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mardi 23 décembre 2025

Le bonheur occidental

Vous mettez beaucoup de texte dans vos bédés ?


Ce tome est un recueil d’histoires réalisées par l’auteur, publiées pour certaines dans Télérama, The New Yorker, Les Inrockuptibles, Lapin, Spirou, Le blog du monde, Le tigre et l’impossible. Son édition originale date de 2016. Il a été réalisé par Charles Berberian pour les scénarios et les dessins, avec des couleurs de Robin Doo pour quatre histoires. Il comprend quatre-vingt-quatorze pages de bande dessinée, réparties en quinze histoires, comprenant de une à vingt-neuf pages.


Le bonheur occidental 1, sept pages. Le grand scénariste Xavier Van Glüten est à une soirée mondaine en se demandant ce qu’il fait là où les femmes en veulent plus à son fric qu’à son corps. L’attachée qui l’accompagne l’informe que le ministre arrive dans cinq minutes pour lui remettre sa médaille, et que la RTBF et France 3 vont l’interviewer après. Il lui répond qu’il ne comprend rien à cette nouvelle génération de blogueurs qui clapotent dans un océan de médiocrité. À l‘extérieur retentissent des voix, des membres de l’atelier Mastodonte qui veulent rentrer. Charles Berberian arrive au niveau de Van Glüten et la discussion s’engage. Le lendemain l’auteur est reçu par Olivier le directeur général de la maison d’édition qui lui dit que ce n’était pas très malin de gifler Van Glüten la veille, et que ce dernier a demandé sa tête ce que l’éditeur a refusé. Mais Berberian doit s’excuser. Sur ces entrefaites, Van Glüten entre à son tour dans le bureau, portant une minerve.



Gotlib, Fuide et moi, deux pages. L’auteur se souvient de ses débuts. Petit, la lecture de la Rubrique-à-Brac l’a marqué au fer rouge. Il se fit alors la promesse qu’un jour il serait auteur de bande dessinée tout comme Marcel Gotlib. Une quinzaine d’années plus tard, Fluide Glacial, le journal fondé par son idole, accepte de publier les pages que Philippe Dupuy et lui ont dessinées. Ils sont persuadés que le maître lui-même va les recevoir. Mais c’est Jacques Diament, le rédacteur en chef, qui les accueille. Il boit de l’eau à intervalles réguliers en leur expliquant ce que c’est que l’humour. […] Monty Python’s Flying Circus, six pages. L’auteur a l’occasion de rencontrer Graham Chapman et les autres Monthy Python, et il leur déclare qu’il cherche une place dans leur cirque. […] Gentil fricateur, deux pages. Une dame âgée rentre dans un magasin appelé Nestor le store, et indique au propriétaire qu’elle cherche le bureau de poste dans la rue. Il lui explique qu’il vient d’ouvrir il y a deux jours à peine et qu’il vend du bonheur, tout ce qui peut aider à rendre la vie plus belle, plus agréable, par exemple une boîte de e-cassoulet dont il lui fait la démonstration. […] Nos amis les riches, six pages. Dans une soirée ou chaque invité porte un loup, le responsable déclare que l’heure est grave : il y a un traître parmi eux. Charles Berberian se fait immédiatement démasquer parce qu’il porte des chaussures à moins de deux cents euros. Il avoue s’être infiltré afin de faire un reportage pour le magazine Fluide Glacial. Après un échange railleur sur les valeurs morales, il se fait mettre dehors par le videur…


Comme il l’évoque dans un des récits (Gotlib, Fluide et moi), l’auteur a commencé sa carrière en réalisant des bandes dessinées à quatre mains, avec Philippe Dupuy, entre autres les séries Le journal d’Henriette (1988-91, trois albums) suivi de Henriette (1998-2003, quatre albums), Monsieur Jean (1991-2005, sept albums et deux hors-série). Puis chacun a continué sa carrière de son côté. En ouvrant ce recueil, le lecteur a conscience de sa nature : une compilation de récits courts d’origine diverse. De fait, les thèmes sont variés, le plus souvent de nature autobiographique, vraisemblablement plus de l’autofiction, voire de la pure fiction pour l’enquête chez les riches à l’occasion d’une soirée privée. Ainsi le lecteur voit l’auteur se ridiculiser face à un bédéaste ayant un plus grand succès que lui, remonter ses souvenirs pour découvrir son premier contact avec Marcel Gotblib (1934-2016), s’imaginer proposer ses services aux Monty Python, enquêter chez les riches, interviewer les proches collaborateurs de Jean-Luc Mélenchon, rencontrer Leiji Matsumoto (1938-2023, créateur d’Albator), et enfin se déguiser en Albator. Au milieu de ces histoires, se trouve le récit le plus long : une parodie de nature politique, mettant en scène le grand cerceau européen, un projet pour sauver l’Union et l’économie européennes, mais personne ne sait vraiment comment ni pourquoi, et personne ne sait non plus qui en a eu l’idée le premier. Certains politiques sont aisément identifiables : Hollande, DSK, Sarkozy.



La nature composite de l’ouvrage implique que le lecteur appréciera plus certains récits que d’autres. Il peut en particulier être déconcerté par la longueur du Grand cerceau européen, c’est-à-dire vingt-neuf pages, et sa nature satirique sur un projet politique aussi artificiel qu’absurde, que personne ne comprend, à commencer par le président de la France lui-même, ses conseillers, et même son créateur. L’auteur réalise des dessins caricaturaux : le lecteur peut bien ressentir son mépris pour Nicolas Sarkozy et sa nervosité, pour François Hollande et sa placidité, pour Dominique Strauss-Kahn et sa libido hors de contrôle. Berberian réalise des cases sans bordure, avec un trait de contour sec et très fin, des lavis de gris, et quelques apparitions de couleur qui tranchent fortement avec le reste. Il s’amuse à mêler des faits d’actualité avec des inventions loufoques. Dans la première catégorie : les conseillers en communication, DSK en éminence grise et ses affaires de nature sexuelle, les interviews de David Pujadas, le recours à des agences de communication, le lien entre Hollande et Ségolène Royal, les liens entre Sarkozy et Bachar al-Hassad. Dans la deuxième : le grand cerceau européen lui-même, l’amour de DSK pour le tiramisu, la chanson de Hollande pour le grand cerceau, l’attraction irrépressible d’Angela Merkel pour Hollande, l’expérience de DSK avec un aspirateur, etc. En fonction de ses attentes, le lecteur pourra être hilare devant l’inventivité et l’humour absurde, ou bien se lasser d’avoir la sensation d’une blague potache étirée pendant trop de pages.


Au cours des pages, le lecteur va donc passer d’un type de récit à un autre assez différent, et rencontrer également des illustrations indépendantes. La première en pleine page : trois passants dans une rue calme, en nuances de gris, la fresque murale ressortant grâce à ses couleurs. Puis une illustration en double page, des personnes faisant la queue pour recevoir une dose de justice dans une soupe populaire, avec le diable surveillant l’opération. Un homme passant devant une station-service dont le toit est occupé par un immense chat. Deux jeunes adultes installés à la terrasse d’un café à la nuit tombante, chaque absorbé dans la consultation de son écran, avec le titre : La vie de bohême. Une série de vingt dessins, dont quatre en couleurs, croquant des moments de la vie quotidienne dans différentes villes, faisant apparaître la diversité des individus, le contraste entre la situation de certains d’eux, des faits sociétaux. Puis encore quatre autres au pinceau plus loin sur une même page, et une dernière illustration en pleine page. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut percevoir ces images comme une façon d’augmenter la pagination, ou bien une façon de faire ressortir la capacité d’observation de l’artiste, et les différentes techniques qu’il utilise.



Il est également possible d’envisager les récits dans lesquels l’auteur se met en scène comme d’un côté un commentaire sur la société dans laquelle il évolue à l’époque, et également un commentaire sur lui-même. Dans le premier registre, il tourne en dérision le monde de l’édition et l’importance accordée au paraître et à la réputation. Sous sa plume, l’éditeur apparaît suffisant, Van Glüten est un vieux beau. La jeune éditrice Lizzy annonce explicitement qu’elle n’en est pas vraiment une, qu’elle est la fille de l’actionnaire principal de la boîte : le dessinateur sait la rendre immédiatement sympathique avec son visage franc, ses vêtements amples pour masquer pour partie son surpoids, sa façon d’apprécier la vie. Le chapitre sur les riches fonctionne très bien sur le plan de l’humour, en revanche le récit est trop dans l’exagération pour être une critique légitime. Le reportage sur l’équipe de Mélenchon utilise des cases plus petites et carrées, avec une variété des personnes interviewées qui en fait un vrai reportage. Les deux pages mettant en scène Sylvio Berlusconi s’inscrivent également dans le domaine du sketch absurde. L’apparition de Leiji Matsumoto met en avant l’importance accordée à ce mangaka dans le monde de la bande dessinée. L’histoire finale permet de retrouver Lizzy avec Charles, pour une autre critique sociale sur le milieu artistique, avec une touche d’humanisme et d’autodérision.


En effet, l’auteur se met en scène avec autodérision. Cela commence avec son manque de succès économique depuis la dissolution de son duo avec Philippe Dupuy, et sa propension à se montrer insolent, voire violent, envers les riches et puissants. Puis vient son attitude de fan vis-à-vis de Marcel Gotlib et la fierté de travailler dans son magazine, même s’il ne le rencontre pas, et une autre histoire entièrement fictionnelle et totalement honnête quant à son amour pour les Monty Python. Vient ensuite son mépris pour les riches, son admiration pour l’équipe de Mélenchon, sa prise de recul sur les réseaux sociaux et les vidéos qui reçoivent énormément d’appréciations, et enfin sa prestation en Albator. Il apparaît comme un être humain modeste, conscient de ses limites, et par voie de conséquence tout aussi conscient des défauts des autres et du ridicule inhérent à toute personne qui souhaite paraître. Il retrouve ces caractéristiques et ses qualités dans les autres histoires où il ne se met pas en scène : une critique de la gestion des ressources humaines comme des individus jetables, l’utilisation des réseaux sociaux par une personne à la rue, renvoyant le passant à sa solitude, une autre nouvelle du monde sur la guerre, et le thème du quart d’heure de postérité.


Un recueil d’histoires courtes de l’auteur, mêlant autofiction et fiction pure, avec une bonne dose d’humour alliant autodérision et absurde, avec une critique sociale premier degré, et une tendance à l’inventivité débridée. Une narration visuelle claire allant de dessins aux contours secs et fins à une histoire en deux pages à l’aquarelle, avec un sens personnel de la caricature. Une compilation de bric et de broc, et des récits qui exhalent tous la personnalité de leur auteur. Sympathique et drôle.



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