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jeudi 17 juillet 2025

Complainte des landes perdues - Cycle 2 T02 Le Guinea Lord

L’Amour n’est qu’un leurre, une faiblesse, un collier de chien autour de nos illusions…


Ce tome est le second d’une tétralogie qui constitue le deuxième cycle de la série de La complainte des landes perdues, étant parus après le troisième. Il fait suite à Complainte des landes perdues - Cycle 2 - Tome 1 - Moriganes (2004) qu’il faut avoir lu avant. Son édition originale date de 2008. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, Philippe Delaby (1961-2014) pour les dessins, et Jérémy Petiqueux pour les couleurs. Il comprend cinquante-quatre planches de bande dessinée. Pour mémoire, la parution du cycle I Les sorcières (dessiné par Béatrice Tillier) a débuté en 2015, celle du cycle III Sioban (dessiné par Grzegorz Rosiński) en 1993, et celle du cycle IV Les Sudenne (dessiné par Paul Teng) en 2021.


Le responsable des Chevaliers du Pardon s’adresse à sa congrégation. Il informe ses frères, il les met en garde : des temps mauvais les attendent. Le Guinea Lord a quitté son repaire pour partir en chasse. Le responsable ordonne à tous les Chevaliers du Pardon de s’écarter de son chemin. Le Guinea Lord appartient au diable. Il est invincible. De son côté, le Guinea Lord chevauche accompagné de trois chiens noirs. Il pénètre dans les ruines d’un château où l’attendent quatre guerriers en armure, qui ont eux aussi mis pied à terre. Guinea Lord ordonne à ses chiens de se mettre en position assise. Il s’adresse ensuite aux quatre hommes et leur demande ce qu’ils ont à lui apprendre. L’un d’eux prend la parole : La Morigane que recherche Guinea Lord, vient d’aborder par le sud. Leur maître, le seigneur de Galway, lui offre l’hospitalité. Si Guinea Lord le désire il peut se joindre à eux pour la recevoir. Le chevalier noir leur répond que si la Morigane a décidé de s’aventurer sur ces terres, c’est pour s’entendre avec lui et lui seul. Il permettra cependant au Seigneur de Galway de les servir, le reste ne leur incombe point.



L’un des guerriers prend la mouche à cette déclaration condescendante. Il s’apprête à sortir son épée de son fourreau. Guinea Lord lui demande si le seigneur Galway sera de taille à l’affronter. Puis il demande lequel des quatre va l’affronter le premier. Le plus calme répond qu’ils ne sont pas venus ici pour l’affronter, ils sont venus pour l’aider à rencontrer la Morigane. Le plus belliqueux sort le poignard glissé dans sa manche, mais il est arrêté dans son geste par un autre qui lui fait observer la carapace qui protège Guinea Lord. Ce dernier leur intime de remonter à cheval, sauf celui qui voulait l’agresser. Il ajoute que ses chiens ont faim, et ces derniers se jettent sur l’homme. Un autre s’avance en commençant à dégainer son épée, et Guinea Lord le décapite d’un coup de hache vif et net.


Le lecteur se trouvait un peu dans l’expectative à l’issue du premier tome : Sill Valt avait accompli une mission avec ses hommes, et parmi eux le novice Seamus. Ce cycle porte le nom des Chevaliers du Pardon, cependant leur ordre ne fait pas l’objet d’une description ou d’une explication. Dans celui-ci, le lecteur retrouve les éléments constitutifs de la série : les Sorcières (appelées Moriganes), le très mystérieux masque de Vysald, le cygne noir, l’arbre de Vérité avec son feuillage si remarquable, le sang qui fait des bulles. Il retrouve également des éléments nouveaux intégrés dans le tome précédent comme le jeu de Fitchell (sur lequel il en apprend plus), et le Chill. En revanche, nulle mention n’ait faite des Sudenne ou de la statue qu’avait découvert Seamus. Le scénariste relie entre eux plusieurs fils comme le sort de la Morigane appelée Mornoir, le devenir de la jeune fille sauvée par Seamus, et la présence d’autres Moriganes. Les auteurs font intervenir un nouveau personnage : le Guinea Lord. Le lecteur s’interroge sur ce nom : le Seigneur Guinée, ou faut-il y voir une correspondance avec le terme Guinea Pig (cochon d’Inde, ou cobaye), ou Guinea Fowl (pintade). Quoi qu’il en soit, l’artiste se lâche pour créer visuellement ce personnage imposant. Sa première apparition se fait sur la couverture : casque à cornes démesurées, heaume ne laissant rien voir de son visage, carapace ou armure massive, tête de mort sur le torse avec les chaînes, gantelets particulièrement épais, cape déchirée. Mortel.



Le lecteur voit ensuite Guinea Lord chevaucher dans la première planche (il n’a rien d’un cochon d’inde) : il comprend alors que son armure est noire. Pour être sûr qu’il comprenne bien le principe le coloriste l’a doté d’un destrier également noir, ainsi que les trois chiens, seules les cornes de son heaume sont rougeoyantes, ainsi que les fentes dans son casque et son armure. Il tient un étendard dont l’inscription ressemble à IF. À chacune de ses apparitions, son aspect massif et sa grande taille sont mis en évidence par comparaison aux autres personnes présentes dans la scène. Il en impose rien que par sa présence, son immobilisme et ses propos. L’artiste joue à fond la carte des conventions visuelles de récit de genre, avec un sérieux et une implication qui les rendent efficaces et percutantes. Le lecteur se délecte des ruines du château, d’un amas de crânes humains au fond d’un puits, des grandes tentures rouges du lit à baldaquin masquant son occupante, du cygne noir sur une pièce d’eau entrevue à travers le feuillage, de l’apparition du démon Cryptos dans le feu, de la Morigane dans sa forme serpentine hideuse, du duel à l’épée dans une zone naturelle herbue, etc. C’est un vrai délice de pouvoir ainsi s’immerger dans un environnement de Fantasy médiévale, aussi consistant et concret. Le coloriste réalise une mise en couleurs de type naturaliste, que l’on peut quasiment toucher, avec des nuances de teintes venant compléter les contours encrés, comme de la couleur directe. Il dose avec soin les effets spéciaux ce qui les rend d’autant plus saisissants, que ce soit le lac qui a pris une teinte de sang, ou le cercle de flammes magiques autour de la cabane de la vieille aveugle Luchorpain.


De fait, la narration visuelle donne corps au récit de manière extraordinaire. Les costumes donnent l’impression d’être plus vrais que nature : les plissements des tissus, la finesse des cottes de maille, la texture cuir des gantelets, les poils des fourrures, les différents types de ceinture, ou le gilet en peau de mouton, les robes en tissu grossier, les décorations sophistiquées sur les vêtements des plus riches. Le lecteur se sent également présent au même titre que les autres personnages dans les moments plus banals : regarder passer un cygne en se tenant sur le bord d’un lac avec une lumière discrètement teintée de la verdure environnante, participer à une cérémonie dans une église une lumière rougeoyante du feu dans un braséro, manger tranquillement avec les autres novices à la longue table en bois assis sur un banc dans la lumière encore un peu froide du matin, assister à une discussion entre une vieille aveugle et une jeune demoiselle dans une ambiance rendue grisâtre par la pluie, etc. Par ailleurs, les auteurs ont aménagé quelques scènes horrifiques du plus bel effet, où dessinateur et coloriste y mettent tout leur cœur, et leur talent. En planche vingt, une main couverte de pustules avec des ongles trop long relève la tête ensanglantée d’un jeune homme qui vient de faire une chute de plusieurs mètres de hauteur sur des rochers : atroce. En planche vingt-cinq, une douzaine de cochons teigneux et mal intentionnés s’avancent vers deux hommes, et le lecteur remercie les auteurs de ne pas lui montrer la suite. En planche vingt-sept, un homme vomit en jets violents, des pièces de monnaie : immonde. Le récit recèle encore une poignée de scènes tout aussi horrifiques.



Dès les premières pages, le lecteur ressent ce plaisir qu’il attendait : celui de retrouver les caractéristiques d’une série dont il a apprécié le ou les tomes précédents, une forme de confort correspondant à un environnement que l’on connaît. Il découvre que l’intrigue de ce deuxième tome repose sur une chasse à la Sorcière, l’élimination d’une Morigane, ou peut-être deux, comme dans le tome un. Cela donne une dynamique de course-poursuite, c’est-à-dire une tension narrative automatique. Il observe que le scénariste développe également des sous-intrigues dont il avait semé les prémices dans le tome un : la progression du personnage de Seamus, passant rapidement de novice au stade suivant, le devenir de la demoiselle qu’il a sauvée, la réalisation de la prophétie concernant Seamus. Il s’amuse d’ailleurs avec cette notion, puisque ce tome en contient deux nouvelles, une concernant la mission des Chevaliers du Pardon, mais énoncée par un démon (Faut-il le croire ?), une autre proférée par le masque de Sygvald, et particulièrement absconse (En réponse à la question de Luchorpain : Est-elle menacée ?, le masque répond : Par ce qu’elle était. Mais ce qu’elle est, un jour sera. Et ce qu’elle était alors, ne sera plus.)


Le lecteur a également gardé à l’esprit que les Moriganes peuvent être considérées comme une métaphore sur la condition féminine, sur les femmes qui se sont émancipées dans une société qui ne le prévoit pas. Il s’interroge alors sur le sens à donner au sort de Mornoir, enfermée dans un puits, et une fois libérée prête à tout pour assouvir un besoin de revanche, fusse-t-il par procuration. Il se pose la même question sur les choix effectués par Sanctus, par son sort, sachant qu’il est dit qu’elle est passée du côté de la Lumière. Est-ce à dire qu’elle a décidé de se conformer à la place qui lui est assignée par la société, comme si la condition de rebelle était réversible ? Il constate également que l’auteur se repose sur une nouvelle forme de dualité en opposant le caractère de deux novices, Seamus et Eïrell. Dans le même temps, il perçoit qu’ils sont mis en scène comme incarnant la nouvelle génération, pas seulement du fait de leur âge, mais aussi dans leur rapport différent aux Moriganes, deux possibilités d’évolution de la société vis-à-vis de ces sorcières.


Deuxième tome du deuxième cycle : le dessinateur et le coloriste donnent le meilleur d’eux-mêmes et c’est un régal délicieux de bout en bout, savoureux aussi bien dans la qualité quasi tactile de la représentation de ce monde, aussi bien dans les aspects de genre Fantasy médiévale, aussi bien dans des moments horrifiques répugnants. La direction générale de ce second cycle apparaît progressivement, à la fois pour la dynamique de l’intrigue (chasse à la Morigane), à la fois dans le développement de la mythologie spécifique de cette série, et aussi dans ses thèmes comme le non-conformisme et comment chaque nouvelle génération apportent des évolutions à la société. Passionnant.



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