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lundi 15 décembre 2025

Les grandes batailles navales: U-9

Un véritable camouflet pour la Royal Navy.


Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, qui ne nécessite pas de connaissances préalables. Son édition originale date de 2025. Ila été réalisé par Jean-Yves Delitte pour le scénario, par Philippe Adamov (1956-2020) pour les dessins, ceux-ci ayant repris par Fabio Pezzi après le décès de l’artiste initial, avec une mise en couleurs réalisée par Douchka Delitte. Il comporte quarante-six pages de bande dessinée. Il se termine par un dossier de huit pages, rédigé par le scénariste, généreusement illustré par des documents d’archives, avec des parties portant les titres suivants : Il y a d’abord l’histoire, Touché, coulé !, U-Boot une arme allemande, Un engin sale et malodorant, … qui deviendra une arme terrifiante !, Le canon ou la torpille ?, De l’arme méprisée à l’exploit !, Et après ?


Ils se croyaient invulnérables… Ils pensaient pouvoir couler les plus puissants des navires, comme David, qui avec une simple pierre, avait terrassé le géant Goliath. Mais ils auraient dû savoir que la flèche s’est toujours brisée sur l’armure. Leur submersible pouvait bien déplacer près de 800 tonnes et filer à plus de 15 nœuds, tout cela avait peu d’importance quand une masse qui déplace plus de 18.000 tonnes à 20 nœuds vous éperonne. Un sous-marin éventré gît par le fond, les cadavres des marins flottant entre deux eaux. En surface, les officiers commandant un énorme croiseur-cuirassé se félicitent : ils viennent d’heurter un sous-marin allemand, il y a enfin une justice ! Coupé en deux et pas un survivant. L’un d’entre d’eux a pu lire son immatriculation : U-29. Un autre renchérit : il paraît que cette saleté a attaqué au canon pas moins de six marchands en l’espace d’une semaine. Le troisième se félicite : une chose est sûre : ils entrent dans l’histoire leur HMS Dreadnought, malgré sa vétusté, est le premier cuirassé à couler un sous-marin. La scène se déroule à Pentland Firth, en Écosse le 18 mars 1915.



À Danzig, dans l’empire allemand, le 4 août 1914, des marins sont en train de charger des torpilles dans un sous-marin. L’oberbootsmann les tance : ils doivent faire attention avec le palan, s’ils ne veulent pas les envoyer au Paradis avant l’heure ! Il y a plus de cent-soixante kilogrammes d’explosif dans ces cigares ! Si cela explose, il ne restera d’eux que des lambeaux de chair… sans même parler des autres navires qui les entourent. Otto Eduard Weddigen est rejoint par son frère Karl, ensemble ils grimpent la passerelle pour accéder au pont, où un officier tend un journal devant lui : ils sont en guerre contre l’Angleterre, la presse en fait écho ! Otto le sait déjà : il a reçu ses ordres, le jeu infernal des dominos a commencé. Il explique : un archiduc autrichien se fait tuer par un fanatique serbe et, au nom des alliances, toute l’Europe s’embrase. Y a-t-il vraiment quelque chose de réjouissant ? Les deux frères redescendent à quai : Otto explique à Karl qu’il va larguer les amarres pour aller à Heligoland, un bout de terre perdu dans la mer, le tout ne doit pas dépasser deux kilomètres carrés. D’autres ordres doivent l’y attendre. Karl s’emporte : Si c’est comme ça que leurs amiraux conçoivent la guerre, ce n’est pas demain qu’ils danseront sur les Champs Élysées ! Il faut attaquer sans attendre, comme l’a fait Bismarck en 1870. Attaquer !


Il est possible que le nom d’U-9 soit inconnu du lecteur et que ce dernier soit venu pour découvrir une nouvelle grande bataille navale dans cette collection dont il apprécie les caractéristiques. L’auteur sait inclure des informations de manière organique et bien dosée, c’est-à-dire sans tomber dans des pages d’exposition avec de longues cellules de texte en petits caractères. Progressivement, il distille les faits et les indications permettant de situer cette bataille dans le temps, de comprendre la nouveauté que représentent les sous-marins à l’époque, et de découvrir de quelle bataille il s’agit précisément et les caractéristiques qui la font sortir du lot, et qui l’ont fait passer à la postérité. Arrivé à la fin de cette histoire, le dossier vient apporter des compléments forts bienvenus : sur l’histoire du développement des sous-marins (Lequel peut être considéré comme avoir été le premier à mériter ce nom ?), sur le rapport de force entre un sous-marin et un croiseur-cuirassé, sur le temps qu’il a fallu pour que naisse la lutte anti-sous-marine, sur les circonstances qui ont fait que dans l’imagerie populaire d’aucuns attribueront la paternité de cette arme à l’Allemagne, sur l’évolution des sous-marins qui passent d’un engin sale et malodorant à une arme terrifiante, sur le choix de l’arme entre le canon et la torpille, et sur l’après.



Cet ouvrage s’ouvre sur un mot du scénariste en mémoire de l’artiste, à l’époque où celui-ci dessinait les séries Le vent des Dieux (tomes 1 à 5, 1985-1991), et Les eaux de Mortelune (tomes 1 à 10, 1986-1998), toutes les deux écrites par le scénariste Patrick Cothias. Il explique que Philippe Adamov avait réalisé une vingtaine de pages crayonnées, avant de larguer les amarres définitivement, et qu’alors s’est posée la question de savoir que faire de ce travail inachevé. En fonction de sa familiarité avec l’œuvre de cet artiste (également la série L’impératrice rouge, avec Jean Dufaux, quatre tomes, 1999-2003), le lecteur peut identifier les pages en question, ou il peut constater qu’il ne ressent pas de différence entre les deux artistes. Comme à son accoutumée, la coloriste choisit une palette de teintes réalistes, un petit peu ternies et assombries, pour être en phase avec le sujet de la guerre, les morts au combat, et les affrontements. Elle sait jouer des nuances d’une même teinte pour accentuer le relief de certaines surfaces, pour nourrir les formes détourées, pour compléter les fonds de case, et même créer les cieux avec nuages et variation de luminosité, évoquer les reflets toujours changeant de la surface de la mer, rendre compte de l’exiguïté des coursives du sous-marin. Ainsi le lecteur peut ressentir l’ambiance d’un mois de septembre déjà rafraichi.


Quoi qu’il en soit, le lecteur commence à tourner les pages, et il retrouve ce à quoi il s’attend visuellement : des militaires en train de parler, de belles cases mettant en valeur les navires de guerre, et bien sûr la mer. Il identifie tout de suite le savoir-faire du scénariste : une poignée de personnages nommés, ceux dont la postérité a retenu le nom, des discussions brèves régulièrement interrompues par le voyage en mer jusqu’à la bataille navale promise, et des personnages qui bougent. Pour ces derniers, les dessinateurs jouent le jeu : montrer ces hommes en train de parler, et représenter le décor avec un bon niveau de détail pour donner à voir l’environnement, que ce soit à terre ou à bord, en intérieur ou en extérieur. Il en découle une narration visuelle avec un rythme agréable, et des changements de décors réguliers apportant de la diversité. Bien évidemment, les deux dessinateurs se sont documentés sur les uniformes, les armes et les navires, et ils réalisent une reconstitution historique solide et fiable. L’enjeu du récit est d’arriver à la bataille navale en ayant informé le lecteur sur les forces en présence, sans se focaliser sur la vie à l’intérieur du long cigare de métal. Par voie de conséquence, les dessinateurs représentent aussi bien le port de Danzig, l’estuaire de la Forth, la rade de l’île de Heligoland, un cimetière de campagne, un bureau militaire allemand, et quelques zones du sous-marin.



Bien sûr l’U-9 est également mis visuellement en avant, ainsi que les croiseurs-cuirassés britanniques, avec leurs armements, donnant lieu à quelques belles vues de ces navires en mer. Le scénariste installe progressivement les circonstances menant à la bataille, avec un certain naturel né l’expérience. La bataille elle-même se déroule en neuf pages, à la narration visuelle impeccable, limpide et factuelle. Dans le dossier final, le lecteur retrouve un résumé de la bataille, correspondant en tout point à ce qui est montré. Les auteurs restent dans ce registre factuel : des hommes normaux faisant leur métier, sans crise existentielle quant au fait de tuer des ennemis, c’est-à-dire des êtres humains, sans soif sanguinaire, sans rêve de devenir des héros de guerre, des supersoldats, ou de futurs officiers, que ce soit du côté allemand ou du côté britannique. Bref, une affaire rondement menée, sans chichi. Le lecteur en ressort avec une bonne compréhension du rôle joué par ce sous-marin, de l’effet de surprise dont profite son équipage, du fait d’équipages ennemis sans connaissance ou compréhension particulière de ce type d’attaque.


En scénariste aguerri (c’est le cas de le dire), Jean-Yves Delitte sait intégrer quelques réflexions bien senties dans les dialogues. Le lecteur le constate dans les échanges entre les deux frères, celui qui commande un navire, et l’autre qui reste à terre dans une fonction administrative. Il apprécie plus le dialogue moins convenu entre deux marins : le premier expliquant au second que cette guerre se résume à des cousins qui s’entretuent, car les têtes couronnées de cette vieille Europe ont toutes des liens de parenté, ils vont être les témoins de la plus grande dispute familiale que le monde n’ait jamais connue. Au cours de la bataille, Otto Eduard Weddigen ne peut pas croire à la réaction totalement inconsciente des commandants britanniques qui n’ont aucune idée de ce qui leur arrive. Dans le même temps, une de ses réponses à un simple marin fait bien ressortir que les décisions du commandant engagent tous les membres de l’équipage, au risque qu’ils y perdent leur vie.


Un tome de plus dans cette collection, avec plusieurs particularités. La première réside bien sûr dans la nature de la bataille du 22 septembre 1914, impliquant un sous-marin allemand. La seconde tient à Philippe Adamov qui a réalisé des planches différentes de celles sortant du moule habituel, avec une narration visuelle plus organique, à hauteur de simple mortel, ramenant le récit au niveau d’un reportage dépourvu de toute forme de glorification ou de dramatisation convenue. Un récit de guerre didactique, raconté avec honnêteté, contenant quelques remarques attestant d’une prise de recul.



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