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mercredi 30 avril 2025

Le pape terrible T03 La pernicieuse vertu

Le triomphe de Jules II fut non seulement militaire, mais aussi commercial…


Ce tome est le second d’une tétralogie, qui fait suite à une autre tétralogie : Borgia (2004-2010). Il fait suite à Le Pape terrible T02: Jules II (2011). Son édition originale date de 2013. Il a été réalisé par Alejandro Jodorowsky pour le scénario, et par Theo (Theo Caneschi) pour les dessins, la mise en couleurs ayant été réalisée par Florent Bossard. Il comporte cinquante-deux pages de bande dessinée.


Maison close de Madame Imperia, en 1511, Nicolas Machiavel revient au Vatican, et il se fait déposer devant cet établissement. Il est accueilli par la Madame en personne. Elle lui indique que quatre diablesses l’attendent, les plus grosses qu’elle ait pu dénicher : quelques cinq cents kilos de chair. Il a tôt fait de se retrouver au lit avec elle : il s’ébat avec elles, les surnommant Jules II, Venise, France et Espagne. Après avoir assouvi ses désirs, il leur explique que ce fut une rude campagne de laquelle Jules est sorti vainqueur, malgré les violentes fièvres qui l’ont assailli. C’est peut-être à cause de celles-ci qu’il a eu tant d’amourettes… Pendant que leurs lèvres l’avalent, il leur raconte ça… Alphonse d’Este qui était à la tête d’une grande armée dotée d’une puissante artillerie, était un collaborateur fanatique de Louis XII. Il avait une sœur, Isabelle, dont l’époux, le marquis de Gonzague, fut capturé par les Vénitiens. Comme le pape avait signé un traité de paix avec Venise, Isabelle lui envoya une délégation de moins bénédictins, chargés de lui offrir de riches présents en échange de son aide.



Dans sa salle d’audience, le pape Jules II reçoit la délégation d’Isabelle d’Este. Il indique aux représentants de la marquise, qu’il la remercie, pour ses calices et ses chandeliers en or massif, mais ils ne compenseront pas le grave danger qu’il courrait à libérer son mari. Cet oiseau de malheur irait immédiatement se poser sur le bras de l’odieux Alphonse d’Este duc de Ferrare, ex-époux de Lucrèce Borgia, qu’il est sur le point d’excommunier. Le pape leur jette son calice à la tête, en leur criant de garder leur camelote. Il ajoute : Que François de Gonzague pourrisse dans les geôles vénitiennes ! L’un des émissaires se relève lentement en répondant calmement qu’avec tout le respect dû au représentant de Dieu sur Terre, la marquise a ajouté un autre présent : soixante-dix mille ducats d’or, qu’un autre émissaire dévoile en ouvrant une cassette. Le pape change de comportement : il reconnait que les arguments d’Isabelle sont persuasifs, et qu’ils l’ont convaincu. Il accepte ses présents, il fera libérer son mari… cependant, afin d’empêcher qu’il le trahisse à nouveau et prête main-forte à son beau-frère, il exige de recevoir en otage son fils Frédéric, dont on lui a dit qu’il venait d’avoir dix ans. Un mois plus tard, le jeune Frédéric arrive au Vatican, et il se présente devant le pape. Et à la vue de l’enfant, Jules II s’effondre sur son trône, foudroyé par l’amour.


À la fin du tome deux, Giuliano Della Rovere (1443-1513) promet à Nicolas Machiavel qu’il saura manipuler deux armées ennemies pour l’aider à expulser les Vénitiens. Il rappelle à son conseiller ses propres paroles : En politique, l’honnêteté et la vertu sont pernicieuses. Ses émissaires ont promis en France de collaborer avec Louis XII, à condition que le roi lui envoie encore soixante mille soldats, en échange Jules II l’aidera à conquérir le reste de l’Italie en expulsant larmée de Ferdinand d’Aragon. De l’autre côté, ils ont promis de collaborer avec le roi d’Espagne sous réserve que sa majesté envoie quatre-vingt mille soldats au pape, en échange de quoi le pape aidera Fernando le catholique à expulser l’armée française. À l’instar de Machiavel, le lecteur se demande comment Jules II va s’y prendre. Les prémices de cette phase sont narrées à posteriori par Machiavel aux quatre prostituées mises à sa disposition dans la maison de Madame Imperia. Le scénariste nourrit son récit d’éléments historiques : Louis XII (1462-1515), Isabelle d'Este (1474-1539) et son époux François II Gonzague (1466-1519) duc de Mantoue, leur fils Frédéric de Mantoue (1500-1540), Alphonse d’Este (1476-1534) frère d’Isabelle Il qui évoque le cinquième concile de Latran (1512-1517). Le lecteur retrouve également Michel-Ange (1475-1564) et il voit l’arrivée de Raphael (1483-1520, Raffaello Sanzio), l’un peignant le plafond de la chapelle Sixtine (1508-12) et l’autre la décoration des salles des appartements de Jules II (1508-11).



Comme pour le tome précédent, le lecteur constate rapidement que le scénariste accommode la véracité historique à sa sauce pour augmenter l’intensité dramatique de sa narration. Ainsi, le lecteur assiste à la mort d’Isabelle d’Este, victime d’une mauvaise araignée en 1511, alors que dans la réalité elle est décédée à Mantoue en 1539. En outre les auteurs ont interprété de manière très libérale sa description : physiquement attirante, bien que dodue, en particulier le deuxième qualificatif. D’un autre côté, certains faits sont attestés comme la concomitance du travail de Michel-Ange et de Raphael au Vatican, en revanche le lecteur peut s’interroger sur la réalité de leur rivalité, sur la séquence de sept pages au cours de laquelle le premier reproche au second, tout en le menaçant physiquement, de s’être rendu dans la chapelle Sixtine pour copier, ou plutôt piller ses nouvelles idées. En effet, le scénariste donne également une version très personnelle, une interprétation plus qu’orientée du pape Jules II. Les motivations de celui-ci résident dans la conquête guerrière et les relations homosexuelles, avec emprise et sans limite ou presque, le petit Frédéric de dix ans faisant partie des envies du pape. D’une certaine manière, en amour comme à la guerre (et en politique), tous les coups sont permis : assassinat, traquenards, chantage, manipulations, extorsions, etc. Avec le sort réservé aux membres de sa famille dans le tome précédent, la stratégie du pape entre dans une nouvelle phase, avec toujours le même objectif : l’accroissement de son pouvoir, sa corruption s’accroissant en conséquence. Cela se concrétise dans un cauchemar durant lequel Jules II atteint de fièvre lutte contre une femme constituant une allégorie de l’Église. Elle l’accuse : ce pape indigne ne prêche que mort, sang et ruine, il a fait de sa sainte Église une catin assoiffée de richesses. À vouloir s’emparer du monde, il le plonge dans le désordre. Il pense avoir plus de pouvoir que Dieu, il n’est pas un saint, il est un démon, il porte l’enfer dans sa chair !


Dès la première planche, le lecteur relève la meilleure complémentarité entre les dessins et la mise en couleurs. Sans reproduire la démarche de Sébastien Gérard dans le premier tome, le coloriste a augmenté la proportion de dégradés lissés, rehaussant ainsi le relief de chaque surface détourée, tout en respectant les traits de contour. Les ambiances instaurées par les couleurs apparaissent plus organiques, moins appliquées scolairement dans les contours. Le rendu bleu-gris de l’arrivée nocturne de Machiavel à la maison close, dans une case occupant les deux tiers de la page, donne une sensation de nuit tombée, encore un peu claire, avec le rai de lumière de la porte d’entrée, et les zones moins fortement éclairées des fenêtres, ainsi que des zones plus ou moins éclairées dans la rue. Puis Florent Bossard réalise un travail remarquable sur la peau de ces dames, à la fois en termes de texture, de relief, de zones plus sombres ou plus claires en fonction de l’éclairage. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut apprécier plutôt l’ambiance ombragée de la forêt pendant la chasse, les reflets sur l’eau du bassin privé du pape, les reflets sur le marbre de ses appartements, la sensation de terre sur le grand panorama montrant les deux armées se faisant face sur le champ de bataille, les nuances cramoisies apparaissant au fur et à mesure des affrontements et de la boucherie, les taches sur le tablier de Michel-Ange allongé peignant le plafond, les couleurs des costume des jouvenceaux accueillant les cinq cardinaux, etc.



Dans un même ordre d’idées, le lecteur se rend compte que le scénariste sait doser les phases d’exposition, et laisser les dessins raconter. L’artiste est maintenant parfaitement à l’aise avec les personnages et le travail de reconstitution historique. Il réalise des cases magnifiques pour mettre en valeur les situations imaginées par Jodorowsky : le frêle Machiavel chevauchant les imposantes prostituées avec leurs replis de chair, Jules II intraitable recevant les émissaires de la marquise Isabelle d’Este, le tête-à-tête à haut risque entre le pape et le jeune Frédéric, la même Isabelle dans les soubresauts de l’agonie sur son lit dans une case occupant les deux tiers de la page, la bataille entre les armées du pape et celle d’Alphonse d’Este et la boucherie qui en découle, le jeune Raphael ridiculisant le vieux Michel-Ange, le combat à main nue entre le pape nu et l’allégorie de l’Église tout aussi dévêtue, la soirée de débauche des cinq cardinaux, le triomphe rayonnant de Jules II au matin, etc. À l’évidence, Theo a trouvé ses marques et il prend grand plaisir à mettre en scène cette vision dégénérée de ce pape. Le scénariste continue à imaginer ce qu’un simple être humain peut ressentir à disposer d’un tel pouvoir entre ses mains, avec la possibilité de rationnaliser la satisfaction de ses plaisirs personnels, l’assouvissement de ses pulsions sans retenue, l’exultation de commander à des armées et de disposer aussi bien de la vie de ses soldats que de celle de l’ennemi. Il y a là un tel niveau de pouvoir, une telle possibilité de modeler le monde selon sa volonté, que cette démesure induit tout naturellement une forme de démence, de monstruosité dans le comportement de celui qui le manipule.


Sous réserve qu’il accepte que les auteurs tordent la réalité historique aux besoins de leur récit, le lecteur plonge dans l’exercice d’un pouvoir quasi omnipotent pour l’époque, avec la démesure que celui induit, aussi bien dans les événements que dans la manière de penser. Il a le plaisir de constater que la narration visuelle porte ce récit avec le spectaculaire nécessaire, dans la luxure et la violence, au travers de séquences et d’images mémorables (celle de la mort d’Isabelle d’Este reste longtemps en mémoire). Désinhibé.



mardi 29 avril 2025

Pigments

Les pigments, c’est juste ce qui les a rendues visibles, ces caresses.


Ce tome correspond à une anthologie réalisée par huit bédéastes différents relatant une expérience commune. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par des auteurs complets ayant chacun réalisé le scénario, les dessins et les couleurs de leur segment, par ordre d’apparition avec leur surnom entre parenthèses et le nombre de pages réalisées : Pascal Rabaté (Chafouin, trois segments pour un total de dix pages), Étienne Davodeau (Auroch, dix pages), Emmanuel Guibert (L’abbé, douze pages), Edmond Baudoin (Lou Cabra, douze pages), Chloé Cruchaudet (Pipistrelle, treize pages), Troubs (Belette, dix pages), David Prudhomme (Bison sensible, seize pages), Marc-Antoine Mathieu (Cro-Ma, trois pages). Le tome commence par un article de huit pages (du texte illustré par des photographies) rédigé par Marc Azéma, intitulé : Picasso, Soulages, Barceló en ont rêvé…. Les Rupestres l’ont fait ! L’auteur évoque les grottes de la région, la reconnaissance d’un art pariétal paléolithique, la technique du fac-similé de grotte ornée (pour réaliser Lascaux II), ses travaux de chercheur sur la représentation du mouvement dans l’art paléolithique, son livre La préhistoire du cinéma, l’album Rupestres ! (2011, par Davodeau, Guibert, Mathieu, Prudhomme, Rabaté, Troubs), et l’expérience relatée dans cet album. À la fin se trouve un dossier de quarante-six pages de photographies prises par Rémi Flament, montrant les bédéastes à l’ouvrage ainsi que leurs réalisations dans la grotte, et un article de deux pages sur les grottes du Quercy.


Devant l’entrée de la grotte de la Sagne, une personne accueille le groupe d’artistes en leur expliquant que voici donc la grotte où ils vont œuvrer pendant dix jours. Ils ne travailleront qu’à la lampe frontale et qu’avec des pigments naturels. Les deux derniers compères qui participent à l’expérience arriveront demain. Un des participants ironise qu’il s’agit d’une sorte de Koh-Lanta pour dessinateurs-rices. Vient ensuite une vue de dessus de ladite grotte, puis une autre de la grotte de Pech Merle. Au sein de la grotte lieu de l’expérimentation : une culture de shiitake en pots, une table avec des pigments naturels et du matériel de dessin, et des bidons d’eau de chaux.



Printemps 2021, Étienne Davodeau est à sa table de dessin et il répond à un appel téléphonique. Parfois, quels que soient les retards sur les travaux en cours, quels que soient les impératifs des agendas, des propositions impossibles à écarter arrivent. Cette petite vallée du Lot l’appelle donc à nouveau. Il y file pied au plancher. La première fois, c’était pour y dessiner avec quelques camarades au fond des grottes, face aux magnifiques œuvres de leurs collègues du paléolithique. De cette inoubliable expérience est né le livre collectif Rupestres ! La deuxième fois, c’était pour y retrouver ce petit mammouth de 22.000 ans qu’ils y avaient croisé. Encore aujourd’hui il ne sait pas exactement pourquoi ce petit dessin le fascine tant.


L’introduction de Marc Azéma et celle de deux pages de Rabaté établit bien l’expérience : dix jours à réaliser des peintures rupestres pour sept artistes (Marc-Antoine Mathieu réalisant ses trois pages à partir d’une galerie), dont cinq avaient déjà participé ensemble au précédent projet : rêver et réaliser un livre en forme de grotte ornée avec ses galeries étroites, ses grandes salles, des zones d'ombres, des goulets et leurs questions… Le présent tome comprend donc un chapitre réalisé par chacun des artistes, une introduction et un épilogue réalisés par Rabaté. Chacun relate à sa manière cette expérience, tous à la première personne, certains en se mettant tout seul en scène, certains en évoquant quelques-uns des autres participants, et Guibert en mettant en scène un dialogue avec Edmond Baudoin. Ils ont chacun disposé d’une pagination adaptée : deux chapitres de dix pages, deux de douze pages, un de treize pages, un de seize pages, et les trois chapitres plus courts de Rabaté, ainsi que l’épilogue de trois pages de Mathieu. Les récits vont du commentaire sous forme d’échange (Guibert & Edmond), au récit de la réalisation effective des dessins par Troubs. De la même manière, les registres picturaux présentent des caractéristiques différentes d’un artiste à l’autre : un esquissé pour la séquence introductive, dans une veine réaliste pour Davodeau, sous forme de deux personnages comiques (sans arrière-plan) pour Guibert, des illustrations narratives mêlant plusieurs registres picturaux pour Baudoin, les délicates aquarelles de Cruchaudet, jusqu’au reportage photographique intitulés Pigments.



Le lecteur entame la première histoire : sous le charme des dessins au trait de contour fin et délicat, évoluant dans le cocon de la douce lumière qu’elle soit extérieure et vive ou artificielle et dirigée vers la paroi. Il suit le flux de pensées de l’artiste. Davodeau s’apprête à dessiner comme ses collègues du paléolithique, avec les mêmes pigments. Pourquoi dessinaient-ils à l’âge de pierre ? Pourquoi eux dessinent-ils maintenant ? Tenter de répondre, c’est peut-être déjà enfermer l’idée. Dessiner quoi ? Ils verront. Ce qui compte, c’est le geste. Et pour des auteurs de bandes dessinée, habitués à l’espace exigu des cases de leurs pages, parcourir les parois de cette grotte, c’est dessiner avec tout le corps. Dessiner des jours entiers, et surtout dessiner ensemble. Autant que dessiner, un d’eux aime voir dessiner. Voir naître le dessin d’un autre, c’est voir une intelligence au travail. Le lecteur est pris dans un flux narratif, une histoire avec un début (l’appel téléphonique) une fin (la réalisation d’un dessin à l’extérieur), un point de vue et un ressenti. Le rythme se trouve rompu par la séquence suivante : quatre pages réalisées par Rabaté, qui comprennent, chacune, trois cases de la largeur de la page pour faire apparaître la longueur du boyau souterrain, avec les silhouettes des artistes en ombre chinoise, en train de réaliser leurs œuvres, ceux du côté gauche en entrant, puis ceux du côté droit. C’est le regard que porte Rabaté sur ses collègues, détaché, observateur, factuel, avec une prise de recul pour voir cette situation comme s’il y était extérieur.


Puis le lecteur est pris par surprise par cette mise en scène des avatars de Guibert et Baudoin en petite silhouette arrondie, traits simplifiés, dans une pantomime faisant la part belle à la gestuelle, pour un dialogue. Ils papotent, échangeant leurs impressions, leurs connaissances sur le contexte de la peinture rupestre, échafaudant des hypothèses sur l’état d’esprit des artistes de l’époque, n’arrêtant pas de bouger. Ce chapitre se termine également par les réflexions de ce créateur sur cette expérience, sur le fait de pouvoir regarder les autres travailler : Sept peintres rupestres badigeonnent la muqueuse d’une caverne. C’est jouissif, de peindre sur la roche. Et rébarbatif. Et instructif. D’abord, il n’y a pas de format, pas de toutes les surfaces, du lisse au buriné, du plat au boursouflé, du ruisselant au sec. À chacune son lot de plaisirs et de désagréments. Les peintres tour à tour se mélangent ou s’isolent. Quand ils s’isolent de quelques mètres, ils s’entre-regardent parfois du coin de l’œil. Ils voient, dans le noir, une petite silhouette coiffée d’un lumignon s’escrimant contre une paroi. Elle émeut, cette petite silhouette. Le lecteur tourne la page… Et là…



Là, il découvre le chapitre réalisé par Edmond Baudoin. Extraordinaire ! La sensibilité des peintures rupestres au travers de dessins peints, libérés de la structure des cases, entremêlant des images entre elles, tout en conservant la sensation d’une lecture graphique et d’une progression, avec des cellules de texte à la frontière du commentaire et d’un flux de pensée libre, évoquant aussi bien la pratique des artistes préhistoriques, que celle de ses collègues qu’il observe, le caractère éphémère de celle qu’il réalise, agrémenté d’une citation de Gilles Deleuze (1925-1995 – S’il n’y a pas dans un tableau une rébellion de la main par rapport à l’œil, c’est que le tableau n’est pas bon.) et d’une de Charles Baudelaire (1821-1867 – Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille. Tu réclamais le soir ; il descend ; le voici : une atmosphère obscure enveloppe la ville, aux uns portant la paix, aux autres le souci.), et s’achevant sur un dessin réalisé après, une page contenant quelque chose d’essentiel. C’est à la fois unique, une expression de la personnalité profonde de ce créateur, et universel. Ce chapitre mérite à lui seul la lecture de l’ouvrage.


Pour autant, le reste n’apparaît pas fade au regard du chapitre d’Edmond Baudoin. Chloé Cruchaudet rend compte de cette expérience de son point de vue, avec sa propre sensibilité, des dessin plus délicats : elle parle de son manque de confiance, de ses interrogations quant à ce qu’elle peut représenter, de son adaptation progressive à la grotte, apprenant à connaître ce milieu, trouvant une façon de s’exprimer en adéquation et en phase avec cet environnement extraordinaire. Troubs réalise des dessins plus organiques, focalisés sur la paroi qu’il s’apprête à transformer par ses dessins, montrant comment le support même agit sur sa créativité, comment la matière participe à décider de son sujet. À sa manière, David Prudhomme balaye un spectre aussi large que celui de Baudoin, avec une sensibilité différente, une expression de sa personnalité et de sa pratique du dessin qui lui est propre, proche du credo : Dessiner, c’est enregistrer un parcours de l’œil, de la main, du pied, de la bouche, du corps de l’esprit sur un support. Il continue : L’image immatérielle est une image hors du temps, un dessin donne toujours une notion de temps nécessaire à sa création. Le dessin est un art de la trace et les amateurs de dessins sont des pisteurs. Ce voyage guidé initiatique se termine avec la dernière soirée passée entre artistes. Et l’épilogue de Mathieu fait apparaître l’universalité de des surfaces de monstration des dessins, comment celle de la grotte et celle de la galerie se confondent. Curieux, le lecteur découvre ensuite le copieux reportage photographique, très beau, qui lui permet de voir de manière plus prosaïque le concret des expériences relatées en toute subjectivité par les artistes.


Peindre à la manière des hommes préhistoriques dans une grotte ? La lecture de cet ouvrage s’avère tellement plus que ça : une expérience chorale, vécue au travers de sept artistes différents, chacun avec leur personnalité. Chacun a choisi de mettre en avant des aspects et des thèmes qui lui importent, de la question de savoir quoi représenter, à la source d’inspiration, en passant par le questionnement sur ce qui pouvait inspirer les hommes préhistoriques, quel pouvait être leur état d’esprit, leur motivation. Le lecteur en ressort marqué par ces différents points de vue de ces créateurs tous praticiens expérimentés du dessin. Il se retrouve subjugué par la plénitude de l’expérience de lecture du chapitre d’Edmond Baudoin, véritable chaman. Une visite guidée que le lecteur prolongerait bien en allant visiter cette grotte par lui-même.



lundi 28 avril 2025

Sector 5

Quand on sait que le salaire moyen pour une femme à Bucarest est de 400 euros…


Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Christophe Bec pour le scénario, par Christian Pacariu pour les dessins, et par Alex Guimares pour la couleur. Il comprend quatre-vingt-dix-sept pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec un texte introductif d’une page, rédigé par le scénariste qui indique que les hasards de la vie l’ont amené à faire plusieurs voyages en Roumanie et à y rester quelque temps. Il continue : en additionnant tous ces séjours, il a en fait vécu plusieurs mois à Bucarest, dans le Secteur 5 précisément, bien loin des parcours de la capitale. Il attire l’attention sur le fait qu’en réalité, le peuple roumain est un peuple latin et non pas slave, accueillant, joyeux et chaleureux. Dans le même temps, en observant, en parlant avec certains habitants, en réfléchissant sur les différences entre la France et la Roumanie, il a eu l’envie d’écrire un récit, et des choses qu’il a pu entrapercevoir, telle l’omniprésence de la corruption, de la mafia et de l’industrie du sexe, à demi dissimulées, l’ont rapidement dirigé vers un récit de genre, entre le polar noir et le Thriller.



À San Diego, dans le sud de la Californie, aux États-Unis, un homme handicapé, nu dans son fauteuil roulant, a plusieurs capteurs et stimulateurs sur le corps, dont un dans la verge. Il mate un écran dont le programme produit un effet stimulant intense, qui se répercute dans son corps, dans son rythme cardiaque. Sans qu’il ne s’en soit aperçu, un homme dont le visage est masqué par une capuche est entré dans la pièce. Quand il s’en rend compte, il est déjà trop tard : l’intrus a augmenté les stimuli à travers les électrodes, et le paralytique succombe à une surexcitation fatale. Au centre régional de transit de Bucarest, Calea Giulesti, dans le secteur 1, Peyo Carbajal ouvre le courrier qu’il a reçu et se frappe la tête contre le montant de son vestiaire : sa demande de mutation dans le secteur 5 a été rejetée une nouvelle fois., ça fait la dixième fois. Ses collègues sortent du vestiaire, le laissant seul. Puis Simona y entre à son tour, une jeune femme avenante, elle lui demande si ça va. Il lui répond que non et qu’il va aller se prendre une murge dans la vieille ville. Elle lui recommande prendre soin de lui.


Peyo Carbajal se rend dans un bar à danseuses, et il s’assoit pour siroter une bière. Une pole-danseuse lui propose de s’isoler et qu’elle lui fasse un extra. Il la repousse sans ménagement. Dans le secteur 5, l’inspecteur Marian Ferentari arrive sur le lieu d’un crime : une villa cossue. Les policiers sont en train d’évacuer les deux enfants et l’épouse. Ils surnomment l’inspecteur avec le terme de Cafard, comme dans les couloirs du commissariat, comme ces cafards qui ne voient jamais le jour. Lorsqu’il passe devant eux, ils le saluent froidement. Il arrive dans le salon où gît encore le cadavre. Il demande au policier présent de lui faire le topo, sans fioriture. Son interlocuteur s’exécute : les deux gamins sont en état de choc, ils ont été amenés dans le secteur 1, à l’hôpital central des enfants.la victime était avocat en droit de la famille, casier vierge. Pas d’ennemi connu, mouillé dans aucune affaire de corruption, aucun lien avec la mafia. Pas de caméra de surveillance.



A priori, une simple série B, un polar au ton dur et cynique de circonstance pour un tel exercice de style, des meurtres répugnants, la traque d’un tueur en série dans Bucarest, pour une affaire forcément liée à une des facettes de l‘industrie du sexe, en cohérence avec la réputation de cette capitale. Le lecteur découvre les premières pages et son a priori se voit confirmé. Un premier crime avec nudité masculine, tueur mystérieux à l’identité cachée par sa capuche, handicapé en pleine pratique d’excitation sexuelle, en solitaire. Petite exagération visuelle avec deux ou trois zones de combustion corporelle. Une bonne densité de cases : une dizaine par page, un gros plan sur le sexe en érection. Une mise en couleurs sombre et un encrage appuyé. Impression confirmée avec les deux scènes suivantes : couleurs cafardeuses, dessins descriptifs et réalistes, avec des contours non lissés, donnant une impression âpre et brut de décoffrage. À nouveau une dizaine de cases par page, voire plus, avec des cadrages donnant une sensation d’étroitesse, entre focalisation sur des détails sordides ou dégradants, et un ressenti d’enfermement dans un quotidien à l’horizon bouché. Enfants témoins de l’assassinat de leur père, mutilation du corps comme pour un rituel évoquant la maladie mentale du meurtrier, studio photographique dans le sous-sol avec des centaines de clichés de femmes nues, des jeunes, des moins jeunes, des vieilles même. Le ton est donné : glauque.


Rapidement, le lecteur ressent bien les conventions du polar, ainsi que la profondeur qu’il attend de ce genre. L’usage des figures de style associées à ce genre vont plus loin que les situations ou les visuels crades pour choquer ou pour racoler. Le personnage principal présente toutes les caractéristiques attendues de l’enquêteur tendance perdant de la vie. Pour une raison ou pour une autre, il a été écarté des affaires sensibles ou intéressantes, il est mal considéré de ses collègues qui le qualifient de cafard, parfois en sa présence quand ils oublient de faire attention. Sa femme l’a quitté, et il se complaît dans cette situation familiale, convaincu que les femmes qu’il juge belles ne sont intéressées que par les hommes disposant d’argent et le dépensant avec libéralité, roulant dans de grosses bagnoles tape-à-l’œil. Il a recours aux prostituées mais uniquement pour des fellations, craignant trop de se choper une maladie. Il se montre brut de décoffrage dans ses relations avec autrui. Il se montre totalement dépourvu d’empathie en interrogeant les deux enfants ayant vu leur père assassiné sous leurs yeux. Il s’avère incapable d’une parole réconfortante vis-à-vis de la veuve prosternée devant lui en l’implorant de retrouver l’assassin. En son for intérieur, il a pleinement conscience de cette faille dans son caractère, il se dit que : Les effusions, l’empathie, ce genre de choses, ça n’a jamais vraiment été sa came, pour ça il est une sorte d’handicapé émotionnel. Il sait qu’il aurait dû serrer cette pauvre femme dans ses bras, la rassurer, mais c’est quelque chose dont il est totalement incapable. Les dessins montrent un individu normalement constitué, avec une carrure un peu carrée, portant un imperméable par-dessus une chemise blanche et une cravate, avec le visage souvent fermé, ne souriant jamais. Le lecteur peut voir un individu n’éprouvant pas de plaisir dans la vie, ni dans ses moments de solitude, ni dans ses relations sociales, tout en restant animé par une forme de vague envie d’être utile dans la fonction de la police.



Les auteurs savent montrer que cette forme de résignation à la fatalité de l’ordre choses tel qu’il habite d’autres personnages comme la camgirl Amalya Buluci, le tueur bien sûr, et quelques autres. Du coup, il suffit du comportement normal des deux policiers Mihai & Stefania pour souligner l’accablement qui pèse sur les autres. Le scénariste fait mener une enquête à son personnage principal, en respectant les phases de recherche d’indice, d’interrogatoire, de chance, un travail professionnel laborieux et sans éclat, lent et incertain. La narration visuelle sait montrer le quotidien très ordinaire de ces phases : être assis à un bureau très quelconque, rentrer chez soi en transport en commun, la solitude du petit appartement, le constat pragmatique des circonstances de la mort sur le lieu d’un crime, les recherches internet, les périodes de réflexion. Le lecteur se rend compte que le nombre élevé de cases par page, leur petite taille fonctionnent parfaitement pour rendre compte de ce quotidien. Les auteurs savent alterner cette routine professionnelle avec le quotidien tout aussi prosaïque du tueur dans son milieu professionnel et dans sa vie privée tout aussi banale et commune, et les moments où il passe à l’acte, des scènes violentes et soudaines, méthodiques et froides. Enfin, il y a donc ces meurtres, presque des exécutions : là encore le scénariste ne s’embarrasse pas de fioritures et le dessinateur reste dans un registre très factuel. Il montre clairement la brutalité et la mort violente, sans en rajouter ni dans le spectaculaire, ni dans une envolée romantique.


Le lecteur en ressort avec sa dose de violence et de sexe, de comportements charriant une forme de renoncement à l’espoir d’un monde meilleur, d’accablement du quotidien et d’une société gangrénée par une criminalité systémique qui ne laisse d’autre choix que d’en être partie prenante. La narration visuelle reste à un niveau terre à terre, rien d’enthousiasmant, si ce n’est son efficacité. D’ailleurs, ces caractéristiques finissent par s’imprimer dans la tête du lecteur : des dessins fonctionnels, en fait à l’unisson d’une narration tout aussi fonctionnelle. Une production d’un trio d’artisans (scénariste, dessinateur, coloriste) maîtrisant leur métier, réalisant un polar très correct. Un peu plus que correct même. Il y a peut-être une exagération dans le sens où ils choisissent les points de vue venant insister sur ces aspects déprimants de la vie, sans jamais en mettre en scène d’autres : zéro chaleur humaine, zéro solidarité, zéro plaisir, juste une accumulation d’éléments négatifs. Le lecteur se dit que cela correspond à la vision que Marian Ferentari a de la vie. Ses pensées intérieures viennent conforter cette impression : les Bucarestois préfèrent s’endetter sur vingt-cinq ans pour acquérir une BM ou une Benz, se serrer la ceinture et remplir le réservoir de gasoil plutôt que le frigo, inhaler à longueur de journée du monoxyde de carbone, du dioxyde d’azote et des particules fines d’hydrocarbures cancérogènes. Ou encore : Quand bien même chaque Bucarestois raquerait docilement pour prendre les transports en commun, cette manne serait détournée pour tomber directement dans les poches d’employés corrompus du ministère, qui s’enverraient l’air avec des escort girls de luxe dans les suites douillettes des cinq étoiles de la capitale. Tout est biaisé, vérolé, rongé jusqu’à la moelle ! Et encore : Les salaires des flics sont une misère, alors pour arrondir les fins de mois, soit on se laisse arroser, soit on tente des coups au jeu ou au casino. Personne n’a le choix ici. De toute façon, c’est la règle quand tout marche de traviole. Des milliers de personnes manifestent devant le parlement depuis des mois, mais rien ne change. Le nouveau président, qui s’est fait élire sur un programme anti-corruption, a dû virer quasiment tout son gouvernement… Trop d’entre eux trempaient dans de sales histoires : drogue, sexe, corruption… Quand c’était pas les trois à la fois.


Un polar de plus, à base d’industrie du sexe et de crimes sans pitié pour attirer le lecteur ? Il y a un peu de ça de prime abord, avec en plus la réputation de Bucarest pour ses filles et sa mafia. D’ailleurs la narration visuelle semble très fonctionnelle, et le scénario plutôt linéaire. D’un autre côté, c’est un polar réussi qui tient en haleine du début à la fin, avec les conventions de genre attendues, et juste ce qu’il faut d’originalité pour ne pas pouvoir être réduit à un produit industriel. L’effet cumulatif se fait progressivement ressentir, entre l’état d’esprit blasé et résigné du personnage principal, la bonne connaissance de la ville et de cette partie de la population, l’intrigue bien construite : une vision prosaïque de la banalité du quotidien, une plausibilité qui finit par faire froid dans le dos, entre la pulsion sexuelle des hommes, et la célébrité internationale des camgirls. Loin d’être inoffensif.



jeudi 24 avril 2025

Dixie Road T04

Et un mirage s’est fracassé au sol. Un vieux rêve d’indépendance et de liberté…


Ce tome est le dernier d’une tétralogie, il fait suite à Dixie Road, tome 3 (1999) qu’il faut avoir lu avant. Son édition originale date de 2001. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, et par Hugues Labiano (la série Black Op, avec Stephen Desberg) pour les dessins, la mise en couleurs ayant été réalisée par Marie-Paule Alluard. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. Cette série a fait l’objet d’une intégrale en 2019, avec un avant-propos d’une page, rédigé par le scénariste.


C’est un chant qui parcourt tout le pays et qui vous dit : Payez… payez vite… sans discuter… sans discuter… sinon… Et ce type à la batterie qui entame une marche funèbre… Où chercher l’espoir, mon frère ? Quelque part dans le sud des États-Unis, le détective Cab Keena arrive devant un garage. Il pénètre à l‘intérieur et trouve le propriétaire Luke allongé par terre, la gorge tranchée vivant ses derniers instants. Keena parvient à lui poser quelques questions. Luke explique qu’une personne l’a surpris alors qu’il travaillait à la voiture, quelqu’un qui ne lui a laissé aucune chance. Luke a dû finir par lui dire où se trouve la fille, à Silver Creek, dans le camp. Et il rend son dernier soupir. À proximité du camp, sur une des routes qui y mènent, un motard est arrêté par deux miliciens armés. Ernest Pike s’arrête, enlève son casque et demande s’il s’agit bien du chemin pour Silver Creek. Les deux répondent que oui, que le camp est bouclé et qu’il n’est pas question d’y entrer ou d’en sortir. Il explique : des bouseux parlent de se mettre en grève, la milice attend les renforts de l’armée, ça risque de tourner mal. Pike pense à haute voix, se disant que ça l’arrange plutôt bien. Il dégaine soudainement un couteau et tranche la gorge des deux hommes, tout en se disant qu’il va y avoir des morts, et qu’un de plus ou de moins ne fera pas le compte. Et il repart dans son side-car.



Elle s’appelle Dixie Jones. Elle a retrouvé son père. Il gît blessé sur un lit de camp. Mais il sourit, il a l’air heureux. Il attend la mère de Dixie. Elle tarde, sa mère. Elle hésite ou elle est en colère, Dixie ne sait pas trop. C’est compliqué les parents… Le Kid est assis à côté de Dixie sur un banc. Il lui dit que sa mère ne viendra pas, parce qu’elle s’est trouvée un nouvel amoureux. Ils voient approcher Nadine Jones accompagnée par un homme. Butler se tient près de la mère de Dixie. Il a l’air gêné. Elle n’aime ça du tout. Elle a senti sa mauvaise humeur reprendre le dessus. Elle était souvent de mauvaise humeur à l’époque… Butler s’est éloigné. Elle reste seule à attendre sa mère. Et la peur s’est installée… La peur de ne pas voir ses parents se réconcilier… C’est donc si difficile de reprendre la route ensemble, comme une vraie famille… Plus tard, il faudra qu’elle soit vigilante avec les hommes… Très vigilante… Et elle reste assise pendant que sa mère pénètre à l’intérieur et retrouve son époux… Longtemps… Nadine ne raconte pas les violences qu’elle a subies, elle les garde pour elle. Mr Jones explique que les choses vont changer, il a gagné de l’argent de manière licite. Elle lui fait observer qu’il a dû donner des coups pour ça.


Est-ce la fin de la route ? Après tout, malgré le constat que le New Deal ne sera pas une baguette magique ramenant une ère de prospérité immédiate pour les ouvriers, la reprise est enclenchée, et des jours meilleurs se profilent à l’horizon… Mais ce n’est pas pour aujourd’hui, ni même demain. En attendant, les personnages principaux du récit se trouvent toujours dans un camp de travailleurs, payés à la journée, soumis aux exigences du propriétaire de l’exploitation, et travaillant pour des clopinettes. Or voilà que des syndicalistes sont arrivés dans le cap de Silver Creek pour inciter les ouvriers à la révolte, ou au moins à la grève. Le lecteur se souvient bien que, de leur côté, les propriétaires disposent de moyens de coercition efficace : licencier les fauteurs de trouble séance tenante, requérir la police pour des interventions de maintien de l’ordre, réprimer la révolte avec une milice privée. Les ouvriers ont le nombre pour eux, mais le rapport de force leur reste défavorable. Les dessins montrent bien cet état de fait : le camp avec sa clôture et ses rues en terre, les habitations de fortune entre barraques en bois et tentes, la queue pour la soupe qui est une longue table faite de caisses en bois et des ouvriers qui servent les gamelles, la barraque qui fait office d’épicerie avec sa maigre réserve, la localisation isolée du camp au milieu de nulle part, la milice avec ses armes à feu, ses chevaux et même un véhicule blindé.



Le récit reste inscrit dans un contexte historique et social très concret. L’artiste continue de donner de la consistance à cette reconstitution historique. Les modèles de voiture d’époque, avec leur carrosserie si caractéristique, ainsi que le modèle de side-car. Les tenues vestimentaires : beau costume pour les propriétaires avec cravate, uniformes pour les policiers et les militaires, les pantalons et les chemises en tissu plus grossier pour les ouvriers, les couvre-chefs de rigueur pour tous les hommes entre chapeau et casquette, les robes et les corsages pour les femmes, les constructions plus ou moins pérennes, le train, le mobilier très sommaire dans le camp de Silver Creek, plus recherché dans la demeure de la famille Vreeland. En filigrane, le lecteur prend également plaisir à se projeter dans les différents environnements, avec de beaux paysages : le garage perdu au milieu de nulle part, la route de terre dans une zone désertique, l’alignement irrégulier des tentes du camp en vue du ciel, les champs qui s’étendent à perte de vue sous un lever de soleil, les cavaliers de la milice bien alignés sur une hauteur, les cases de la largeur de la page en vision panoramique pour montrer leur avancée, le ponton de bois s’avançant au-dessus de l’eau d’un bayou dans des teintes orangées d’un soleil couchant, la magnifique pelouse et les arbres d’alignement de la propriété des Vreeland.


L’artiste doit également montrer et mettre en scène la violence des conflits, le recours et l’usage de la force physique. Le lecteur a pu constater dans le tome précédent que le registre ne sera pas celui du voyeurisme ou de l’esthétisation, mais de la brutalité et du caractère arbitraire. Ainsi, il voit comme Cab Keenan, Luke allongé par terre, sa tête baignant dans son propre sang, résigné à sa mort imminente. Dans la page suivante, Ernest Pike effectue un geste vif et vicieux pour trancher la gorge de ses deux interlocuteurs : rien d‘admirable, juste la lâcheté d’un esprit dérangé. Lorsque le Kid s’en prend à Dixie pour éviter qu’elle ne le dénonce lui et ses trafics, le lecteur voit un homme imposer sa volonté par la force, faute d’autre idée, comme un réflexe machiste, réduisant la femme en face de lui à un simple obstacle sans personnalité. L’artiste utilise un montage d’images chaotiques pour mettre en scène le saccage de l’épicerie du camp. Puis l’attaque du camp de Silver Creek par la milice se déroule sur huit pages, avec des cases de la largeur de la page pour rendre compte de l’ampleur de l’attaque, des plans serrés sur des individus à terre ou ne comprenant pas la soudaineté de ce qui leur arrive, des plans séquence pour montrer la traque d’un individu, etc. Une séquence éprouvante.



Le scénariste continue de mettre en scène l’oppression systémique des ouvriers. Il montre à nouveau comment les propriétaires des moyens de production dispose de la loi pour eux, et donc ils peuvent compter sur l’intervention de la police pour protéger leurs biens, et pour mettre en œuvre une répression sans pitié sur les rebelles ou les grévistes. Il monte également comment ces mêmes propriétaires peuvent constituer et financer une milice pour défendre leurs biens contre les actions de destruction ou de sabotage. Dans le même temps, les images montrent de manière factuelle les conditions d’emploi, les différentes façons d’exploiter les ouvriers : des logements de fortune pour lesquels ils doivent payer bien sûr, une épicerie qui est également la propriété de la classe dirigeante, des soins entièrement dépendant de leur bonne volonté. De l’autre côté, les unions d’ouvriers, c’est-à-dire les syndicats, ont également leurs propres objectifs, qui, pour certains syndicalistes, justifient également d’instrumentaliser ces mêmes ouvriers. Certains estiment qu’il leur faut créer les conditions de tension et de drame propres à faire basculer l’opinion nationale de leur côté, quitte à manipuler les travailleurs. Dixie Jones découvre ces exactions par hasard, jouant le rôle de candide dans lequel le lecteur peut se projeter. En particulier, elle voit comment certains syndicalistes font usage de l’alcool pour désinhiber les hommes, pour leur faire perdre le sens de la mesure.


Dixie, sa mère et son père fournissent une incarnation humaine à ces tensions sociales. Le lecteur se rend compte qu’il ressent de l’empathie pour la jeune fille qui grandit dans ce contexte, qui découvre comment marche le monde, ce qu’ils subissent sans aucune possibilité d’influer dessus, et la faible part de libre arbitre qu’il leur reste. Il ressent une réelle sympathie pour Mr Jones, rêvant de se sortir de ce milieu, tentant les coups qui lui semblent pouvoir rapporter une somme qui fera une réelle différence, et… Et se heurtant au principe de réalité, même quand il paye de sa personne, quand il ne va pas au plus facile. Jusqu’à ce qu’à genoux par terre, il baisse la tête : Un mirage s’est fracassé au sol, un vieux rêve d’indépendance et de liberté… Le lecteur prend conscience que Nadine Jones passe presque au second plan. Elle aussi doit se rendre à l’évidence, malgré tout son courage, ce milieu ouvrier n’est pas le sien, et elle n’a d’autre choix que de retourner dans sa famille. Le lecteur se souvient bien qu’elle a accepté tous les boulots d’ouvrier, les plus pénibles et les moins bien payés, qu’elle a même été victime d’un viol. Finalement son échec prend une ampleur encore plus terrible que celui de son époux, une preuve du déterminisme social implacable, du pouvoir de l’argent.


Fin de la route ? Non, la vie continue, tout en ployant sous le principe de réalité. Scénariste et dessinateur donnent à voir une époque, sous l’angle du déterminisme social et de l’asservissement capitaliste. Une belle reconstitution historique, impitoyable, faisant écho à des situations et des configurations très contemporaines. Glaçant.



mercredi 23 avril 2025

Autopsie T02 Bloody Sunday

Mais mon job, c’est justement de me méfier des évidences !


Ce tome fait suite à Autopsie - Tome 1: Le Sacrificateur (2024) qu’il n’est pas indispensable d’avoir lu avant, car il s’agit d’un trilogie thématique autour du métier de médecin légiste, avec trois personnages principaux différents, dans trois villes différentes. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Antoine Tracqui pour le scénario, Jean Diaz pour les dessins, Antonio Giustoliano pour les couleurs, ce dernier appartenant à Arancia Studio. Il comprend cinquante-quatre pages de bande dessinée.


Dans une magnifique chambre d’hôtel de luxe, dans un gratte-ciel du centre de Chicago, Paul Wahlberg se dit que : C’est quand même un job en or… Bien sûr, il faut se lever tôt. Mais à part ça, c’est jackpot. Salaire princier, zéro stress, peu de comptes à rendre, jamais de contraventions à payer. Stimulation intellectuelle permanente… et surtout un incroyable piège à filles. Adjointe au maire ou femme de chambre, peu importe, dès qu’il annonce la couleur, c’est toujours la même lueur dans leur regard. Mélange de surprise et d’excitation malsaine, comme si l’odeur du sang leur fouettait les hormones !!! Ensuite, il suffit de raconter deux ou trois histoires un peu glauques, sans forcer sur le trait… et l’affaire est dans le sac !!! En se levant, Paul regarde la femme couchée dans le lit, encore endormie. C’est quoi, déjà, son nom ? Susie ? non… pas Susie… Sally ? Stacy ?… Peu importe à vrai dire, c’était pas terrible ! Ça doit bien être sa quatrième Sandy depuis la fac, et aucune qui soit restée dans les annales. Seul intérêt de celle-ci, elle crèche à deux pas de Humboldt Park. Avec ça, il sera au boulot dans même pas dix minutes !



7h18. Tout le monde le dit : l’arrivée des beaux jours, c’est le meilleur moment de l’année à Chicago. L’hiver est barbant, ce sont surtout les vieux qui claquent : pneumonies, chutes sur le verglas, décompensation de ceci ou de cela, pas mal de feux de cheminée aussi… Sans oublier les clodos qu’on décolle du trottoir quand il fait -30°C… L’été, ce sont les morts violentes : les accidents de bagnole, les soirées arrosées qui partent en vrille, les crétins qui se noient en prenant le lac Michigan pour une pataugeoire, plein de vieux, encore, lors des pics de chaleur… Et bien sûr, grand classique estival, le type seul qu’on retrouve vert et plein d’asticots quand la voisine appelle pour signaler l’odeur… Les demi-saisons sont plus variées chacune avec ses nuances. Quand les jours raccourcissent, le moral s’effondrent et les suicides repartent en flèche. Au printemps, au contraire, quand la sève monte, ce sont les crimes sexuels, ou alors le cinglé qui dézingue femme et enfants avant de se faire sauter le caisson. Curieuse manière d’envisager la ronde des saisons … Non, pas vraiment… Simple déformation professionnelle, en réalité ! Paul Wahlberg se rend à l’institut médicolégal : Aujourd’hui, il y a vingt-trois autopsies au menu… Avec l’échantillonnage standard : quatre homicides et deux suspicions, huit accidents, six suicides, deux morts suspectes à l’hosto et une en prison…


Deuxième tome de cette trilogie et changement de pays, changement de ville, changement de médecin légiste, changement de dessinateur, et sans artiste réalisant le storyboard. Pour autant, le lecteur retrouve la même ambiance que dans le premier tome, grâce aux éléments techniques sur la pratique de l’autopsie. Le scénariste, médecin légiste de profession commence par exposer l’organisation d’une journée de travail dans un institut médicolégal : le nombre d’analyse à réaliser, le personnel présent, la répartition des cadavres en fonction des compétences, etc. Puis il en pratique une, alors que ses pensées portent un regard satisfait sur la qualité de son propre travail. Les dessins montrent différentes phases de son activité : les gants, les scanners projetés sur grand écran, les personnes assistant à l’opération, la première incision au scalpel, le prélèvement de la matière cervicale, l’ouverture de l’abdomen, et après dans son bureau la rédaction du rapport. Les dessins sont précis, descriptifs et réalistes. La mise en lumière produit un effet blafard, avec une majorité de nuances de gris. Plus tard, Paul Wahlberg doit pratiquer une nouvelle autopsie dans des conditions artisanales, dans une cuisine avec des ustensiles afférents. Le récit montre alors le recours à des gants de vaisselle, à une batterie de couteaux de cuisine, l’emploi d’un thermomètre à rôti, un sécateur pour découper les côtes, une balance à plateau pour peser les organes, des bocaux pour les échantillons, etc.



Avec un tel métier pour le personnage principal, le récit relève forcément du polar. Le scénariste a choisi un point de départ différent de celui du tome précédent, et un déroulement plus compact dans le temps : environ vingt-quatre heures. Le flux de pensées de Paul Wahlberg est écrit de manière construite, servant de moyen d’exposition d’un certains nombres de faits. Première dimension de ce roman policier avec une composante sociale : le lieu. L’intrigue aurait peut-être pu se dérouler dans une autre grande métropole américaine ; pour autant scénariste et artiste mettent à profit plusieurs spécificités de Chicago. De nombreuses cases montrent la ville : une illustration en pleine page des immeubles d’un quartier pour la page six, les grandes avenues avec quatre files de circulation dans chaque sens, les rues un peu moins larges du quartier où se trouve le rade dans lequel le médecin va pécho, les grandes propriétés et riches demeures dans les lointaines banlieues etc. Ensuite, l’intrigue repose pleinement sur le métier du personnage principal : c’est l’occasion d’évoquer les enjeux d’une autopsie, ainsi que les compétences nécessaires pour la réaliser de manière rigoureuse, le matériel, l’état d’esprit d’un médecin légiste par rapport à la chair, à la mort, aux actes de violence meurtrière, et aussi aux morts banales dans l’indifférence de la société. Dans le même temps, le dessinateur représente de manière pragmatique les actes de découpage et de prélèvement sur un corps redevenu un simple objet inanimé, privé de personnalité. Les auteurs mettent également en œuvre des conventions propres à ce genre littéraire, telles que la famille mafieuse dysfonctionnelle, la violence gratuite, et le plan bien préparé.


Le lecteur se retrouve embarqué avec Paul Wahlberg, contre son gré dans une autopsie artisanale réalisée dans une cuisine parce qu’un parrain mafieux souhaite en avoir le cœur net sur les circonstances réelles du décès de son fils. Il suit alors une enquête qui repose à la fois sur les éléments mis en évidence au fil du déroulement de l’autopsie et sur les informations qui arrivent par d’autres canaux comme les conversations, ce que le médecin peut avoir entendu sur cette famille, et la lecture d’un document dans les archives. De temps à autre, le lecteur ressent bien que le scénariste écrit une phase d’exposition. Il constate également qu’il y a eu une amélioration par rapport au premier tome : ces phases sont mieux construites, plus courtes, et la narration visuelle montre d’autres éléments dans le même temps. Cela commence avec la première autopsie dans l’institut médicolégal, avec les images montrant la pratique et les cartouches de texte contenant les commentaires du médecin. Puis Wahlberg se retrouve ligoté sur une chaise, et le parrain Luca Scarfone lui explique ce qu’il attend de lui, pendant que le lecteur peut voir comment réagisse les autres membres de la famille dans la même pièce. Après cette première partie de l’autopsie, tout le monde se trouve assemblé dans le salon à écouter les conclusions provisoires du médecin, et là encore le lecteur peut voir les réactions des différentes personnes. Plus tard, lorsque que Wahlberg lit un long article sur la famille Scarfone, le scénariste rédige quatre extraits dans les cellules de texte, simulant la lecture fragmentaire pour plus d’efficacité.



Les auteurs apportent également ce qu’il faut de personnalité à leur personnage principal pour qu’il dispose d’assez d’épaisseur : à la fois par son professionnalisme, et son regard presque lucide sur lui-même. Il sait qu’À en croire certains, il serait un sale type. Arrogant vaniteux, immature, séducteur compulsif et totalement égocentrique. Tout cela est certainement exagéré… Mais vu que ses ex s’accordent toutes sur ce diagnostic, il y a peut-être un fond de vérité. Ils montrent également sa première levée de corps en solo où il finit plaqué au sol par le cadavre trop lourd pour lui, scène permettant de jauger sa force de caractère. De la même manière, ils donnent de l’épaisseur à Bianca Scarfone, la conseillère du Don. Comme dans le tome précédent, le lecteur reste déconcerté par la très grande tolérance au froid des personnages, qui restent soit en bras de chemise soit en robe avec un grand décolleté à papoter sous la neige comme si de rien n’était. Pour autant, le cumul des différents ingrédients (environnement, autopsie, personnages) aboutit à un récit bien construit, avec un suspense généré par les résultats de l’autopsie, mais aussi la situation mortelle dans laquelle se trouve le personnage principal (il n’y a aucune raison que la famille Scarfone le laisse en vie après les résultats), et la conviction qu’il se trame autre chose en arrière-plan entre les membres de ladite famille.


Deuxième médecin légiste, deuxième autopsie, deuxième ville : le scénariste a gagné en aisance dans sa narration qui apparaît plus fluide. Nouveau dessinateur, tout aussi impliqué que le précédent pour donner à voir les situations de manière réaliste et descriptive, sans redondance avec ce que disent les dialogues ou les cellules de texte. Même metteur en couleurs, pour des ambiances en phase avec la tension et la noirceur des situations. Un bon polar tenant le lecteur en haleine.



mardi 22 avril 2025

Rendez-vous fatal

Il est juste que les meilleurs commandent les masses, voilà le vrai darwinisme.


Ce tome contient une histoire complète. Son édition originale date de 1996. Il a été regroupé avec le récit Trois filles sur le net (1998, Le piège) dans le recueil Noirs desseins (2011 qui comprend également une introduction d’une page de l’auteur). Il a été réalisé par Milo Manara pour le scénario et les dessins. Il s’agit d’une histoire en noir & blanc. Elle compte quarante-quatre pages de bande dessinée. Dans l’introduction de Noirs desseins, l’auteur explique qu’il s’est inspiré de faits réels pour la première partie de son récit, et pour le personnage de Si Bémol qui est évoqué dans la dernière partie.


À Rome, en fin de soirée, marchant dans la rue, un député déclare à Silvio et son épouse Valeria, que ce fut une belle soirée, et que pourtant il est temps de rentrer dormir, car ils prennent l’avion tôt le lendemain matin très tôt. Ils leur rappellent qu’ils les attendent chez eux à la Barbade, sans faute. Le sénateur suggère à Silvio de ne pas le prendre mal, car il est impatient de la voir elle, Valeria, pas lui. Tout le monde rit de bon cœur au bon mot. Il ajoute que Silvio fait du bon boulot, qu’il a parlé de lui au président et de la façon dont vont les choses. Ils prennent congés, et ils s’en vont de leur côté. Silvio et Valeria rejoignent leur propre berline et y prennent place. Elle est ravie à l’idée de se rendre à la Barbade. Son époux se montre moins enthousiaste : ils ne sont pas riches comme le député et son épouse, ils ont des soucis. Elle rétorque qu’elle pas envie de l’écouter. Il lui demande d’être raisonnable : tout n’est pas rose en ce moment, il a quelques problèmes. Elle lui rappelle qu’il avait promis à son père qu’en l’épousant il veillerait sur elle. Ils avaient un accord. Il explique que ce sont des difficultés passagères, il va se refaire, elle a bien entendu ce qu’a dit le député. Elle lui fait observer que le député pourvoie aux besoins de son épouse, lui.



Silvio parvient à amadouer son épouse, et elle accepte de l’embrasser. Il s’enhardit et lui demande de baisser sa culotte. Elle lui fait observer qu’il ne pense qu’à ça, et qu’il ne le mérite pas car il l’a fâchée. Il promet de l’emmener à la Barbade et il finit par la convaincre. Elle baisse sa culotte, soulève sa jupe et ouvre les jambes. Il continue de l’embrasser et il la caresse intimement. Elle apprécie le plaisir que ça lui procure, et elle finit par lui demander de rentrer à la maison : certaines choses ne se font que là-bas. Il obtempère de bonne grâce. Le lendemain il se rend chez son usurier. Celui-ci lui refuse un prêt supplémentaire : il lui rappelle que Silvio savait pertinemment quels étaient les intérêts à rembourser pour son prêt. Si Silvio les avait payés plus vite, il ne serait pas dans la panade. L’usurier enfonce le clou : parce que là, oui, Silvio y est jusqu’au cou. Ce dernier lui rétorque qu’il pourrait aller trouver la police. L’usurier répond calmement que Silvio vient de faire une erreur, il n’aurait pas dû dire ça, cela va lui coûter très cher. Silvio argue du fait qu’il sera candidat aux prochaines élections et qu’il ne peut se permettre un scandale. L’usurier lui suggère de lui fournir une preuve. Silvio appelle son épouse pour qu’elle lui amène la lettre du député S.G.


Milo Manara est l’un des auteurs de bande dessinée italien les plus célèbres, en particulier dans le registre érotique, avec la série Le Déclic (4 tomes, 1984, 1991, 1994, 2001) et des collaborations avec Federico Fellini (1920-1993), Hugo Pratt (1927-1995), Neil Gaiman, Chris Claremont. En particulier, il a séduit des générations de lecteurs avec ses jeunes femmes graciles, souples, élégantes, sensuelles. Le lecteur entame donc cette histoire avec cet a priori en tête. Dès la quatrième page, la belle épouse enlève sa culotte et le lecteur peut voir sa délicate toison, ainsi que la passion qui anime son époux. Par la suite, il peut admirer son corps : son élégance dans un tailleur tout simple d’apparence, certainement d’un coût très élevé. Elle marche avec des talons hauts qui mettent en valeur sa silhouette. Elle porte le pantalon avec la même prestance, une liane élancée. Elle porte les cheveux mi-longs, et ne change pas de coiffure malgré un passage chez le coiffeur. En fonction de sa tenue, elle porte un beau collier de perles, deux bracelets fins au poignet droit, ou bien pas de bijoux, une liquette en guise de chemise nuit, de grosses lunettes noires pour cacher sa détresse. Elle ne semble pas maquillée : sa beauté naturelle rayonne et se suffit à elle-même. Le lecteur se retrouve sous le charme physique de cette jeune femme. Il comprend bien qu’elle soit entretenue par son époux, et qu’elle vient d’une famille aisée : elle a conscience de son rôle d’épouse d’apparat, ce qui atteste d’une certaine force de caractère.



Quand bien même la vie de Valeria et ses aspirations sont très éloignées des siennes, le lecteur éprouve une forme de respect pour elle. Lorsqu’elle subit son premier viol, il éprouve de l’empathie devant la violence atroce qui lui est faite, sa souffrance physique et psychique, et la torture mentale de savoir qu’il en ira de même le lendemain à la même heure jusqu’à ce que son époux ait remboursé ses dettes. Le lecteur ne s’attendait pas à un récit aussi atroce, peut-être uniquement parti pour un récit érotico-chic, une fantaisie avec une fibre cruelle pour les besoins du divertissement. Il assite aux tourments de Valeria, éprouvant une forme de honte à se trouver cantonné au rôle de voyeur impuissant comme l’époux. L’artiste ne se montre pas complaisant vis-à-vis de ce qu’il montre : il ne joue pas hypocritement sur les deux tableaux, de condamner tout en montrant. Le premier viol est raconté sur quatre pages : il montre la lâcheté des participants qui agissent en groupe contre une femme seule, une demi-douzaine de personnes, hommes et femmes, qui l’immobilisent sur une table, le commanditaire assis dans son fauteuil, le mari résigné à l’écart, le violeur impassible accomplissant une mission sans état d’âme. Rien n’est épargné au lecteur des viols quotidiens qui suivent pendant de nombreuses semaines, trois pages pour le second, cinq pour le troisième, trois pour celui d’après, jusqu’à passer à une bande de cases, ou même une simple case. L’érotisme potentiel est annihilé par l’usage d’une contrainte abjecte, par l’absence de plaisir du violeur, un acte mécanique indépendant de la personnalité de la victime, de ses émotions, de ses sentiments, le violeur semblant lui aussi totalement dépourvu d’émotions.


Le lecteur découvre des dessins dans un registre descriptif et réaliste. L’artiste utilise des traits de contour très fins et secs, une attention délicate portée aux visages, aux tenues vestimentaires, aux accessoires, aux coupes de cheveux y compris avec un effet décoiffé pour Silvio, ou cheveux en bataille après une agression sexuelle. Comme le veut la convention graphique dans ce genre, le visage de Valeria est plus jeune et lisse, que celui des hommes, marqué par les plis et les rides. Le langage corporel appartient également à un registre naturel, ce qui fait ressortir les gestes plus étudiés de Valeria, et ses poses parfois alanguies. Mis à part le député, le reste de la distribution semble provenir d’une couche de l’humanité moins élégante, plus commune, même Silvio dans son beau costume. Alors que les personnages donnent une impression de réalisme poussé, le lecteur s’aperçoit que l’artiste déploie des techniques variées pour les décors et les environnements : presque une toile abstraite pour donner l’impression des façades de la rue avec un éclairage nocturne, l’usage de motifs non figuratifs pour le papier peint ou pour le décor d’un fauteuil, des aplats de noir irréguliers, striés ou piquetés, des franges irrégulières pour le parement d’un fauteuil bas, des traits nouilles pour le mouvement de l’eau de la mer, des entrelacs secs et fins pour des ombres projetées, des traits obliques drus pour la pluie, etc. Les images et le récit font voyager le lecteur : une avenue animée de nuit, l’habitacle d’une berline, le grand salon un peu vieillot de l’usurier, la chambre à coucher cossue des époux, le salon de coiffure chic, une route nationale peu fréquentée, un yacht à la Barbade, une chambre d’hôtel minable, etc.



Potentiellement un peu décontenancé par rapport à ses attentes, le lecteur se laisse porter par l’intrigue, vite mal à l’aise dans sa position de voyeur, dans la souffrance physique et psychique de Valeria subissant un viol chaque jour à dix-huit heures, sans échappatoire possible quoi qu’elle fasse. Elle s’en fait la remarque : Elle faisait maintenant partie d’un autre monde, celui des perdants, celui des victimes. Et malgré tout, elle conserve sa santé mentale, assez de volonté de vivre pour tenir le coup. Il se rend compte que Silvio n’apparaît plus après la vingt-huitième planche. L’enjeu du récit semble être de savoir si Valeria pourra trouver une issue à cette torture quotidienne. De fait, le scénariste amène son intrigue à une conclusion claire et nette, tranchée même. Il intègre d’autres éléments. Deux retournements de situation sous la forme de deux révélations : il apparaît ainsi qu’il s’agit bien d’un récit de genre, entre policier et thriller. Il met également en scène cette femme surnommée Si Bémol, du nom de la corde dont elle se sert pour émasculer des prisonniers bosniaques, une séquence éprouvante même si elle n’est pas graphique. Par ailleurs, le député réapparaît dans une scène et il exprime son opinion sur la politique : tranquillement installé sur le pont de yacht à la Barbade, il déclare à son interlocutrice qu’il est juste que les meilleurs commandent les masses, voilà le vrai darwinisme. Plus loin, il insiste : quand on n’est pas assez fort, on ne fait pas de la politique, seuls les forts peuvent commander les masses. Du point de vue de l’intrigue, le lecteur peut estimer que certaines situations manquent de plausibilité, et il se souvient qu’il est dans un récit de genre, pas dans un reportage. Il prend un peu de recul pour identifier les forts du récit, ceux qui commandent. Silvio a voulu intégrer le cercle des forts et il a échoué, le darwinisme a tranché : il ne fait pas partie des meilleurs. Le lecteur considère alors ceux qui survivent et qui commandent. Il en déduit que les différentes révélations n’affecteront pas la position sociale du député, un individu véritablement fort, et en même temps abject. Il réfléchit alors à la position de Valeria : indubitablement forte pour avoir survécu à une telle série d’épreuves innommables, toutefois elle ne commande à personne. La morale de l’histoire apparaît dans toute son ambiguïté, bien noire, et bien révélatrice d’une façon dont marche le monde.


C’est parti pour un divertissement de type érotico-chic avec une touche de cruauté… Que nenni ! C’est une plongée dans un récit très noir, mettant le lecteur dans une position de voyeur impuissant. La narration visuelle atteint le niveau d’élégance et de grâce propre à Manara. L’intrigue se montre cruelle et sadique, impitoyable et terrifiante. Traumatisant.



lundi 21 avril 2025

Carla

Écraser son prochain pour exister ! Et c’est pareil à tous les niveaux, ici, comme ailleurs !


Ce tome contient six histoires mettant en scène Carla une conductrice de taxi. Son édition originale date de 1993. Il a bénéficié d’une réédition soignée en 2024. Il a été réalisé par Jacques Lob (1932-1990) pour le scénario, et par Edmond Baudoin pour les dessins, et les couleurs de la deuxième histoire. Il compte soixante-quatorze pages de bande dessinée, plus deux pour l’introduction. Celle-ci a été réalisée par Baudoin seul, après le décès du scénariste : il parle du cancer du défunt, et d’avoir écrit le dernier scénario après, avec une touche de prétention puisque Carla tue la mort.


C’est à l’heure où l’ombre chasse la grisaille pour servir d’écrin aux lumières de la ville… Carla tourne la clé de contact. La Mercedes démarre en douceur et pénètre dans la nuit. À l’horizon, le soleil disparait, noyé dans l’horizon… Dans la rue, Gil hèle son taxi. Vingt heures quarante-cinq, à l’angle de l’avenue Philip-Robin et du boulevard Ghilmetti. Carla arrête sa Mercedes et le prend en charge. Il lui demande de le conduire à l’aéroport, et il ajoute qu’il est très pressé. Après quelques minutes, il demande à la conductrice si elle ne pourrait pas aller un peu plus vite, il est vraiment très pressé. Elle lui demande à quelle heure est son avion : il répond qu’il faut absolument qu’il soit là-bas avant la demie ! Une fois sur place, elle souhaite savoir où elle doit le déposer : il explique que c’est la Tansaerial, de le laisser au départ. À 21h27, elle le dépose, il lui tend plusieurs billets et s’en va en courant sans récupérer sa monnaie, il n’en a pas le temps. Il arrive à la porte d’embarquement, mais trop tard, il voit l’avion de sa bien-aimée Trilby s’envoler. Il retourne à son point de dépose, complètement démuni, et Carla lui propose de le ramener, sa monnaie servira à payer la course. Elle constate qu’il a dû arriver trop tard, et après quelques banalités, il lui raconte son histoire.



C’est un samedi soir à l’atmosphère bruyante et survoltée dans la grande ville. Un aveugle s’engage pour traverser une grande avenue à une heure de pointe, se faisant klaxonner de toute part. Les conducteurs se mettent à l’insulter. Il se retrouve vite au milieu du carrefour, cerné de voitures aux conducteurs énervés. Une femme arrive et s’interpose : Maggie hèle le taxi de Carla, y prend place avec Gil, en grillant la politesse à un client qui s’apprêtait à y monter. Elle donne l’adresse : 23 rue des Robiaux, c’est dans la zone Est, près de la Tour brûlée. Le couple se dispute sur la banquette arrière : Alex estime qu’il n’aurait pas écouter Maggie car il ne voulait pas sortir, et elle lui reproche de vouloir se remettre à vivre comme avant. Carla pense à la Tour brûlée : elle devait être l’un des édifices les plus prestigieux de la ville. Mais certains durent y voir un symbole trop voyant du capitalisme triomphant. Un gigantesque incendie d’origine criminelle mit fin en une nuit à ce rêve de pierre et de métal. La tour n’est plus maintenant qu’un immense squelette noirci dominant la ville. Sa désolation sert de repaire, dit-on, à des individus peu fréquentables.


Comme l’indique la préface, ce recueil regroupe des histoires parmi les dernières de Jacques Lob qui avait déjà travaillé avec Georges Pichard pour Blanche Épiphanie, avec Philippe Druillet pour Lone Sloane, avec Jijé pour Jerry Spring, avec Gotlib et Jean Solé pour Superdupont, avec Jean-Marc Rochette pour Transperceneige, et d’autres, sa carrière de scénariste ayant débuté en 1963. La carrière du dessinateur s’avère plus récente, ayant commencé au début des années 1980. Le lecteur commence par découvrir l’introduction : une forme de narration très libre tirant vers le texte agrémenté d’illustrations, avec également des personnages parlant dans des phylactères. Puis arrivent les histoires : une narration visuelle en noir & blanc, avec des cases sagement alignées en bande. Les traits et les ombrages sont épais, établissant une atmosphère nocturne. Les dessins se situent dans un registre descriptif, avec une approche réaliste, souvent teintée d’expressionnisme, avec quelques touches d’impressionnisme à d’autres moments. De son côté, le scénariste concocte des histoires sur une même trame : Carla prend en charge une ou deux personnes dans son taxi. Ils communiquent ensemble et elle fait connaissance d’une partie de sa vie, se retrouvant impliquée émotionnellement dans les enjeux du moment de son passager. À chaque fois, elle découvre un pan de son passé, plus ou moins éloigné. Chaque récit se conclut sur une fin en bonne et due forme, parfois teintée de justice poétique.



Orienté par l’introduction de Baudoin, le lecteur commence à chercher des signes de la présence de la mort dans chaque histoire. L’amoureux qui essaye de rallier l’aéroport avant que sa compagne ne reparte pour les États-Unis : la mort y est bien présente. Alex l’aveugle qui a recouvré la vue : la mort est prête à entrer en scène. Un gugusse à l’allure inquiétante qui a pris place sur la banquette arrière : Carla craint pour sa vie et il y aura un mort et même deux au cours du récit. Le vieux monsieur avec la fillette : la mort pèse lourdement sur leur vie. L’architecte de la tour 2000 : plusieurs morts à déplorer. Le dernier récit, celui écrit par Baudoin : le passager pris en charge s’appelle la Muerte. Le lecteur risque-t-il la dépression ? Il dispose du point de vue de Carla dans chaque récit : elle fait preuve d’empathie de compassion, et de sollicitude, s’inquiétant pour un de ses passagers dont elle soupçonne qu’il a l’intention de suicider. Elle constitue le point d’ancrage du lecteur : une jeune femme, peut-être la trentaine, à la fois riche des quinze mille ou vingt mille clients qu’elle a pu charger, à la fois intriguée par chaque personne prenant place dans son taxi au cours de ces six histoires, sans être blasée, faisant montre d’une curiosité naturelle pour chaque vie, chaque drame, sans cynisme ou fatalisme. Elle se montre bienveillante, même pour le type inquiétant au visage bandé, à l’écoute de l’amoureux abandonné, rapportant la cane que l’aveugle a oublié dans son taxi, désolé pour le vieux monsieur de la tournure que prend sa relation avec la fillette, couchant avec un de ses clients. Il n’y a que dans le récit écrit par Baudoin où elle se montre impitoyable.


Le lecteur se trouve impliqué dans chaque histoire personnelle. Le scénariste utilise une forme assez écrite : une intrigue avec un début, un développement et une fin, des individus avec leur personnalité, leurs motivations. Il utilise aussi bien les dialogues, que les commentaires dans des cartouches de texte, et des monologues d’exposition. Il met systématiquement en œuvre le dispositif de prise en charge d’un client par Carla dans son taxi, avec des variations à chaque fois : un client unique, un couple amoureux, une fillette et un homme qui pourrait être son grand-père. Il use de sa liberté de conteur pour varier les situations, ainsi que les décors : ceux-ci changent quand les personnages racontent leur histoire car elle se déroule en dehors de l’habitacle, et Carla elle-même n’est pas cantonnée à son véhicule, elle peut rentrer chez elle, prendre l’air en rase campagne en revenant de l’aéroport, sortir se dégourdir les jambes sur le trottoir, monter les étages de la Tour brûlée, sortir de son véhicule au beau milieu de nulle part. en outre ces histoires bénéficient d’une narration visuelle peu commune.



Dans cette phase de sa carrière, Edmond Baudoin s’en tient encore à une forme classique de cases rectangulaires dotées d’une bordure, et alignées en bande. Il reste encore assez proche du réel pour la représentation d’éléments concrets comme les voitures ou les immeubles, respectant leurs formes, leur allure générale et leur proportion. Dans le même temps, il joue déjà avec les outils : des lignes épaisses au pinceau, ou bien des traits très fins, des aplats de noirs aux contours fluides pouvant donner la sensation que les ambiances nocturnes projettent des ombres mouvantes, jusqu’à parfois générer des motifs abstraits, jouant parfois avec des textures entre traits très secs et effets estompées. Dans la seconde histoire, il utilise la couleur pendant trois pages pour matérialiser le fait que le personnage a recouvré la vue. Il joue avec les traits du visage de Carla, les coups de pinceau pour les lèvres et pour le pourtour des yeux devenant de plus en plus épais, donnant des allures de masque tribal conceptuel au visage de la conductrice. Régulièrement, le lecteur peut détecter une influence picturale : des contrastes poussés au maximum entre les surfaces noires et les blanches comme le faisait Frank Miller dans Sin City, des ondulations en fond de case comme dans un tableau de Van Gogh, une onomatopée à base d’une longue suite ondulante de lettres U dans le noir du ciel, des visages proches du pop’art, une ou deux cases abstraites ne prenant un sens figuratif que replacées dans le contexte de la suite de cases, des motifs géométriques, des épures évoquant le minimalisme d’Alex Toth, etc. L’artiste réalise ses dessins de manière à ce qu’ils expriment l’état d’esprit de Carla ou de ses passagers, la réalité telle qu’ils la ressentent.


Jacques Lob met en scène une jeune femme exerçant un métier d’homme pour l’époque, indépendante, sans attache (il n’est jamais fait mention d’une famille ou même d’amis), à l’aise avec sa forme de solitude, satisfaite de son métier. Elle se lie facilement avec ses clients, du moins ceux qui sont mis en scène, sans crainte, sans a priori, sans ressenti négatifs d’infériorité ou de supériorité. Elle fait preuve d’une empathie constructive, conservant une distance normale, sans réduire ses interlocuteurs à un simple sujet d’étude, sans vampiriser leurs émotions, ou s’identifier à eux. Les situations dramatiques évoquent la séparation lorsque la relation amoureuse est déséquilibrée, la dépendance affective de celui qui est quitté, l’impossibilité de d’envisager un avenir commun satisfaisant et épanouissant, la peur découlant du risque d’agression physique, la culpabilité insupportable réelle ou imaginaire. Pour la cinquième histoire, il met en scène un architecte dont la réalisation professionnelle a été sabotée par des entreprises malhonnêtes : une situation intenable dans laquelle un individu doit endosser une partie de la responsabilité des malfaçons dont il n’est aucunement responsable et qui entachent son travail. Pour finir, Baudoin écrit un récit qui peut se lire comme un hommage au scénariste emporté par la maladie. Autant de thèmes adultes et sensibles.


Une collection de six nouvelles à la narration personnelle, grâce aux dessins aux traits épais et souples, montrant une ville et des individus entre environnements concrets et manifestations de leurs états d’esprit, dans un noir & blanc très organique, propice aux ressentis et à l’empathie. Le scénariste met en scène une jeune femme bien dans sa peau et dans son métier de conductrice de taxi, interagissant avec des clients en proie à une tragédie, comme un avatar bienveillant du lecteur. Touchant.