Ma liste de blogs

lundi 9 décembre 2024

La Française doit voter ! Les combats de Louise Weiss

Madame, vous venez de voter, vous êtes émue ?


Ce tome correspond à un récit biographique. Son édition originale date de 2024 Il a été réalisé par Marie Moinard pour le scénario et par Marine Tumelaire pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-vingt-trois pages de bande dessinée. Il se termine par un court texte rappelant l’adoption de l’amendement Fernand Grenier par l’Assemblée consultative le 24 mars 1944, l’ordonnance portant organisation des pouvoirs publics en France du 21 avril 1944, le préambule de la Constitution de la IVe République rédigé et adopté en 1946 rappelant que : La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme.


Au volant de sa 2CV, Louise Weiss conduit à tombeau ouvert pour rallier le Parlement européen, en cette année 1979. Un fonctionnaire la mène à la tribune où elle prend la parole. Elle commence : Les étoiles du destin et les chemins de l’écriture l’ont porté à cette tribune pour y vivre, présidente d’un jour, un honneur don elle n’aurait jamais osé rêver et une joie. Elle continue : La joie la plus forte que puisse éprouver une créature au soir de son existence, la joie d’une vocation de jeunesse miraculeusement accomplie. Le 26 avril 1914, Louise Weiss, vingt-et-un ans, s’adresse à sa mère dans le salon familial. Elle lui demande si elle a vu que elles, les femmes, sont invitées à répondre à la question sur le droit de vote des femmes. Elle continue : C’est un vote blanc, elles peuvent déposer leur vote rue Scheffer. Sa mère lui propose d’y aller, en joignant le geste à la parole. Elles se rendent à un kiosque dans la rue, pour aller chercher leur bulletin. Son texte s’avère des plus directs : Mesdames, Mesdemoiselles, désirez-vous voter, Oui / Non ? Elles regardent des femmes présentes alentours incitant les passantes à voter.



Quelques jours plus tard, Louise se félicite auprès de sa sœur du fait qu’elles ont été très nombreuses à voter. Elle continue : Les résultats seront communiqués dans les prochains jours, les bulletins peuvent être envoyés jusqu’au trois mai, il n’y aura pas beaucoup de temps à attendre. En attendant, elle se remet à sa dissertation, et les deux sœurs récitent : Il pleure dans mon cœur, un poème de Paul Verlaine. Le lendemain devant le lycée Molière à Paris, elle papote avec une copine, lui demandant si elle a voté au référendum. Sa copine répond qu’elle n’était pas au courant, et puis avec son père pas question de faire des vagues en ce moment, avec les examens qui approchent, elle préfère se faire oublier. Louise ajoute que son père à elle n’est pas au courant non qu’elle prépare l’agrégation. Elle travaille en douce, et il l‘a déjà difficilement félicité pour son prix au lycée. Heureusement que leur maman les aides Eugénie et elle. Leur mère veut que ses filles soient diplômées pour gagner leur indépendance. Sa copine répond qu’elle préfère avoir un mari et lui cuisiner des petits plats que sa grand-mère lui a appris. Louise répond qu’elle peut lui donner des cours pour réaliser la meilleure choucroute de Paris. Sa copine la taquine en lui disant qu’elle a au moins appris ça dans son école ménagère.


En fonction de sa familiarité avec les bandes dessinées de type didactique à caractère historique, le lecteur s’est plus ou moins préparé à une lecture au rythme posé pour absorber une forte densité d’informations, et peut-être une narration visuelle réduite à des illustrations plus ou moins appliquées. Il est pris à contrepied avec la 2CV bondissante dans la première planche, sortant des cases, sans arrière-plan dessiné, mais avec des couleurs vivres, bleu, vert et jaune. La deuxième planche comprend trois cases de la largeur de la page, elles aussi très colorées, avec très peu de texte, et la troisième planche comprend un dessin en pleine page, sans aucun mot. L’inéluctable se produit dans la page suivante, alors que Louise Weiss entame son discours, il ne s’agit toutefois que d’un court extrait. En effet, les autrices ont pris le parti d’opter pour une narration aérée, laissant une place prépondérante aux dessins, se tenant à l’écart de l’effet pavé de texte. Dans le même ordre d’idée, l’artiste utilise une palette de couleurs variées, s’attachant aux ambiances, sans lien direct avec une approche de type photographique. Ainsi quand Louise et sa mère se rendent au kiosque de rue, les façades des immeubles ont pris une teinte verte, ainsi que la chaussée, et le trottoir est rose, la peau des personnages reste blanche. Lors d’une séquence à l’hôpital de Saint-Quay-Portrieux tout baigne dans une couleur saumon très douce.



La narration visuelle entraîne en douceur le lecteur aux côtés de Louise Weiss depuis avril 1914, jusqu’aux élections municipales du 29 avril 1945, les premières où les femmes peuvent voter. Tout du long, il peut apprécier la façon dont l’artiste met à profit sa liberté dans la mise en couleurs. Tout d’abord le choix des teintes, souvent inattendues, avec un rendu oscillant entre de la peinture, de l’aquarelle, des crayons de couleurs, des aplats solides. Ainsi le lecteur ressent la charge psychologique du père à l’encontre de sa fille, par ce jaune profond irradiant derrière lui, et la poursuivant dans son quotidien pour rappeler comment la décision du père conditionne la vie et le futur de sa fille. Le retour de la nuance saumon vire à l’organe puis tire vers le vert alors que Louise Weiss s’assoit à la table du salon tenu par Claire Jouvenel, accompagnant le fait qu’elle passe d’un mélange de crainte et d’excitation à une discussion vive et entraînante. Plus tard, les femmes distribuent des tracts dans la rue : le rose des papiers tranche sur le jaune délavé dans lequel baigne tout le reste de chaque case. Lors de l’intervention du très misogyne sénateur Raymond Duplantier (1874-1954), le rose vire au rouge cramoisi sous l’effet de ses propos insultants. Régulièrement, le regard du lecteur s’arrête sur une composition mariant plus de couleurs, telle cette superbe vue d’une rue de la butte Montmartre en 1936, page quatre-vingt-douze. Même s’il n’y prête une attention consciente, l’esprit du lecteur ressent la sensibilité et l’intelligence de cette mise en couleurs.


Pour peu qu’il dispose d’une culture BD, le lecteur s’attend à ce que la mise en couleurs sophistiquée serve pour partie à masquer des dessins manquant çà et là de consistance. La 2CV bondissante de la première planche le conforte dans cet a priori. Cependant celui-ci s’évanouit dès la seconde planche : des compositions de couleurs sophistiquées pour montrer l’extérieur du parlement européen. Or il s’avère tout de suite que la dessinatrice investit son temps et son énergie pour faire œuvre de reconstitution historique visuelle. Le lecteur peut voir les toilettes féminines évoluer avec les années et les décennies qui passent. Il prend le temps de regarder aussi bien les décorations intérieures, que les rues. L’artiste montre des lieux de nature très différente et variée : la chambre de la jeune Louise Weiss, un champ dans lequel trois femmes tirent une lourde charrue, une gare parisienne, une chambre parisienne dans les combles et les toits en zinc, les bureaux du journal l’Europe Nouvelle, l’intérieur du Parlement, l’intérieur du Sénat, le théâtre de l’Alhambra à Bordeaux, la grande halle couverte du marché de Lussac-les-Châteaux, la place de la Bastille sous un magnifique soleil d’été, le quartier de Montmartre sous la pluie, le stade olympique Yves-du-Manoir à Colombes, une salle de classe, le salon des arts ménagers, etc. D’un côté, le lecteur éprouve la sensation d’une narration visuelle un peu décompressée ; de l’autre, il fait l’expérience de dessins montrant beaucoup, que ce soient les lieux ou les personnages.



Pour les femmes et les hommes, l’artiste allie une forme de réalisme qui peut s’avérer très poussé, et parfois des représentations plus allégées, en fonction de la nature des événements, de la conversation intime à une manifestation de foule. Alors qu’il s’était préparé à des passages avec de longs exposés, le lecteur découvre un rythme léger, avec parfois un phylactère plus copieux, le plus souvent dans le registre vivant de la discussion. Les années et les décennies s’écoulent, et les autrices prennent soin d’inscrire chaque manifestation, chaque déclaration, chaque action dans l’époque concernée. Alors même que la lutte pour s’étend sur plus de trois décennies avec de nombreuses interventions auprès d’élus, la narration ne suscite jamais de sentiment de redondance. En fonction de son état d’esprit, le lecteur peut s’attacher plus à la personne de Louise Weiss et donc à la dimension biographique du récit, ou plus à l’histoire de la lutte pour gagner le droit de vote des femmes. Dans les deux cas, il reste conscient de l’autre dimension indissolublement liée, tout en constatant que cette revendication n’est pas le fait de la seule Louise Weiss, et que les formes qu’elle prend sont diverses et pacifistes. Le lecteur contemporain se pince parfois devant des déclarations d’une rare misogynie crasse, et d’autres fois il identifie des relents encore bien présents dans la société.


Le titre et la couverture donnent une image du contenu : un récit autobiographique entrelacé à une revendication évidente. La narration visuelle se révèle des plus agréables, nuancée et lumineuse, aérée et consistante, une réussite remarquable pour un ouvrage de nature historique et vulgarisateur. La construction de l’ouvrage tire profit du mélange biographique et didactique, ces deux dimensions se rehaussant entre elles pour plus de goût. La Française doit voter : une évidence, mais un droit qui ne s’est pas conquis en un jour.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire