Ma liste de blogs

mardi 19 août 2025

Plus vite, plus haut, plus sport

Une histoire incroyable, mais vraie, comme le sport n’en manque pas !


Il s’agit d’une anthologie relative à des anecdotes sportives. Son édition originale date de 2024. Il comprend dix récits, tous écrits par Julien Hervieux, chacun illustré par un artiste différent : François Boucq, Luigi Critone, Julien Solé, Fred Remuzat, Cédrick le Bihan, Damien Geffroy, Nicolaï Pinheiro, Étienne Le Roux, Virginie Augustin, Merwan. La colorisation a été réalisée par cinq artistes eux-mêmes (Boucq, Critone, Le Bihan, Geffroy, Le Roux), et par Robin Le Gall pour les cinq autres chapitres. Il comporte cinquante pages de bande dessinée.


Milon de Crotone, dessiné par François Boucq, six pages. Un grand costaud, accompagné de deux jeunes femmes accortes passe devant Milon de Cortone assir sur les marches d’un temple, en lui proposant de les accompagner à la plage. Le jeune homme refuse, prétextant qu’il revient juste de chez le coiffeur, qu’il doit remplir les moutons et surveiller les amphores. Et en plus, il n’a pas son maillot. Le bel athlète indique à une de ses compagnes qu’il croit surtout que Milon ne veut pas leur montrer qu’il est taillé comme un poète athénien. Vexé, Milon se lève et décide qu’il veut devenir costaud, et pour ça, il faut qu’il trouve des trucs à soulever pour se faire les bras. Il voit passer un paysan avec un bœuf et il essaye de soulever l’animal, qui est bien sûr trop lourd. Il décide d’aller acheter un veau : jour après jour, Milon porte son veau et comme le veau grandit, il porte toujours plus de poids. Un jour l’athlète entend parler des jeux olympiques et il décide de s’y inscrire… La légende de Milon de Crotone est importante pour l’histoire du sport à plus d’un titre. D’abord parce qu’elle participe à forger le mythe du champion auréolé de gloire qui vole de victoire en victoire, ce qui est un peu supposé motiver les troupes. Ensuite, parce que mine de rien, l’histoire du bœuf n’est pas si bête : elle illustre un principe sportif essentiel, qui de commencer petit (enfin, façon de parler) et de viser plus haut après chacun de ses progrès. Enfin, même sa défaite a une morale : la force ne fait pas tout, et un peu de technique et d’intelligence peuvent triompher du muscle pur.



Raoul Paoli le colosse sportif, dessiné par Luigi Criton, cinq pages. Jeux olympiques de 1900, épreuve d’aviron : un juge est éclaboussé par un équipage passant à toute vitesse. Il se demande s’il n’aurait pas triché avec un moteur et il se rend à l’arrivée : il découvre un colosse devant lui, Raoul Paoli. Ce dernier n’a que treize ans quand il se distingue pour la première fois aux Jeux olympiques. Rapidement, sa force lui donne un certain avantage à la lutte, dont il devient champion de France de 1908 à 1912. À partir de 1913, il se met à la boxe, et… il en devient aussi le champion de France. (Catégorie poids lourds, le lecteur l’aura habilement deviné). En 1914, la Première Guerre mondiale éclate. Raoul Paoli se retrouve dans l’infanterie, et il fait des ravages dans le camp adverse dans la guerre des tranchées. Il finit cependant par être blessé. Le chirurgien extrait de sa blessure une balle pour éléphant. En tout cas, pour lui, l’infanterie c’est terminé. L’administration décide intelligemment de l’envoyer dans l’aviation. Mais il apparaît rapidement qu’il est trop lourd.


S’il a déjà goûté à la saveur de l’anthologie Le petit théâtre des opérations du même scénariste, le lecteur anticipe des anecdotes triées sur le volet et un ton mêlant sarcasme et admiration, dans un savant dosage. Pour cette nouvelle anthologie, Julien Hervieux s’attache majoritairement au parcours de sportifs ou de personnes évoluant dans le monde du sport : Milon de Crotone (Vie siècle avant JC), Raoul Paoli (1887-1960, cinq olympiades en boxe et athlétisme), Duke Kahanamoku (1890-1968, nageur olympique), Roland Garros (1888-1918, première traversée de la mer Méditerranée), Adolfo Cotronei (1878-1950, journaliste escrime), Kathrine Switzer (1947-, marathonienne), Khatuna Kvrivishvili (1974-, archère soviétique aux jeux olympiques de 1992, géorgienne pour ceux de 2000, américaine pour ceux de 2008). Les trois autres récits sont consacrés à l’organisation désastreuse du marathon des Jeux olympiques de Paris en 1900, à la création de la voiture-balai dans le Tour de France, et à la création du jeu de Soule ainsi qu’à son évolution. Les fiches accolées à chaque chapitre sont le plus souvent consacrées à l’athlète ou à la personnalité, et développent un autre aspect comme l’importance de Milon de Crotone pour l’histoire du sport, la biographie de Raoul Paoli, le développement de la pratique du surf, l’hélice blindée dans les avions de la Première Guerre mondiale, la fin de la pratique du duel en France, Roberta Gibb (1942, marathonienne).



Le choix d’avoir un artiste différent par sujet permet de leur conférer une saveur propre, rehaussant ainsi leur particularité. Chacun des dessinateurs réalise des cases dans un registre descriptif et majoritairement réaliste. Ainsi le lecteur peut se projeter dans la Grèce antique avec les toges et les culottes en ligne noué, les tranchées de la Première Guerre mondiale, derrière les tribunes de la piscine olympique en plein air, dans les rues de Paris en 1900, dans le ciel en plein combat aérien, en plein champ pour un duel à l’épée, dans les rues de Boston pour un marathon, dans un train en 1911 pour tricher au Tour de France, dans une salle avec une chaise pour provoquer des décharges électriques, ou encore devant un château en 1369. Le niveau de détails peut varier d’un chapitre à l’autre, avec toujours une attention portée à la reconstitution historique, à la fois par les tenues vestimentaires, par les accessoires et par les moyens de locomotion. Ainsi le lecteur peut admirer un beau spécimen de vache (accessoire soulevé par Milon de Crotone), Raoul Paoli en train de tourner dans un film à Hollywood, le beau collier de fleurs hawaïen de Kahanamoku, une carotte (enseigne rouge obligatoire depuis 1906) d’un bureau de tabac, un des premiers avions (avec ses ailes en toile, proche d’un vélo avec des ailes), le salon luxueux de la fédération d’escrime, une piste d’entraînement d’athlétisme, une belle palette de chapeaux sur les responsables de l’organisation du Tour de France dans les années 1910, un bel arc de compétition très technique, les protège-têtes spécifiques de la soule.


Impossible de résister aux touches d’exagération humoristique de Boucq dans la première histoire : l’assurance totale de Milon de Crotone dans sa force. Critone dessine un Raoul Paoli plus monolithique, jouant sur le fait que le scénariste lui donne toujours la même réplique : Greuh. L’encrage de Solé s’avère plus épais et plus gras, pour une impression plus organique et palpable. Remuzat réalise des dessins plus clairs, avec un beau soleil qui donne une ambiance de comédie totalement appropriée au vu du degré d’impréparation et de chaos du marathon de 1900. Le Bihan donne une tronche plus marquée aux personnages dont Roland Garros. Geffroy fait ressortir la démarche opportuniste et sans gêne du journaliste grâce au langage corporel et au jeu des acteurs. Le lecteur se prend immédiatement d’amitié avec Kathrine Switzer dont le visage et l’attitude montrent qu’elle est totalement imperméable à la misogynie ambiante. Le Roux sait insister sur les regards fourbes et les prises de vue révélatrices des tricheries. Augustin marie avec élégance des réactions un peu exagérées avec des situations mettant en lumière leur caractère anormal, Merwan réalise des dessins qui donnent une sensation plus brouillonne pour rendre compte des mêlées très viriles propres à la soule.



Le savoir-faire du scénariste opère comme dans sa série sur les militaires en intervention sur le petit théâtre des opérations, avec monsieur le Chien. Il évoque aussi bien les sportifs que le contexte dans lequel ils s’illustrent. Pour Milon de Crotone, il évoque sa vie, et bien sûr le principe de porter sur ses épaules chaque jour un jeune veau, portant ainsi un poids plus important chaque jour, jusqu’à pouvoir porter un taureau une fois le veau devenu adulte. Le scénariste va ainsi mettre en avant la valeur de chacun des sportifs : Paoli un colosse courageux combattant lors de la Première Guerre mondiale, Kahanamoku promouvant le surf et devenant le shérif d’Honolulu, Garros inventant l’hélice blindée, Switzer faisant fi de la misogynie omniprésente, Kvrivishvili d’une constance surhumaine. Le lecteur constate que Hervieux en profite d’ailleurs pour glisser quelques anecdotes sur la guerre, comme ça en passant, en loucedé.


Ces histoires racontent également l’apparition d’un nouveau sport (le surf), la construction progressive de certaines épreuves (en particulier le marathon et la soule), l’amélioration de l’organisation (le marathon encore), et les tentations de tricheries (dont certaines très inventives pour le Tour de France). Le lecteur prolonge bien volontiers chaque chapitre avec la page de texte illustrée. Ainsi il en apprend plus sur la vie historique de Milon de Crotone et son importance symbolique pour le sport, l’importance du catch en France dans les années 1960 et 70 (avec des catcheurs comme Chéri Bibi ou le bourreau de Béthune, et le commentateur Thierry Roland), la concurrence du surf en tant que pratique sportive avec la présence de requins dans certains spots, la pagaille totale du marathon de Paris de 1900, les hélices blindées des premiers avions (Hervieux réussit à parler de guerre), un journaliste des plus opportuniste et le dernier duel connu en France (en 1967 entre Gaston Defferre et René Ribière), la grossesse comme mode de dopage, l’entraînement de Jennifer Lawrence pour Hunger Games (avec une championne olympique de tir à l’arc), et l’existence de sports aux règles inattendues comme l’Eukonkanto, la course-poursuite avec un fromage (au Royaume-Uni), ou encore le Quidditch (avec des règles absurdes créées dans le seul but de se moquer des sports aux règles compliquées).


On peut faire confiance à ce scénariste pour choisir les anecdotes croustillantes avec une intuition sûre et pour s’entourer d’artistes sachant aussi raconter l’histoire dans un environnement solide qu’en faire ressortir les caractéristiques absurdes et drôles. De Milon de Crotone à la soule, en passant par des sportifs exceptionnels et des situations ubuesques. Aussi instructif que divertissant.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire