Avez-vous un animal de compagnie ?
Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il est paru initialement en 2009, écrit par Philippe Geluck (le créateur du Chat, dessiné et encré par Devig, avec une mise en couleurs de Camille Paganotto.
L'histoire se déroule en 1966, et commence à Paris dans les bureaux de la rédaction du magazine Bien en Vue. Scott Leblanc (jeune journaliste blond avec belle chemise d'un blanc immaculé et une cravate) rend compte de son dernier reportage à son patron. Il est allé interviewer une l'actrice Laurette Pujol sur son animal de compagnie (un petit chien appelé Loulou). Pendant l'interview, les 2 ont pu voir un cambriolage spectaculaire se dérouler au pied de l'immeuble, mais tout ce qu'a ramené Leblanc c'est l'avis de Laurette sur Loulou. Accompagné par les railleries de ses collègues, il hérite d'une nouvelle mission : aller interviewer le professeur Dimitri Moleskine, l'un des scientifique pressentis pour recevoir le prix Nobel. Leblanc part en voiture pour la demeure dudit professeur à une quarantaine kilomètres de Paris, en compagnie de son canari Tino, dans sa cage.
Arrivé sur place, Scott Leblanc salue le professeur et commence à le questionner sr son animal de compagnie. Mais une explosion survient dans le bureau du professeur : son chat est mort, le canari Tino a survécu, le coffre-fort a été pillé. Dimitri Moleskine explique à Scott Leblanc la nature des documents qui ont été dérobés : une partie des plans pour un rayon Zêta capable d'arrêter à distance l'alimentation électrique de n'importe quel moteur. Le professeur Moleskine contacte le professeur Paul Mortemort pour lui indiquer qu'il passe d'abord chez le professeur Thaddeus Seigle, avant de le rejoindre. Pendant le trajet, Moleskine explique à Leblanc l'histoire de la mise au point de ce rayon Zêta par le professeur Darmagnac, et celle du partage des plans entre ses 4 assistants.
La couverture ne laisse aucun planer aucun doute sur le genre de cette nouvelle série : un hommage aux séries comme Tintin et Blake & Mortimer. La quatrième de couverture reprend même le nom des albums présenté sous forme de liste avec les personnages en bas. Scott Leblanc est également un reporter comme Tintin, mais pas au Petit Journal, au magazine Bien en Vue. Par contre ce jeune homme est incompétent, obnubilé par les animaux de compagnie et totalement oublieux des accomplissements des êtres humains et de son environnement. Il est malgré tout possible de lire cette bande dessinée au premier degré, sans avoir à l'esprit cette dimension d'hommage. Le lecteur découvre alors une intrigue très linéaire, à l'exception du retour en arrière pour l'explication de la création du rayon Zêta. Les 2 personnages principaux (Scott Leblanc, et Dimitri Moleskine) se rendent d'un endroit à un autre, pour chaque étape de l'enquête, jusqu'à la confrontation finale avec le scélérat de l'histoire, sur l'île de Fangataufa comme indiqué sur la couverture. Les péripéties interviennent régulièrement, ainsi que les changements de lieux, avec quelques courtes séquences d'action. Il est vraisemblable qu'une telle histoire soit exotique et mouvementée pour un jeune lecteur. Elle apparaît beaucoup plus convenue et plate pour un lecteur adulte.
Du point de vue graphique, Devig réalise des dessins qui s'inscrivent dans la tradition de la ligne claire : chaque forme est délimitée par un contour, les aplats de couleurs sont unis pour chaque surface, il n'y a pas d'ombre portée des personnages, les phylactères sont rectangulaires et la police de caractères est en minuscules. Il n'y a que les traits de contours qui dérogent aux principales caractéristiques de la ligne claire, en variant parfois un peu d'épaisseur. Devig réalise donc des dessins descriptifs. Les personnages présentent des morphologies différentes, et des tenues vestimentaires variées et cohérentes avec les années 1960. Le lecteur peut remarquer que plusieurs personnages sont aisément identifiables grâce à leur coupe de cheveux, la taille de leur barbe ou de leur moustache, conformément à la théorie du poil, à nouveau une caractéristique très marquée dans les personnages de Tintin.
Avec des traits de contour d'épaisseur uniforme, l'artiste plante des décors de manière détaillée et très régulière : il y a moins de 5 cases dans tout l'album, dépourvues d'arrière-plan. Le lecteur peut ainsi laisser errer son regard sur l'aménagement des bureaux du magazine Bien en Vue (avec ses téléphones en bakélite). Il détaille la façade de la demeure du professeur Dimitri Moleskine, ainsi que les différentes pièces traversées par Scott Leblanc et son hôte. Il en fait de même pour la demeure et le laboratoire du professeur Thaddeus Seigle, les bureaux de la base militaire de Scaw-Fell, le pub Blue Parrot, les entreponts du paquebot Polynesia, etc. Il peut également apprécier les différents modèles de voitures.
La narration visuelle est posée, sur la base de cases sagement rectangulaires et apposées en bande, majoritairement 3 bandes par page, avec quelques variations. À nouveau, l'artiste respecte la forme de bandes dessinés comme celles d'Hergé ou d'Edgar Félix Pierre Jacob. Le lecteur remarque encore des signes spécifiques à la bande dessinée comme des gouttelettes pour indiquer la tension ou l'angoisse, des tourbillons pour indiquer l'ivresse ou une réaction soudaine, et quelques onomatopées. À nouveau ces dispositifs font penser aux mêmes créateurs de bande dessinée. En fait, à plusieurs reprises, le lecteur ayant déjà lu des albums de Tintin observe des hommages directs. Il ne s'agit pas d'hommages qui doivent être identifiés pour comprendre le récit. Il s'agit d'une mise en forme qui évoque un passage d'un album de Tintin par les circonstances et une similarité visuelle. Les demeures des professeurs Moleskine et Seigle ne ressemblent pas à Moulinsart, mais la progression sur des allées pour y parvenir provoque un ressenti similaire.
Lorsque Moleskine et Leblanc essayent d'entrer dans la demeure de seigle, la similitude avec Tintin et Haddock essayant d'entrer dans la demeure du professeur Topolino à Nyon est frappante. Lorsqu'ils découvrent le laboratoire saccagé de Seigle, le lecteur éprouve la sensation d'également revenir à l'album L'affaire Tournesol quand Tintin et Haddock découvre un cambrioleur dans le laboratoire de Tryphon Tournesol. Moleskine et Leblanc découvrent le professeur Paul Mortemort évanoui dans son bureau, comme l'un des savants dans Les sept boules de cristal. Lorsqu'ils se retrouvent sur l'île de Fangataufa, le lecteur pense immédiatement à la progression de Tintin et Haddock dans la végétation de l'île dans Vol 714 pour Sydney. Le récit navigue donc entre un hommage appuyé et une narration à la manière de. Le talent de Philippe Geluck et de Devig n'est pas à la hauteur de celui de Hergé, mais en s'inspirant du meilleur, le résultat est agréable à lire, car l'immersion dans les années 1960 est soignée et minutieuse, et l'intrigue contient son lot de péripéties, et d'événements exotiques.
Le lecteur apprécie donc un album de bonne facture, avec un parfum nostalgique développé sciemment. Mais il n'est pas sûr que cela lui suffise. Il peut avoir été attiré par les dessins de cet album, utilisant avec application un style contraignant et difficile à mettre en œuvre, celui de la ligne claire. De ce point de vue, il découvre des planches respectant les propriétés de ce style, avec une forme vaguement naïve du fait de visages un peu simples, avec des points pour les yeux et du blanc au niveau de la bouche, quand ils l'ont ouverte. La ligne claire induit également que la représentation de la réalité est très propre, sans aucune texture, une forme un peu aseptisée, sans être insipide. Cette forme semble s'adresser plutôt à des enfants, même si le degré élevé de détails vient contrebalancer cette intention, le temps pour lire les dessins destinant cette bande dessinée à des individus plus sensibles à cette dimension.
Par contre, le lecteur a du mal à s'attacher aux personnages. Scott Leblanc n'est pas un doux rêveur ou un pierrot lunaire, mais un jeune homme dont le seul centre d'intérêt réside dans les animaux de compagnie des individus qu'il interviewe et il apparaît un peu benêt, sans être franchement ridicule au point que les moments d'humour virent à l'absurde. Le professeur Moleskine n'a pas de réelle personnalité, à part son habitude de fumer régulièrement. Les femmes ont une place très réduite, Louise Fudge étant décédée avant le début du récit en 1966. Il y a très peu de figurantes, ce qui reste cohérent avec les références des séries Tintin, ou Blake & Mortimer, mais ce qui retient le récit trop dans l'hommage, et pas assez dans l'œuvre indépendante, ayant une valeur pour elle-même. Enfin les références à l'Histoire sont très superficielles, qu'il s'agisse de la fin de la seconde guerre mondiale, ou de la mention Gugliemo Marconi (1874-1937) juste le temps d'une case.
Au final, il est difficile pour le lecteur adulte de trouver son content dans cette lecture trop dérivative de Tintin, avec une intrigue trop linéaire et des dessins trop respectueux des canons de la ligne claire. En même temps, il ne peut pas non plus renier un sentiment agréable à la lecture de ce tome, du fait d'un hommage très réussi, sans être trop servile et d'une forme de dérision un peu absurde, mais aussi un peu trop douce.
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