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lundi 5 juin 2023

Eden 1 Retour au monde perdu

Ces terrifiants ptérodactyles viennent encore de temps en temps hanter mes nuits !


Ce tome est le premier d’un diptyque formant une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première publication date de 2019. Il a été réalisé par André Taymans pour le scénario et les dessins. Les couleurs ont été réalisées par le studio Caroline. Au cours du récit, Kathy Malone découvre des dessins de dinosaures réalisés par un enfant, Henry Taymans. Le tome s’ouvre avec une courte dédicace de l’auteur : À la mémoire de Sir Arthur Conan Doyle qui, avec son fantastique Monde perdu, a marqué des générations de créateurs, romanciers, cinéastes, leur inspirant des œuvres telles King Kong ou Jurassic Park. À Edgar Pierre Jacobs qui, outre le fait de m’avoir appris les rudiments de la bande dessinée étant enfant avec son formidable Rayon U, hommage subtil au Monde perdu. Ses terrifiants ptérodactyles viennent encore de temps en temps hanter mes nuits ! À Henry, mon fils, grand amateur de dinosaures devant l’Éternel.


Bristol, en juin 1970. Kathy Malone vient d’obtenir son diplôme de paléontologue et elle s’en félicite à l’extérieur, avec ses amis de promotion. Elle regrette que son copain Andy soit en retard comme à son habitude. Celui-ci arrive, se déclarant vraiment désolé, mais il annonce à sa copine qu’il l’a trouvé. Celle-ci lui pardonne et il poursuive leur trajet en voiture pour se rendre dans l’immense manoir familial des Malone. Toujours en tenue de diplômée, Kathy y rentre et va saluer sa grand-mère. Elle passe devant les squelettes de dinosaures, puis montre fièrement son diplôme à sa grand-mère. Cette dernière lui assure que son grand-père et son arrière-grand-père seraient fiers d’elle. Elle n’a jamais douté de sa petite-fille, d’ailleurs elle les a déjà préparés : les carnets du journal d’Edward Malone, écrits en 1912. Kathy prend le temps de se changer dans une tenue décontractée hippie, et elle ressort pour annoncer la bonne nouvelle à Andy qui l’attendait à l’extérieur. Ils ont tout ce qu’il faut pour partir au Brésil.



Au pub sis à côté de la librairie Edgar P. Jacobs, le propriétaire accueille les deux jeunes à bras ouverts. À un habitué râleur, il explique que Kathy est la petite fille du vieux Malone, celui qui était le copain du professeur Challenger dont il a d’ailleurs épousé la fille. La petite est donc la petite-fille d’Ed Malone et l’arrière-petite-fille du professeur. En outre, James, le père de la petite, le fils d’Ed Malone, était un habitué. Il passait souvent prendre un verre avant l’accident. Les parents de Kathy sont morts aux Indes dans un accident d’avion, il y a une dizaine d’années. Assis à une table dans un coin tranquille du débit de boissons, Kathy montre une vieille photographie à son copain. Elle nomme les hommes présents dessus : son grand-père paternel Edward Malone, son arrière-grand-père l’illustre professeur George Edward Challenger, le professeur Summerlee et Lord John Roxton, grand chasseur de fauves. Elle continue : ils ont découvert un monde perdu, un jardin d’Éden et ces carnets relatent dans le détail leurs aventures, et surtout l’endroit précis où se trouve cette contrée oubliée.


L’auteur ne fait pas mystère de ses deux sources d’inspiration : Le monde perdu (1912) d’Arthur Conan Doyle (1859-1930), et Le rayon U (1943/1944, publié en album en 1974), d’Edgar P. Jacobs (1904-1987). Le lecteur peut identifier le nom de George Edward Challenger (surnommé G.E.C.) et d’Edward Malone comme étant ceux des héros du roman de Conan Doyle. Les dinosaures sont bien au rendez-vous de la dernière partie de ce premier tome, et ils peuvent évoquer ceux de Jacobs. Le lecteur en vient à se demander si la carcasse d’avion amphibie soviétique se veut le pendant plus moderne de l’Espadon. Quant à l’intrigue, elle suit un fil directeur linéaire et chronologique attendu : expédition vers la chaîne de montagne qui forme un cirque au sein duquel ont survécu quelques dinosaures. Comme de bien entendu, des individus mal intentionnés ne demandent qu’à tirer profit de ces jeunes excursionnistes imprudents. Les catastrophes ne tardent pas à survenir.



L’héroïne principale évoque un peu Caroline Baldwin, le personnage récurrent créé et écrit par André Taymans, mais en blonde et peut-être plus portée sur les relations sexuelles. Le lecteur comprend vite qu’il ne doit pas trop s’attacher à la plausibilité du récit et de ses circonstances : l’auteur écrit un hommage aux récits d’aventures, à sa sauce. Le personnage principal dispose de fonds personnels qui lui évitent d’avoir à se préoccuper des contingences matérielles. Ses amis n’ont rien d’autre à faire que de l’accompagner en lui accordant une confiance aveugle, sans aucunement s’interroger sur la faisabilité de l’expédition, ou de savoir si leur copine sait vraiment où se trouve l’accès à cette vallée improbable. Les dessins montrent les deux combis Volkswagen progresser sur des routes de terre dans une jungle, sans crainte d’y laisser leurs amortisseurs, sans bidons de carburant. Les malfrats n’éprouvent pas de grandes difficultés pour retrouver la trace de leurs proies. Kathy marche pieds nus sur un sentier rocheux, sans aucune crainte pour ses pieds. Les jeunes gens ne s’inquiètent pas outre mesure de savoir s’ils trouveront de quoi manger dans leur futur Éden, ou s’ils sauront se débrouiller pour reconnaître des fruits, préparer des bêtes sauvages pour les cuire, etc. Le lecteur accorde bien volontiers le degré de suspension d’incrédulité consentie pour accepter tout ça, comme autant de conventions du récit d’aventures, voire elles participent à son charme gentiment rétro.


Dès la couverture, le lecteur retrouve la personnalité graphique d’André Taymans : trait de contour un peu épais, discrètement irrégulier pour apporter un peu de rugosité, éléments concrets et réels comme le combi VW et le short déchiré, spatialisation donnant de la profondeur à la scène, sens du spectaculaire avec la carabine et les ptéranodons. Tout commence avec une belle vue de la façade du bâtiment historique abritant l’université de Bristol. Par la suite, le lecteur peut se projeter dans le manoir familial des Malone, avec son squelette de mammouth dans le grand hall d’entrée, dans un pub au comptoir bien lustré, sur l’avenue longeant la plage de Copacabana, puis dans la jungle avec quelques cabanes en bois sur pilotis. Il chemine avec le petit groupe d’explorateurs pour traverser une longue plaine herbeuse, et il voit se préciser au loin la formation rocheuse caractéristique qui abrite le cirque du monde perdu. Il suit Kathy qui a enlevé ses chaussures, ainsi qu’Andy, Carol, Harry et Tom, tout en ayant mal pour la plante des pieds de la première, et il débouche avec eux dans une nouvelle jungle dense, bientôt trempée par une pluie insistante. Le lecteur éprouve la sensation de se trouver dans des lieux plausibles, conscient que l’artiste met à profit ses propres randonnées et expéditions en montagne. Ces lieux s’accompagnent de quelques accessoires ou tenues évoquant l’époque : la tenue de cérémonie de remise des diplômes, les tenues hippies, les deux combis VW Westfalia, aménagés, le boîte de soupe Campbell, ou encore cet avion soviétique le Bartini Beriev VVA-14.



C’est parti pour une expédition, celle-ci démarrant dès la planche huit. Le lecteur compte bien voir du paysage, et l’artiste sait y faire pour faire défiler le paysage, pour lui donner de la profondeur. Des cases de la largeur de la page que les deux combis traversent pour un arrière-plan touristique. Des arrêts pour le bivouac et passer la nuit, avec la zone bien dégagée pour pouvoir stationner et construire un feu de camp. Un beau bassin alimenté par une chute d’eau naturelle pour une baignade nudiste délassante. Des ponts de bois qui traversent la page, une plaine s’étendant d’un bord à l’autre de la page, les parois rocheuses de la caverne qui entourent les personnages, les branches d’arbres et leur feuillage qui cachent partiellement les personnages à la vue du lecteur avec de jolies nuances de vert, la pluie qui s’abat drue faisant baisser l’intensité lumineuse. Les personnages évoluent dans des environnements avec des géométries et des reliefs très différents, et s’y déplacent en conséquence. Ils ne présentent pas un caractère très développé, sans être interchangeables pour autant. L’auteur leur en confère plus par les dessins que par les dialogues. Il montre qu’ils adhèrent à une idéologie hippie, ou au moins d’amour libre, sans être inhibés par la pudeur.


La couverture annonce la couleur : un voyage vers le monde perdu d’Arthur Conan Doyle, et une confrontation avec quelques dinosaures, à commencer par des ptéranodons, dans les années 1970. André Taymans tient ces promesses : des dessins faciles à lire, une narration visuelle très solide d’un professionnel accompli avec une expérience personnelle sur laquelle il s’appuie pour plus de plausibilité et de réalisme dans ce qu’il décrit. Le lecteur accompagne bien volontiers ces jeunes adultes fraichement diplômés dans une aventure pleine de dangers auxquels ils ne sont nullement préparés, avec des prédateurs encore plus redoutables que des dinosaures, c’est-à-dire des êtres humains qui les traquent.



2 commentaires:

  1. le studio Caroline - Quel nom original...

    À Edgar Pierre Jacobs - Ah, voilà qui me plaît déjà !

    L’auteur ne fait pas mystère de ses deux sources d’inspiration - Avec tout ça, je me demande pourquoi Taymans n'a pas été envisagé (à ma connaissance) comme artiste des "Blake et Mortimer" de la reprise.

    Le lecteur en vient à se demander si la carcasse d’avion amphibie soviétique se veut le pendant plus moderne de l’Espadon. - Il faut que je voie ça.

    Quant à l’intrigue, elle suit un fil directeur linéaire et chronologique attendu - Cela n'a pas l'air de t'avoir embêté plus que ça.

    le lecteur accorde bien volontiers le degré de suspension d’incrédulité consentie pour accepter tout ça, comme autant de conventions du récit d’aventures, voire elles participent à son charme gentiment rétro. - Jusque-là, je te suis sans froncer les sourcis. C'est néanmoins assez facile. Je me demande ce qui pousse un auteur chevronné comme Taymans à zapper ce type de détail.

    Bartini Beriev VVA-14 - Ah, le voilà. Eh bien, merci pour la référence, car je n'avais encore jamais entendu parler de cet avion incroyable.

    Il n'y a pas un petit côté autodérision, dans cet album ? Tout cela me semble tellement rocambolesque.

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    1. Pourquoi Taymans n'a pas été envisagé comme artiste des Blake et Mortimer : j'ai l'impression que son trait a perdu en finesse avec l'âge. Je ne suis pas sûr qu'il serait capable (ou qu'il en ait envie d'ailleurs) de refaire un album de Lefranc en s'appliquant pour singer les caractéristiques des dessins de Jacques Martin, comme il 'avait fait pour les tomes 17, 19 et 21.

      Bartini Beriev VVA-14 : quel drôle de forme pour un avion ! Je présume que Taymans l'a découvert au cours de recherches sur un autre projet, ou qu'un ami a attiré son attention dessus.

      Un fil directeur linéaire ne me dérange pas.

      Un déroulé attendu : André Taymans annonce d'entrée de jeu qu'il s'agit d'un récit à la manière de, donc il est plus ou moins convenu tacitement qu'il respecte les conventions et la structure du genre. En outre, le nom de l'éditeur me fait penser à l'expression Racler les fonds de tiroir, c'est-à-dire dans ce contexte aller chercher les projets initiés mais jamais terminés, et les faire aboutir, ce que j'ai associé à des séries B.

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