Il s'agit d'un ouvrage indépendant de tout autre qui ne nécessite pas de connaissance préalable du personnage du Chat pour l'apprécier. Il est initialement paru en 2016, et il constitue le catalogue de l'exposition L'Art et le Chat, au Musée en Herbe (février 2016 - janvier 2017). Les textes et les notices biographiques ont été rédigés par Sylvie Girardet. Les commentaires ont été rédigés par Philippe Geluck.
L'ouvrage s'ouvre avec une introduction de 3 pages, sous la forme d'une interview de Philippe Geluck, l'interrogeant sur son rapport avec l'Art, ses modalités de choix des œuvres présentées et ses artistes préférés. Cette introduction est agrémentée de 3 dessins mettant en scène le Chat. Ensuite l'ouvrage présente 32 artistes, avec à chaque fois la reproduction d'une de ses œuvres. Chaque présentation utilise la même forme. La page consacrée à l'artiste comprend son nom en titre, par exemple Léonard de Vinci pour la première. Il y a la reproduction de son œuvre la plus emblématique dans un petit moins d'un quart de page, par exemple la Joconde pour de Vinci.
Sur cette page, se trouvent 2 textes (rédigés donc par Sylvie Girardet). Le premier décrit en quelques phrases les points saillants de l'œuvre présentée, avec un ton enjoué et un tantinet humoristique, mais sans être moqueur. Le second présente la vie de l'artiste, également en quelques phrases concises, en commençant par rappeler les années de naissance et de mort (quand il y a lieu pour cette dernière). Sur l'autre page, le lecteur découvre avec grand plaisir un dessin humoristique du chat, parfois complété par de petites vignettes. Pour 25 des artistes, le dessin humoristique est accompagné par un court texte rédigé par Philippe Geluck donnant une indication de ce qui lui plaît dans les œuvres de cet artiste, ou évoquant une anecdote à son sujet (il en a rencontré certains - non, pas Léonard de Vinci).
Le Musée en Herbe a été fondé en 1975, sous la forme d'une association de Loi de 1901. Il propose des parcours-jeux sur des thèmes artistiques, scientifiques et civiques, spécialement conçus pour les enfants, de 3 à 103 ans. Il est situé au 23 rue de l'Arbre-Sec dans le premier arrondissement de Paris. L'objectif de cette exposition est donc de proposer une forme d'exposition ludique, avec une pédagogie adaptée aux enfants, d'où l'association avec un personnage de bande dessinée comique. Lors d'une interview, Philippe Geluck a expliqué qu'il avait choisi des peintres qui l'impressionne, des coups de cœur. Il ne s'agit donc pas d'un choix académique ou guidé par une thématique, mais d'un choix personnel, réalisé par un individu ayant des goûts éclairés. Parmi eux, se trouvent 12 artistes datant d'avant le vingtième siècle, 3 à cheval sur le dix-neuvième et le vingtième siècle et 17 du vingtième siècle. À une ou deux exceptions près, ils apparaissent par ordre chronologique.
Dans une interview, Philippe Geluck a expliqué la chance dont le Musée a bénéficié dans le prêt d'œuvres originales (Pierre Soulages ayant prêté une toile monumentale à titre privé à Geluck), et à l'évidence que certaines œuvres ne pouvaient pas être déplacées de leur musée attitré (la Joconde, ou la Vénus de Milo, par exemple). Ainsi tout ce qui est dans le livre n'est pas dans l'exposition et réciproquement. Par exemple, la compression de César présente dans le catalogue n'est pas celle exposée. Il a ajouté qu'un seul des artistes sollicités aurait refusé d'être inclus dans l'exposition, à savoir Daniel Buren (information peut-être à prendre avec un grain de sel, parce que Geluck est connu pour ses facéties).
La qualité de la reproduction des œuvres est impeccable, même si bien sûr le support imprimé se heurte à ses limites inhérentes au papier et aux 2 dimensions. Il n'est pas possible de tourner autour du Penseur de Rodin, de regarder la texture des matériaux utilisés par Jackson Pollock (pour Reflection of the big dipper), ou encore de constater la lacération dans Concetto Spaziale de Lucio Fontana, ni de se rendre compte des dimensions de chaque œuvre (même si elles sont indiquées à côté de la légende qui l'accompagne).
Chaque page consacrée à une œuvre d'art commence par le nom consacré de l'artiste, nom complet (parfois francisé, par exemple Léonard de Vinci pour Leonardo da Vinci), ou nom tronqué (par exemple le nom de famille, Mondrian pour Piet Mondrian). Ce patronyme est complété par un sous-titre bref laconique (Peintre maniériste italien, pour Giuseppe Arcimboldo), ou explicatif (par exemple Peintre néerlandais reconnu comme un des pionniers de l'abstraction pour Piet Mondrian). Le lecteur peut ainsi immédiatement identifier l'auteur à l'œuvre qui ressort sur cette page.
Le court texte qui évoque l'œuvre représenté se veut explicatif, avec un ou deux détails historiques (quand il s'agit d'œuvres anciennes), et des commentaires sur les caractéristiques saillantes de l'œuvre, voire d'autres du même créateur. Pour les artistes d'avant le vingtième siècle, cela permet de mémoriser une pincée de contexte, avec éventuellement une anecdote (Vincent van Gogh a peint sa chaise un jour de pluie où il ne pouvait pas peindre de paysage). Pour les artistes du vingtième siècle, l'exercice est plus compliqué. Comme en atteste les proportions rappelées plus haut (17 artistes contemporains, plus de la moitié de ceux présentés), l'auteur du Chat est très sensible à des œuvres nécessitant une culture pour en comprendre le contexte.
Le texte explicatif relatif à la Venus Balloon de Jeff Koons explique bien la source d'inspiration de l'artiste, ainsi que sa matière séduisante par sa brillance. Mais quant à savoir en quoi c'est de l'art, mystère ! Il en va ainsi de la quasi-totalité des artistes contemporains. En quoi déchirer une toile monochromatique d'un coup de scalpel précis exprime une idée, une sensation, et laquelle ? Quel est l'intérêt de tout peindre en bleu IKB ? Pourquoi des bandes dessinées avec une grande case centrale deviennent plus une œuvre d'art qu'une bande dessinée traditionnelle ? À moins que le lecteur ne soit allé lui-même au-devant de ces œuvres, il y a fort à craindre que ces présentations ne se limitent au mieux à éveiller sa curiosité, au pire à se dire que c'est de l'Art (avec un A majuscule) auquel il ne comprendra jamais rien. D'un autre côté, il peut aussi ressentir une connexion avec une de ces œuvres, sans que les autres lui parlent. Il s'agit donc plus d'une première prise de contact que d'une initiation. Les textes ne donnent qu'une indication sur cette nécessité d'une culture pour apprécier la démarche de l'artiste, dans la page consacrée à Verena Nusz, en indiquant que c'est une des membres de l'Art Conceptuel, mouvement qui présente des idées et non plus des objets ou des paysages.
Sylvie Girardet se heurte à une difficulté de même ordre avec les courtes biographies des artistes. Elle doit résumer, en 8 à 10 phrases, toute une vie, ainsi que toute une œuvre, et l'impact qu'a eu l'artiste sur le monde de l'art, sur l'évolution de l'art. Elle pioche donc quelques faits saillants pour un texte très court et plus lacunaire qu'informatif. D'un autre côté, il est louable et même indispensable d'indiquer que ces chefs d'œuvre ne sont pas nés ex nihilo, mais qu'ils ont été créés et réalisés par des êtres humains avec une histoire personnelle dans un contexte historique. De ce point de vue, ces courts textes accomplissent le nécessaire, au mieux de l'espace alloué. Le lecteur peut resituer l'artiste et constater la diversité d'origine et de mode de travail, d'un artiste à l'autre. Finalement c'est l'effet cumulatif qui permet de prendre conscience de la diversité et de la pluralité des artistes.
La couverture annonce dès le début que l'interaction entre le Chat (et son avatar Philippe Geluck, à moins que ce ne soit l'inverse) sera maximale. Il va tourner en dérision chacun des chefs d'œuvre, pour lui rendre un hommage enamouré (ne serait-ce que par cette œuvre figure dans ce catalogue), en essayant de lui faire honneur. Le premier concerne donc la Joconde, avec une version Chat (Mono Liso le Jocond) et une remarque acerbe sur le fait que cette bonne femme cache le paysage (Quoi ! Il y a quelque chose derrière Mona Lisa ?). Surprise ! Le deuxième hommage prend la forme d'une véritable sculpture, avec le Chat en discobole. Effectivement, Geluck ne s'est pas restreint à de simples cases ou strips comiques, il a aussi joué avec les formes. Il s'est amusé à planter de vraies flèches dans un tableau (même si là encore les 2 dimensions de la feuille de papier ne suffisent pas pour en être certain, mais le commentaire le stipule), à réaliser à bronze à cire perdue, à réaliser un collage de dessin sur un cube en bois, une résine chromée (magnifique), et à détourner la Vénus de Milo. Le lecteur en déduit que l'exposition physique, au Musée en Herbe, y gagne en variété.
Ajouter une légende |
En fonction de l'œuvre, Philippe Geluck peut jouer sur une transposition directe dans l'univers du Chat, avec un commentaire sarcastique ou reposant sur l'autodérision, voire politique. Le Chat est éclaboussé par une voiture qui passe, et peste contre cet espèce de Pollock, réduisant et raillant cet artiste comme un simple projeteur de peinture, ou il se moque de Piet Mondrian qui a toujours voulu faire de la bande dessinée (ses tableaux en forme de juxtaposition de cases) sans jamais trouver la bonne histoire à raconter. Il peut donc se moquer de lui-même avec le Chat indiquant que chez Vermeer et Geluck, la lumière fait tout (il suffit de se rappeler que Geluck utilise des aplats de couleurs monochromatiques pour apprécier). À une ou deux reprises, il s'aventure sur un terrain plus politisé, avec une femme emballée, à la façon Christo Javacheff.
L'amateur de bandes dessinées appréciera également quelques références discrètes. Ainsi dans le dessin hommage à Magritte, il est possible de reconnaître les Dupondt, dans celui hommage à Yves Klein, ce sont les Schtroumpfs qui sont cités, et dans l'entrée consacrée à la Vénus de Milo, il apparaît la fusée de Tintin. Philippe Geluck se révèle encore plus connaisseur dans son entrée pour Roy Lichtenstein où il rappelle que ce dernier ne citait pas ses sources d'inspiration (les artistes de comics dont il reproduisait et modifiait les cases, et dont certains sont morts dans la misère), et qu'en plus il s'offusquait quand un autre s'appropriait une de ses œuvres (faites ce que je dis, pas ce je fais).
Le commentaire d'une petite dizaine de phrases rédigé par Philippe Geluck permet de se faire une idée de la raison pour laquelle il a retenu cet artiste, ou de ce qu'il apprécie dans l'œuvre en vis-à-vis, ou encore d'une anecdote se rapportant à ce créateur (et il en a croisé 2 ou 3). À plusieurs reprises, le dessin de Geluck produit une mise en abyme vertigineuse, quand il s'approprie la démarche de l'artiste et lui répond de la même manière. Par exemple, le tableau créé en s'inspirant d'une œuvre de Verena Nusz ne fait pas figurer le Chat, tout en gardant l'esprit de son humour. En outre la phrase recopiée 12 fois fait écho à la fois à la forme des œuvres de Nusz, et à la fois à la réaction du lecteur face à une de ses œuvres. Un grand moment d'Art conceptuel !
À la fin de cet ouvrage, le lecteur reste pensif, et même réfléchit. Le passage en revue des grands maîtres passés l'a conforté dans ses convictions relatives au bon goût et à la beauté académique, tout en tournant gentiment en dérision ces œuvres rendues intouchables par les siècles d'admiration. L'inclusion d'artistes contemporains lui a rappelé, qu'il le veuille ou non, que l'Art continue, avec ou sans lui, dans de multiples directions, intelligibles ou non, n'exigeant pas de maîtriser des techniques acquises au prix de longues années d'apprentissage (il y en a certains qui donnent l'impression de gribouiller à peu de frais). Pire, il risque d'avoir été touché par une œuvre ou une autre, sans bien savoir pourquoi, sans s'inquiéter de savoir si elle a été validée par une intelligentsia ou une autre, se moquant de son prix sur le marché de l'Art, et peut-être même de son créateur. En effet cet ouvrage accomplit une œuvre de vulgarisation de chefs d'œuvre intouchables ou incompréhensibles, autant sur le plan informatif que sur le plan émotionnel. Le plus grand risque encouru par le lecteur est celui de ressentir comme un goût de trop peu.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire