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jeudi 17 avril 2025

Moderne Olympia

Le spectacle continue !


Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. C’est le premier d’une série de collaborations entre le musée d’Orsay et l’éditeur Futuropolis. Son édition originale date de 2014. Il a été réalisé par Catherine Meurisse pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend soixante-quatre pages de bande dessinée. Il se termine par la liste de cinquante œuvres des collections du musée qui ont inspiré l’autrice : il y a d’abord neuf pages qui comprennent la reproduction de douze tableaux, puis deux pages qui liste les cinquante œuvres par ordre d’apparition, avec leur créateur, leur titre la date de création, leurs dimensions et la date d’acquisition, ainsi que le numéro de page de l’album dans laquelle elles sont citées.


Roméo Montaigu vient de tuer le comte Pâris qui l’avait provoqué en duel. Les soldats arrivent et découvrent le cadavre, avec le valet de Roméo encore sur place. Ils le ramènent à leur responsable qui décide d’attendre l’arrivée du roi. Celui-ci ne tarde pas et demande qu’on lui explique l’épouvante qui fait tressaillir ses oreilles. Après avoir entendu ce qui s’est passé, la reine fait le constat du fléau par lequel le ciel châtie la haine, pour tuer leurs joies, il se sert de l’amour. Le roi se désole d’avoir fermé les yeux sur leurs discordes, il a perdu deux parents. Roméo et Juliette, pauvres victimes de leurs inimitiés. Cette matinée apporte avec elle une paix sinistre. Le soleil se voile la face de douleur. Jamais ouverture n’aura été plus douloureuses que celle de Juliette et de son Roméo. Le film se termine, et les crédits défilent sur l’écran, avec Vénus dans le rôle de Juliette, Paolo Malatesta dans le rôle de Roméo, etc. Olympia et le petit joueur de fifre se lèvent : il remarque que c’est la cinquième fois qu’ils voient cette toile, et qu’elle pleure encore. Elle répond que cette histoire lui brise le cœur, elle adorerait être Juliette, elle pense qu’elle a les qualités pour jouer les grandes amoureuses. Le fifre lui demande si Juliette avait de l’eczéma aux fesses ; Olympia peste qu’elle s’est encore assise sur du pop-corn.



De retour chez elle, Olympia déclame des répliques de Juliette à sa servante en présence du fifre. La servante lui conseille de frapper ses consonnes et d’attaquer chacune de ses répliques. Elle continue : Si Olympia continue à déclamer en yaourt, sa carrière est finie avant d’avoir commencé. Cela fait penser le fifre à une blague : un Noir qui passe devant une pharmacie et qui lit sur la vitrine Oméopathie. Alors il se dit : Pauv’ Juliette. Olympia lui renverse un pot de fleurs sur la tête. Puis elle se demande à quoi bon articuler : son prochain rôle est muet, elle joue une esclave dans le Cheikh, une grosse production orientaliste, Chassériau à la mise en scène, Regnault aux décors, Dehodencq aux costumes. Elle a une scène clé : elle sort des cuisines du palais un couscous royal dans les bras, le cheikh la voit, la viole, la jette en pâture à ses éléphants qui, excités par l’odeur de la semoule, la… Lors de la prise de vue, elle glisse sur un pois chiche et il s’en suit une cavalcade hors de contrôle.


Le musée d’Orsay décide de s’associer avec l’éditeur Futuropolis pour produire plusieurs bandes dessinées ayant pour thème aussi bien cette institution que ses collections. Catherine Meurisse choisit une construction originale : elle met en scène une des femmes représentées sur les toiles du musée, Olympia (1866) peint par Édouard Manet (1834-1917). Ainsi elle raconte une histoire avec un personnage central fictif, une forme très différente d’une visite du musée, d’un passage en revue d’une collection d’œuvres choisies, ou d’une mise en valeur de son architecture. La mise en scène s’effectue dans un dispositif pouvant surprendre : Olympia évolue comme sortie de la toile du même nom, dans le plus simple appareil, si ce n’est un nœud dans les cheveux et un ruban autour du cou, sans que Victorine Meurent (1844-1927, peintre), qui a servi de modèle, ne soit citée, ni Laure qui a posé pour la servante. De temps à autre, elle se retrouve à devoir se vêtir pour poser dans une autre toile. Elle fut effectivement le modèle pour le Déjeuner sur l’herbe (1863) de Manet. Ainsi quelques personnages de toiles célèbres (dont Vénus) se rendent à des prises de vue de type cinéma pour poser dans la réalisation d’un tableau célèbre. Avec ses dessins descriptifs aux formes déliées et humoristiques, l’artiste rend ainsi hommage à cinquante œuvres en les évoquant, sans chercher à les reproduire, parfois dans la mise en scène, parfois par une allusion comme le test de l’asperge (peinture à l’huile de 1880, de Manet) pour vérifier la fermeté de la poitrine d’Olympia.



En fonction de sa familiarité avec le musée d’Orsay et ses collections, le lecteur identifie plus ou moins facilement les œuvres. Selon les pages, l’artiste en intègre un nombre variable. Par exemple, il n’y en a pas dans les pages treize à quinze, et il y en a six dans la page seize : Vénus à Paphos (1852) par Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867), L’assaut (1898) par William Bouguereau (1825-1905), La source (1856) par Jean Auguste Dominique Ingres, La jeunesse et l’amour (1877) par William Bouguereau, La chaste Suzanne (1864) par Jean-Jacques Heiner (1829-1905), Naissance de Vénus (1879) par William Bouguereau. Le lecteur a également bien compris que la première séquence correspond à une adaptation plus ou moins fidèles (en fonction des répliques) de la pièce de théâtre Roméo et Juliette (1597) de William Shakespeare (1564-1616). De la même manière, il reconnaît un spectacle de french-cancan dans les pages treize à quinze, une première allusion au film West Side Story (1961), réalisé par Jerome Robbins (1918-1998) et Robert Wise (1914-2005) en page vingt-neuf (reprise pour la couverture) et une scène tirée du même film dans les pages trente-cinq à trente-sept. La dessinatrice reste dans le même registre graphique, avec ces personnages un peu caoutchouteux, aux expressions exagérées, aux silhouettes dessinées de façon comique, avec une direction d’acteurs empruntant régulièrement à la pantomime et au burlesque. De temps à autre, le lecteur relève également une référence supplémentaire à l’occasion d’un dialogue, par exemple quand Olympia évoque Alfred Dehodencq (1822-1882), un peintre et dessinateur français, ou quand des figurantes se mettent à chanter qu’il faut coucher pour réussir dans ce métier, en particulier pour figurer en couverture du magazine Télérama.


La narration visuelle étant alerte et vive, pleine d’humour, le lecteur prend plaisir au récit pour le divertissement qu’il constitue. Il suit donc cette Olympia moderne, cantonnée aux seconds rôles, en bute à la jalousie de Vénus, modèle établie posant pour des tableaux de style classique ou relevant de la peinture dite classique. Il la voit tomber amoureuse de Romain, un second rôle ou même un figurant dans le tableau La chute de Rome n’aura pas lieu. – Romains de la décadence (1847) par Thomas Couture (1815-1879). La narration s’avère d’autant plus agréable que l’artiste raconte des événements spectaculaires régulièrement : un parachutage depuis un avion pour créer Les Oréades (1902) de William Bouguereau, l’arrivée de Napoléon à la tête de son armée pour mettre fin à une rixe urbaine, romain en train d’interpréter le célèbre numéro de danse de Singin’ in the rain (1952), film musical de Stanley Donen (1924-2019) et Gene Kelly (1912-1996), ou encore une traversée de jungle devant autant à celle de La charmeuse de serpents (1907) du Douanier Rousseau (1844-1910) qu’à l’étang des Nymphéas (1914-26) de Claude Monet (1840-1926). Il arrive ainsi au terme de l’ouvrage et l’intrigue, le sourire aux lèvres, découvrant que Olympia n’était que doublure cuisses pour L‘origine du monde (1866) de Gustave Courbet (1819-1877).



Dans le même temps, le lecteur sent bien qu’il se joue autre chose qu’une simple série de péripéties pour que Olympia parvienne à décrocher des emplois pour une prise de vue. Le tableau de Manet est exposé au Salon (Salon de peinture et de sculpture) de 1865, qui a lieu à Paris. Ce Salon avait vocation d’exposer les œuvres des artistes agréés par l'Académie des beaux-arts, c’est-à-dire des œuvres ou des artistes revêtant un caractère officiel. Le thème du tableau ne correspond pas aux critères officiels. Dans ses propos, Olympia évoque également le Salon des refusés, c’est-à-dire une exposition des œuvres non admises qui se tient dans un autre lieu, où le même Manet avec exposé son Déjeuner sur l’herbe en 1863. Une décennie plus tard, les Impressionnistes organiseront leur propre salon en 1874, faisant également partie des Refusés. Avec ces événements en tête, le lecteur comprend que l’autrice met également en scène cette opposition entre les deux classes d’artistes, les Officiels et les Refusés. L’histoire d’amour entre Olympia (une Refusée) et Romain (un Officiel) s’apparente alors à un amour tragique entre deux personnes issues de deux groupes sociaux en conflit, comme pour les Capulets (Juliette) et les Montaigu (Roméo). Fort heureusement, l’issue de ce récit s’avère moins tragique, puisque c’est l’avènement d’une nouvelle technologie qui oblige les uns et les autres à s’adapter.


Pour rendre hommage au musée d’Orsay et à ses collections, l’autrice a imaginé une forme originale, reposant sur le fait que chaque œuvre fait l’objet d’une mise en scène cinématographique nécessitant la participation d’acteurs et d’actrices établis, et de figurants non-conformistes. Dans un registre graphique humoristique et plein de vie, elle raconte les errances d’Olympia, appartenant à la classe des Refusés, et rejetée par Vénus (celle de La naissance de Vénus – 1863 – de Alexandre Cabanel - 1823 - 1889) et ses trois petits angelots. Il s’en suit une évocation pleine de vie des œuvres majeures du musée, et une mise en scène de la confrontation entre Officiels et Refusés. Belle vulgarisation.



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