Et tu m’étouffes avec ta générosité !!
Ce tome fait suite à Les Aventures d'Alef-Thau, tome 2 : Le prince manchot (1984), une série en huit tomes, suivie par une seconde saison en deux tomes : Le monde d’Alef-Thau, dessiné par Marco Nizzoli. Son édition originale date de 1986. Il a été réalisé par Alejandro Jodorowsky pour le scénario, par Arno (Arnaud Dombre) pour les dessins et les couleurs. Il compte quarante-quatre pages de bande dessinée.
Possédant maintenant une jambe organique, une jambe prothèse, un bras organique, une longue natte avec une feuille acérée à son extrémité, mais un seul œil, Alef-Thau est en plein combat avec une épée à la main, contre un groupe de créatures-lézards anthropoïdes ailées, sur les remparts d’une place forte. Il vient d’en occire un, mais ils sont encore à six contre lui, et l’un d’eux réussit à le toucher à l’épaule droite avec la lame de sa lance. Il se jette depuis le haut de la muraille dans l’eau eu contrebas, une dizaine d’hommes-lézards se jettent après lui. Il parvient à en blesser un et il nage sous l’eau plus vite qu’eux. Il en ressort avec un peu d’avance et s’élance dans les rochers. Profitant de leurs ailes, ses ennemis ont tôt fait de le rattraper et l’un d’eux l’emmène dans les airs avec lui. Alef-Thau le blesse et ils chutent au sommet du rempart, le héros se servant du corps de l’ennemi pour amortir sa chute. Il est attendu par Diamante et deux gardes du corps. Sa rage intacte, il s’élance sur elle en clamant qu’elle va payer.il la transperce avec son épée, mais son bras disparaît. Il s’élance à nouveau sur elle, lui décochant un coup de pied dans la mâchoire, et ses jambes disparaissent. Il estime que mieux vaut mourir et il parvient à se laisser tomber vers le sol depuis le haut de la muraille.
Dans une petite maison recouverte de neige, Alef-Thau hurle dans son sommeil. Hogl lui enjoint de se réveiller, car il s’agit d’un cauchemar, en lui apportant un bol de tisane chaude : cela devra calmer sa fièvre. Il ajoute que le jeune homme n’a pas cesser de délirer depuis qu’ils sont revenus. Alef-Thau se relève vivement : il ne délire pas, c’est la vérité, il ne mérite pas de vivre, tout est vain puisqu’elle ne l’aime pas. Il sort de la maison, avance péniblement dans la haute neige et se jette du sommet du ravin des crevasses. Sa chute est amortie par la neige, Hogl et Mirra lui viennent en aide, et le ramènent inconscient dans la maison, tout en constatant qu’il a cassé sa jambe de bois. Alors que la nuit est tombée et que la neige a recommencé à tomber, Alef-Thau indique à Hogl qu’il a besoin de savoir la vérité : si tout est illusion, qu’est-ce qui est vrai sur cette planète ? Son mentor lui répond qu’il n’y a que l’arbre de Sagesse qui puisse lui répondre, il est le seul à détenir la connaissance. Il ajoute que toutefois son protégé doit savoir ce qu’il lui en coûtera. Son interlocuteur lui répond que peu importe, il veut savoir, ils doivent y aller. Ils se mettent en route le lendemain : Alef-Thau, Hogl, Mirra, Louroulou et son compagnon. Ils arrivent bientôt devant l’arbre de Sagesse.
La scène d’ouverture confirme que ce troisième tome continue dans la lignée des deux précédents : aventures, part significative de la narration portée par les dessins, héroïsme, incomplétude physique du héros. Décidément, Alef-Thau n’a pas fini d’affronter des épreuves physiques dangereuses pour sa vie, de se battre, sans aucune certitude pouvoir un jour acquérir quatre membres, ou retrouver l’œil qu’il a sacrifié en échange de connaissances. Le récit s’ouvre avec deux pages dépourvues de texte, de tout mot : une séquence d’affrontement physique parfaitement lisible avec un déroulement qui la rend plausible, quand bien même il manque un bras au héros, et qu’une de ses jambes est une prothèse, sans oublier qu’il est borgne. L’artiste va mettre en scène d’autres combats : sur un pont alors que le héros est attaqué par un guerrier en armure, dans un défilé rocheux alors qu’il est attaqué par un groupe d’Orks, dans une caverne où il est attaqué par des monstres, et enfin face à ces créatures-lézards ailées et armées de lance. Arno épate le lecteur par sa mise en scène : un déroulement logique et plausible des combats, avec les attaques et les déplacements des uns et des autres, les capacités physiques limitées d’Alef-Thau compensées par la tactique et par son agilité. Comme dans le tome précédent, il met également en scène deux batailles avec des dizaines de combattants, la prise d’une citadelle par Diamante et son armée, l’affrontement de la même armée contre celle des Orks à Hoor-Paar-Kraat, deux scènes à la prise de vue claire et parlante.
Le lecteur retrouve les éléments visuels qui rendent ce monde si particulier : les races extraterrestres avec une sorte de croisement entre des elfes et des gnomes pour Louroulou, des petites fées ailées avec des ailes minuscules dont Rhil qui vole à dos de papillon, Mirra une espèce de gerbille de la taille d’un âne, les Orks sorte de croisement entre des hommes et des rats avec un museau difforme, et les monstres-lézards ailés. Il constate que l’artiste prend un vrai plaisir à concevoir de nouveaux éléments, par exemple le masque et les gants vraiment très réussis de Malkouth, guerrière qui affronte Alef-Thau sur un pont dont la pile centrale est un arbre à la forme particulièrement torturée. Le scénariste lui offre également l’occasion de s’amuser avec le principe des dinosaures, avec une variation inventive à partir des brontosaures. Le dessinateur prend visiblement plaisir également à jouer avec la flore : l’arbre de Sagesse déjà présent dans le tome deux, la mousse qui recouvre la lande, les plantes au milieu du marais capables de déployer des tentacules en quelques secondes, etc. De temps à autre, le lecteur peut déceler l’influence de Mœbius dans l’épure élégante d’un décor ou dans la forme de l’œil d’un monstre.
La quête d’Alef-Thau se poursuit avec ses épreuves, et avec ses transitions parfois heurtées. Pour être sûr d’accrocher le lecteur, le scénariste ouvre ce tome in media res, avec un combat déjà en cours qui arrive à son terme, se terminant avec la confrontation contre Diamante. Le lecteur se souvient que cette femme est immortelle, pour une raison qui reste à révéler, et que chaque opposant qui parvient à lui porter un coup fatal en meurt en retour, alors qu’elle ne s’en porte pas plus mal. En passant, Jodorowsky sait en mettre à profit le potentiel comique, quand elle s’avance ingénument vers ses adversaires. Comme dans le tome précédent, le héros doit à nouveau acquérir des connaissances pour déterminer ses prochaines actions, afin d’atteindre son but qui est maintenant d’exterminer Diamante. Sur les conseils de son mentor, il se tourne vers l’arbre de Sagesse, tout en connaissant déjà le prix à payer : sacrifier son œil gauche, sachant qu’il a déjà sacrifié le droit. Après une marche risquée et une série d’épreuves, il parvient enfin à l’arme qui pourra lui permettre d’occire Diamante. Certaines transitions peuvent sembler abruptes : le refus de l’aide de Hogl, mais l’acceptation de celle de Mirra et Louroulou, la survenance de l’attaque des Orks, la capacité de Malkouth à tailler une nouvelle prothèse de jambe à Alef-Thau. De la même manière, certains rebondissements arrivent à point nommé, que ce soit la capacité de Hogl de suivre le déroulement des événements à distance lui permettant ainsi de surveiller son protégé, ou encore le recours à la forme ectoplasmique, avec plus de restreinte quand même que dans le tome précédent.
Le lecteur relève d’autres ressemblances avec le tome précédent : le retour à l’arbre de Sagesse pour acquérir une nouvelle connaissance, l’usage du corps ectoplasmique, et une épreuve au déroulement a priori étrange. Celle-ci se déroule très rapidement en quelques pages, chaque situation dangereuses étant résolues en deux coups de cuillère à pot. Il lui faut un peu de temps pour mettre le doigt sur la structure de ces épreuves réparties sur deux chapitres. Puis ça apparaît : traverser des marécages avec des tentacules qui sortent de l’eau, affronter des créatures tapies dans une grotte sous la terre, échapper à une coulée de lave c’est à dire des matériaux en feu, ne pas se laisser emporter par un tourbillon d’air. Un, deux, trois et quatre : le compte y est, ce sont les quatre éléments, l’hypothèse selon laquelle tous les matériaux constituant le monde seraient composés de ces quatre éléments. À nouveau, cette épreuve revêt un caractère symbolique qui incite le lecteur à considérer cette série d’épreuves comme une quête initiatique. À nouveau, vu sous cet angle, les bizarreries narratives perdent leur caractère de maladresse et font sens.
Dans ce tome, Alef-Thau est motivé par sa haine contre Diamante, estimant qu’elle l’a trahi, et il se met en quête d’une arme à la propriété magique : il s’agit d’une épée. Se trouvant devant elle, il indique à Malkouth qu’il n’y a que lui qui puisse la tuer avec son épée. Étant en passé en mode analytique, le lecteur se trouve fortement tenté d’assimiler l’épée à un symbole phallique et l’acte de tuer à une métaphore de la défloration. Le scénariste développe également le principe de troisième corps, c’est-à-dire le corps astral celui qui peut être généré par le corps ectoplasmique. À première vue, cela ressemble à un artifice narratif spectaculaire et idiot, une surenchère de corps astral de deuxième niveau. En revanche s’il le lie à la deuxième phase de connaissance transférée par l’arbre de Sagesse, le lecteur y voit un deuxième niveau d’éveil, une nouvelle élévation dans le développement spirituel du héros. À l’aide de ce corps astral, Alef-Thau peut ainsi accéder à l’esprit qui anime l’épée de cristal et qui lui fait une singulière révélation : cet esprit est la lumière, le seul être réel de cette planète. Cette déclaration entre en résonnance avec la manière dont Diamante appelle Alef-Thau : elle lui a donné le qualificatif d’Illusion. Cela laisse subodorer une vertigineuse mise en abîme qui… attendra les prochains tomes pour être pleinement révélées.
L’aventure continue, la quête se poursuit, pour ce héros incomplet physiquement. La narration visuelle raconte avec clarté et exotisme les affrontements et les attaques, dans des environnements entre Fantasy et science-fiction. Le scénariste développe ses thèmes favoris, les handicaps d’Alef-Thau étant autant de métaphores d’étapes qui restent à franchir à son esprit pour atteindre sa plénitude le héros étant considéré comme incomplet spirituellement.
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