À la découverte des secrets de Samaris
Il s'agit du premier récit réalisé par François Schuiten (dessins) et Benoît Peeters (scénario) dans le cycle des Cités Obscures. Cette histoire a été prépubliée dans le magazine "À suivre.." et est parue en album pour la première fois en 1983. La présente édition (2007, référence ISBN-10: 2203006919) comprend l'histoire "Les murailles de Samaris" (46 pages) en couleurs, ainsi que les 4 premiers chapitres d'une histoire postérieure restée inachevée "Les mystères de Pâhry" (31 pages) en noir & blanc, en couleurs pour le dernier chapitre.
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- Les murailles de Samaris - La première séquence s'ouvre sur 3 pages permettant de découvrir l'architecture de la cité de Xhystos, alors que des cellules de texte extraites du journal intime de Franz Bauer commentent sur la manière dont il a été recruté pour être envoyé en mission à Samaris. Ces commentaires laissent supposer que les événements se déroulant à Samaris menacent la tranquillité des citoyens de Xhystos sans qu'il soit possible de déterminer la nature du risque. Plusieurs missions ont déjà été envoyées à Samaris, mais aucune n'est revenue. D'abord opposés à ce départ, ses amis finissent par l'accompagner jusqu'aux portes de la ville pour son voyage vers Samaris. Anna, sa compagne, lui déclare qu'elle ne l'attendra pas et que son départ signifie leur rupture. Après un voyage difficile (mais assez bref en nombre de pages, seulement 5), Franz arrive à Samaris, se rend à son hôtel, puis se promène dans la cité pour la découvrir.
La séquence d'ouverture plonge immédiatement le lecteur dans un autre monde, à la fois proche du notre, mais aussi suranné, utopique et littéraire. L'architecture de Xhystos évoque immédiatement la Troisième République, et plus particulièrement la fin du dix-neuvième siècle et le tout début du vingtième, avec ces édifices s'appuyant sur des poutrelles métalliques apparentes, et de grandes verrières. L'arrêt du tramway apporte une touche discrète d'Art Nouveau. Les costumes un peu guindés des personnages, entre habits de soirée et tenue militaire d'apparat, ajoutent une touche de formalisme à l'aspect visuel du récit.
La narration à la première personne sous la forme d'un journal intime formel et le voyage font immédiatement penser à Jules Verne, pour l'esprit de découverte et d'exploration, ainsi que l'incorporation de technologies (rétro)-futuristes. Dès cette première séquence, il s'y mêle également comme un sentiment d'inquiétude diffuse, de malheur inéluctable, porté par une remarque en passant, comme si le voyage de Franz ne pouvait que catalyser une tragédie latente. Les échanges de Franz avec ses supérieurs puis avec ses amis sont très formels, malgré l'emportement de Franz. Même sa rencontre avec Anna et leurs étreintes manquent de chaleur humaine, de compassion, d'empathie. Ces sensations sont renforcées par l'architecture implacable de Xhystos, dessinée de manière impeccable par Schuiten, avec un aspect très propre sur lui, très hygiénique, presqu'aseptisé.
Les réflexions de Franz dans son journal montrent qu'il est taillé dans le matériau des héros romantiques, croyant en un idéal non formulé, capable d'emportement dans certaines situations. Cet aspect de sa personnalité ajoute encore à l'apparence surannée du récit. Le lecteur suit donc ce personnage principal qui quitte sa cité, franchit le poste frontière pour entreprendre un rapide périple qui l'amène dans une autre cité. Là, ce qu'il y découvre va le confondre, va dépasser son entendement. En surface, Peeters propose un récit très simple, avec une explication très claire, et un soupçon de surnaturel. Pourtant peu à peu le malaise de Franz devient celui du lecteur. Ce dernier est confronté aux mêmes faits que Franz, il se débat comme lui devant l'invraisemblance de la situation. Il essaye comme lui de se raccrocher à Carla, la seule personne prêtant attention à Franz dans Samaris. Il découvre peu à peu l'incroyable vérité, la technologie construite pour un dispositif imitant le cycle de vie de la plante Drosera. À nouveau le style détaillé, construit et rigoureux de Schuiten fait merveille pour donner corps à la cité Samaris et à son incroyable secret. Cette bande dessinée se lit comme si elle avait été crée par un créateur unique, tellement la cohérence est forte entre intrigue, mots et dessins.
Lorsqu'il achève la lecture de ce premier voyage dans l'une des Cités Obscures, le lecteur refeuillette rapidement les pages et découvre que la chute de l'histoire trouve son écho dans la silhouette de Franz située en quatrième case de la page 15.
Ce premier tome des Cités Obscures propose une histoire rapide, sur une trame simple, constituant un voyage à l'apparence datée. Pourtant une fois entamé ce voyage, le lecteur est placé aux côtés de Franz, éprouvant les mêmes sensations que lui, subissant le mystère principal comme lui. Il se promène à ses côtés dans les rues de Samaris, cherchant à détecter l'indice qui lui permettra de faire naître la compréhension. Comme Franz, il prendra peu à peu conscience que ce voyage dans une autre cité est également un voyage intérieur troublant et peu réconfortant. En fait les tribulations de Franz s'adaptent à l'urbanisme des 2 cités, celle où il habite, et celle qu'il visite. Peeters et Schuiten ont délibérément limité cet urbanisme à un seul style par cité, induisant un état d'esprit implicite sur l'individu, l'obligeant à se conformer de manière subliminale. Le lecteur n'est pas loin de ressentir l'oppression que font peser ces architectures, un peu comme K. subissant les lois arbitraires dans Le château. Cette édition de 2007 a été remaniée pour partie par Schuiten et Peeters, avec une fin différente de l'originale. Ils souhaitaient améliorer la cohérence du cycle (le lecteur peut guetter l'apparition d'Eugen Robick) et la force du récit.
La fièvre d'Urbicande (le récit suivant par ordre de parution) invite le lecteur à séjourner dans une autre cité, pour un récit indépendant du premier, même si chacune des cités se trouve sur le même continent.
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- Les mystères de Pâhry - Chapitre 1 : les artistes sont priés d'évacuer de toute urgence l'opéra avant la représentation car il est contaminé. Chapitre 2 : un individu se déplace clandestinement dans les couloirs dérobés de ce qui pourrait être le Louvre, observant sans être vu les visiteurs et les employés. Chapitre 3 : le même fugitif cherche désespérément une issue toujours au travers de circulations secrètes. Chapitre 4 : le docteur Abraham séjourne enfin à Pâhry pour compléter ses études, mais il souffre de terribles migraines qui se manifestent sous la forme de petits tuyaux jaune, rouge, vert et bleu, semblant lui traverser le crâne.
Dans la courte introduction, Peeters explique que ces fragments constituent le début d'une histoire inachevée, peut-être parce que trop ambitieuse. Le lecteur se régale de ces individus (le fugitif et le docteur Abraham) que leur état (hors la loi, ou céphalées extraordinaires) place à part du monde normal et fait évoluer en décalage du commun des mortels. À nouveau, les dessins de Schuiten font merveille pour matérialiser les couloirs de services du Louvre, ou les combles secrets de l'opéra, suggérant également un monde secret juste à côté du notre.
Même s'il ne s'agit que de fragments, ces pages constituent un nouveau voyage riche de mystères et de promesses inquiétantes, une autre architecture ayant des conséquences directes sur l'état mental des personnages incapables de se conformer à ladite architecture.
Cette édition comprend également un dessin double page de la station "Arts et métiers" du métro parisien dont l'habillage en cuivre a été conçu par Schuiten et Peeters. Cette station correspond à un passage dans le cycle des Cités Obscures.
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- Les murailles de Samaris - La première séquence s'ouvre sur 3 pages permettant de découvrir l'architecture de la cité de Xhystos, alors que des cellules de texte extraites du journal intime de Franz Bauer commentent sur la manière dont il a été recruté pour être envoyé en mission à Samaris. Ces commentaires laissent supposer que les événements se déroulant à Samaris menacent la tranquillité des citoyens de Xhystos sans qu'il soit possible de déterminer la nature du risque. Plusieurs missions ont déjà été envoyées à Samaris, mais aucune n'est revenue. D'abord opposés à ce départ, ses amis finissent par l'accompagner jusqu'aux portes de la ville pour son voyage vers Samaris. Anna, sa compagne, lui déclare qu'elle ne l'attendra pas et que son départ signifie leur rupture. Après un voyage difficile (mais assez bref en nombre de pages, seulement 5), Franz arrive à Samaris, se rend à son hôtel, puis se promène dans la cité pour la découvrir.
La séquence d'ouverture plonge immédiatement le lecteur dans un autre monde, à la fois proche du notre, mais aussi suranné, utopique et littéraire. L'architecture de Xhystos évoque immédiatement la Troisième République, et plus particulièrement la fin du dix-neuvième siècle et le tout début du vingtième, avec ces édifices s'appuyant sur des poutrelles métalliques apparentes, et de grandes verrières. L'arrêt du tramway apporte une touche discrète d'Art Nouveau. Les costumes un peu guindés des personnages, entre habits de soirée et tenue militaire d'apparat, ajoutent une touche de formalisme à l'aspect visuel du récit.
La narration à la première personne sous la forme d'un journal intime formel et le voyage font immédiatement penser à Jules Verne, pour l'esprit de découverte et d'exploration, ainsi que l'incorporation de technologies (rétro)-futuristes. Dès cette première séquence, il s'y mêle également comme un sentiment d'inquiétude diffuse, de malheur inéluctable, porté par une remarque en passant, comme si le voyage de Franz ne pouvait que catalyser une tragédie latente. Les échanges de Franz avec ses supérieurs puis avec ses amis sont très formels, malgré l'emportement de Franz. Même sa rencontre avec Anna et leurs étreintes manquent de chaleur humaine, de compassion, d'empathie. Ces sensations sont renforcées par l'architecture implacable de Xhystos, dessinée de manière impeccable par Schuiten, avec un aspect très propre sur lui, très hygiénique, presqu'aseptisé.
Les réflexions de Franz dans son journal montrent qu'il est taillé dans le matériau des héros romantiques, croyant en un idéal non formulé, capable d'emportement dans certaines situations. Cet aspect de sa personnalité ajoute encore à l'apparence surannée du récit. Le lecteur suit donc ce personnage principal qui quitte sa cité, franchit le poste frontière pour entreprendre un rapide périple qui l'amène dans une autre cité. Là, ce qu'il y découvre va le confondre, va dépasser son entendement. En surface, Peeters propose un récit très simple, avec une explication très claire, et un soupçon de surnaturel. Pourtant peu à peu le malaise de Franz devient celui du lecteur. Ce dernier est confronté aux mêmes faits que Franz, il se débat comme lui devant l'invraisemblance de la situation. Il essaye comme lui de se raccrocher à Carla, la seule personne prêtant attention à Franz dans Samaris. Il découvre peu à peu l'incroyable vérité, la technologie construite pour un dispositif imitant le cycle de vie de la plante Drosera. À nouveau le style détaillé, construit et rigoureux de Schuiten fait merveille pour donner corps à la cité Samaris et à son incroyable secret. Cette bande dessinée se lit comme si elle avait été crée par un créateur unique, tellement la cohérence est forte entre intrigue, mots et dessins.
Lorsqu'il achève la lecture de ce premier voyage dans l'une des Cités Obscures, le lecteur refeuillette rapidement les pages et découvre que la chute de l'histoire trouve son écho dans la silhouette de Franz située en quatrième case de la page 15.
Ce premier tome des Cités Obscures propose une histoire rapide, sur une trame simple, constituant un voyage à l'apparence datée. Pourtant une fois entamé ce voyage, le lecteur est placé aux côtés de Franz, éprouvant les mêmes sensations que lui, subissant le mystère principal comme lui. Il se promène à ses côtés dans les rues de Samaris, cherchant à détecter l'indice qui lui permettra de faire naître la compréhension. Comme Franz, il prendra peu à peu conscience que ce voyage dans une autre cité est également un voyage intérieur troublant et peu réconfortant. En fait les tribulations de Franz s'adaptent à l'urbanisme des 2 cités, celle où il habite, et celle qu'il visite. Peeters et Schuiten ont délibérément limité cet urbanisme à un seul style par cité, induisant un état d'esprit implicite sur l'individu, l'obligeant à se conformer de manière subliminale. Le lecteur n'est pas loin de ressentir l'oppression que font peser ces architectures, un peu comme K. subissant les lois arbitraires dans Le château. Cette édition de 2007 a été remaniée pour partie par Schuiten et Peeters, avec une fin différente de l'originale. Ils souhaitaient améliorer la cohérence du cycle (le lecteur peut guetter l'apparition d'Eugen Robick) et la force du récit.
La fièvre d'Urbicande (le récit suivant par ordre de parution) invite le lecteur à séjourner dans une autre cité, pour un récit indépendant du premier, même si chacune des cités se trouve sur le même continent.
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- Les mystères de Pâhry - Chapitre 1 : les artistes sont priés d'évacuer de toute urgence l'opéra avant la représentation car il est contaminé. Chapitre 2 : un individu se déplace clandestinement dans les couloirs dérobés de ce qui pourrait être le Louvre, observant sans être vu les visiteurs et les employés. Chapitre 3 : le même fugitif cherche désespérément une issue toujours au travers de circulations secrètes. Chapitre 4 : le docteur Abraham séjourne enfin à Pâhry pour compléter ses études, mais il souffre de terribles migraines qui se manifestent sous la forme de petits tuyaux jaune, rouge, vert et bleu, semblant lui traverser le crâne.
Dans la courte introduction, Peeters explique que ces fragments constituent le début d'une histoire inachevée, peut-être parce que trop ambitieuse. Le lecteur se régale de ces individus (le fugitif et le docteur Abraham) que leur état (hors la loi, ou céphalées extraordinaires) place à part du monde normal et fait évoluer en décalage du commun des mortels. À nouveau, les dessins de Schuiten font merveille pour matérialiser les couloirs de services du Louvre, ou les combles secrets de l'opéra, suggérant également un monde secret juste à côté du notre.
Même s'il ne s'agit que de fragments, ces pages constituent un nouveau voyage riche de mystères et de promesses inquiétantes, une autre architecture ayant des conséquences directes sur l'état mental des personnages incapables de se conformer à ladite architecture.
Cette édition comprend également un dessin double page de la station "Arts et métiers" du métro parisien dont l'habillage en cuivre a été conçu par Schuiten et Peeters. Cette station correspond à un passage dans le cycle des Cités Obscures.
"Il s'agit du premier récit réalisé par François Schuiten". Je n'ai toujours rien lu de ce monsieur, et je n'en ressens pas le besoin pour le moment, mais je pense que ça viendra bien un jour.
RépondreSupprimer"Suranné, utopique et littéraire". Voilà une description qui parle tout de suite. Je suis sûr que cette combinaison me plairait fortement, tout comme les influences de Jules Verne.
J'ai sciemment choisi cette BD pour ouvrir mon blog : un cycle qui m'a ouvert les yeux sur le potentiel littéraire de la BD, avec des références à ma portée. Je suis enchanté par la beauté descriptive des dessins, l'importance donnée à l'architecture, et le savoir-faire habile et élégant de Peters pour intégrer une dimension philosophique intelligente, accessible et de bon niveau.
SupprimerC'est aussi avec ce cycle que j'ai décidé de terminer des séries que j'avais pu commencer adolescent ou jeune adulte, et que les aléas de la vie m'avaient fait abandonner.