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mercredi 19 mars 2025

Borgia T04 Tout est vanité

César revint à Rome. Il y entra triomphant tel un empereur.


Ce tome est le troisième d’une tétralogie qui a été rééditée en intégrale. Il fait suite à Borgia - Tome 02 Le pouvoir et l’inceste (2006) qu’il faut avoir lu avant. Son édition originale date de 2008. Il a été réalisé par Alejandro Jodorowsky pour le scénario, et par Milo Manara pour les dessins et les couleurs. Il compte quarante-six pages de bande dessinée. Cette tétralogie a été suivie d’une seconde : Le pape terrible (4 tomes de 2009 à 2019), par Jodorowsky & Theo Caneschi.


Un mois plus tard, à Pesaro, dans le palais des Sforza, un vrai château fortifié, Giovanni, le maître de céans, en train de conter fleurette à Mauro, interpelle son épouse Lucrèce en lui demandant qui lui a mis ce têtard dans la panse ? Son frère ou son père ? Elle lui répond en l’insultant, le traite de stupide ivrogne. Elle continue méchamment : à chaque fois qu’il est avec ses étalons, son époux fait le malin et il lui manque de respect. Il oublie qu’elle est une Borgia : elle exige des excuses. Giovanni s’excuse et demande plus de vin. Lucrèce demande à Pentasilea de le servir. Il fait boire sa coupe à son amant Dino et celui-ci s’étrangle et meurt sur le champ. Giovanni prend un stylet et se jette sur Lucrèce. Pentasilea s’interpose et fait tomber le stylet du plat de la lame, tout en assommant Mauro. Lucrèce s’approche de son mari à terre et lui urine dessus en le traitant de porc immonde, et en lui indiquant que s’il lui manque encore une fois de respect, elle ordonnera à Pentasilea de l’égorger ainsi que son amant. Giovanni s’excuse à nouveau. Plus tard, il profite de la nuit pour s’enfuir à cheval avec Mauro dans son dos, pour aller chercher refuge au château de son oncle, là où elle ne le retrouvera jamais.



Pendant ce temps, l’expédition de Charles VIII touche à sa fin. Il entre dans Naples, à la tête de son armée. Messer Agrippa, son conseiller astrologue, le flatte en lui disant qu’avec Mars en Balance, les astres annonçaient que Naples se rendrait sans résistance. Le roi français fait le constat de son triomphe, et il ajoute qu’il veut visiter la ville entièrement, puis monter sur le Vésuve, accompagné par Agrippa et par la plus belle prostituée. C’est ce qu’il fait dès le lendemain, progressant à cheval sur les pentes du volcan, dont se dégagent des fumerolles en continu. Arrivé en haut, il contemple la baie de Naples, avec Capri et Ischia à l’horizon. Il clame qu’il est à l’apogée de sa puissance, tout cela est à lui. À lui qui est si laid, toute cette belle contrée est soumise. Il relève la robe de la prostituée et la prend par derrière. L’activité du volcan va en croissant, avec des jets et des coulées de lave. La femme crie au roi d’arrêter de la pénétrer, ils doivent fuir, le volcan va entrer en éruption. À contre cœur, Charles VIII interrompt sa besogne et se met à courir pour échapper aux coulées de lave. Il n'est pas assez rapide, la dame non plus, et seul Messer Agrippa parvient à en réchapper. À Florence dans sa résidence, Nicolas Machiavel va trouver César Borgia allongé nu sur son lit.


Toujours plus dans l’outrance, la perversion et la violence : tel est l’horizon d’attente du lecteur, telle est la promesse des auteurs. Alors oui, ils en donnent au lecteur pour son argent, en commençant par un empoisonnement de but en blanc, puis un acte d’ondinisme, deux morts incinérés par la lave. Par la suite, le lecteur se trouve confronté à une main tranchée, un nouveau-né à deux têtes, des scènes de carnage avec des machines de guerre horrifiantes, sans oublier un homme allongé sur une planche à clou (dix bons centimètres chacun) transpercé sous l’effet du poids de l’homme allongé sur lui, en train de le pénétrer (Ha, oui, quand même). Toutefois, cette surenchère apparaît comme limitée, ou relative, comparée au choc des tomes précédents. D’un autre côté, le dessinateur n’épargne pas grand-chose en termes graphiques au lecteur, que ce soit l’urine ou les têtes tranchées par la machine de guerre, ou encore le regard de dément du pape alors qu’il appuie de tout son poids sur Savonarole pour s’assurer que son corps s’enfonce sur les clous. La composante historique reste au cœur du récit, mais… Même le lecteur le plus candide s’interroge sur les circonstances de la mort de Charles VIII dans l’éruption du Vésuve… Quand même… Voilà une situation bien romanesque, bien spectaculaire, sans même parler de la prostituée. Un peu de mémoire ou un tour rapide sur une encyclopédie permet de rétablir les faits : Charles VIII est décédé le 7 avril 1498 au château d’Amboise, soit trois ans après son entrée à Naples.



En effet pour cette conclusion, le scénariste s’affranchit des faits historiques : Lucrèce Borgia décède seize ans après la mort du pape Alexandre VI (alors qu’ici c’est la même année), Della Rovere n’a pas empoisonné Rodrigo Borgia. Et les machines de guerre de Léonard de Vinci restèrent à l’état de dessin, sans être construites. Ce qui n’empêche pas Manara de leur donner forme. L’artiste commence par reprendre les illustrations bien connues réalisées par l’inventeur : un char multi-lames, un tank carapaçonné, des ailes mécaniques pour voler. Dans les deux pages suivantes, le lecteur assiste à leur mise en œuvre dans l’attaque et la prise d’un château fort. Tout d’abord trois cases de la largeur de la page avec des dessins d’une facture minutieuse, rehaussés par une mise en couleur rendant compte de la froideur de la pierre, du feu craché par les immenses canons, de la fumée, des soldats anonymes se lançant à l’assaut de remparts : les forces de destruction à l’état pur, dans toute leur puissance aveugle, rendant les êtres humains dérisoires. Puis, César Borgia dans une de ses armures rutilantes, avec une cape rouge vif, donnant cet ordre incroyable : Que l’on envoie les oiseaux ! Page suivante, le lecteur reste bouche bée devant une case occupant les deux tiers de la page : des hommes s’affrontant, mourant, le ciel envahi par la fumée prenant des couleurs rougeoyantes évoquant les incendies qui font rage, et dans le ciel ces drôles d’oiseaux, semant la mort venue du ciel. Une vision cauchemardesque. Puis deux cases dans la bande inférieure : une étroite dans laquelle César lance un nouvel ordre d’amener le char suprême. La seconde case occupant les trois quarts de la bande : des lames tournoyantes sectionnant les corps, les mutilant de manière mécanique, sans pitié ni sentiment, avec des gerbes de sang. Une horreur.


Le lecteur comprend donc que, fidèle à lui-même, Jodorowsky écrit un récit habité par un thème fort, ce qui induit la souffrance des personnages, tout en menant son histoire à son terme. Les principaux Borgia (Rodrigo, César et Lucrèce) restent en lice et leur destin arrive à sa conclusion, réécrite par le scénariste. Conformément aux événements des tomes précédents, les Borgia continuent dans le projet du patriarche d’établir une dynastie omnipotente, et à jouir sans entrave. Ils sont devenus des monstres aux yeux du lecteurs, dépourvus de toute empathie, laissant libre cours à leurs passions. D’une certaine manière, Manara dépeint des environnements à la hauteur de cette démesure. La première case de la première planche occupe les deux tiers de la page. Une vue magnifique du château des Sforza : un ciel de début de soirée, une eau tumultueuse au premier plan, des arbres vigoureux, splendide. Puis la case en dessous, de largeur de la page permet d’apprécier la richesse d’une pièce intérieure, son manteau de cheminée richement ouvragé, une balustrade sophistiquée en pierre, des moucharabiés, un tabouret aux pieds bien dessinés, une belle robe pour Lucrèce et pour la joueuse de luth. Tout du long, le lecteur va ainsi ralentir son rythme pour mieux savourer de magnifiques dessins : Giovanni Sforza sur son cheval pour cette cavalcade nocturne dans une plaine, l’arrivée du roi à la tête de son armée à Naples, les coulées de lave sur les pentes du Vésuve, la résidence de Machiavel à Florence, un arc romain au-dessus d’une route, les bâtiments et les ponts le long du Tibre, le pape couché sur les marches de marbre devant l’autel sur lequel repose son fils, la robe de cardinal que se disputent des femmes sur la voie publique, la superbe forteresse Saint-Ange à Rome, les riches armures de César Borgia, Micheletto sur son cheval avançant lentement dans une voie pavé de Polistena dans la région de Calabre, le cadavre de Savonarole pendu à plusieurs mètres au-dessus d’un véritable brasier, les magnifiques tenues papales, etc. Un régal visuel à la fois fastueux et morbide, spectaculaire et malsain, l’artiste jouant discrètement sur les dimensions, les mises en scène et les couleurs.



Les Borgia survivants en sont arrivés au stade de la maxime de John Emerich Edward Dalberg-Acton (1834-1902) : Le pouvoir absolu corrompt absolument. L’expression de leur volonté de puissance s’est toujours exprimée de façon destructrice, et la justice immanente (de Dieu ?) s’abat sur eux avec de façon d’autant plus définitive et humiliante. Tout ce qui monte doit redescendre, et plus on est monté haut, plus dure sera la chute. La cruauté du scénariste s’exprime d’une manière différente : le temps des actes sexuels pervers est révolu, seule reste la violence physique et la cruauté mentale, le sadisme et la méchanceté pure. Le lecteur peut ressortir un peu décontenancé de ce dernier tome : le scénariste se montre étonnamment moral dans sa conclusion, les Borgia finissant punis de manière définitive.


Une fin à la démesure de la série. Le scénariste se lâche, les faits historiques se plient à la force des passions, sont réécrits par la seule volonté des personnages. La narration visuelle est habitée par la force des émotions, avec une élégance rare, des compositions et des dessins descriptifs et minutieux, magnifiés par un expressionnisme sous-jacent, transmettant la folie des personnages. Traumatisant.



3 commentaires:

  1. J'attendais que tu finisses la saga !
    À priori, Jodorowski se positionne ici dans le versant trash de son oeuvre, qu'il avait commencé avec JUAN SOLO. Tu l'as lu ?
    J'imagine que tu vas sûrement tester aussi LE PAPE TERRIBLE ? Apparemment c'est du même accabit.
    Jodo avait annoncé au départ une "trilogie papale". Mais bon, à 96 ans, je pense que la troisième série ne verra pas le jour. Je me souviens déjà que LE PAPE TERRIBLE avait mis un temps interminable pour arriver au 4° tome.

    C'est l'un de mes scénaristes préférés. Mais j'ai appris une chose avec lui : Il n'est jamais meilleur que lorsqu'il a la possibilité d'étirer ses séries sur au moins 6 tomes. Quand on le force à n'en faire que la moitié, il précipite forcément le dénouement et la conclusion. Et c'est du coup assez décevant. Par exemple, les deux première sagas de L'INCAL (L'INCAL et AVANT L'INCAL) sont toutes-deux excellentes et comptent six tomes chacune. Mais la dernière (FINAL INCAL) est très décevante avec son dénouement bâclé et ne compte que trois tomes.
    Du coup je me demande ce que vaut une série en 4 tomes comme BORGIA et LE PAPE TERRIBLE. Tu sembles quand même un poil déçu par cette conclusion rapide.

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    1. Bonjour Tornado,

      Je confirme : c'est bien trash !

      Je vais effectivement enchaîner avec Le pape terrible d'ici quelques jours. En me renseignant, j'avais vu cette information sur l'intention d'une trilogie : je me range à ton pronostic sur le fait que la dernière partie ne verra jamais le jour (en particulier au vu de ce que Bruce a dit sur sa santé).

      Séries en 6 tomes : mon attente est un peu faussée dans la mesure où quand je commence ma lecture, je sais déjà qu'il s'agit d'une histoire en 4 tomes, du coup je n'en attends pas plus. Je sais par avance que l'histoire se conclut dans ce tome et mon ressenti s'en trouve impacté. Je conclus par : Une fin à la démesure de la série.

      D'un point de vue plus narratif : Jodorowsky et Manara ne retiennent rien en termes de luxures et de perversion dès le premier tome. Ils ne se gardent aucune réserve pour augmenter progressivement en intensité. Il semble que la fin offre une bonne cohérence avec ce parti pris, c'est ce que j'ai essayé de dire avec : le temps des actes sexuels pervers est révolu, seule reste la violence physique et la cruauté mentale, le sadisme et la méchanceté pure.

      Mes choix après Le pape terrible : je vais me tenir à l'écart de L'Incal et de ses séries dérivées pour l'instant (j'avais lu L'Incal, et j'avais adoré La caste des Méta-Barons) au profit d'autres œuvres, certainement Juan Solo dans un avenir indéterminé.

      Sur le site se trouve également un commentaire pour Pietrolino, avec Olivier Boiscommun :

      https://les-bd-de-presence.blogspot.com/2021/07/pietrolino-integrale.html

      Sur chacun des 6 tomes du Lama blanc, et des 3 tomes de La légende du lama blanc, avec Georges Bess :

      https://les-bd-de-presence.blogspot.com/search?q=lama+blanc

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    2. Oui j'ai lu tes commentaires sur le LAMA BLANC il y a un moment maintenant. PIETROLINO je ne crois pas.

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