Ma stratégie ? Elle tient en quatre mots : On gagne, ils perdent.
Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre, de nature historique. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Jean-Yves le Naour pour le scénario, et par Cédrick le Bihan pour les dessins et les couleurs. Il comprend cinquante-huit pages de bande dessinée.
Convention républicaine à Detroit, le dix-sept juillet 1980 : la foule scande le nom de Reagan qui apparaît sur le podium. Dans le public, un politique rejoint Gerald Ford et ils médisent sur le dos du candidat. Barry Goldwater monte à la tribune avec ses deux cannes anglaises. Il dresse un panégyrique du candidat : si les États-Unis avaient eu un vrai leader comme Reagan, la guerre du Vietnam n’aurait pas duré plus de quelques jours, si le gouvernement américain avait des tripes l’Iran n’oserait pas prendre des Américains en otage. S’ils avaient un vrai président, l’URSS n’avancerait pas ses pions en Afghanistan ou au Nicaragua car elle aurait peur de la réaction des États-Unis. C’est au tour de Ronald Reagan lui-même de monter à la tribune et de prendre la parole : il fait une blague sur la présence des caméras de télévision, puis il évoque les États-Unis comme terre et refuge de la liberté, et il termine par un instant de prière. Plus tard, il regarde le film Law and order, avec son épouse Nancy à ses côtés. Un conseiller vient le chercher pour réviser les sujets qui seront abordés lors du débat télévisé du soir même avec le président Jimmy Carter. Ce dernier termine sa réponse sur la lutte contre la dépression économique, Reagan répond avec un bon mot : Récession, dépression… Puisque Jimmy Carter veut jouer sur les mots, il va lui donner des définitions. Une récession, c’est quand son voisin perd son boulot. Une dépression, c’est quand on perd le sien… Et la reprise, c’est quand Jimmy Carter perd le sien. Il termine en invitant à voter pour lui pour rendre sa grandeur à l’Amérique.
Les élections se tiennent et les Républicains l’emportent largement dans quarante-quatre états. Le vingt janvier 1981, le président Carter cherche à joindre le président à venir, en vain, ce dernier dort et il ne veut pas être dérangé. Vient enfin la cérémonie d’investiture, mais Reagan ne souhaite toujours pas parler des otages en Iran avec Carter. Il prête serment, et dans son discours il pointe du doigt le fait que le pays souffre d’un trop gros fardeau fiscal, que les Américains ne peuvent pas vivre au-dessus de leurs moyens en empruntant toujours plus. Ils doivent agir aujourd’hui pour préserver demain. Il conclut dans un premier temps par : Dans la crise actuelle, le gouvernement n’est pas la solution, le gouvernement est le problème. Dans un second temps, il assène qu’ils peuvent accomplir de grandes choses, il suffit d’y croire, ils sont américains ! Les journalistes expliquent que le président Reagan a très nettement insisté sur la baisse des impôts et sur la nécessité d’une politique beaucoup moins interventionniste sur le plan économique, accompagnée d’une saine gestion des ressources de l’état fédéral.
Au moins les auteurs annoncent clairement leur positionnement dès la couverture, que ce soit le titre qui qualifie le président quarantième président des États-Unis ou par l’image qui l’affuble d’une moustache de forme caractéristique, par l’espace laissé blanc. Ainsi bien conscient du parti pris affiché des auteurs, le lecteur sait qu’il va découvrir un récit à charge contre Ronald Reagan (1911-2004), pointant du doigt ses capacités intellectuelles limitées et une façon dictatoriale d’agir, ou plutôt démagogique. Ils établissent un portrait peu flatteur : une forme de narcissisme s’exprimant par un amour et une nostalgie pour les films dans lesquels il a tourné dans sa jeunesse, ainsi que des jugements de valeur peu flatteurs sur un acteur comme Rock Hudson. Il fait preuve de différentes formes d’irresponsabilité comme le fait de faire passer son sommeil (par exemple sa sieste) avant les affaires d’état, ou partir de manière impromptue dans sa résidence de vacances en laissant tous les dossiers en plan. Ils le dépeignent comme incapable d’assimiler les informations relatives à des dossiers complexes, de retenir le nom de ses interlocuteurs (par exemple d’autre chefs d’état), de s’arcbouter sur certaines décisions contre l’avis de ses conseillers et des experts (la guerre des étoiles en armant des satellites), sans oublier ses blagues pas toujours drôles, dont celles anti-communistes primaires racontées à Mikhaïl Gorbatchev (1931-2022).
Évidemment, le lecteur sourit en voyant cet individu président de la première puissance mondiale, dépeint comme un crétin, un patriote aveugle content de lui-même, un homme politique qui y va au flanc, un bluffeur doué et chanceux, un homme persuadé de son propre bon sens, une incarnation sur pattes de l’effet Dunning-Kruger. Quel que soit ses convictions politiques, il est possible d’y voir une confirmation du peu d’estime que l’on peut entretenir vis-à-vis des hommes politiques, ou une caricature tellement forcée qu’elle est sans rapport avec la réalité, et qu’on ne saurait s’en trouver vraiment offensé. Les relations entre les deux blocs Est-Ouest deviennent une comédie virant à la farce, l’amitié naissante entre Reagan et Gorbatchev devient irrésistible entre le roublard médiatique et le bosseur responsable. De temps en temps, une affaire ressort, tellement grosse qu’elle aussi participe à cette ambiance humoristique. Donc, parce que quand même, l’affaire Iran-Contra (Contragate), c’est du lourd, que le lecteur la découvre dans la très courte présentation qui en est faite dans cette bande dessinée, ou qu’il en ait suivi les développements au fil des années, du scandale aux annulations de peine, immunités et pardons présidentiels.
L’artiste réalise des dessins dans un registre réaliste et descriptif. Il sait très bien restituer l’apparence de Ronald Reagan, de Mikhail Gorbatchev, et des autres hommes politiques connus. Sa narration visuelle constitue une reconstitution historique solide et documentée, que ce soient les véhicules d’époque, ou les tenues. Il met en œuvre l’équivalent d’une discrète trame mécanographiée de couleur, évoquant à la fois une technique d’impression obsolète, et une sorte de voile qui ternit les souvenirs datant d’une autre époque. Le lecteur apprécie l’évocation visuelle du passé très détaillée. Les différents lieux : les rues de Manhattan, la maison blanche, un porte-avion, Berlin et Checkpoint Charlie, la porte de Brandebourg, le ranch Reagan de Santa Barbara, l’ambassade de la Fédération de Russie, la statue de la Liberté, la grande salle de conférence de l’Organisation des Nations Unies, le Kremlin, la villa Fleur-d'Eau à Versoix dans le canton de Genève pour le sommet de 1985, Reykjavik pour le sommet suivant, la place rouge, etc. Au gré de la politique extérieure du président des États-Unis, le lecteur peut se retrouver au Nicaragua, ou en Iran, le temps d’une case.
L’artiste impressionne par la consistance de ses pages et des cases, entre huit et dix par page. Il amalgame harmonieusement les visuels connus car diffusés par les médias, et les scènes de réunions officielles, de réunions de travail, de moments plus personnels de la vie de Reagan, souvent accompagné de son épouse Nancy Reagan (1921-2016). Le lecteur savoure les plans de prise de vue et la direction d’acteurs. L’artiste sait restituer la dimension humaine de chaque séquence, souvent grâce au comportement de Reagan lui-même, et aux réactions de son entourage, mises en scène également à charge la plupart du temps, en cohérence avec le scénario. Il représente le président avec les rides qui attestent de son âge, et la retenue qui sied à une telle fonction, tout en faisant ressortir une touche cowboy de temps à autre, avec une chemise ou un ceinturon. Sans verser dans la caricature ou l’exagération, il fait apparaître des expressions de visage révélatrices, soit de la rouerie de Reagan, soit de l’exaspération plus ou moins prononcée de ses interlocuteurs. Le lecteur découvre régulièrement une scène saisissante au détour d’une case, telle cette rencontre de Reagan avec ses généreux donateurs pour sa campagne de réélection, parmi lesquels il reconnaît du premier coup d’œil, un certain Donald J. Trump.
De temps à autre, un comportement de Reagan ou une de ses décisions provoquent une prise de recul chez le lecteur. Pour commencer, il exerce l’autorité présidentielle, et il sait prendre quelques décisions. Ensuite, il réalise certains de ses discours lui-même, avec une sensibilité populiste qui leur confère une portée et une efficacité redoutable. Par ailleurs, le lecteur garde à l’esprit que personne ne pouvait être dans la tête du président quand il prenait une décision, et que ces scènes correspondent au mieux à des propos rapportés par des tiers, des témoins de premier rang, ou pour certaines à des articles de journaux. Ensuite, même sans connaître dans le détail les réalisations de l’administration de ces deux mandants, il se doute que d’autres choses ont été accomplies, par exemple l’amnistie de trois millions d’immigrés clandestins et la prise en charge d'urgence de tous les patients par les hôpitaux, percevant des aides au titre de Medicare. Et de nombreux faits sont omis, à commencer par la tentative d’assassinat du trente mars 1981 à l’encontre de Reagan qui fut touché d’une balle à la poitrine. Enfin, la gouvernance d’un pays, et a fortiori des États-Unis, relève d’une mécanique beaucoup plus complexe que les seuls choix de son président. Tout ceci renvoie le lecteur au parti prix explicite des auteurs et à la narration orientée qui en découle : partiale, certainement révélatrice d’un pan de la personnalité de Reagan, forcément incomplète, mettant en lumière qu’il ne s’agit que d’un homme avec ses imperfections, et la nécessité d’un contre-pouvoir. Mais quand même… Lorsque Trump déclare à son voisin que : Il ne faut pas se fier aux politiques, on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, tant que les affairistes n’auront pas un des leurs installés à la Maison Blanche, ils seront exposés aux dangers de la démocratie, le lecteur sent un mélange d’indignation et de fatalité s’abattre sur lui.
Un titre indiquant explicitement le parti pris des auteurs, et l’approche insolente de l’ouvrage. Ce choix induit également une forme de narration amusée très agréable à la lecture. Les auteurs font œuvre d’une solide reconstitution historique bien documentée, de cette période riche en événements. Ils ont choisi leur axe : le rôle de Ronald Reagan dans la fin de la guerre froide. En fonction de ses convictions, le lecteur se positionne par rapport à ce point de vue, la bande dessinée générant en lui une prise de recul l’incitant à réfléchir sur les différentes facettes de cette réalité complexe. Une œuvre salutaire de réflexion.
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