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lundi 8 décembre 2025

Les rois des Belges

La Flandre va proclamer unilatéralement son indépendance.


Cet ouvrage présente des fragments de vie de chacun des sept rois des Belges. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Jean-Philippe Thivet & Arnaud de la Croix pour le scénario, par Vincent Cifuentes pour les dessins, par Davide De La Cal pour les couleurs. Il compte cinquante-cinq pages de bande dessinée. Il se divise en sept chapitres, chacun consacré à un roi différent, par ordre chronologique, chacun s’ouvrant avec un portrait dessiné, et se terminant avec un texte de deux pages, illustré de photographies sur des points remarquables de chaque règne. Il se termine avec une page hybride, bande dessiné et texte, consacrée à Élisabeth de Saxe-Cobourg et Gotha.


Léopold 1er, le mercato des princes – Cette histoire commence au moment où Napoléon abat ses dernières cartes. L’Empereur, qui a mis l’Europe à feu et à sang, a dressé contre lui une puissante coalition d’alliés britanniques, allemands, néerlandais et prussiens. Aux portes de Bruxelles, il va jouer son va-tout. À Paris en 1808, il a croisé Léopold de Saxe-Cobourg-Saalfeld, prince désargenté, né en 1790, qui servait dans les rangs du tsar de Russie. Napoléon dira que : S’il se souvient bien, c’est le plus beau jeune homme qu’il ait pu voir aux Tuileries. Juin 1815, tandis que Napoléon s’est lancé dans une ultime campagne, les envoyés des grandes puissances se sont réunis à Vienne. Klemens Wenzel von Metternich annonce que l’ogre n’en a plus pour longtemps : il a été écrasé à Waterloo, non loin de Bruxelles. Un autre officiel intervient pour dire qu’il s’agit d’une bonne nouvelle, et qu’il faut décider de l’après. Le premier orateur reprend la parole pour dire que la solution est toute trouvée : exiler l’empereur déchu au loin, et confier au roi des Pays-Bas dont le fils s’est battu à Waterloo, la gestion d’un état tampon entre la France et ses voisins. Il reste à choisir qui en sera le roi.



Léopold II, le roi secret. Le 16 décembre 1865, le cortège funèbre qui conduit Léopold 1er à sa dernière demeure est suivi par une foule compacte. Les fils du roi suivent en carrosse. L’aîné Léopold a trente ans. Il mesure 1,90m. L’héritier du trône se souvient que son père l’appelait le sournois, il le surnommait le renard… et s’il avait raison ? Le lendemain Léopold II prête serment : il jure d’observer la constitution et les lois du peuple belge. Enfant, il passait les vacances d’été à Ostende. Une fois couronné, il y déambule sur la plage, considérant que le voilà roi d’un pays minuscule… mais après tout, un pays n’est jamais petit quand il est baigné par la mer. Il décide que sur le modèle de Nice ou de Biarritz, il fera de cette plage la reine des plages. Il tiendra parole… lorsqu’il se sera considérablement enrichi. À Bruxelles coule la Senne. Au moyen-âge, la cité est née de la rivière, qui alimente moulins et industries. Mais en 1866, c’est un égout à ciel ouvert. Une épidémie de choléra tue 3.647 Bruxellois ! Chirurgien du roi, Louis Deroubaix remet son rapport sur la situation : il est urgent d’assainir la ville. Dès l’année suivante, on entreprend de voûter la Senne. Le roi va encourager de nombreux autres chantiers dans la capitale.


Pour un novice en la matière, il peut être intimidant de s’intéresser à l’histoire séculaire de la royauté dans un pays, au vu de la longue chronologie à affronter, des différentes branches qui s’entrecroisent, et s’entredéchirent au gré de complexes unions. Au début du XXIe siècle, il existe six monarchies en Europe : au Danemark, en Espagne, au Luxembourg, au Pays-Bas, en Suède et en Belgique. Pour cette dernière comme le montre la couverture, la lignée compte sept monarques, ce qui la rend très accessible aux néophytes. Le lecteur découvre donc un chapitre pour chacun des sept rois, de neuf pages pour les cinq premiers, et de cinq pages pour les deux derniers. Il s’agit donc d’un ouvrage de vulgarisation, à destination de novices en la matière. Par exemple un lecteur qui ne saurait pas identifier le monument figurant sur la couverture (réponse : il s’agit des Arcades du Cinquantenaire, érigé à l’initiative du roi Léopold II, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’indépendance de la Belgique, sa construction a commencé en janvier pour s’achever en septembre 1905). Le lecteur peut également évaluer l’intérêt de cette lecture pour lui en consultant la page d’ouverture d’un roi dont il a déjà entendu parler, pour se faire une idée de la nature du développement, par exemple pour Léopold II : Roi bâtisseur pour les uns, Roi massacreur pour les autres, il va marquer durablement le pays et demeure un personnage controversé.



Les auteurs ont confié la narration visuelle de chaque chapitre au même artiste, afin d’établir une continuité d’un roi au suivant. De fait, le dessinateur a fort à faire puisqu’il doit assurer une reconstitution visuelle historique depuis 1808 jusqu’à l’époque contemporaine. Le lecteur découvre des dessins propres sur eux : tracés de contour bien nets, dessins dans un registre descriptif et réaliste, nombre de cases variant de quatre à sept, cases majoritairement sagement disposées en bande, et bien sûr une attention particulière portée à la ressemblance des rois successifs. Le lecteur apprécie immédiatement l’équilibre de chaque page : la qualité de la reconstitution historique, le soin apporté aux détails. Cela commence avec la décoration intérieure de ce grand salon à Vienne au début du XIXème siècle et son ameublement, la tenue vestimentaire de chaque officiel présent, jusqu’à leur épée d’apparat, et les motifs de la tapisserie au mur. Le lecteur peut ainsi suivre l’évolution de la mode vestimentaire d’un chapitre à l’autre, et aussi celle des modes de déplacement, de l’urbanisme de Bruxelles, ou encore des moyens de communication., attestant du degré de rigueur du travail de recherches effectué.


Le lecteur se rend compte que l’artiste sait doser la densité d’informations visuelles sur chaque page pour éviter de produire une sensation d’étouffement, en intercalant des cases de discussions, ou plus aérées. Il se trouve également vite impressionné par l’effet d’intégrer des variations de tableaux célèbres, d’images d’archive ou de photographies. C’est une évidence en ce qui concerne tous les bâtiments, et c’est ce qui est attendu : le château de Laeken, la place royale de Bruxelles, les galeries royales d’Ostende, la gare royale de Laeken, la plage de Knokke-le-Zoute, le grand magasin L’Innovation, l’université de Gand, le Berhof à Obersalzberg dans les Alpes bavaroises, et d’autres paysages naturels, en particulier pour une escalade sur les rochers de Marche-les-Dames, dans la vallée de la Meuse, près de Namur. Incidemment, le lecteur se rend également compte que le dessinateur varie les mises en page avec discrétion et efficacité : cases de la largeur de la page, disposition en drapeau avec une case de la hauteur de la page et les autres comme y étant accrochées les unes en dessous des autres, cases en insert comme des cartes postales posées sur un fond qui est une carte géographique, une illustration panoramique de paysage de montagne sur une double page avec des cases en inserts par-dessus, cases aux bords arrondis pour un écran de télévision, etc.



De manière plus inattendue, les scénaristes jouent également avec la structure de plusieurs chapitres. Le premier respecte un ordre chronologique et une exposition explicative pour établir le début de l’existence du royaume de Belgique comme état indépendant, et les aléas menant au choix définitif de son premier souverain. Le second passe d’une grande réalisation à une autre pour établir comment Léopold II peut être à la fois un roi bâtisseur et un roi massacreur. Initialement, le troisième déroute car il se déroule dans l’ordre inverse à la chronologie, c’est-à-dire des titres de l’annonce du décès d’Albert Ier en remontant le temps jusqu’à sa première ascension. Le quatrième débute par la découverte en Égypte dans la vallée des Rois de la tombe intacte, d’un pharaon, et le suivant débute par un assassinat à bout portant. Le sixième débute par une (mémorable) fiction dans la fiction. Conscient des limites découlant de la pagination, les auteurs ont choisi de les tourner à leur avantage en se focalisant sur certains aspects de chaque règne, plutôt que de tout survoler, ou de provoquer une surcharge informative avec des pavés de texte indigestes, mangeant les images. Le lecteur apprécie de lire une vraie bande dessinée, plutôt qu’une suite d’articles encyclopédiques vaguement illustrés par des images redondantes. Restant un peu sur sa faim, il goûte d’autant mieux aux deux pages qui viennent compléter chaque chapitre, développant certains aspects de la royauté, des lieux, ou des personnages clé de chaque règne.


Bien sûr, le lecteur peut se montrer critique des choix opérés par les auteurs, et en particulier de ce qu’ils ont laissé de côté : la conception de la Constitution de la Belgique, la réalité de l’exploitation du Congo belge et de sa population, Blanche Delacroix évoquée en une case, les accomplissements politiques d’Albert Ier, l’opposition entre les partisans du retour de Léopold III et les opposants, l’absence de chapitre consacré à la régence de Charles Théodore Antoine Meinrad (1903-1983), les quatre cases consacrés à un assassinat dont la victime n’est même pas nommée (Julien Lahaut, 1884-1950), etc. Dans le même temps, il découvre de nombreuses mentions d’événements s’étant inscrit dans la mémoire culturelle belge, comme l’incendie du grand magasin L’Innovation. Chaque chapitre atteint son but : initier la curiosité du lecteur qui le termine avec l’envie d’en apprendre plus.


Un ouvrage d’initiation à la royauté belge en passant en revue les sept rois des Belges. Une vraie bande dessinée didactique, sans être encyclopédique, avec une narration visuelle impeccable et agréable. Une approche diversifiée, adaptée à la personnalité de chaque roi, avec des surprises dans la structure de certains chapitres. Une lecture très agréable, enrichissante, accessible, divertissante et instructive. Une grande réussite.



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