He Pao (Les Voyages d') - tome 5 - Un matin pour tout horizon
Ce tome fait suite à Neige blanche, chemin d'antan ; c'est le quinzième et le dernier, à la suite de la série Le Moine Fou qu'il vaut mieux avoir lu avant. La première série a été rééditée en 2 intégrales en respectant le format (29,9cm*22,8cm) : L'intégrale Le moine fou, tome 1 : He Pao, joyau du fleuve (tomes 1 à 5) et L'intégrale Le moine fou, tome 2 : Poussière de vie (tomes 6 à 10). Le présent tome est initialement paru en 2010, écrit et illustré par Vink (de son vrai nom Vinh Khoa). Les 4 premiers tomes de ces voyages sont regroupés dans Voyages de He Pao (les) - Intégrale (mais dans un format plus petit 17,1cm*24cm).
Cette histoire est divisée en 4 chapitres correspondant à 4 localisations différentes. Le premier chapitre s'intitule (1) Les boucles de Tsomo. Sur un chemin du Bouthan, He Pao surprend 3 malfrats ayant déjà massacré une escorte et s'attaquant à leur chef Jamshid. He Pao le secourt, et ils constatent qu'ils disposent l'un et l'autre d'une boucle d'oreille formant une paire, ayant appartenu à l'ermite Suddha. Jamshid souhaite aller délivrer Tsomo Namgiel son amante, mariée à un riche propriétaire. (2) Orage sur le fleuve - En Inde, Jamshi et Tsomo ont changé de nom pour Ali et Indira, et ils voyagent avec He Pao sur le fleuve. Cette dernière accepte de transporter un pèlerin estropié nommé Ravij. Ils ont tous les trois des doutes quant à la réelle motivation de Ravij, en particulier s'il n'aurait pas comme intention de tuer le couple fuyard pour toucher la récompense de 30 lingots d'or.
(3) Bons comptes et vils marchands - En perse, He Pao voyage toujours avec Jamshid et Tsomo. Ils se sont arrêtés pour essayer de soigner le serviteur du fils d'un seigneur, qui a été piqué par un scorpion. Le fils du seigneur fait le commerce de la traite des femmes et il a été lui-même piqué par un scorpion de la même espèce. Le seigneur exige la présence d'He Pao pour le soigner. Elle comprend bien qu'elle n'aura la vie sauve que si elle parvient à le guérir. (4) Terres Saintes - He Pao s'apprête à traverser la mer méditerranée avec Jamshi et Tsomo, par l'intermédiaire d'un croisé et de sa femme Leila, avec leur écuyer. Le petit groupe est attaqué sur la plage pendant la nuit par des individus qui enlèvent Leila. Mais il n'est pas sûr qu'ils ne l'aient pas confondue avec Tsomo.
Le lecteur entame ce tome en sachant qu'il s'agit du dernier. Étant accoutumé au format d'une aventure par tome, il ne peut pas s'empêcher de se demander si ce dernier tome ne constitue pas une coda du fait de sa forme, en 4 chapitres et autant d'aventures, voire si l'auteur n'a pas rabouté des morceaux de récits qui ne méritaient pas un tome chacun. Ce qui le déconcerte également, c'est qu'à la fin du tome précédent, rien ne laissait présager que l'aventure s'arrêterait là. Il est tentant de se perdre en conjectures sur l'intention de l'auteur, une possible lassitude, ou toute autre hypothèse aussi farfelue qu'il est possible d'inventer. Comme dans les 14 précédents tomes, c'est à lui de choisir s'il veut récriminer par ce que ce tome ne correspond pas à ce qu'il aurait souhaité, ou s'il accepte de se laisser emporter sur le chemin choisi par l'auteur. Le dilemme est vitre tranché, car s'il a apprécié les tomes précédents, il est prêt à accorder sa confiance à Vink une fois de plus.
Même si le récit est découpé en 4 chapitres, avec 4 histoires différentes trouvant à chaque fois leur résolution, il y a bien un fil conducteur : He Pao poursuit ses voyages, en ayant toujours pour destination l'Italie, c’est-à-dire le pays de ses parents Maria Della et Luigi Roca. Comme dans les tomes précédents, Vink choisit de lui donner des compagnons de voyage, issu du premier chapitre, à savoir Tsomo Namgiel et Jamshid. Bien qu'He Pao se soit fait la réflexion que la solitude ne la gêne pas dans le tome Quand s'éteignent les lampions, sa force semble attirer à elle d'autres voyageurs. La présence de Tsomo et Jamshi permet des dialogues pour exposer les informations et les faits de manière plus naturelle. Elle fait aussi ressortir le caractère d'He Pao : plus indépendante, plus aventureuse, plus guerrière. Pour autant, Vink ne la dépeint pas en farouche indépendante, montrant aussi que ses talents de soignante sont plus faciles à mettre en œuvre pour elle, quand elle dispose d'une aide, ici celle de Tsomo et de sa pharmacopée.
Au fil des 4 aventures, le lecteur retrouve également la propension d'He Pao à aider son prochain, à éprouver de l'empathie : elle arrête le massacre d'une troupe de voyageurs, elle aide le pèlerin estropié, elle soigne le fils du seigneur tout en cherchant une stratégie pour sauver les femmes destinées à être vendues au caravansérail, elle se lance à la poursuite des ravisseurs de Leila. Il assiste à l'utilisation de l'art martial du Moine Fou à plusieurs reprises, sans qu'elle ne semble souffrir d'autres conséquences de cet art. Elle a laissé la Confrérie des mendiants derrière elle, suite aux événements du tome précédent.
Le lecteur retrouve également l'alliance de Vinh Khoa, avec sa femme Claudine (surnommée Cine) pour les illustrations. Tang He Pao a grandi depuis le premier tome et elle semble maintenant avoir entre 25 et 30 ans, avec un visage expressif, des cheveux ondulés, et la même tenue pour tout ce tome : une tunique violette descendant à mi-cuisse, un pantalon bouffant et des bottes en cuir. Tous les autres personnages sont représentés avec le même soin dans le détail des visages, des plis de la peau, des marques de l'âge, des différentes coiffures et pilosités. Les tenues vestimentaires rendent compte de la classe sociale à laquelle appartient le personnage, de la région du monde où se déroule le chapitre, des conditions climatiques. C'est ainsi que Jamshid porte un lourd manteau et une toque doublée en fourrure sur les chemins du Bouthan. Par contraste, Tsomo ne porte qu'une simple robe longue lorsqu'elle échappe au bûcher. Le lecteur observe ensuite les tuniques blanches simples des pèlerins, les étoles à motifs des femmes au marché, les robes un peu élégantes des femmes destinées à être vendues, les turbans des persans, les djellabas des assassins en Terre Sainte.
Ce tome mérite encore plus que les précédents le titre de voyages puisque le personnage principal visite 4 régions du globe différente. Les aquarelles du couple Khoa sont peut-être plus que dans les tomes précédents, la technique de dessin et de représentation. Comme toujours, elles servent à rendre compte de la couleur de chaque surface, de chaque étoffe, de chaque texture, etc. Les variations de teinte servent à modeler les surfaces, y compris la peau des visages, à montrer l'ombre portée, et à établir des ambiances lumineuses. La première séquence se déroule au crépuscule dans la montagne, avec une magnifique lueur violette teintée de vert. Lorsque le récit se déroule à nouveau de nuit en Terre Sainte, la luminosité de la nuit a changé de teinte, se faisant plus bleue et grise. Ainsi les tenues vestimentaires et la luminosité participent à établir que chaque chapitre se déroule dans un endroit du monde différent.
Dans une interview (reproduite à la fin de Voyages de He Pao (les) - Intégrale), Vink indique qu'il réalise des recherches historiques et géographiques pour chacun des tomes de la série. Le lecteur prend donc plaisir à regarder les détails des environnements et des civilisations, en sachant qu'il peut avoir confiance en leur authenticité. Il observe d'autant plus les tenues vestimentaires, mais aussi la barque utilisée par le trio pour descendre le fleuve, le palais du seigneur perse, les ustensiles utilisés pour préparer le remède contre la piqûre de scorpion, les tapis et les soieries de la chambre du seigneur perse, ainsi que la marquèterie de sa table de nuit. De temps à autre, il tombe en arrêt devant la beauté d'un site : la pente herbue parsemée de fleurs blanches où se tient la discussion entre He Pao et Suddha, le fleuve tranquille et ses rives arborées que descend la barque, une rive herbue sur laquelle paissent des vaches, les lianes qui pendent d'un arbre, des branches de palmier agitées par le vent. En outre, Vink et Cine ont réalisé 3 illustrations en double page pour l'ouverture des chapitres 2, 3 et 4. Le lecteur contemple ainsi la barque d'He Pao passant à proximité d'un brahmane assis sur les marches plongeant dans l'eau dans une lumière mordorée, He Pao, Jamshid et Tsomo progressant avec leurs trois chameaux sur un sentier pierreux dans une lumière mauve, et He Pao contemplant la côte méditerranéenne depuis une hauteur dans une lumière vert pâle. Vink s'offre aussi une page inhabituelle quand He Pao affronte un tigre. Ce n'est pas la première fois qu'elle met en déroute un tel animal, la fois précédente c'était dans le tome 7 du Moine Fou Les tourbillons de fleurs blanches. Mais il est inhabituel qu'un combat d'He Pao dure toute une page. D'un autre côté cette séquence a sa place dans l'intrigue et sert à développer la perception d'He Pao par d'autres personnages.
Du fait du découpage du récit en 4 chapitres, Vink dispose de moins de pages pour développer les différents personnages. Même Tsomo et Jamshid ont moins d'épaisseur que les précédents compagnons de voyage d'He Pao, qui, il est vrai, l'accompagnaient pendant plusieurs tomes. Il en va de même pour les autres protagonistes, même si le fils du seigneur et le seigneur perse ont droit à une critique sévère. Dans les tomes précédents, Vink dénonçait les abus de pouvoir sous des formes diverses et variées. Ici, il fait ressortir toute la méchanceté du fils du seigneur qui, soigné par He Pao, ne voit en elle qu'une marchandise susceptible de lui rapporter de l'agent à la vente après qu'il soit guéri. Le seigneur s'avère tout aussi cupide en ne pensant qu'à ce que lui coûtera l'intervention d'He Pao pour sauver son fils. Le sort initial de Leila, l'épouse d'un homme riche, est d'être incinérée vivante avec la dépouille de son mari, l'intrigue faisant ressortir toute la cruauté de cette coutume barbare.
La condition féminine est ainsi évoquée à plusieurs reprises. He Pao reste un individu de sexe féminin, totalement libre de ses mouvements et de ses décisions, indépendante et autonome, sûre de sa sécurité grâce à l'art martial du Moine Fou. Même sans être très développé, le personnage de Leila prend une autre dimension grâce à sa connaissance des plantes médicinales et son savoir de soignante. Le sort des femmes devant être vendues sur le marché se révèle un peu plus compliqué. He Pao tient à leur rendre leur liberté d'action et de mouvements, en leur épargnant d'être vendues comme de simples marchandises, mais l'une d'entre elles refuse cette option. Son choix repose sur l'analyse du système auquel est soumis sa vie. Elle a conscience de sa beauté et de sa valeur marchande, et elle table qu'elle sera vendue à un riche marchand. Elle parie sur le fait qu'elle ne pourra pas trouver de sort plus enviable que celui-là, dans la société dont elle fait partie. En outre, l'attitude d'He Pao est à double tranchant. D'un côté elle a sauvé plusieurs jeunes femmes, ou en tout cas elle leur a évité d'être vendues comme du bétail. De l'autre côté, elle ne prend pas sur elle de remettre en cause l'ordre établi.
Dans le deuxième chapitre, l'auteur met en scène un pèlerin se rendant à une assemblée de sa communauté, présidée par leur chef spirituel Soundarajan, âgé de 22 ans. Ce dernier se lance dans une oraison relative aux méfaits de la religion organisée. Le lecteur est un peu pris au dépourvu car Vink s'était jusqu'alors contenté de décrire des bribes de systèmes politiques et religieux, sans porter de jugement de valeur sur les systèmes, uniquement sur les individus. En ce qui concerne la dimension spirituelle, il n'avait pas abordé les croyances des régions visitées, s'en tenant à utiliser quelques manifestations surnaturelles comme ressort de l'intrigue. Il le fait à nouveau dans ce tome, avec la préscience de Suddha. Or le discours de Soundarajan est tranché sur l'idiotie du principe d'une religion organisée, avec une rhétorique solide, adulte et réfléchie. Il en ajoute d'ailleurs une couche avec la dernière histoire où 2 croisés doivent faire passer He Pao de l'autre côté de la mer Méditerranée. He Pao est alors amenée à se prononcer sur la possibilité d'une fin à la guerre en cours, à nouveau de manière tranchante.
Après 15 albums passés en compagnie d'He Pao, le lecteur ne regrette en rien de l'avoir accompagnée dans ses aventures. Il a bénéficié d'une lecture d'une grande qualité, tant sur le plan esthétique, que sur celui des intrigues, ou encore de points de vue sur différentes facettes de la condition humaine. Dans une interview, Vink a indiqué que l'histoire d'He Pao a pour trame la quête d'amélioration personnelle de la principale protagoniste. De ce point de vue, il est normal que le récit s'achève en cours de route, car c'est une quête sans fin, la quête d'une vie. Toujours de ce point de vue, ce dernier tome remplit son office, en montrant He Pao confrontée à plusieurs problématiques et intervenant en son âme et conscience, sans se croire supérieure aux autres, sans se prendre pour un messie, ou une sauveuse. Contenté par les aventures et les visuels toujours enchanteurs, le lecteur se résout à accepter que cette histoire n'apporte pas une résolution ou un aboutissement aux aventures d'He Pao, que seule une fin ouverte peut être cohérente avec le thème principal de cette série : l'amélioration personnelle.
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