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jeudi 26 décembre 2024

L'art d'en bas au musée d'Orsay: La fantastique collection Hippolyte de L'Apnée

Elles n’ont eu pour seul tort que d’avoir marqué un pas de côté.


Ce tome correspond à une collection d’œuvres d’art, un catalogue de pièces non exposées. Son édition originale date de 2016. Il a été réalisé par Plonk & Replonk. Il comprend environ cent-quarante pages, et présente quatre-vingt-trois œuvres, dont une deux fois. Il s’ouvre avec une introduction de trois pages, rédigée Anatole de Pompales, commissaire d’exposition SGDG, intitulée : La collection Hippolyte L’Apnée. Elle commence par évoquer l’ouverture des portes du Musée d’Orsay au public, le neuf décembre 1986, la place qu’occupe la singulière collection Hippolyte de L’Apnée, legs enregistré en 1910 au musée du Luxembourg. Puis la disparition de ce legs, sa redécouverte en 1982 par Gontran Le Rubulfier, les artistes et leur condition modeste. Viennent ensuite un développement sur Hippolyte de L’Apnée et la photographie, un autre sur la figure d’Hippolyte de L’Apnée, et un entretien de quatre pages de Gontran Le Rubulfier, des propos recueillis par Plonk & Replonk. Puis le lecteur découvre la collection proprement dite. En fin de tome, sur deux pages, se trouve l’index alphabétique des artistes, avec leurs œuvres, et le numéro de page correspondant.


Quelle étrange histoire que la singulière collection Hippolyte de L’Apnée, legs enregistré en 1910 au musée du Luxembourg et dont il ne fut jamais rien monté. On en perd même toute trace dès 1911. Dans un contexte politico-culturel plus serein, la collection de L’Apnée aurait dû, après un siècle d’absurde confinement, provoquer un véritable séisme. Les toiles en particulier, qui suivent un fil rouge des plus surprenants. Signées par des artistes abusivement taxés de mineurs pour avoir malencontreusement passé leur vie à l’ombre des titans, elles n’ont eu pour seul tort que d’avoir marqué un pas de côté. Un tout petit pas qui leur valut l’exclusion du tableau d’honneur. C’est la singularité de cette collection. La majorité de ces artistes négligés était de modestes cousins, des compagnons de volée ou de simples admirateurs cherchant à reproduire la manière de leurs prestigieux modèles. C’est là une entreprise à la fois grandiose et pathétique dont la vacuité apparente ne diminue toutefois en rien l’intérêt.



La présentation des œuvres commence avec un tableau de Paul Octave Spoutenique Lindingres, intitulé : L’âge de bronze idiot (Allégorie), de 1857, une impression à la louche diffuse sur débris de bois flotté de l’Atlas, répertorié Inv. HA 1910-28. Il s’agit d’un pas de côté à partir du tableau La source (1856) de Jean Auguste Dominique Ingres. Fin connaisseur des mœurs balnéaires de ses contemporains, Lindingres lance ici un avertissement discret sous couvert de mythologie érogène. La nymphe Mélanome s’offre au dieu Apollon (et au visiteur du musée d’Orsay charmé) sans le moindre indice de protection. Une certaine unanimité s’est récemment dégagée en faveur des sources de crèmes solaires de Kaya en tant que véritable décor de cette exhibition délicieusement impudique.


Dans un premier temps, le lecteur peut entretenir un doute : un catalogue d’exposition sur des œuvres mineures retrouvées lors de l’inventaire préalable à l’ouverture du musée d’Orsay, pourquoi pas ? En effet, cet ouvrage se présente comme un vrai catalogue d’exposition : une introduction établissant le contexte de la collection, un entretien avec le découvreur du fonds. Puis la présentation de chaque tableau ou photographie, avec le titre, le nom de l’artiste, un texte informatif sur l’œuvre, et la référence de la toile originale dont il s’agit un pas de côté. En fonction de sa familiarité avec l’exposition permanente du musée d’Orsay et les grands peintres correspondants, le lecteur peut s’interroger. Certains peuvent lui être inconnus, comme Joseph Granié (1861-1915), Adolphe-Félix Cals (1810-1880), Félix Valoton (1865-1925), Émile Bernard (1868-1941), Alexandre Schoenewerk (1820-1885), Maxime Faivre (1856-1941). Il peut découvrir certaines toiles. Le doute est levé lorsqu’il découvre une référence comme Portrait de l’artiste (1889) de Vincent Van Gogh, ou encore Raboteurs de parquet (1875) de Gustave Caillebotte. Il prête alors une attention plus soutenue aux noms des artistes Paul Octave Spoutenique Lindingres pour Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867), Henri de Toujourslezautres pour Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901), Alphonse Bledur pour Claude Monet (1840-1926), Federico Paparrazzi pour Jean-Léon Gérôme (1824-1904), Samuel Onvamieu-Cematin pour Jean-François Millet (1814-1975), Maurice Dilate pour Gustave Courbet (1819-1877), Paul Relent pour Paul Cézanne (1839-1906), Henri Pantin-Lepion pour Henri Fantin-Latour (1836-1904), Désiré Petitcoin pour Vincent Van Gogh (1853-1890), etc.



Les auteurs (Plonk & Replonk, à moins qu’il ne s’agisse d’une seule et même personne, ou peut-être d’un collectif) s’ingénient à détourner des œuvres de maître appartenant réellement au fonds du musée d’Orsay, à des fins comiques, tout en respectant la présentation formelle d’un véritable catalogue d’exposition. Ils jouent donc sur les noms des artistes : souvent en en reprenant la forme, et en introduisant un jeu de mots basé sur les sonorités ou sur un proche, plus parfois en rapport avec l’œuvre détournée. Le titre lui-même de l’œuvre imaginaire tourne en dérision le sujet. Par exemple pour la première présentée, le titre L’âge de bronze idiot agrège L’âge de bronze, avec le principe de Bronzer idiot, l’idiotie se trouvant dans l’absence d’usage de crème solaire, et dans le nom de la nymphe Mélanome. L’humour repose régulièrement sur l’absurde (Froncement de sourcil dans une porte ouverte), mais aussi sur un effet poétique (La sieste tibétaine), sur un rapprochement inattendu (L’élégante Lady Casus de Belli), sur un décalage avec l’œuvre (L’arrachage des mauvaises herbes, en vis-à-vis du tableau Coquelicots – 1873 – de Claude Monet), sur la mise en valeur d’une incongruité (Les castagnettes, accessoires ajoutés dans le tableau Les oréades, de William Bouguereau), sur un autre titre (Sept nains sur la neige blanche), sur un effet anachronique (Photographie instantanée officielle de la reculade du Grand Condé, alors qu’il s’agit d’un tableau peint), sur une interprétation moqueuse de ce qui est représenté (Angelot pervers tripotant une gargouille sans défense, en vis-à-vis d’une photographie d’un homme se tenant derrière une gargouille de Notre-Dame de Paris), etc.


Le détournement pictural des œuvres d’art fait preuve de la même inventivité et de la même diversité de forme de comique. Ainsi le lecteur peut voir apparaître les marques de bronzage sur la nymphe du tableau La source (1856, Ingres), la fermeture éclair d’une housse à habit dans Intérieur femme en bleu fouillant dans son armoire (1903, Félix Valloton), la transformation d’un marbre en motte de beurre avec ajout d’un couteau à beurre pour Jeune Tarrentine (1871, Alexandre Schoenewerk), le rajout d’un personnage entre Hulk et Géant Vert sur Fléau 1 (1901, Henri Camille Danger), un camion de pompier traversant le tableau Romains de la décadence (1847, dit aussi L’orgie romaine, de Thomas Couture), un téléphone portable dans les mains de la jeune femme recomptant ses moutons dans Bergère avec son troupeau (1863, de Jean-François Millet), un amalgame entre Les joueurs de cartes (1890-95) et La femme à la cafetière (1895) de Paul Cézanne, un scaphandre d’astronaute dans la toile Eugène Boch (1888, de Vincent Van Gogh), etc. Ces détournements produisent un effet ludique, incitant l’esprit du lecteur à se souvenir de l’original, à détecter l’ajout iconoclaste, à se référer au titre qui rehausse l’effet comique, et à parcourir la notice.



Les textes explicatifs pastichent également les cartouches qui se trouvent à côté d’œuvres exposées dans un musée, entre gentille moquerie et humour absurde, sans aller jusqu’à reproduire le sabir spécifique au monde l’Art. En fonction de la sensibilité du lecteur et en fonction de celle des auteurs, ces textes poussent la réinterprétation très loin. Les rapprochements de sens ou visuels s’aventurent dans beaucoup de directions, souvent avec bonheur. Par exemple, La muse Mélanome et son risque de cancer de la peau. Par exemple, La question de la garde alternée : Le thème mythologique représenté ici évoque une discussion, entre la poire et le fromage, au sujet du prochain repas de Noël dans le cadre de la garde alternée, grand classique chez les anthropophages divorcés à l’amia-miable. L’artiste a su représenter l’attitude pittoresque de la matriarche présentant les menus à son futur invité. Par exemple, La véritable raison de l’accident ferroviaire de la gare de l’Ouest : Voici ce qui se serait réellement passé le 22 octobre 1895 si l’on en croit une vieille légende parisienne désormais auréolée d’une solide crédibilité : en approche, le train aurait été accosté par un troupeau de vaches appartenant à un garde-barrière anarchiste, Francis Baggenstos. La meneuse, Marguerite, sautant à bord du convoi avec une souplesse inattendue de la part d’un animal de cette complexion, en aurait pris le contrôle. Mais elle n’aurait pas su maîtriser la locomotive, d’un maniement malheureusement délicat. La loufoquerie s’avère souvent irrésistible.


Un catalogue d’exposition sur un fonds d’œuvre injustement relégués dans l’oubli ? En effet, le lecteur tient en ses main un catalogue d’exposition, avec introduction contextualisant l’exposition, des reproductions des œuvres, et un texte explicatif. Même naïf, le lecteur finit par relever des références qui le détrompent : il s’agit d’œuvres détournées dans un registre comique. Les auteurs mettent à profit les formes d’un catalogue, s’amusant à la fois sur le nom des pseudo-artistes, sur le titre des œuvres, sur le détournement des toiles de grands maîtres, et sur le texte explicatif. Le lecteur effectue une visite de musée original et imaginaire, entre absurde et mise en perspective de ces tableaux dans un contexte humoristique et contemporain. Il en ressort avec l’envie d’aller admirer les originaux.



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