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samedi 14 avril 2018

La petite Bédéthèque des Savoirs - tome 8 - Le tatouage. Histoire d'une pratique ancestrale

C'est culturel ça, non ?

Il s'agit d'une bande dessinée de 56 pages, en couleurs. Elle est initialement parue en 2016, écrite par Jérôme Pierrat, dessinée et mise en couleurs par Alfred. Elle fait partie de la collection intitulée La petite bédéthèque des savoirs, éditée par Le Lombard. Cette collection s'est fixé comme but d'explorer le champ des sciences humaines et de la non-fiction. Elle regroupe donc des bandes dessinées didactiques, associant un spécialiste à un dessinateur professionnel, en proscrivant la forme du récit de fiction. Il s'agit d'une entreprise de vulgarisation sous une forme qui se veut ludique.

Cette bande dessinée se présente sous une forme assez petite, 13,9cm*19,6cm. Elle débute par un avant-propos de David Vandermeulen de 4 pages. Il commence par évoquer la création en 2014 d'un salon de tatouage pour les enfants à Whitstable, en Angleterre. Il évoque ensuite la démocratisation du tatouage à travers le globe, même si le premier salon en France ne date que de 1961. Il cite ensuite le salon de tatouage de Don Ed Hardy installé en 1974 à San Francisco, et comment le tatouage est devenu un phénomène de mode depuis une quinzaine d'années.


La bande dessinée commence avec un directeur de maison d'arrêt recevant un détenu dans son bureau. Ce dernier s'est fait un tatouage artisanal sur l'avant-bras gauche, agrémenté d'une belle faute d'accord. Le directeur ouvra alors en grand sa chemise pour révéler un torse entièrement tatoué. Il indique au détenu qu'il veut bien passer l'éponge sur son tatouage artisanal, mais qu'en compensation il va devoir l'écouter raconter l'historique de cette pratique. Il commence par remonter jusqu'à l'époque des hommes de Neandertal (entre environ 300 000 et 28 000 ans) avec la découverte de poinçons et de d'aiguilles en bois de renne laissant penser que le tatouage était déjà pratiqué. Puis il mentionne le corps du plus vieux tatoué (surnommé Ötzi), datant de plus de 3.500 ans. Il passe ensuite au peuple des scythes.

Comme à son habitude, David Vandermeulen concocte un avant-propos qui fait réagir le lecteur. Qu'il soit lui-même tatoué, ou circonspect quant à cette mode esthétique qui n'a rien de neutre, il réagit forcément à cette idée d'un salon de tatouage pour enfant. Il découvre ensuite quelques informations contextuelles et historiques qui annoncent l'approche de la bande dessinée qui suit. Il insiste également sur le fait que le tatouage constitue encore un rite de nos jours. Ainsi mis dans le bon état d'esprit, le lecteur commence ce huitième ouvrage de la collection de la petite bédéthèque des savoirs. Il sourit en voyant que les auteurs ont choisi une version semi originale pour raconter leur exposé. Ils ne se mettent pas en scène comme l'a fait une partie significative des auteurs de la collection, mais ils conservent l'idée d'un dialogue, entre un directeur de prison et un prisonnier qui s'est fait son propre tatouage, faute d'accord incluse. Cette forme de dialogue permet de donner plus de vie à l'exposé, le directeur de prison étant régulièrement interrompu par le détenu qui n'hésite pas à se montrer caustique. Alfred s'amuse en montrant le directeur tour à tour professoral, sévère, méprisant, enjoué, passionné.


Le parti pris de Jérôme Pierrat est de donner une vision historique du tatouage, à commencer par la préhistoire. Il est également l'auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet : Les vrais, les durs, les tatoués : Le tatouage à Biribi (2005) avec Éric Guillon, Mauvais garçons, portraits de tatoués (2013) avec Éric Guillon, Les gars de la marine : Le tatouage de marin (2005) avec Éric Guillon, Tatouages (2014). Il n'y a donc pas à s'interroger sur sa légitimité à écrire un tel ouvrage. Le lecteur doit également garder à l'esprit qu'il s'agit d'une bande dessinée de vulgarisation, ce qui limite la profondeur du propos. En seulement 56 pages, Jérôme Pierrat effectue un tour d'horizon assez large : du premier homme tatoué retrouvé, aux pratiques actuelles, en évoquant la répression de cet art par le pouvoir temporel ou le pouvoir spirituel en fonction des époques et des régions du globe. Le lecteur se retrouve aussi bien à bord des navires des grands explorateurs, que dans les bouges des ports, ou encore à la cour des grands ducs russes Constantin, Nicolas et Alexandre, et à celle du prince Georges de Grèce, du roi Oscar de Suède, du prince de Galles et futur roi d'Angleterre. Il se retrouve également au milieu des troufions indisciplinés, des délinquants et des criminels pris en charge par le bagne de Biribi, l'instrument répressif de l'armée française en vigueur depuis 1832 en Algérie, puis au Maroc et en Tunisie.

Jérôme Pierrat peut parfois donner l'impression de papillonner et de raconter des banalités, mais en fait le lecteur constate rapidement que chaque propos est solidement étayé, et invite le curieux à aller se renseigner plus avant. L'auteur consolide son exposé avec une ou deux citations, comme celle extraite de Les derniers sauvages, la vie et les mœurs aux îles Marquises (1842 à 1859) de Max Radiguet. Il utilise des termes techniques précis, et il date chacun des faits qu'il évoque. Il parle aussi des outils de tatouage, soit ancestraux, soit développés avec les avancées technologiques du siècle. Le lecteur se rend compte qu'il avance rapidement dans l'ouvrage, même lors de page avec une bonne quantité de texte, et qu'il n'éprouve pas de sensation de lourdeur ou d'ennui. C'est aussi l'un des avantages de la bande dessinée que de présenter une forme plus immédiatement gratifiante, dans la mesure où l'œil du lecteur perçoit d'un coup le dessin et complète ensuite les informations visuelles par celles contenues dans le texte.


Pour ce tome, le directeur de collection a apparié l'auteur avec Alfred. Il s'agit d'un auteur de bande dessinée à part entière, ayant déjà réalisé Come Prima (2013, Fauve d'or d'Angoulême 2014), Boulevard des SMS (2016),avec Brigitte Fontaine, Je mourrai pas gibier (2009), Pourquoi j'ai tué Pierre (2006) avec Olivier Ka. Pour donner à voir le texte de Jérôme Pierrat, il a la tâche délicate de montrer des choses que dit déjà pour partie le texte. Le premier effet des dessins est de donner vie aux deux narrateurs que sont le directeur de prison et le détenu. L'artiste fait passer des émotions par l'entremise de ces 2 protagonistes, apportant une relation affective à ce qui est dit, ce qui accroche plus le lecteur et rend l'exposé moins sec. Pour ces 2 personnages, il simplifie un peu leurs contours, donnant ainsi plus de vie aux expressions de leur visage.

Le deuxième défi pour le dessinateur d'un tel ouvrage est qu'il ne s'agit pas d'un récit et qu'il se retrouve souvent à illustrer ce qu'expose le texte, sans que les images ne racontent une action, ou ne mettent en scène un dialogue. Le lecteur peut alors ressentir l'impression que le dessinateur ne fait que représenter ce que dit déjà le texte. Il faut prendre un peu de recul pour s'apercevoir qu'Alfred fait plus que ça. Page 14, lorsqu'il représente les représente les restes d'Ötzi, ça n'apporte effectivement pas beaucoup d'information sur ce à quoi ressemblaient vraiment ses restes parce que le registre des dessins n'est pas photoréaliste. Par contre dès la page suivante, l'apport des dessins devient manifeste : Alfred montre à quoi ressemblait les tatouages d'un peuple de guerriers nomades qui vivaient en Sibérie, dans la région du Haut-Altaï, 500 avant J.-C. La bande dessinée permet donc au scénariste de se reposer sur les dessins pour montrer les tatouages sans qu'il n'ait à les décrire. Il y a là une complémentarité particulière aux illustrations. En outre, le fait que tous les tatouages à travers les siècles soient représentés par un seul et même artiste, introduit une forme de continuité les liant dans une seule et même pratique.


Alfred a également en charge d'évoquer les différentes époques et les différents endroits du globe par le biais de ses dessins. Il a choisi de ne pas trop les surcharger, et d'adopter une esthétique un peu simplifiée pour être lisible par le plus grand nombre. En fonction de ce qui est représenté, le lecteur peut constater que certains éléments sont plus évoqués que détaillés, et que d'autres ont été représentés sur la base de références historiques. Il peut donc accorder sa confiance à l'authenticité de ce qui est montré dans le détail : les tenues vestimentaires, les motifs de tatouage, les éléments culturels des différents peuples et sociétés passés en revue. Il utilise les couleurs de manière naturaliste, avec quelques variations de nuance pour une même surface pour en rehausser discrètement le relief. À plusieurs reprises, la complémentarité entre texte et dessins saute aux yeux du lecteur. Par exemple, quand Jérôme Pierrat indique qu'au dix-neuvième siècle les tatouages des détenus faisaient l'objet d'un recensement (pour mieux identifier les détenus), le lecteur peut voir de nombreux exemples de tatouages, ce qui les rend concret et atteste qu'ils sont tous différents d'un individu à l'autre.


Sous réserve de garder à l'esprit qu'il s'agit d'un ouvrage de vulgarisation, le lecteur plonge dans un tour d'horizon de la pratique du tatouage, à l'échelle de la planète et de l'Histoire. La lecture est rendue très agréable par les dessins à l'apparence simple d'Alfred, mais comprenant de nombreuses informations visuelles. Sous les dehors d'un exposé magistral, la narration s'avère vivante par le recours à 2 personnages, et par la réelle complémentarité entre texte et dessins, ainsi que le ton enjoué utilisé. Le lecteur en ressort comblé, en ayant également appris l'origine du mot tatouage, celle de l'expression Un dur, un tatoué, et en ayant fait une escale pour les tatouages tribaux, et les tatouages des yakusas.


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