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lundi 7 avril 2025

Clifton T24 Le dernier des Clifton

Comme dit le dicton : Enterrement sans parapluie, adieu le paradis.


Ce tome contient une histoire complète, et fait suite à Clifton - Tome 23 - Just Married (2017) qu’il n’est pas indispensable d’avoir lu avant. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Zidrou (Benoit Drousie) pour le scénario, par Turk (Philippe Liégeois) pour les dessins, et par Kaël pour la mise en couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. Ce duo de créateurs avaient repris la série avec Clifton - Tome 22 - Clifton et les gauchers contrariés (2016).


N’en déplaise à certains illuminés du M.I.L.K. (Mouvement pour l’Indépendance et la Liberté du Kérundi), le Kérundi constitue, sans nul doute, l’un des joyaux de la couronne britannique. Sa capitale Guinnesstown, son plat national le zèbre bouilli à la menthe. Le lac George VI, ses deux volcans éteints, Elizabeth I et Elizabeth II… Tout atteste que ce beau pays fut, jusqu’à il y a peu, possession britannique. Preuve ultime si besoin en était, au Kérundi, on roule à gauche. Même au milieu de la savane ! Lord Dany Buffalo Cunningham Clifton, surnommé Lord Gun-Gun, conduit une grosse Jeep dans la savane, avec Marie-France à ses côtés. Cette dernière se pâme en lui disant qu’elle n’aurait jamais pensé avoir un jour le troublant privilège de partir en safari avec la plus fine gâchette de toute l’Afrique orientale. Elle demande au conducteur si Lord Gun-Gun est son véritable nom. Il répond que c’est le surnom que les indigènes kérundais lui ont un jour donné, surnom que corroborèrent moult jolies Kérundaises. Il ajoute qu’en réalité, il est issu d’une longue lignée de fidèles serviteurs de la couronne d’Angleterre : les Clifton ! il s’interrompt et s’arrête car il a aperçu au loin le dernier éléphant afro-asiatique vivant ! Comme elle peut le constater, ce pachyderme représente la particularité de posséder une oreille énorme comme les éléphants d’Afrique et une autre de taille plus réduite, comme leurs congénères d’Asie. À elle l’honneur d’être la première à abattre le dernier des Elepha Laxodonta maximus ! En contrepartie, il lui demande d’accepter de lui révéler enfin son petit nom. Elle prend le fusil, et l’abat, lui.



Comme toute cité de la bonne vieille Angleterre, Puddington n’est jamais aussi souriante que sous les pluies persistantes des mois de mai, juin, juillet, août et plus si affinités… Dans un charmant cottage, Edward Fergus Gordon Horatio Clifton est en train de prendre une douche. Soudain, alors qu’il est encore couvert de shampoing et de savon, l’eau s’arrête de couler. Il peste : un manque d’eau dans ce pays où il pleut 365 jours par an ! Excepté les années bissextiles. Il a compris : il ne lui reste plus qu’à aller se rincer sous la pluie pour… Ses réflexions sont interrompues par la sonnette. Il descend et ouvre la porte : deux individus en ciré sortent chacun un pistolet muni d’un silencieux, et ils lui tirent dessus à bout portant. Clifton s’écroule à terre, pendant alors que le tueur énonce : Et un Clifton de moins, un ! Pendant ce temps-là, Harold Wilberforce porte les paquets achetés par Miss Partridge.


Troisième album de Clifton réalisé par Turk & Zidrou : la promesse du respect de l’esprit de la série, de dessins impeccables et d’un scénario bien troussé, amusant et taquin. En effet, les auteurs jouent avec les éléments de culture britannique et différentes formes d’humour. Le Colonel Harold Wilberforce Clifton a été créé en 1959 par Raymond Macherot dans Le journal de Tintin. Il a été repris par la suite par le tandem Bob de Groot & Turk au début des années 1960, puis par Bédu & De Groot, puis par Bédu tout seul, ensuite par Azara & Greg le temps d’un album, par Rodrigue & De Groot. Ses aventures ont été publiées régulièrement depuis, avec une interruption du 1995 à 2003, et une autre de 2008 à 2016, et enfin entre 2017 et 2024.Le titre du présent album semble annoncer qu’il pourrait s’agir du dernier de la série. Le lecteur peut donc entamer l’ouvrage dans un état d’esprit ludique, à l’aguet des remarques dénotant une culture britannique : le fait de conduire à gauche (représenté dans les cases, et mentionné par Ramalino), les commentaires sur la nourriture (la Guinness, le zèbre bouilli à la menthe, etc.), les charmants cottages de Puddington, le thé Earl Grey, le fauteuil Chesterfield de Clifton, une enseigne Dinky Toys, le tablier à l’effigie de Paul McCartney, etc. Il relève également une référence au Brexit, et plusieurs constats par des personnages arrivant à la conclusion que : S’il y a bien une chose dans leur pays qui est mauvaise santé, c’est la santé publique (NHS, National Health Service).



Les auteurs reprennent d’autres constituants classiques de la série. La représentation de modèles de voitures choisis avec goût : la MG de Clifton, la Land Rover au Kérundi, le modèle réglementaire de l’ambulance, un double-decker, une Mini Cooper, la Facel Vega de Ramalino (une marque française bien sûr), un char anglais, etc. En voyant ces modèles, le lecteur se fait la réflexion qu’ils datent de quelques décennies, et pourtant Alice Pamela Partridge mentionne qu’elle a voté en faveur du Brexit. D’ailleurs, en y repensant, nul téléphone portable à l’horizon, et un vieux modèle de téléphone fixe en bakélite se trouve encore sur le bureau du notaire Teardrops. Ainsi les phylactères distillent deux ou trois références contemporaines, alors que les images montrent une époque qui correspondrait plus à celle de la création du personnage, les écrans brillant par leur absence. Les auteurs enfoncent le clou lorsque Clifton découvre un magasin particulier en s’exclamant : Un magasin de vinyles en plein XXIe siècle ?!! En outre, l’habitué note le retour de personnages intermittents de la série : le capitaine John Haig et le sergent Strawberry.


Autre ingrédient majeur de la série : l’humour. Celui se présente sous plusieurs formes. Il peut s’agir d’un humour visuel : l’éléphant afro-asiatique avec des oreilles dissymétriques, les mimiques de Clifton vexé qu’on le voit les bras chargés de paquets en train faire les courses, Miss Partridge s’exclamant que le père de Clifton s’est servi de la serviette bleue pour les mains pour se sécher le corps alors qu’elle se trouve devant son cadavre, le jingle des cigarettes Malbobo en lieu et place de la sirène de l’ambulance parce que c’est leur sponsor, le nombre de patients dans la salle d’attente des urgences (dont un avec un couteau planté dans le dos) et la mention du temps d’attente, la case dans laquelle un jeune homme s’exclame qu’il est papa alors que Clifton s’apprête à sortir de la même en venant d’apprendre que le sien est décédé, Clifton qui se rend en robe de chambre chez le notaire et Miss Partridge en tablier avec sa cocotte-minute dans les bras, etc. À une ou deux occasions, le lecteur adulte s’interroge sur une circonstance très curieuse, par exemple quand Miss Partridge allume une pipe pour Clifton, après plusieurs réflexions d’autres personnages les prenant pour un couple. Ou encore Lord Gun-Gun parlant de celui avec la grosse trompe.



Voici donc le colonel Harold Wilberforce Clifton impliqué dans une nouvelle aventure sans avoir rien demandé. Son ennemi François-Louis Ramalino, alias Napoléon XI, a trouvé par hasard un document qui pourrait lui permettre d’imposer la nationalité française au village de Puddington et à ses habitants. Un sourire de contentement apparaît sur le visage du lecteur, dès la première planche. Turk a conservé toute son savoir-faire et reste impliqué comme au premier jour dans ses dessins. En neuf cases, le lecteur a pu voir un adolescent peindre un slogan politique sur le mur blanc de l’enceinte du gouvernement (une image faisant écho à de vraies révoltes) alors que le commentaire se fait sarcastique sur l’ex-empire britannique, puis l’urbanisme moderne d’une artère de la ville, le lac de la case suivante contrastant fortement, la circulation automobile avec des informations visuelles variées (une charrette tirée par un cheval, une voiture avec un zèbre mort sur le toit – certainement pour le faire bouillir à la menthe- , une Mini avec l’Union Jack sur le toit, la conduite à gauche, et enfin une bande montrant Lord Dany Buffalo Cunningham Cifton (Lord Gun-Gun, avec son casque colonial). La narration visuelle constitue un régal dans toutes ses composantes. L’art du détail : la publicité pour la Guinness en page neuf (pour la force) et le nom du pub (The dark side of the moon), les bagues de cigare qui tombent à terre lors d’un geste brusque de Clifton vitolphiliste émérite, les médailles disposées sur le coussin posé sur le cercueil du général Clifton, la statue dédiée à Mac Herot (pour Raymond Macherot, créateur du personnage), etc. La touche humoristique sur les personnages : les gros nez bien sûr, les stéréotypes comme la moustache de Clifton, la morphologie confortable de Miss Partridge, l’usage bien dosé de la pantomime, etc. Les scènes d’action dégagent une sensation de vitesse et de soudaineté : l’assassinat à bout portant du général Clifton, les coups de volant brusques lorsque l’ambulance se fraye un passage dans une zone piétonne, la course-poursuite entre la MG et la Facel Vega (sans oublier ce maudit Français qui roule à droite par inadvertance ou intentionnellement).


Il est fort probable que le lecteur attiré par cet album le soit en toute connaissance de cause, en amateur de la série, du dessinateur ou du scénariste. Il y trouve ce qu’il vient chercher : la narration visuelle toujours roborative de Turk, un délice mariant le sens du détail, la consistance de cases, le sens mouvement, l’humour visuel aussi bien du comportement des personnages que des situations. Zidrou continue de mettre en œuvre les caractéristiques initiales de la série (chauvinisme anglais, goût des années 1960, humour bon enfant, avec quelques sous-entendus pour les adultes), pour un récit tout public, un divertissement rythmé, sans arrière-pensée.



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