Un univers indifférent
Ce tome est le deuxième d'une trilogie. Il vaut mieux avoir lu le premier avant pour saisir les implications des allusions faites à la vie passée de Cromwell Stone. Il fait suite à Cromwell Stone (1984). Il est initialement paru en 1994. Il s'agit d'une histoire en noir & blanc, comprenant 46 pages, écrite, dessinée et encrée par Andreas (Andreas Martens de son complet). Le tome suivant est Le testament de Cromwell Stone (2004). La trilogie complète a été rééditée dans Cromwell Stone, intégrale.
Plusieurs années après le premier tome, Phil Parthington a décidé de se rendre aux États-Unis, en faisant le voyage à bord d'un transatlantique, en compagnie de Marlène son épouse. Ils sont installés dans la suite présidentielle car Parthington est devenu un riche entrepreneur. Dès l'embarquement il repère monsieur Van Koor qui le dévisage avec insistance. Lors de la traversée, la cabine de Parthington est cambriolée, le vol état interrompu par Cameron, le garde du corps de Parthington. La nuit, d'étranges créatures semblent rôder dans les flots noirs, autour du navire.
Le premier tome était placé sous le signe d'une citation d'Howard Phlips Lovecraft, celui-ci débute par une citation d'Harlan Ellison (auteur célèbre, entre autres de Dérapages, Hitler peignait des roses, ou Dangereuses visions).
La citation : "Car nous sommes de minuscules créatures dans un univers ni bienveillant, ni malveillant... Il est simplement énorme et n'a pas conscience de nous, sauf en tant que maillon de la chaîne de vie." - Harlan Ellison
Pour cette suite, Andreas base son intrigue sur un développement organique du tome précédent, reprenant les mêmes personnages : Cromwell Stone, Phil Parthington, et même le préposé au quai de la gare de Loatham. Parthington a décidé d'emmener la clé de l'autre côté de l'Atlantique révélant ainsi qu'elle n'est pas perdue à ceux qui la recherchent. Cette forme de course-poursuite avec affrontements imprime une dynamique au récit, l'inscrivant dans le genre "Aventures".
Le thème sous-jacent du premier tome était l'impossibilité pour l'individu d'appréhender la réalité dans son entièreté, dans toute sa complexité. Ce deuxième tome met en scène l'indifférence de l'univers vis-à-vis de l'humanité. Il s'agit d'un point de vue athée, qui intègre la possibilité de l'existence de créatures supérieures (dans leur développement) à l'homme. Andreas surprend par l'intelligence de la conception des créatures extraterrestres associées à la clé. Il ne s'agit pas d'une menace venue du Dehors ou d'un Ailleurs à la Lovecraft, encore moins d'une race de démiurges humanoïdes, ou de vieillards chenus à la longue barbe blanche.
Andreas a conçu une race extraterrestre à la forme différente des humains, aux motivations étrangères à l'humanité, aux capacités de création qui n'ont rien à voir avec le principe anthropique (que l'univers tournerait autour de l'humanité). Cette composante du récit est à l'opposé d'une science-fiction ou d'un fantastique bon marché, ceux qui réduisent toute créature extraterrestre ou surnaturelle à l'état d'ennemi à 4 bras ou de gros monstre baveux, uniquement destiné à être massacré par le héros. Très rapidement, le lecteur prend également conscience que les différents personnages évoluent dans une situation dépassant le clivage basique bien/mal.
Cette richesse thématique n'obère en rien le niveau de divertissement et la qualité du spectacle visuel. Andreas utilise son riche vocabulaire visuel, et sa maîtrise de la grammaire spécifique de ce médium pour réaliser des séquences à couper le souffle, qu'elle qu'en soit la nature.
Parmi les éléments graphiques les plus remarquables, il y a sa minutie quasi obsessionnelle dans certains dessins. Celui représentant l'embarquement du couple Parthington à bord du transatlantique occupe une demi-page, avec des dizaines de figurants. Celle du débarquement (page 24) est tout aussi impressionnante dans sa représentation de la foule débarquant, suivant des chemins canalisés et logiques.
Dans le cadre de ce récit d'aventures, Andreas réalise des dessins grand spectacle d'une force et d'une ampleur à couper le souffle. Il y a un déraillement de train d'une force inouïe, dont la représentation échappe à tout stéréotype visuel (planche 20). Les planches 12 & 13 comprennent un dessin en double page représentant le transatlantique cerné par une flotte fantomatique, là encore avec une minutie dans l'encrage (une myriade de traits innombrables) qui oblige le lecteur à détailler ce dessin, scrutant ces formes, comme le font les marins sur le navire. Les pages 40 & 41 comprennent également un dessin double page, avec une vue du ciel d'une cité, où tous les bâtiments sont représentés avec une minutie maniaque.
En termes de composition de page, Andreas utilise à nouveau l'approche consistant à rompre avec les cases rectangulaires sagement juxtaposées, lorsque la nature de la séquence le justifie. Il y a ce passage où Parthington n'arrive plus à s'exprimer, sa raison se fragmentant, les cases semblent s'écrouler les unes sur les autres, perdant leur caractère bien ordonné, et leur forme bien cadrée. Il y a également cette progression de plusieurs personnages dans une végétation dense, où les bordures de cases sont faites de feuillages, et ont perdu leur rectitude pour montrer que la troupe progresse suivant une trajectoire sinueuse gênés dans leur cheminement par la végétation dense.
Comme dans le premier tome, Andreas réalise également des séquences muettes, d'une lisibilité exceptionnelle, avec une tension narrative née de la gestion de l'écoulement du temps entre chaque case, et de la manière dont les postures se répondent d'une case à l'autre. C'est le cas de la fuite éperdue de Marlène dans la nature, pour échapper à son poursuivant armé de grands morceaux de verre effilés.
Avec cette deuxième partie de la trilogie (réalisée 10 après la première), Andreas prouve son épanouissement artistique, à la fois en tant que scénariste et en tant qu'artiste. À la lecture, il y a une fusion parfaite entre Andreas scénariste et Andreas artiste. Il étend le récit du premier tome de manière organique et naturelle, tout en élargissant le champ du thème principal et des techniques narratives visuelles. Il subsiste l'influence de Lovecraft (dans la présence d'une énorme créature étrangère à l'humanité) et de Bernie Wrightson (dans la technique d'encrage pour rendre compte du volume des surfaces et de leur éclairage), ce qui fait bien de cette deuxième histoire, la suite de la première.
En découvrant l'intrigue, le lecteur apprécie l'intelligence du propos d'Andreas sur la place de l'humanité dans l'univers, et l'intelligence de la manière dont il la raconte. Andreas ne sacrifie en rien l'aspect visuel du récit, que ce soit en spectaculaire, en divertissement, ou en suspense narratif. Andreas est également l'auteur complet de 2 séries à suivre : Arq (à commencer par Ailleurs, débutée en 1997) et Capricorne (à commencer par L'Objet, également débutée en 1997).
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