Faire rire les gens, c’est le plus beau des métiers !
Ce tome fait suite à Léonard - Tome 54 - Debout, génie ! (2023), qu’il n’est pas indispensable d’avoir lu avant, mais ce serait idiot de se priver. Sa première édition date de 2024. Les gags ont été écrits par Zidrou (Benoit Drousie), dessinés et encrés par Turk (Philippe Liégeois) et mis en couleurs par Kaël. Il contient quatorze gags d'une à six pages, et douze pages pour l’histoire donnant son titre à l’album. Il s’ouvre avec une présentation des principaux personnages : Léonard le génie, Basile le disciple, Raoul Chatigré, Bernadette, Yorick, Mathurine, en commençant par la petite dernière Mozzarella.
Pigeon vole ! Un groupe de parole se tient dans la magnifique résidence des Addicts Anonymes. Un rat de laboratoire en train de fumer quatre cigarettes à la fois explique qu’il ne peut plus voir un labyrinthe, pas même en gravure. C’est au tour du monstre de Frankenstein de prendre la parole : il explique qu’il a toujours donné le meilleur de lui-même, mais là, il ne sait pas pourquoi, il a perdu la petite étincelle, la flamme sacrée. Le singe s’exprime à son tour : jusqu’ici, il acceptait toutes leurs fichues expérimentations sans faire de grimace, cependant ces derniers mois, un doute horrible s’est immiscé en lui… Il se demande si en définitive toutes ces expérimentations animales étaient dégradantes pour l’être humain. L’animatrice donne la parole à monsieur Landouye. Basile confesse qu’avant il servait la science et c’était sa joie. Il se faisait tirer du lit dès potron-minet. Il n’irait pas jusqu’à dire avec plaisir, mais avec rivée en lui la conviction d’être utile. Il prenait les décharges de tromblon en pleine poire avec stoïcisme. Pour ne pas dire avec ferveur. Même chose pour les coups d’enclume ou de marteau sur le crâne : il encaissait avec le sourire, édenté mais avec le sourire tout de même. Chaque fracture ouverte, chaque brûlure au troisième degré, chaque commotion cérébrale, était une brique – modeste, certes ! – qu’il apportait au service de la science. Las ! Ces derniers temps ce n’est plus pareil : son corps encaisse mais le cœur n’y est plus ! Or, si ce n’est plus sa joie, à quoi bon encore servir la science ? L’animatrice leur propose de passer dans la pièce d’à côté où ils découvrent un mannequin sommaire vêtu d’une longue robe violette, d’une fausse barbe blanche et d’un galurin rond.
Au poil. Léonard entre en courant dans la grande pièce où Basile se repose, la tête appuyée sur le manche à balai. Le génie lui montre sa barbe, très fier, en expliquant qu’il l’a mis au point. Le disciple commence par prendre la mouche en s’assurant que ce n’est pas pour lui décocher un coup de n’importe-quoi-pourvu-que-ce-soit-contondant dans la tronche, au moins. Raoul Chatigré brise le quatrième mur et conseille au lecteur pour bien comprendre la crainte, ô combien justifiée de Basile, de lire les cinquante-quatre premiers albums. Léonard le rassure : absolument pas, croix de bois, croix de fer, s’il ment, il va en enfer. Comme le disciple ne discerne rien dans la barbe de son maître, ce dernier en tire une loupe. Basile s’exclame : Là, il voit un poil blond !
Toujours un énorme plaisir de retrouver ces personnages haut en couleurs, leur expressivité, le soin apporté aux environnements, et l’humour chaleureux. Le lecteur commence par remarquer que le format diffère un peu du tome précédent, avec un tiers d’histoires en moins (quatorze au lieu de vingt-et-une) et par la force des choses des histoires plus longues (entre deux et six pages, sauf pour la dernière). D’un autre côté, il retrouve les personnages qu’il aime, égaux à eux-mêmes. L’hyperactivité de Léonard reste à un haut niveau, épuisant par avance son disciple. Grâce à l‘expressivité des dessins, le lecteur peut voir l’inventeur enthousiaste en présentant le plan de sa nouvelle invention (forcément géniale), en train de bonimenter sans vergogne et avec entrain devant des villageois à qui il souhaite fourguer sa nouvelle lotion, courir en apportant sa dernière invention à Mathurine, hurler sur Basile le traditionnel DEBOUT DISCIPLE, tambouriner de grands coups sur un miroir en pied, sursauter au point que son chapeau saute au-dessus de sa tête, faire usage avec force d’un maillet qu’il abat sur le crâne de son assistant, dégainer son tromblon de sa barbe plus vite que son ombre (Ah non, il s’agit d’un autre personnage), tourner en rond au point de creuser un cercle dans le sol, beugler dans un portevoix pour attirer les badauds (et les menacer de son tromblon pour achever de les convaincre), etc. Une force de la nature rendu irrésistible par l’allant des dessins.
Comme à son habitude, Basile Landouye souffre littéralement le martyr en servant la science (et c’est sa joie). Pour de rire, le lecteur peut donc le voir s’estropier tout seul comme un grand en essayant de monter une échoppe (main bandée, œil au beurre noir, gros sparadrap sur la joue, grandes planches coincées dans son vêtement), suspendu la tête en bas par un robot dorloteur manquant cruellement de douceur, la tête complètement rentrée dans le corps suite à un coup de rouleau à pâtisserie, tassé sur lui-même en mesurant moins d’un mètre (suite à un deuxième coup de rouleau à pâtisserie manié avec libéralité par Mathurine), le haut du corps carbonisé et perforé de partout suite à un coup de tromblon (de Léonard bien sûr), avec une bosse de la hauteur de sa tête au sommet de son crâne, aplati par la chute d’un poteau d’une dizaine de mètres, coupé en deux par une scie circulaire (il n’a pas fait exprès), incrusté dans le sol après une chute du câble de funambule, projeté dans le sol par un canon, etc. La force comique des dessins tient à l’écart toute forme de violence sadique du fait de l’irréalité de chaque situation. À chaque fois, les mimiques du disciple s’avèrent impayables. Le pragmatisme de Mathurine ramène chaque situation dans de plus justes proportions, et le lecteur envie Mozzarella de bénéficier de l’attention et de l’affection d’une personne normale et sympathique. Le dessinateur insuffle la vitalité particulière aux enfants chez Mozzarella, pour un comportement normal, faisant encore plus ressortir l’hyperactivité de Léonard. Et bien sûr Raoul Chatigré conserve son rôle de pantomime en bas de chaque page de fin d’un gag. Il trouve également régulièrement sa place dans quelques cases de chaque gag ou presque, avec un langage corporel toujours aussi expressif. Il est encore plus à l’honneur dans cet album : il fournit la chute du gag intitulé C’est pas demain l’éveil (beau jeu de mots, soit dit en passant), il est évoqué le fait que techniquement parlant il n’est plus tout à fait un mâle depuis l’âge de quatre mois dans le gag Premier de corvée (autre joli jeu de mots), et il bénéficie d’un second rôle étoffé dans Faut pas poussy ! au cours duquel il indique qu’il est tombé dedans quand il était petit (une autre référence bédé).
Une autre source du plaisir de lecture dans cette bande dessinée se trouve dans l’attention portée aux détails par l’artiste, en particulier dans les décors. Le lecteur prend le temps d’apprécier ces éléments divers et variés : la belle demeure qui accueille les séances des Addicts Anonymes, le portrait de Sigmund Freud accroché au mur, le bouclier avec les armoiries dans la pièce à côté, le système d’articulation pour incliner la table de travail de Léonard, la bouteille avec son étui en osier par terre dans l’atelier du génie, le verre à dent avec sa brosse à dent sur la commode dans la chambre du Disciplus Simplex, la force visuelle des onomatopées et bruitages, les piles d’assiettes sales dans la cuisine, les couvertures de la dizaine d’albums de la série fictive Léonard génie des tâches ménagères, le design de la voiture autonome, le motif du mandala colorié par Mozzarella, les différents costumes de Basile au cirque. Le plaisir de lecture est encore rehaussé par la fluidité de la narration visuelle. Il suffit de considérer ce gag en deux planches dans lequel Disciple fuit le plus loin possible de l’atelier de Léonard en traversant Venise, l’Italie, l’Inde jusqu’à la plus haute montagne qu’il puisse trouver pour échapper aux tests de la nouvelle invention (la greffe d’organes) avec juste une phrase dans la première case, et une autre dans la dernière.
La verve du scénariste apporte de nombreux gags, sans impression de répétition. Il respecte les caractéristiques de la série : les inventions farfelues allant jusqu’aux anachronismes (l’évocation des réseaux sociaux), le caractère pas facile de Léonard, le caractère soumis (mais pas toujours) du disciple, etc. Il puise son inspiration dans des thèmes aussi bien intemporels que d’actualité avec quelques anachronismes choisis : le dispositif du groupe de parole (avec des participants sortant de l’ordinaire), Léonard en bonimenteur prêt à tout promettre pour vendre sa camelote, la répartition des tâches ménagères (proposant même deux gags à la direction opposée, celui où Mathurine trouve du sens à sa vie dans l’accomplissement de ces tâches à un niveau expert, et celui où elle met les hommes de la maison au boulot), la greffe d’organes, la voiture autonome. Comme à son accoutumé, il met en œuvre un humour à base de différentes formes de comiques, de situation, de caractère, de mots, allant jusqu’à l’absurde avec deux gags jouant sur l’autonomie du reflet de Léonard dans le miroir.
Le lecteur reste bouche bée (avec un grand sourire) à la découverte de cet album. Les personnages ont conservé tout leur caractère dont les auteurs jouent avec dextérité pour en exprimer tout le potentiel comique. Léonard est plus inventif que jamais au grand dam de la santé de son disciple. La narration visuelle est d’une grande richesse aussi bien dans les détails que dans les pantomimes et la mise en scène impeccable. De l’humour tout public, drôle et rassérénant.
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