He Pao (Les Voyages d') - tome 4 - Neige blanche, chemin d'antan
Ce tome fait suite à Quand s'éteignent les lampions ; c'est le quatrième sur 5 de la suite de la série Le Moine Fou qu'il vaut mieux avoir lu avant. La première série a été rééditée en 2 intégrales en respectant le format (29,9cm*22,8cm) : L'intégrale Le moine fou, tome 1 : He Pao, joyau du fleuve (tomes 1 à 5) et L'intégrale Le moine fou, tome 2 : Poussière de vie (tomes 6 à 10). Le présent tome est initialement paru en 2008, écrit et illustré par Vink (de son vrai nom Vinh Khoa). Les 4 premiers tomes de ces voyages sont regroupés dans Voyages de He Pao (les) - Intégrale (mais dans un format plus petit 17,1cm*24cm). La série se conclut dans Un matin pour tout horizon (2010).
Conformément à la promesse faite à He Pao avant qu'elle ne perde tout à fait conscience, Tashi Tsangpo la porte sur son dos, emmitouflée dans une couverture, progressant dans une zone aride et rocheuse du Tibet, en route pour la ville de Geladandong. Il a été repéré par trois bandits de grand chemin dont leur meneur Dilgo Lingpa qui l'interpelle. Comprenant que son fardeau l'alourdit trop pour qu'il puisse les semer, il interrompt sa course et répond aux questions du meneur. Il est pris par surprise, par l'un des brigands qui s'est approché par derrière et le tient en respect avec son couteau. Dilgo Lingpa monte jusqu'à sa hauteur et s'agenouille devant He Pao pour l'examiner. Il promet de tout faire pour la guérir.
Tashi Tsangpo redescend avec les deux comparses pour récupérer les chevaux. Il constate qu'il y en a 4 pour 3 cavaliers, et se fait assommer par derrière et jeter dans le fleuve. Dilgo Lingpa se sépare de ses 2 acolytes de manière malhonnête, après leur avoir fait charger He Pao (toujours inconsciente et emmaillotée dans une couverture) sur son dos. Il se retrouve contraint et forcé de prendre la route de Geladandong. Les 2 acolytes sont rejoints par les hommes armés de Zhou Mei, toujours transportée en palanquin. C'est à son tour d'exprimer son déplaisir sur la situation, et d'en faire porter la responsabilité sur eux.
Le lecteur avait laissé He Pao dans une fâcheuse posture à la fin du tome précédent puisqu'elle avait glissé dans le coma, du fait d'avoir enfreint l'une des règles de l'art martial du Moine Fou. Il se lance dans une lecture un peu paradoxale, puisque le personnage principal (He Pao) est bien présent, mais réduit au rôle d'impedimenta inanimés. Il se sent tout de suite un peu moins concerné par ces aventures, ne pouvant pas se projeter dans le personnage ou ressentir d'empathie du fait de l'absence d'émotion manifestée. Certes il reste le paysage aride à contempler : les aquarelles de Vink et de sa femme Cine (Claudine Khoa) servent toujours à donner du relief et de la texture à chaque surface, voire représentent en peinture directe les éléments de l'environnement, sans contour tracé à l'encre. Les artistes montrent le relief de cette zone désertique et montagneuse, ainsi que la texture de la roche et de la terre, et les pierres roulant sous les pieds. Mais ce paysage désertique n'a rien d'accueillant, ou de plaisant, dans son aridité dépourvue de vie. Il reste les visages des protagonistes, et leur tenue vestimentaire pour trouver un plaisir esthétique, encore que les 3 brigands aient des expressions dépourvues de toute chaleur humaine, et que le lecteur a appris à se méfier de Tashi Tsangpo.
L'enthousiasme du lecteur n'est pas avivé par la suite de l'intrigue, les événements survenant avec une rare opportunité pour relancer l'intrigue à point nommé. Certes, il est logique que Zhou Mei et la confrérie des mendiants s'enferrent dans leur volonté de mettre un terme à l'existence des techniques du Moine Fou, mais la survenance d'une armée chinoise, puis d'une armée tibétaine arrive vraiment trop à point nommé. Les sursauts de conscience d'He Pao pour maintenir Dilgo Lingpa dans le droit de chemin (au sens premier du terme) arrivent également à point nommé, sans parler du passage providentiel pour passer le col. Par contre, petit à petit, le lecteur retombe sous le charme des illustrations, toujours aussi plaisante à l'œil, riches en dépaysement, et porteuses d'informations narratives. L'aridité de la zone traversée n'est pas synonyme d'uniformité, l'artiste montrant bien les changements dans le relief, la progression des personnages restant dictée par les obstacles dudit relief. Le lecteur soupire d'aise en voyant que Vink n'a rien perdu de sa capacité à représenter l'eau en mouvement, celle de la rivière en l'occurrence. Il sourit en voyant un personnage lancer son cheval au galop pour charger droit sur une armée, dans une pente herbue, avec les montagnes en arrière-plan. L'artiste réalise à nouveau un tour de force narratif pour que les images montrent avec clarté les caractéristiques de cet endroit, afin que le lecteur voit la pertinence de la stratégie adoptée par le cavalier, en fonction du terrain. Un sens exceptionnel de la spatialisation et de la configuration géométrique, doublé d'un plan de prise de vue sophistiqué d'une rare intelligence pour donner à voir toute la complexité de ces déplacements, en toute simplicité.
Au bout de 16 pages, le lecteur se retrouve de nouveau totalement immergé dans cette aventure exotique, à la fois du point de vue de l'époque, et du point de vue de l'endroit, dans la Chine féodale des Song. Il tique à nouveau quand l'auteur lui assène une coïncidence supplémentaire très pratique, avec le retour d'un des précédents compagnons de voyage d'He Pao, pas apparu depuis plusieurs tomes. Il a bien conscience en commençant sa lecture qu'il s'agit de l'avant dernier tome de la série, et que l'auteur peut avoir envie de boucler ses intrigues secondaires proprement et de faire apparaître une (avant) dernière fois les protagonistes les plus remarquables. Mais cette apparition-ci est vraiment énorme au point de paraître artificielle et gratuite. Cette série aurait-elle glissé vers l'aventure et le divertissement en perdant toutes les résonnances qui en font sa richesse ? Dans une interview donnée au cours de la série, et reproduite dans Voyages de He Pao (les) - Intégrale, Vink indique qu'il a souhaité tout au long de la série, transcrire la richesse des romans de cape et d'épée chinois, de l'auteur Jin Yong. Malgré son début de déception, le lecteur apprécie la qualité de la reconstitution historique et le tourisme géographique, cependant il s'était habitué à plusieurs niveaux de lecture.
Mais en arrivant à la trentième page du récit, le lecteur prend conscience de sa suffisance. Vink n'a en rien renoncé à son ambition, et il n'a pas sacrifié son exigence personnelle de créateur, à l'attrait financier de produire un tome supplémentaire. He Pao est amenée à traverser un pic par le biais d'un tunnel, à emprunter des passages creusés à même la roche, ce qui est un leitmotiv dans la série, que ce soit les grottes où elle s'est retrouvée face aux écrits du Moine Fou la première fois dans le tome 2 La mémoire de la Pierre, ou encore dans le tome 6 Les matins du serpent pour ne citer que 2 exemples. À chaque fois, ces passages ont été, pour elle, l'occasion de découvertes, voire de révélations. C'en est une pour le lecteur qui retrouve toute la confiance qu'il avait investi en Vink comme auteur. La dernière partie du récit vient apporter un nouvel éclairage sur ce qui a précédé dans ce tome, montrant le peu de foi du lecteur. Vink n'a en rien changé sa manière de concevoir un récit, et il y a bel et bien un mystère au cœur de l'intrigue, mais moins visible que d'habitude, car il ne prend pas la forme d'un crime ou d'un vol établi en début de récit.
Rasséréné, le lecteur poursuit sa lecture, en recommençant à apprécier pleinement les images, débarrassé d'arrières pensées sur l'intrigue. Les scènes suivantes se déroulent sur le toit du monde, dans des paysages recouverts de neige. À l'opposé d'un dessinateur pressé, Vink et Cine continuent de matérialiser le relief du terrain par le biais d'aquarelles délicates. Le lecteur se surprend à humer l'air pur des montagnes (depuis le lieu où il tourne les pages), et à ressentir le calme et le bien être émanant du beau ciel où paressent quelques nuages blancs immaculés. Les artistes jouent avec la luminosité et la réverbération sur la neige, pour des cases splendides avec une belle profondeur de champ. Ils projettent si bien le lecteur dans ces étendues enneigées, qu'il ressent la sensation d'He Pao ayant l'impression que son esprit rejoint le ciel jusqu'à pouvoir contempler la scène en contrebas. Le lecteur flotte entre expérience mystique et sentiment de sérénité, proche d'une forme d'extase, alors qu'He Pao fait l'expérience d'appartenir à un tout.
Le lecteur sourit en voyant le spectre d'He Pao surgir de la rivière pour guider les 2 brigands vers le corps inconscient de Tashi Tsangpo, reconnaissant là l'utilisation du surnaturelle telle qu'elle est déjà présente dans les tomes précédents. Pour le coup, il s'agit effectivement d'un artifice narratif, mais qui peut aussi être interprété par l'influence de la forte personnalité sur l'inconscient des individus. En cela, Vink file son thème sur la perception inconsciente et la force persuasion de certains individus, phénomène qu'He Pao elle-même a encore subi dans le tome précédent. Par contre en voyant la conscience d'He Pao se projeter dans les nuages, il n'y voit pas un truc pour épater, mais bien l'expression d'une philosophie de vie. En se rappelant le début de ce tome, il voit encore He Po inconsciente, le déroulement de sa vie évoluant au gré du bon vouloir d'autres personnes comme Tashi Tsangpo ou Dilgo Lingpa. Il y a là une illustration de l'interdépendance qui existe entre tous les êtres humains de la planète, le fait que personne n'existe dans un vide. De ce point de vue, l'expérience mystique d'He Pao prend tout son sens.
Dans ce tome, He Pao se retrouve à nouveau sous l'emprise de l'art du Moine Fou, à son corps défendant. Elle y est confrontée de plusieurs manière, ce qui permet au lecteur de voir en quoi ces périodes diffèrent des précédentes, de constater le chemin parcouru par He Pao depuis le premier tome de la série précédente. He Pao a mûri et appris au contact des autres, le lecteur a encore en mémoire la relation sujette à interprétation qu'elle a entretenu avec Tashi dans le tome précédent. Toujours du tome précédent, il se rappelle une séquence au début où elle disposait d'assez de confiance en elle pour ne pas recourir à la violence pour ne pas régler un problème en faisant usage de la force pour soumettre son interlocuteur (un chamelier). Alors même qu'elle découvre un nouveau mentor potentiel, le lecteur voit bien que son évolution personnelle fera d'elle un élève disposant déjà d'une solide expérience, et donc capable de prise de recul.
Rétrospectivement, le lecteur se remet alors à penser aux deux premiers tiers de ce tome. Il constate à posteriori que Tashi Tsangpo dispose de moins de personnalité que dans le tome précédent. Pour commencer, l'auteur a rectifié son nom qui passe de Tsanpo (dans le tome précédent) à Tsangpo, sans qu'il soit possible d'en deviner une raison, si ce n'est peut-être une orthographe plus respectueuse du nom chinois original. Par contre, fidèle à ses principes de narrateur, Vink fait en sorte que les 2 autres personnages secondaires ne soient pas réduits au simple rôle de faire-valoir d'He Pao. Ainsi Dilgo Lingpa n'est pas un simple brigand profiteur, détroussant les voyageurs sur les grands chemins. L'auteur prend le temps de lui donner une histoire dont découlent des motivations ambivalentes. De la même manière, Zhou Mei ne sert pas uniquement de méchante poursuivant He Pao pour l'exterminer. Son histoire personnelle s'avère particulière, donnant un sens à ses actions, sens qui ne se limite pas à la vengeance ou à la volonté de soumettre sa rivale depuis plusieurs années.
Comme dans les tomes précédents, le lecteur constate qu'il n'y a pas une case en trop, et que plusieurs d'entre elles valent le coup de refeuilleter les pages après avoir terminé la lecture, pour le plaisir esthétique qu'elles procurent, considérées en dehors de la narration. La tête d'He Pao sortant de l'eau du fleuve produit un fort effet, avec un air malicieux parfaitement rendu sur son visage. He Pao s'élançant au-devant de l'armée en déployant le tissu qui l'emmaillotait ressemble à une danseuse folklorique, avec un décalage qui génère un sourire chez le lecteur. Le visage d'un mourant blanchissant sous la neige donne une impression macabre, mâtinée de surnaturel, des plus funestes. Le lecteur a l'impression de pouvoir toucher les traces de doigts ayant dessiné un arbre dans un rocher. He Pao ressortant à la lumière après avoir progressé dans un tunnel donne une scène de nouvelle naissance. Alors même que ce tome se lit rapidement et semble moins sophistiqué, un deuxième coup d'œil atteste que la fluidité de la narration ne s'est pas faite aux dépends de la qualité picturale.
En entamant ce tome, le lecteur a conscience qu'il s'agit de l'avant-dernier et il interprète donc les coïncidences qui surviennent comme le signe que l'auteur souhaite boucler plusieurs intrigues secondaires rapidement et efficacement. En outre, il ressent la première moitié comme un récit d'aventures un peu rapide par rapport au rythme des tomes précédents. Le plaisir de la lecture ne s'en trouve pas amoindri, mais le récit semble moins riche que d'habitude. En découvrant la dernière partie, il comprend l'étendue de sa méprise, et toute la saveur des scènes précédentes s'exhalent. Il ne reste que la coïncidence un peu grosse relative à l'un des premiers compagnons de route d'He Pao qui subsiste comme une synchronicité un peu trop pratique. Vink (aidé par Cine) n'a en rien abandonné son ambition littéraire de conteur. A posteriori, le lecteur prend pleinement conscience que l'auteur a encore franchi un palier dans son art narratif.
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