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mercredi 20 août 2025

Alef-Thau T06 L'homme sans réalité

C’est bien joli tout ça, mais on est encore des illusions !?


Ce tome fait suite à Alef-Thau T05: L'Empereur boiteux (1989), une série en huit tomes, suivie par une seconde saison en deux tomes : Le monde d’Alef-Thau, dessiné par Marco Nizzoli. Son édition originale date de 1991. Il a été réalisé par Alejandro Jodorowsky pour le scénario, par Arno (Arnaud Dombre) pour les dessins et les couleurs, avec Florence Breton pour les couleurs. Il compte cinquante-deux pages de bande dessinée.


Où sont les belles prédictions ? Un vaisseau et une demi-douzaine de sphères sont en approche au-dessus du château de Tehetete. Dans l’enceinte fortifiée, se tiennent les gnomes, ainsi qu’Alef-Thau, Diamante, Louroulou. Le vieil immortel dépasse la tête en bas de la partie inférieure d’une sphère. Il ordonne à Diamante de rentrer chez elle, et tout de suite ! Elle répond qu’il n’en est pas question : elle ne veut plus jamais retourner là-haut, et elle demande à Alef-Thau de faire quelque chose. Le vieil immortel éclate de rire : il meurt d’impatience de voir ce que cette pauvre illusion qu’est Alef-Thau peut faire. Ce dernier s’adresse à la jeune femme : il est conscient qu’il ne peut rien faire et que le mieux est qu’elle parte, ça ne sert à rien qu’elle reste. Diamante se met à courir pour s’enfuir, suivie par Holibanoum. Les gnomes du château bandent leur arc et décochent des flèches en direction du vieil immortel, malgré les avertissements d’Alef-Thau. Celui-ci rit alors qu’il est touché : il est immortel et les blessures qu’il reçoit se répercutent sur ceux qui ont décoché les flèches. Diamante est parvenue à monter sur le chemin de ronde, toujours suivie par Holibanoum. Deux sphères tirent de petits missiles qui atteignent la muraille de plein fouet. Les robots entament la phase de récupération. Alors que Diamante et le gnome reprennent leurs esprits dans les décombres, un rayon provenant d’une sphère les font léviter et les aspire.



Voyant Diamante s’élever vers la sphère, Alef-Thau tombe à genou, l’épée de cristal à la main, totalement démuni. Alors que la jeune femme est avalée à l’intérieur de la sphère, le rayon disparaît et Holibanoum tombe dans l’eau d’une fontaine. Le vieil immortel donne l’ordre du rassemblent de toutes les unités, dans le vaisseau -mère. À l’intérieur de la sphère il accueille Diamante : il l’attendait et elle va assister à un beau spectacle. Elle lui rétorque qu’elle en a assez, qu’elle n’a plus rien à faire ici, que sa place est en bas, avec Alef-Thau. Il répond que son héros n’est qu’un guignol, et que l’immortalité il n’y a que ça de vrai. Elle se moque de lui en lui demandant s’il s’est vu avec son immortalité, un vrai macchabée ! Alors que ses compagnons lui ont appris à aimer, et que ça c’est la plus belle chose qui ait pu lui arriver. Le vieil immortel donne l’ordre de détruire Mu-Dhara. Le vaisseau-mère commence à produire une vibration et le château s’écroule en ruines. Les gnomes et Alef-Thau commencent littéralement à fondre, se liquéfiant chacun en une flaque de fluide vital. Bientôt seule la tête de d’Alef-Thau dépasse encore de sa flaque, ainsi que son épée.


À l’issue du tome précédent, le sort du mentor est pratiquement réglé, puisqu’il avait quitté sa forme physique et s’était réconcilié avec une personne importante. Dans le même temps, Alef-Thau est réuni avec Diamante, qualifiée de seule personne réelle de ce monde, et il dispose de deux bras et deux jambes, ce qui le rend plus valide qu’il n’a jamais été. C’est le moment que choisit le vieil immortel pour passer à l’action. Il s’agit d’un personnage mystérieux qui incarne la composante science-fiction du récit. Il a servi de mentor, ou plutôt de figure d’autorité pour Diamante lui dictant ce qu’elle doit faire, édictant sa raison d’être, à savoir régner sur cette planète appelée Mu-Dhara. La première séquence fait prendre conscience au lecteur qu’il a un point commun majeur avec la jeune femme : l’appellation Immortel est à prendre au pied de la lettre, ceux qui s’en prennent physiquement à lui subissent la blessure qu’ils ont infligée en retour, alors que lui reste indemne. Le scénariste continue de mener son intrigue tambour battant : le vieil immortel parvient à son but, c’est-à-dire faire enlever Diamante et la ramener dans le vaisseau-mère, en parallèle Alef-Thau se lance dans une quête pour délivrer sa bien-aimée. Le lecteur arrive à la dernière page totalement pris dans l’histoire, et il découvre la mention Fin du premier cycle en bas de la dernière case. Il peut s’en trouver quelque peu déstabilisé puisqu’il sait qu’il ne reste plus que deux tomes, ce qui fait un deuxième cycle beaucoup plus court.



Le lecteur retrouve également avec grand plaisir les personnages, à commencer par Alef-Thau. Celui-ci agit toujours comme le héros au cœur pur, se lançant dans l’aventure sans coup férir, accompagné d’un faire-valoir (non, ce n’est pas Diamante). Il a l’allure d’un jeune homme athlétique, ayant gagné en muscles. Il porte un costume à la couleur neutre, un haut sans manche assorti à son pantalon, une ceinture toute simple sans boucle apparente, et des sortes de chausses lacées par des bandelettes sur le mollet. Son apparence est complétée par sa belle tignasse blonde quelque peu rebelle, et sa longue natte qui lui descend jusqu’aux chevilles, se terminant par la feuille tranchante de l’arbre de sagesse, dont il ne fait pas usage dans ce tome. C’est un jeune homme plein de vitalité, vaillant et courageux, parfois en proie au doute. Le lecteur éprouve le plaisir indicible de le voir enfin complet sur le plan physique, en planche vingt-sept. Il a pleinement conscience qu’il s’agit vraisemblablement d’un état précaire et réversible, ce qui ne l’empêche pas de partager la joie du jeune homme. Il se rend compte qu’en planche quatorze il assiste à la résurrection du jeune homme, un processus récurrent dans la série. Alef-Thau est accompagné dans ses tribulations par le petit gnome Louroulou, servant de respiration comique de temps à autre, et très attachant par sa détermination parfois enfantine.


Les autres personnages s’inscrivent également dans la mémoire du lecteur. Grâce à un processus développé dans le tome précédent, Diamante continue de grandir plus vite que la normale, et elle atteint l’âge de jeune femme. Les auteurs se tiennent à l’écart de toute sexualisation à des fins de titillations gratuites à destination de jeunes lecteurs adolescents mâles. Elle est vêtue d’une manière similaire à celle d’Alef-Thau, avec une tunique qui lui laisse les jambes nues. Elle passe une partie de ce tome inconsciente, et donc en train d’être secourue par le héros, pour autant les rôles aurait pu être inversés, et Alef-Thau secouru par elle. Du fait de son rôle plus important, le lecteur prête plus d’attention au vieil immortel : un homme âgé décharné au torse nu (et l’avant-dernière séquence montre qu’il est entièrement nu), aux yeux globuleux, dont il manque la partie supérieure du crâne car son cerveau ainsi décalotté est relié à l’ordinateur ou aux commandes de sa sphère spatiale. Tout cela lui donne une allure de vieille momie manipulatrice et toxique, une sorte de vestige d’un autre âge qui aurait oublié de passer l’arme à gauche. Dans sa sphère, il est continuellement la tête en bas. Cette bizarrerie est expliquée lorsqu’il se retrouve désarmé face au héros : il explique que pour lui l’envers c’est l’endroit. Le lecteur prend cette déclaration dans un sens métaphorique, le sens des valeurs de cet individu étant inversé par rapport à celui des héros.



C’est reparti pour l’aventure : attaque d’un château-fort par des petits vaisseaux volants en forme de sphère, enlèvement de la belle jeune femme, destruction d’une planète, mort de la population, traversée d’un lac de fluide vital peuplé de créatures ectoplasmiques, infiltration du vaisseau-mère spatial, affrontement final contre le grand méchant, etc. Tout y est ! Comme à leur habitude, les auteurs mettent en œuvre les composantes récurrentes de la série : résurrection sous une forme ou une autre, corps astral pour échapper à une situation périlleuse, utilisation morbide de l’immortalité (Diamante se soumet au feu de soldats et même de chars, sachant qu’elle n’en mourra pas et que ses assaillants seront mortellement frappés en retour). Cette fois-ci les épreuves ne semblent pas passer par les quatre éléments (eau, terre, feu, air). En revanche, il est à nouveau question de la nature de ce monde. Pour commencer, le titre lui-même désigne ce questionnement : L’homme sans réalité. Ensuite, Alef-Thau est armée de son épée tout du long, et le lecteur se souvient qu’il s’agit de l’épée de cristal, qui s’est présentée comme la lumière, le seul être réel de cette planète. Le fluide vital joue à nouveau un rôle capital dans l’intrigue : le lecteur y voit plus une forme d’étincelle de vie de l’individu, qu’un fluide corporel reproductif… même s’il est question d’insémination d’un personnage et de sursemence. La dernière séquence amène effectivement une forme de clôture, pour ce premier cycle, tout en laissant en suspens la question de l’immortalité de Diamante, et l’interrogation sur la nature de la réalité, ou son corollaire sur ce qui est illusion. Toutefois, le lecteur se trouve bien incapable de deviner ce qu’il manque encore à Alef-Thau pour être complet.


Un tome qui marque la fin du premier cycle, avec des aventures haut en couleurs, une narration claire, inventive et divertissante. Des thèmes récurrents tels que la résurrection après des épreuves et une question sous-jacente de classe entre les immortels et le commun des mortels. Une promesse finale : d’ici peu, les personnages iront tous à la recherche d’une réalité.



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