Oui, un ravalement de façade s’impose. Ta beauté légendaire s’est fanée.
Ce tome fait suite à Le Mercenaire T09 Les Ancêtres disparus (1997). La première édition de ce tome date de 1999, réalisée intégralement par Vicente Segrelles, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. L’intégralité de la série a été rééditée dans une intégrale en trois volumes, en 2021/2022. Pour un autre point de vue sur cet album, Les BD de Barbüz : Géants.
Nan-Tay et Mercenaire sont partis pour une nouvelle mission. Au cours du voyage, ils se reposent à la lueur d’un feu de bois, adossés chacun à un rocher, un petit lac à côté, et leurs deux dragons allongés paisiblement. Elle explique que ce qu’elle préfère quand on voyage, c’est se reposer à la lueur d’un feu de bois et écouter des récits fantastiques. Elle se souvient quand son grand-père lui racontait des contes. Elle adorait ceux avec des géants. Quelle nostalgie. Mercenaire lui répond qu’il en connaît quelques-uns qu’elle n’a jamais entendus, sur des géants. Elle lui indique que ça lui ferait très plaisir de les entendre. Il commence : alors voilà, c’était une sombre histoire de kidnapping… Une halte sur le chemin : Mercenaire a accepté une mission. Il se trouve à pied d’œuvre, en haut d’un escalier, avec un point en pierre devant lui, qui mène à l’entrée gigantesque d’un château fort de géant. Il a revêtu son armure, et il ajuste la plaque faciale sur son heaume. Il sait qu’il doit disposer cent sous dans un panier pour entrer. Il se demande jusqu’où le mènera cette mission. Il s’avance vers le point levis. Il frappe un énorme gong avec un maillet. Le pont-levis s’abaisse. Il vide la bourse contenant les cent sous dans la panière et celle-ci s’élève, déclenchant un mécanisme qui actionne l’ouverture de la porte. Il pénètre dans le hall.
Après ce premier souvenir, Mercenaire enchaîne avec le deuxième : Trois vœux. Au cours d’un autre voyage, il passe la nuit au milieu de ruines à demi englouties par le sable du désert, abrité sous une arche accolée à un mur en pierre, son dragon à ses côtés. Il se rend compte qu’à trois mètres de lui, se trouve un anneau dans le sol. Une entrée secrète peut-être ? Il accroche la longe de son dragon à l’anneau, et la bête tire jusqu’à soulever l’épaisse dalle qui permet d’accéder à une immense salle souterraine dans laquelle il fait jour, à la grande stupéfaction de Mercenaire qui ne comprend comment il peut en être ainsi. En plus, il y a un cadavre, ça commence à l’inquiéter. Il a l’impression d’entendre quelqu’un : il tourne la tête pour regarder autour de lui et il découvre un petit personnage en train de gesticuler dans une bouteille en verre fermée par un bouchon. Il ôte le bouchon, et le petit personnage devient un géant de plusieurs mètres de haut, jouissant d’être enfin libre, après sept cent cinquante trois ans passés dans ce maudit flacon. Endora : après cette rencontre avec un génie, au cours d’une autre mission, Mercenaire chevauche sur son dragon et il arrive devant un géant ailé armé d’une épée se tenant au sommet d’une tour. Il l’attaque avec son arbalète.
Ky n’est pas là, Nan-Tay non plus à part pour la première et la dernière page, et le lecteur ne sait pas comment elle s’en est sortie de sa mission qui l’avait amené à se séparer de Mercenaire dans le tome précédent. Ici, il découvre quatre histoires courtes, autant de rencontres avec un géant, ou une géante, dans des aventures datant d’avant qu’il ne rejoigne la communauté du monastère de l’Ordre du Cratère, sans lien avec ses aventures précédentes. Le lecteur a pris l’habitude depuis le tome sept que l’auteur conçoit sa série comme une suite d’aventures à la continuité lâche, sans forcément de reprise d’un fil narratif d’un album au suivant, ou de développement d’une intrigue secondaire amorcée dans le tome précédent. La construction du présent tome peut déconcerter : une page d’introduction, une page de conclusion, et entre les deux quatre missions, la première comptant huit pages, la deuxième sept pages, la suivante seize pages et la dernières treize pages. Il n’y a aucun indice qui laisserait à penser qu’elles pourraient avoir des conséquences pour les intrigues des albums suivants. Elles n’engendrent pas d’incidence sur Nan-Tay, et elles ne viennent pas développer la personnalité de Mercenaire, au-delà de ce que le lecteur sait déjà de lui, si ce n’est l’existence d’un sens de l’humour discret et second degré.
Le lecteur met de côté ses espoirs de voir les différents fils narratifs continuer à construire une intrigue globale sur l’ensemble de la série, constat déjà effectué dans les tomes précédents, et il se laisse bien volontiers emmener dans ces nouvelles. Il est tout de suite transporté ailleurs avec ce coucher de soleil aux couleurs violettes, et cette herbe tendre et fournie sur laquelle se sont installés les deux voyageurs. Dès la deuxième planche, il se retrouve devant un de ces châteaux fortifiés en pierre dont l’artiste a le secret : un pic rocheux qui a été partiellement évidé pour construire les pièces accueillant les habitants, une forteresse qui met à profit une formation géologique naturelle, avec un côté sur la mer, totalement inaccessible. Un accès qui se fait par un pont étroit en pierres : le lecteur aimerait bien pouvoir visiter ces lieux. Son envie va grandissante en découvrant le pont-levis, la salle du trône, ce dernier étant en pierre également, même si les marches sont difficiles à gravir car adaptées à un individu de plus quatre mètres de haut. La deuxième histoire offre au lecteur une déambulation dans un palais oriental, le sable du désert tapissant le sol. L’artiste prend plaisir à reproduire les spécificités architecturales de cette région du monde, et à accrocher des décorations correspondantes. Nouveau château fort pour la troisième histoire, moins montré, mais suivi par une descente littérale aux enfers, avec la lave et le trône de Satan lui-même. Comme à son habitude, Segrelles joue admirablement des nuances de couleur pour créer une ambiance lumineuse spécifique. Dernière histoire : une attente morose dans une lumière grise, pour une aventure qui se termine dans un nouveau palais, également différent des précédents.
Le lecteur découvre des situations visuelles marquantes dans chacune des histoires. La double chute de la première : quand Mercenaire tourne son visage vers le lecteur pour une révélation stupéfiante, puis quand le lecteur voit un aéronef s’envoler dans la dernière page, une touche d’humour qui prend par surprise, tout en s’inscrivant dans la mythologie de la série. La deuxième histoire montre que le pauvre génie prend progressivement conscience qu’il n’est pas assez astucieux pour avoir le dessus, ce qui donne lieu à quelques expressions de visage savoureuses. La troisième histoire débute avec trois pages splendides : Mercenaire arrive à dos de dragon devant le sommet d’une tour sur lequel est assis un géant ailé avec une épée pointe vers le bas, ses mains reposant sur sa garde : de la pure Fantasy. Par la suite, l’artiste s’amuse avec un dose d’humour macabre : l’effet des carreaux décochés par l’arbalète de Mercenaire, l’arme amenée par Mercenaire dans les enfers, et la chute. Dans la dernière histoire, il revient sur la place des femmes dans cette littérature de genre, avec une tribu de swats, des femmes guerrières ayant créé une société sans homme : l’auteur montre qu’elles savent se montrer aussi dépourvues de pitié que les hommes, et aussi stupides qu’eux dans leur capacité à détruire leur propre société.
Au travers de ces quatre récits, le scénariste nourrit ses intrigues avec des mythologies différentes, comme il l’a fait dans les albums précédents : des géants bien sûr, un génie oriental et une lampe (belle idée sur qui l’a emprisonné dans la lampe), les enfers avec son diable qui y règne, ou encore les amazones. La narration visuelle est toujours réalisée en couleur directe à la peinture à l’huile… jusqu’à la planche trente-quatre. Pourtant, s’il n’y prête pas attention, le lecteur n’y voit que du feu : aucune solution de continuité entre cette planche et la suivante, aucun effet de débauche de nuances permise par l’infographie, aucune sensation d’un utilisateur tâtonnant avec un nouvel outil, ou d’une technologie pas encore très performante. Le plaisir de lecture ne s’en trouve aucunement altéré. La qualité du rendu reste à l’identique, ainsi que le degré de finition : une transition parfaitement réussie.
Chaque nouveau tome constitue l’assurance de pouvoir accompagner Mercenaire dans de nouvelles aventures, nourries par des mythologies et des périodes historiques inattendues, s’intégrant toujours bien à cette version alternative du début du deuxième millénaire sur une Terre légèrement décalée. L’auteur tient la promesse du titre : des géants que Mercenaire rencontre dans quatre aventures différentes en solo. Il retrouve son rôle premier : accomplir des missions de sauvetage périlleuse, et bien rémunérées, pour sauver une belle jeune femme. La narration visuelle à la peinture à l’huile donne une consistance remarquable à chaque décor, chaque personnage. L’implication de l’artiste émane de chaque page pour des visions merveilleuses, parfois horrifiques, parfois humoristiques. Une série toujours aussi enchanteresse.
Toujours aussi enchanteresse en effet. Ici c'est un peu plus léger, je ne suis pas certain de comprendre la fin de la première histoire, mais les décors, l'aventure et les voyages sont magnifiques. On voit peu la différence avec la colorisation informatique, c'est du grand art. J'attaque le troisième et dernier tome, je suis ravi de savoir qu'il y a une fin en bonne et due forme mais sous un format de nouvelle.
RépondreSupprimerOn voit peu la différence avec la colorisation informatique : je me suis fait la même réflexion, voire j'aurais été incapable de le détecter.
SupprimerMerci pour le lien.
RépondreSupprimerLa narration visuelle est toujours réalisée en couleur directe à la peinture à l’huile… jusqu’à la planche trente-quatre. - Je ne te suis pas. Tu veux dire qu'à partir de la planche 35 (c'est bien le numéro de la planche, ou celui de la page), Segrelles quitte la peinture à l'huile et utilise des outils de peinture numérique ? Alors là, j'ai besoin que tu me donnes plus de détails. Et pourquoi parles-tu de "solution de continuité" ?
Ci-dessous le texte de l'introduction correspondant au tome 10, présente dans le 2ème tome de l'intégrale.
SupprimerDurant un voyage, alors qu'ils se reposent à la lueur d'un feu de bois, le Mercenaire raconte à Nan-Tay, quatre de ses aventures passées. Au cours desquelles il a croisé la route de géant. À la confluence de la Fantasy, de la science-fiction, de l’horreur, des contes des Mille et une nuits, le tout mâtiné d’une pointe d’humour et de dérision, ce dixième épisode est aussi particulièrement notable par sa technique de réalisation : pour la première fois, à partir de la trente-cinquième planche (page 241), Segrelles tombe els pinceaux et l’huile au profit d’une mise en couleurs sur ordinateur.
Solution de continuité est une expression qui m'avait tapé dans l'œil quand j'étais tombé dessus la première fois parce que cette suite de mots ne faisait pas sens dans le contexte où je l'avais lue. Il s'agit d'une rupture. Je voulais dire que le passage d'une technique à l'autre se fait sans heurt, sans dissonance.
https://www.academie-francaise.fr/solution-de-continuite
Mais comment as-tu vu que Segrelles avait changé de technique ? C'est indiqué dans ton édition ?
SupprimerJ'ai lu cette série sous la forme d'intégrale, avec l'introduction recopiée ci-dessus, chaque tome disposant d'un paragraphe après la reproduction de la couverture.
SupprimerDu coup, j'ai prêté une attention particulière à chaque planche : ça ne m'a pas sauté aux yeux et je ne l'aurais pas détecté par moi-même. J'aurais peut-être eu un doute sur quelques cases éparses, au mieux. Avec l'information de l'introduction en tête, il est possible de remarquer quelques dégradés très lissés, typique de l'infographie. Et même comme ça, je suis épaté parce que Segrelles a réussi à sortir avec les logiciels de l'époque.
Merci, tout cela est beaucoup plus clair. J'avais zappé la première page de ton message précédent. D'où ma confusion.
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