjà utilisé dans sa série Wika : des pages qui se déplient pour former une séquence narrative sur quatre pages côte à côte. Le lecteur parvient à ce moment, il déplie les deux pages correspondantes, et il regrette immédiatement le format de l’album qui s’avère quand même trop petit pour pouvoir apprécier le fourmillement de détails de la parade la victoire de la fierté des vampires dans la grande artère de Pandemonium. Les mots s’avèrent insuffisants et incapables de décrire cette foule dense et compacte défilant, avec des chars monumentaux tirés par de gigantesques créatures serpentines richement harnachées, des costumes somptueux, des races diverses et monstrueuses, une orgie visuelle à s’en faire éclater la rétine. Et bien sûr chacune des deux pages dépliées produit un tableau de trois pages avec celle en vis-à-vis, un avant et un après celui de quatre pages, à savoir une scène de banquet présidée par Dracula avant, et un tronçon spécifique de la procession (avec Sean et Requiem) après. Les deux tableaux de trois pages comprennent des cases en insert, c’est-à-dire un dispositif narratif pour raconter les interactions. Le tableau en quatre pages constitue lui aussi une séquence du récit, lors de sa découverte de gauche à droite. Rien que ce passage suffit à repaître le lecteur le plus exigeant.
Or Olivier Ledroit, comme à son habitude, se donne complètement pour chaque page, pour chaque double page, sans s’économiser de quelque manière que ce soit. Le grand spectacle macabre transporte le lecteur sur Résurrection dans ce monde infernal : les vêtements cuir des vampires, les tatouages entre tribal et gothique, et cohérents d’une case à l’autre (mention particulière au 666 tatoué en rouge sang sur la fesse droite d’albâtre de Claudia Demona), les pièces d’armure souvent hérisses de piquants, les créatures fantastiques entre chevaux ailés et loups garous, sans oublier Deucalion sorte de super monstre de Frankenstein, les ailes noires démesurées de Dracula, le costume violet de Néron, les parures égyptiennes de l’Archi-Hiérophante, le séraphin irradiant de lumière blanche, l’arrivée de Thurim sur son destrier blanc dans la salle de banquet, et le duel opposant le fils au père, la majesté tout feu tout flamme de Ruthra (Arthur) et le charisme imposant, écrasant même, de Dracula. Le lecteur remarque aussi les éléments décoratifs comme les médaillons au coin de certaines cases, les effets de surimpression de pentagrammes ésotériques, les effets spéciaux de la mise en couleurs, etc. C’est un festin visuel à chaque page, à chaque case. Il se rend également compte que l’artiste fait preuve d’un humour discret moqueur : le gros plan sur le nez de Baba Yaga avec les poils, la taille des mitrailleuses sur les bras de Deucalion, l’allure de Barbie des vierges de Dracula, la tétine de Cryptus avec une tête de mort, les zombies commentant le décès probable de Dracula, la tête de Black Sabbat se retrouvant dans une vierge de fer, etc. Ces détails se trouvent en phase avec l’humour du scénariste, que ce soit le rot de Cryptus à la face de Baba Yaga, ou Dracula empalant Ruthra en lui faisant observer que son ennemi aurait dû mettre un bouchon anal.
Pat Mills est tout aussi déchaîné, et pas seulement pour l’empalement en direct et avec force. Il mène à bien l’opposition entre Heinrich Augsburg et Otto von Todt, entre Ruthra et Dracula. Il fait aboutir plusieurs des complots pour destituer Dracula, chaque fois avec perte et fracas, l’artiste dépeignant des affrontements tonitruants et terrifiants. Il replace de nombreux personnages rencontrés dans les tomes précédents, en les installant à la table du banquet : Attila, Sabre, Raspoutine, Robespierre, Caligula, Néron, Elizabeth Bathory, Claudia Demona, Cryptus, l’Archi-Hiérophante, baron Samedi, Mortis, Black Sabbat, le singe de Thot, sans oublier Igor et le Dictionnaire du Diable sous la table. Il intègre d’autres meurtriers comme le docteur Harold Shipman (1946-2004), Catherine Deshayes (1640-1680, La Voisin), Françoise Filastre (1645-1680), Vera Renczi (1906-1960). Il met en scène les différentes races de Résurrection : les Vampires bien sûr, les Lycanthropes, les Zombies, les Lémures, un Archéologiste, un Kobold. Le lecteur savoure cette riche mythologie assemblée pour cette série, entre éléments classiques et trouvailles spécifiques, une inventivité aussi débridée que les dessins, Ledroit ayant expliqué qu’il allait régulièrement trouver Mills avec des créations visuelles pour les intégrer dans le scénario. Leur étroite collaboration incorporent également sur clins d’œil culturels comme l’évocation du célèbre cliché : Le Drapeau rouge sur le Reichstag, cliché d'Evgueni Khaldeï pris le 2 mai 1945 sur le toit du palais du Reichstag, à Berlin.
Dans cette débauche visuelle et mythologique, les auteurs développent aussi plusieurs thèmes, certains présents depuis le début de la série, certains apparaissant dans le cadre de ce tome. L’inventivité dans l’horreur continue d’occuper une place centrale dans le récit : la capacité des êtres humains à créer des dispositifs et des méthodes pour exterminer les autres, allant des armes aux carrière de tueurs en série. Le lecteur peut ressentir l’intensité de la nausée que ce constat provoque chez le scénariste, aussi bien la cruauté inhumaine, que l’abus de confiance et de position d’autorité (par les hommes d’Église en particulier), que l’usage des progrès scientifique à l’amélioration de l’efficacité des armes, ou encore la volonté de puissance, la conquête (avec une nouvelle mise en scène du roi Arthur incarnant les rêves d’empire des Britanniques, pour des fins d’exploitation commerciale). Un personnage finit par faire remarquer que les positions de Dracula sur les usages destructeurs de la science datent quand même un peu, au point d’en être réductrices et trompeuses. Dans ce tome, il évoque également les notions d’amour et d’amitié, les vampires étant incapables d’émotion. Avec l’artiste, il réalise une scène irrésistible sur la presse à sensation, s’empressant de commenter le décès apparent de Dracula avec des phrases aussi creuses que ronflantes, au point de ne contenir aucune information concrète. Il s’amuse avec la plaie de véridicité, les célébrations s’accompagnant de l’obligation de dire la vérité. Il prend un grand plaisir à détourner le principe de marche des fiertés, pour l’assaisonner à toutes les races présentes sur Résurrection qui sont autant de minorités, dont certaines avec des revendications très particulières. À ce titre les slogans des Zombies gagnent haut la main : À bas la liberté ! L‘oppression ou la vie ! Ceci est une manifestation anti-liberté ! Nous n’avons aucune raison de protester, alors nous en réclamons une ! Impossible de retenir un sourire devant cette louve garou qui déclare se définir comme vampire, un bel exemple de dérision.
Oui, c’est vrai ce douzième tome s’est fait attendre douze ans. Verdict : ça en valait la peine !!! Les auteurs reviennent au meilleur de leur forme, c’est-à-dire avec l’intention de faire plus fort que le tome précédent, et ils le font. Des combats énormes des révélations brutales, des critiques sociales au second degré (et au premier), un humour massif. Une narration visuelle hors norme, extraordinaire et terrifiante, belle et horrible, riche et passionnante. Chef d’œuvre.