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samedi 8 mars 2025

Léonard T54 Debout, génie !

C’est ça le génie, disciple : 1% d’inspiration, 99% de transpiration !


Ce tome fait suite à Léonard T53 Un amour de génie (2022), qu’il n’est pas indispensable d’avoir lu avant, mais ce serait idiot de se priver. Sa première édition date de 2023. Les gags ont été écrits par Zidrou (Benoit Drousie), dessinés et encrés par Turk (Philippe Liégeois) et mis en couleurs par Kaël. Il contient vingt-et-un gags d'une à cinq pages. Il s’ouvre avec une présentation des principaux personnages : Léonard le génie, Basile le disciple, Raoul Chatigré, Bernadette, Yorick, Mathurine, en commençant par la petite dernière Mozzarella. La première édition a bénéficié d’une jaquette portant un autre titre : Léonard 77, Génies de 7 à 77 ans, à l’occasion des 77 ans des éditions du Lombard. Elle comprend un gag supplémentaire en deux pages dans son verso.


Génie opère, une page. Deux femmes toquent à la porte de l’atelier de Léonard. Elles se présentent : elles sont des inspectrices de la SPA, la Société Protectrice des Animaux. En son for intérieur le génie se dit qu’il le sait bien puisqu’il l’a inventée dans l’album 87 : Le génie et l’ingénue. Elles continuent avec véhémence : une plainte a été déposée contre lui, il paraît qu’il testerait des inventions sur des animaux vivants. Léonard s’en défend vivement : il n’a jamais eu recours à la vivisection, jamais ! Pour le prouver, il les invite à passer dans son laboratoire. Il leur demande de ne pas faire attention à son imbécile de disciple : Basile est en train de tester son nouveau modèle de chaise électrique écoresponsable fonctionnant aux énergies renouvelables que lui, Léonard, est en train de mettre au point. Après avoir regardé dans tous les recoins, les deux inspectrices de la SPA repartent satisfaites, pleinement rassurées.



Ravi au lit, quatre pages. Léonard arrive en hurlant dans la chambre de Basile pour le réveiller d’un coup, la porte ne résistant pas à cet élan. Il se trouve arrêté net en voyant son disciple déjà debout, dans sa chemise de nuit rose. Basile a le visage marqué par d’énormes cernes, il explique qu’il n’a pas fermé l’œil de la nuit afin d’ôter le plaisir sadique à Léonard, de le réveiller en sursaut. Le génie reformule pour être bien sûr : Basile n’a pas dormi de toute la nuit uniquement pour qu’il ne le réveille pas ? Du coup, il lui demande ce qu’il y a gagné… ce qui laisse le disciple sans voix. Léonard lui intime de l’accompagner pour tester la tronçonneuse volante qu’il est en train de mettre au point. Discrètement, Raoul Chatigré va se recoucher, car s’il n’a pas ses vingt heures de sommeil par jour, il n’est bon à rien. En fait, Léonard a mis au point un nouveau somnifère ; en entendant ça, Basile prend un tromblon dans la barbe de son maître et le décharge dans sa tête pour mieux ses réveiller. Cousu de fil bleu, trois pages. Léonard déboule dans la salle à manger avec une pile de pantalons pour Basile, Mozzarella, Mathurine et Raoul. Il vient d’inventer le Jean et il leur demande d’enfiler chacun le leur. Mathurine et Basile demandent s’ils doivent vraiment le faire devant des milliards de lecteurs… et de lectrices.


Quel plaisir ineffable que de retrouver le tyrannique génie, le souffre-douleur disciple, le chat et la souris, le crâne, la petite demoiselle dynamique et la maîtresse de maison, sous le crayon toujours aussi impeccable et soigné de Turk. Comme depuis le début de sa reprise de la série, Zidrou indique, ici dès le premier gag, que le ressort comique de la violence perpétrée à l’encontre du disciple reste de mise, quelle que soit l’interprétation orientée qui pourrait en être faite. Ainsi le lecteur allergique à cette violence utilisée à des fins comiques peut passer son chemin. Bien sûr, Basile Landouye se blesse gravement en servant à la science (et c’est sa joie), de sa mise en danger jusqu’à des blessures mortelles, et il est entendu que le degré d’exagération évite tout forme d’incompréhension, ce n’est pas un exemple à suivre. Avec un peu de recul, cette caractéristique peut apparaître outrée (et c’est sciemment fait pour) : dès le premier gag, le pauvre homme est carbonisé sur une chaise électrique écoresponsable fonctionnant aux énergies renouvelables. Dans la seconde histoire, il se sert lui-même du tromblon de Léonard pour se faire griller et trouer la tête. La mise en images suscite deux réactions chez le lecteur : de l’amusement devant l’air déconfit du disciple et l’état dans lequel il se trouve, sans compter sa tête carbonisée et trouée comme une passoire, et une empathie pour ce disciple toujours (Euh, non… souvent) prêt à rendre service, se dévouant corps et âme.



L’art consommé de l’expressivité des personnages et la direction d’acteurs de Turk font mouche à chaque fois. Le lecteur se sent impliqué, touché, ému par leurs réactions. Les sourires béats de Basile, ses phases de léthargie, et ses phases d’hyperactivité, son air benêt, sa contrariété quand il trinque pour les facéties de Mozzarella, sa consternation, son air imbu de lui-même (un festival à l’occasion de l’invention du football féminin), et même parfois son admiration pour le génie de son maître. Léonard impressionne à chaque fois par son air d’autorité, son assurance, et son inébranlable confiance en lui. Une silhouette comique : sa grande robe violette, sa longue barbe qui lui descend jusqu’aux pieds, et se chaussures informes, sans oublier son galurin et son gros nez. Le lecteur ressent cette forme d’admiration envers lui, et de respect instinctif, tout en voyant bien ses traits de caractère moins agréable : son impulsivité, sa mesquinerie, son hyperactivité, son exigence, son absence d’empathie et son inflexibilité se manifestant par des accès de colère contre son disciple. Dans le même temps, le lecteur ressent une forte empathie envers lui, du fait de l’expressivité de son visage qui donne l’impression de l’absence de filtre, comme chez un enfant. Par petites touches, la direction d’acteur étoffe également Mathurine Montorchon de la Serpillière, pourtant une carricature basique de la femme d’intérieure, bonne à tout faire. Par sa gestuelle et ses moments de désaccords, elle devient une professionnelle compétente imposante dans son maillot de foot, qui ne se laisse pas marcher sur les pieds par le petit tyran que peut être Léonard, qui sait pointer du doigt les enfantillages de Basile, et qui prend soin de la petite Mozzarella. Cette dernière apparaît pleine de vie et enjouée, courant partout, parfois difficile à contenir (décidément, il y a une épidémie d’hyperactivité).


Les inventions et les gags de ce recueil se suivent sans thématique précise. En revanche, le scénariste joue avec cette idée d’album numéroté 77 à l’occasion de l’anniversaire des éditions du Lombard. Comme il est de coutume, il fait référence à des inventions que Léonard a déjà inventées dans des albums précédents… et dans des albums à venir dans le futur, portant un numéro après cinquante-quatre. Par exemple : le fromage à tartiner (lire l’album 67 Génie sans bouillir), le distributeur de pizzas (lire l’album 61 Les génies se cachent pour mourir), le métro aérien (lire l’album 70 Le génie et l’ingénue). Sur la quatrième de couverture de la jaquette, le lecteur peut également découvrir la liste de tous les albums de la série, avec le titre des albums 55 à 77. Il apprécie le souci du détail du scénariste, car le titre de l’album 55 est conforme à celui-ci paru un an plus tard. Sur les vingt-et-uns gags, une peu plus de la moitié comprend une invention, celles-ci vont du jean au football féminin, en passant par un sérum de super-soldat, les devoirs à la maison, la numérologie (avec un jugement de valeur qui ne laisse pas la place au doute sur son efficacité comme outil de manipulation d’autrui), le futon, jusqu’au smartphone (bien pratique pour occuper une enfant hyperactive). Zidrou a également conservé la tradition du jeu de mots dans le titre des histoires comme : Génie opère, Ravi au lit, Roupille de sansonnet, Garçon l’addiction, ou encore Les robots tiquent. Le dessinateur marque chaque fin de gag par un instantané de Raoul Chatigré se livrant à une activité. Ce soin apporté à chaque détail en dit long sur l’investissement de ces deux créateurs dans chaque histoire, chaque planche.



L’humour s’avère prendre de multiples formes tout au long de l’album. Outre le comique de caractère des personnages, le comique de geste, le comique de jeu d’acteur, le lecteur sent son visage s’éclairer de sourires grâce au comique de situation : Basile faisant observer à Léonard que l’invention du sérum GetupStandup (merci James Brown, 1933-2006) est un errement d’un simple regard, un chat mimant des personnages pour le bénéfice d’une souris et d’un crâne, Léonard cherchant son disciple sous l’arrière-train d’un ours en pleine sieste, un gang de quatre robots disparates se hâtant dans l’escalier pour aller réveiller Basile en sursaut, Léonard participant à un groupe de parole d’individus en proie à une addiction, Basile se faisant massacrer lors d’un match de football féminin. Comme à son habitude, Turk manie le comique de l’absurde visuel avec verve et talent. La tête détruite de Basile par des coups de tromblon, jusqu’à ce qu’il ne reste plus deux yeux au bout de leur nerf optique, les onomatopées, les facéties de Raoul Chatigré en arrière-plan, le lit de Basile animé d’une vie propre, la tête de Basile après avoir été pressée dans un gaufrier, Léonard tournant en rond jusqu’à creuser un cercle profond de plus d’un mètre dans le sol de son laboratoire, Basile ne mesurant plus que quatre-vingt centimètres après un violent coup de queue de billard sur le crâne asséné par Léonard, etc. Ces exagérations fonctionnent d’autant mieux que le dessinateur reste toujours très minutieux pour décrire et placer les éléments et les accessoires du quotidien en les représentant dans les décors.


Un album de Léonard constitue une gourmandise débordant de saveurs, d’inventivité, d’attention à chaque détail. Cet album est le huitième réalisé par Turk & Zidrou : une nouvelle réussite, que ce soit pour l’expressivité des personnages, le comportement pas toujours mature des uns et des autres, les inventions anachroniques, les jeux de mots, la bonne humeur et la bienveillance (sauf pour l’intégrité physique du disciple). Un humour généreux et chaleureux.



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