Ce tome est le troisième d'une trilogie. Il vaut mieux avoir les 2 premiers avant pour saisir les implications des allusions faites à la vie passée de Cromwell Stone. Il fait suite à Cromwell Stone (1984) et Le retour de Cromwelll Stone (1994). Il est initialement paru en 2004. Il s'agit d'une histoire en noir & blanc, comprenant 46 pages, écrite, dessinée et encrée par Andreas (Andreas Martens de son complet). La trilogie a été rééditée dans Cromwell Stone, intégrale.
Come elle l'a promis à Cromwell Stone, Marlène Parthington est de retour en Écosse avec la boîte qu'il lui a confiée. Son avion de ligne a été agressé par un autre avion, il s'est écrasé. Elle est la seule survivante, sans souvenirs de ce qui s'est réellement passé. Elle est recueillie par Mary & Joe Achnacon, chez eux, dans la chambre de leur fille défunte. Elle profite de ce séjour forcé pour aller se recueillir sur la tombe de Marjorie & James Argyll, ses parents d'adoption. Les Achnacon lui proposent d'aller dans un hospice pour discuter avec Constance une vieille dame (103 ans), pour en apprendre plus sur ces parents d'adoption.
Le titre de ce tome est à prendre au sens premier, il s'agit bel et bien du testament de Cromwell Stone que Marlène Parthington ramène chez lui, sans trop savoir ce qu'elle doit en faire. Comme les 2 premiers tomes, celui-ci s'ouvre aussi avec une citation, un extrait de l'Exode : "Mais dit-il, tu ne peux pas voir ma face, car l'homme ne peut pas me voir et vivre". Par comparaison avec celles d'Howard Philips Lovecraft et d'Harlan Ellison, celle-ci est particulièrement cryptique. En choisissant cette citation, Andreas plonge le lecteur dans la confusion dans la mesure où le tome précédent développait un point de vue athée sans qu'il soit possible de s'y tromper.
Du coup, le lecteur en est réduit à faire comme Marlène Parthington : observer les signes et les interpréter. Andreas commence fort dès la première page avec une scène allégorique d'un homme et d'une femme nus chevauchant chacun un dragon et se livrant bataille dans le ciel (les mythes germaniques viennent à l'esprit). Une séquence suivante en livre une possible interprétation. À plusieurs reprises, des personnages constatent la présence d'un symbole (ou d'un emblème) : un point dans un cercle. Il s'agit d'un motif récurrent qui semble porteur de sens. Mais lequel ? Certains événements peuvent également être interprétés comme des présages, par exemple le décès de Constance juste avant que Marlène ne lui pose des questions. Il y a aussi ces volées de hiboux, animal qui pourtant ne se déplace jamais en groupe. Marlène Parthington est également confrontée à une manifestation surnaturelle : des théophènes (l'étymologie de ce mot évoques des messagers éclairant le chemin de Dieu, une sorte de déclinaison des sensoriels peut-être).
Feuilleter ce tome avant de le lire donne l'impression qu'Andreas a un peu allégé ses pages. La lecture montre que cette sensation provient d'un recours moins important aux aplats de noir. Par contre la minutie et l'application n'ont en rien diminué.
Cette histoire comporte 16 pages muettes (= sans texte) sur 46. Elles présentent une lisibilité parfaite et permettent à nouveau d'apprécier l'art de la composition d'une page, déployé par Andreas. Le lecteur retrouve une page avec 6 cases de la hauteur de la page, dont la largeur va en augmentant d'une case à l'autre pour figurer l'augmentation de taille de l'apparition. Andreas peut se permettre toutes les audaces, même la lecture de 4 cases de bas en haut (planche 35) pour montrer que le personnage est en train de monter un escalier.
Lorsque le récit passe par une séquence fantasmagorique (rêvée ou allégorique), Andreas abandonne l'encre de Chine, pour des dessins au crayon, le mode de rendu fournissant ainsi une information supplémentaire au lecteur. Il serait possible de dresser ainsi un catalogue des techniques (toujours en noir & blanc) employées par Andreas pour trouver la solution graphique la plus adaptée à la séquence ou à la case. Dans la troisième planche, l'œil du lecteur est arrêté par un arbre à la forme torturée sur les branches duquel se sont posés une nuée de hiboux. Andreas a choisi de les représenter en ombre chinoise pour leur conférer une aura mystérieuse de conte. Un peu plus loin, il a rendu la texture d'une stèle par une myriade de traits courts et fins, conférant ainsi une présence inimitable à la pierre. Lorsque Marlène s'enfuit sur la lande, le vallonnement est rendu par des dizaines de traits fins courant en parallèle, sans se couper, pour une vision évoquant une gravure de Gustave Doré, mais aussi comme si les lignes sous-jacentes des plissements de terrain étaient rendues apparentes, des lignes de force s'apparentant aux lignes Ley.
Lorsque Marlène visite la maison de Constance, Andreas réalise une vue de son salon en plongée depuis le plafond, mettant en valeur son aménagement sur 2 étages (il y a un puits de lumière), son ameublement, et les dizaines de cadres de photographies accrochés au mur. Alors que Marlène se trouve dans la tour (un guetteur), elle vit une expérience psychique, qu'Andreas traduit par des compositions sur fond de damier noir & blanc distordus dans l'espace. Le psychédélisme de cette composition rend parfaitement le déséquilibre psychique du personnage.
"Le testament de Cromwell Stone" constitue une bande dessinée à l'invention formelle maîtrisée et impressionnante, pour une intrigue qui met à nouveau le personnage principal face à l'ineffable, au besoin d'identification des schémas, à la nécessité de donner un sens aux événements. Andreas introduit plusieurs signes et emblèmes qui laissent à penser qu'il peut y avoir une explication à ces événements. Toutefois à la fin du récit, le lecteur s'interroge encore sur certains de ces signes (en particulier ce qui ressemble à des ressouvenances de vies antérieures dans la planche 5), à commencer par ce point au milieu du cercle. Andreas atteste du caractère surnaturel de plusieurs événements, sans contestation possible, tout en laissant planer le doute. Il est difficile pour le lecteur de résoudre cette contradiction interne, ce qui diminue quelque peu le plaisir de lecture.
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