Comme ça, son corps physique restera en catalepsie, donc vulnérable !
Ce tome fait suite à Les Aventures d'Alef-Thau, tome 3 : Le roi borgne (1986), une série en huit tomes, suivie par une seconde saison en deux tomes : Le monde d’Alef-Thau, dessiné par Marco Nizzoli. Son édition originale date de 1988. Il a été réalisé par Alejandro Jodorowsky pour le scénario, par Arno (Arnaud Dombre) pour les dessins et les couleurs. Il compte quarante-quatre pages de bande dessinée.
Dans la grande maison de Hogl, Malkouth n’en peut plus d’attendre le retour d’Alef-Thau et elle a décidé de se pendre, ne voyant pas d’autre issue à sa situation. Pour ce faire, elle a attaché une corde à une poutre, elle a fait un nœud coulant qu’elle a déjà passé autour de son cou. Elle resserre le nœud autour de son cou, et elle se prépare à ce qu’on enlève le petit tabouret sous ses pieds. Louroulou lui demande de ne pas faire ça, car Alef-Thau reviendra. Elle lui rétorque sèchement qu’il ne reviendra plus, le satellite l’a avalé pour toujours, de toute façon elle n’a jamais existé à ses yeux. Un autre intervient à son tour, conseillant à la jeune femme d’attendre au moins le retour de Hogl, ça fait des jours qu’il est parti dans les montagnes à la recherche d’un antidote au philtre d’amour. Elle lui retourne qu’aucun philtre d’amour ne pourrai lui faire oublier Alef-Thau. Elle demande que le tabouret soit enlevé. Holibanoum le fait, et elle se balance au bout de la corde. Les petites fées se précipitent et soutiennent son corps, empêchant ainsi que le nœud coulant ne l’asphyxie. C’est le moment où Alef-Thau franchit la porte de la maison, avec son épée dans sa main droite, et un bébé dans le bras gauche. Il coupe vivement la corde et Malkouth chute à terre. Elle lui demande ce que c’est que ce bébé, et comment il se fait qu’il ait un deuxième bras. Il se met à raconter son histoire.
Après que la boule auxiliaire du satellite natal de Diamante ait aspiré Alef-Thau, Diamante et Louroulou, elle a rejoint le satellite et atterrit au milieu d’une grande salle vide. Alef-Thau porte Diamante sur ses épaules, et il sort prudemment de la boule auxiliaire. Un groupe de robots s’approche et attaque Alef-Thau. Celui-ci se défend et en décapite un avec son épée. Un robot a réussi à le déborder, et à passer derrière lui, il récupère le corps de Diamante et s’en va avec. L’affrontement contre les robots se poursuit : Alef-Thau en décapite un autre, Louroulou réussit à en déconnecter un en trifouillant dans ses câbles. Les deux héros partent en courant, et ils parviennent à se cacher sur une poutrelle en hauteur, les trois robots humanoïdes les dépassant sans les voir. Alef-Thau et Loruoulou poursuivent leur avancée dans l’immense bâtiment. Ils voient passer des gnomes poussant des wagonnets, surveillés par d’autres robots, dont un maniant le fouet. Ils décident de suivre les rails, et ils parviennent dans une immense salle. Les robots les repèrent, alors que les deux aventuriers découvrent le corps de Diamante sur un plateau, prête à être incinérée dans un four crématoire. Alef-Thau s’élance pour la sauver. La voix du vieil immortel lui intime de s’arrêter. Le sage se met à parler et il explique ce qui est vraiment en train de se passer.
Une nouvelle phase des aventures de ce héros improbable, né enfant-tronc. Après avoir été manchot, puis borgne, il réapparait en nettement meilleure forme : il a deux bras et deux jambes, mais toujours un seul œil. En cours de tome, il perd à nouveau une jambe qui d’ailleurs était une jambe de bois. Décidément, il y a toujours un prix physique à payer pour les personnages de Jodorowsky… encore que dans ce tome Alef-Thau n’est plus du tout affecté par son état physique. Il avait même été doté d’une longue natte avec une feuille tranchante comme un rasoir à son extrémité, et il n’a pas besoin d’y avoir recours ici. Toutefois d’autres personnages souffrent dans leur chair. Malkouth a soigneusement préparé son suicide par pendaison, les dessins montrant bien la solidité de la corde et de son attache. Ils montrent également qu’elle a décidé d’en finir devant toute la maisonnée, donnant ainsi à son acte une forme de rite public. Diamante subit une transformation tout aussi bizarre que métaphorique. Comme dans les tomes précédents, certains rebondissements semblent sortir du chapeau, avec des conséquences peu importantes. Le corps de Diamante est incinéré, cependant le scénariste informe le lecteur dans les pages précédentes qu’elle va en réchapper, mais dans une autre forme. Est-ce un effet de l’immortalité de Diamante ? Toujours est-il qu’elle renaît sous la forme d’un nouveau-né grandissant trois fois plus vite que le rythme normal de croissance. À nouveau une résurrection dans cette série.
Cette fois encore, le lecteur sent qu’il tourne les pages rapidement, un rythme soutenu, et aussi une histoire rapide. Il ressent que ce rythme découle également de la narration visuelle d’une clarté admirable. Cette première séquence s’avère en fait complexe à mettre en scène : à la fois du fait de la plausibilité à donner au suicide, à la fois du fait du nombre de personnages. En deux pages, le lecteur peut voir la structure de la grande salle (espace libre, mobilier, poutres, forme des vitres), une quinzaine de participants (Malkouth, Louroulou, Holibanoum, une autre demi-douzaine de nains, une demi-douzaine de fées), le lecteur en oublierait presque de remarquer trois chats. Il reste encore de la place pour l’arrivée d’Alef-Thau, avec le nouveau-né. Dès la planche quatre, l’environnement change du tout au tout, avec l’arrivée de la boule auxiliaire sur le satellite, les grands bâtiments de la base sur le satellite, puis les robots. À nouveau, le lieu apparaît clairement, en particulier la taille des bâtiments, le positionnement respectif des différentes salles, la logique de l’acheminement des wagonnets. Puis vient le temps pour les héros de partir à la recherche du mentor Hogl : le lecteur retrouve les sensations de la forêt traversée dans le premier tome, et la clairière des roches mouvantes rappelle les plantes des marais de Hoor-Paar-Kraat dans le tome trois.
L’artiste continue également de donner à voir l’exotisme de ce monde imaginaire, des éléments de Fantasy, pouvant basculer dans la science-fiction. S’il y est sensible, le lecteur peut consacrer une partie de son attention sur l’amure de Malkouth toujours cohérente avec le tome précédent, les petites fées avec leurs petites ailes, les nains différenciés par leurs vêtements, et par les yeux globuleux pour l’un d’eux, l’étrange mobilier en matériaux bruts (essentiellement du bois), la forêt avec ses arbres aux formes étranges pour un effet expressionniste, et le bric-à-brac dans l’atelier de travail d’Alef-Thau. Le dessinateur conçoit des prises de vue très parlantes pour les différentes phases d’affrontement opposant Hogl à Alef Thau pendant une vingtaine de pages. Il s’amuse bien avec le visage démoniaque changeant de Hogl, avec ses transformations corporelles, une sorte de géant difforme, et ses nervis qualifiés de Hombies. Comme anticipé, Alef-Thau utilise à nouveau ses pouvoirs mentaux pour faire apparaître son corps ectoplasmique, un très beau combat contre celui de Hogl en un peu plus d’une page, et des couleurs plus vive pour rendre compte de l’intensité de ces formes et de la confrontation brute entre ces énergies.
Car le lecteur a pris l’habitude de ces moments où un personnage ou deux sortent de leur corps physique pour faire apparaître leur avatar mental, la force de leur esprit. Première des deux occurrences dans ce tome, Alef-Thau crée un bouclier ectoplasmique autour de sa demeure, pour empêcher que les hordes de Hombies d’approcher. Cela semble ne lui demander aucun effort particulier : il interdit l’accès à sa demeure par la seule force de sa volonté, la barrière ectoplasmique pouvant être considérée comme la manifestation physique de son droit de propriété. Deuxième occurrence : l’affrontement entre Hogl et Alef-Thau sur le plan astral, tournant rapidement à l’avantage du premier. Le lecteur peut y voir une métaphore de la relation mentor – élève, du fait que Alef Thau a tiré sa connaissance des leçons de son maître, qu’il a fait le choix de relire tous ses livres (Cette décision incroyable de contre-attaque quand il déclare que pour lutter, il va lire). Cela semble sous-entendre que les capacités du héros restent toutes entières contenues dans celle de Hogl, qu’il n’a pas encore acquis assez d’expérience par lui-même pour en savoir plus ou différemment.
D’un côté, le lecteur peut trouver qu’il s’agit d’une aventure rondement menée, avec une intrigue un peu décompressée, faisant la part belle à l’action, et à l’exotisme de la Fantasy et de la Science-fiction. D’un autre côté, il peut continuer à lire cette série comme une quête initiatique, et spirituelle : le héros acquérant un peu plus de sagesse à chaque épreuve, en même temps que son intégrité physique évolue. Il peut aussi s’interroger sur le titre de ce tome qui rompt avec la progression des trois premiers : L’enfant-tronc, Le prince manchot, Le roi borgne. Le présent titre, Le seigneur des illusions, attire son attention sur une remarque déjà présente dans le tome précédent, et répétée dans celui-ci : Alef-Thau explique à Diamante qu’il est une illusion, comme tout ce qui est sur cette planète, un monde d’illusions créé par le satellite dans le seul but de la mettre à l’épreuve. Avec cette idée en tête, le lecteur s’interroge sur la réalité de ce qu’il lit, sur ce qu’il doit prendre pour argent comptant, et sur ce qui n’est qu’illusion, un monde virtuel qui se trouve dans l’esprit de Diamante, ou peut-être encore dans la conscience d’un autre personnage… en tout cas dans l’imagination du scénariste et du dessinateur.
Un récit d’aventure mené tambour battant dans un monde de Fantasy mâtiné de Science-fiction, avec une narration visuelle limpide et gracieuse. Une quête aussi bien physique que spirituelle, des jeux d’esprit qui vont sûrement au-delà de ce qui se trouve sur chaque planche. Ensorcelant.
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