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jeudi 9 octobre 2025

Complainte des landes perdues - Cycle 4 - T01 Lord Heron

Voler n’est pas recevoir.


Ce tome est le premier d’un cycle en cinq tomes. Son édition originale date de 2021. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, par Paul Teng pour les dessins, et Bérengère Marquebreucq pour les couleurs. Il comprend cinquante-huit planches de bande dessinée. Pour mémoire, la parution du cycle I Les sorcières (dessiné par Béatrice Tillier) a débuté en 2015, celle du cycle II Les chevaliers du Pardon (dessiné par Philippe Delaby) a débuté en 2014, celle du cycle III Sioban (dessiné par Grzegorz Rosiński) en 1993. Ce tome comprend un texte introductif de deux pages, rédigé par le scénariste, évoquant les origines de la série, les différents cycles, son voyage en Écosse, l’influence du personnage Sioban : Elle avait pris vie comme tous ces personnages que l’on croit inventer et qui se sont, en fait, simplement durablement imposés à nous. Que devenait Sioban ? Avait-elle su vaincre ce Mal qui se loge au cœur de l’amour ? Avait-elle gardé à ses côtés son fidèle Seamus ? Tant d’autres questions dont je commençais à entrevoir les réponses, encore fallait-il trouver le dessinateur capable de se confronter à ce monde perdu aux résonnances si contemporaines cependant par ses déchirements, cette fatalité qui veut que jamais rien n’est vraiment défini, ni ombre, ni lumière, ni mal, ni bien. Il faut des rencontres heureuses dans ce métier, sinon l’on n’y survit pas.


Alors qu’ils arrivaient au terme de leur voyage, Sioban, voulut passer par le lac de Nortfangh, Seamus s’en étonna. Elle lui explique qu’elle veut se rendre à la porte des Gardiens. Avant que son oncle Lord Heron ne lui parle, elle tient à vérifier par elle-même, et s’ils pressent le pas de leurs montures ils seront au château en fin de journée. Les deux voyageurs approchent de la porte des Gardiens. Sioban ne l’imaginait pas aussi impressionnante. Depuis la nuit des temps, elle ne s’est plus ouverte, les gardiens veillent. Alors qu’ils ne sont plus qu’à quelques mètres de la porte, ils constatent qu’ils ne sont pas seuls. Seamus commente sur ce misérable orgueil qui pousse les hommes et les femmes à se croire investis d’une mission sacrée, d’un dessein exceptionnel.



Bien campé devant le gardien, les mains sur les hanches, le guerrier Sobold indique qu’il veut tenter sa chance pour ouvrir la porte, car celui qui ouvrira cette porte sera maître de ce qui se cache derrière, maître d’une force qui dominera les landes perdues. Le gardien exige un mois de l’existence de Sobold pour le laisser passer. Le guerrier accepte et il s’avance vers la porte, sur laquelle il abat de vigoureux coups avec sa hache. Sioban et Seamus en profitent pour aborder le gardien. Celui-ci demande à lire les lignes de la main de la jeune femme. Elle accepte, et il découvre dans son déchiffrage qu’elle n’est pas qu’une Sudenne, qu’il y a sur sa peau un autre goût. Il ajoute que le mal est tapi en elle, car il y a un monstre qui s’est tapi au cœur de sa famille, au cœur de l’amour. Sobold les interrompt car il s’est heurté à un échec, et il exige que le gardien lui rende son mois de vie. Il le menace même avec sa hache. Sioban intervient.


Le scénariste aguerri explique en introduction que le personnage de Sioban s’est imposé à lui, qu’il ne fait que raconter la vie qui lui vient à l’esprit par bribes d’informations. Le lecteur en est ravi, car il avait bien perçu que le dénouement du cycle portant le nom de cette jeune femme avait le goût d’un chapitre dans une histoire plus grande. Le lien de ce cycle avec le précédent coule de source puisqu’il met en scène deux personnages identiques : Sioban et Seamus. Le lecteur guette les autres éléments récurrents de la série : le territoire de l’Eruin Dulea bien sûr, et aussi la mention de Wulf le Loup Blanc (le père de Sioban), également Cryptos même si son apparence n’a plus rien à voir avec celles de autres cycles, le Niddhog qui n’est autre que la forme qui apparaissait au-dessus de Bedlam dans le cycle initial. Il est à nouveau question de la présence du Bien au cœur du Mal et réciproquement, du rite du sang mêlé lors de la cérémonie de mariage, et du sort du clan O’Kallan. Éventuellement, le lecteur peut se trouver un peu déçu de l’absence de tout fitchell, du moindre ouki et de l’absence apparente de toute Morigane. En revanche il semble bien impossible qu’un mariage puisse connaître une issue heureuse dans cette série. De son côté, le dessinateur se coule dans le moule des dessins s’inscrivant dans un registre réaliste et descriptif, bien aidé par la coloriste qui a également œuvrée sur les deux derniers tomes du cycle II.



Le lecteur découvre avec curiosité les dessins de l’artiste de ce cycle. Il commence par retrouver la mise en couleurs naturaliste, très sophistiquée. Elle vient compléter et nourrir les formes détourées par des traits encrés, et rehaussées par des petites zones noires et des griffures à l’intérieur. Dès la première page, le talent de la coloriste apparaît : la teinte grisée de l’eau pour évoquer l’ambiance lumineuse, les camaïeux de vert pour transcrire les reliefs des montagnes, les volumes changeant avec le vent des prairies, l’estompage de certaines couleurs pour évoquer un discret banc de brume, l’usage de variation de teintes pour accentuer discrètement le modelé d’un visage, un premier plan plus foncé pour augmenter la profondeur de champ, etc. L’effet naturaliste fonctionne parfaitement. Régulièrement, les sensations du lecteur se trouvent amplifiées par la mise en couleurs : le vert de la végétation, le brun mordoré d’un repas dans une grande salle de château avec le feu de la grande cheminée, le blanc des oiseaux dans le ciel dans une vue en plongée profonde vers les oubliettes d’Asfar, le rouge brun du feuillage de l’arbre de Vérité, l’immense dragon dont les écailles se fondent avec la couleur de la roche des cavernes, etc.


Dans un premier temps, les dessins apparaissent moins énergiques que ceux de Rosiński, moins mythologiques que ceux de Delaby, moins romantiques que ceux de Tillier, plus prosaïques. Cette caractéristique fait toute leur qualité, dans ce côté plausible et commun de quotidien. Inconsciemment, le lecteur absorbe ces détails concrets : les cailloux qui dépassent du chemin détrempé par la pluie, la présence d’un cerf dans le paysage, les écailles ternies de la représentation du dragon sur la porte des Gardiens, la ceinture de Sobold maintenant le tissu drapé sur sa cuirasse, la motte de beurre sur la table du dîner, les chiens présents dans la grande salle du château, les éléments de fer forgé sur les lourdes portes, une courte échelle laissée contre un mur, des grimoires empilés sur une table, la délicate couronne de fleurs de la mariée, les crânes de cerfs avec leurs bois accrochés sur la hotte monumentale de la cheminée, une discrète frise de décoration au mur, etc. L’artiste sait ancrer la narration visuelle dans un réel concret et plausible, de manière discrète et très palpable, attestant d’une solide documentation et d’un important travail préalable de recherches. Ainsi les moments d’action ou les éléments fantastiques s’intègrent de manière organique au récit et apparaissent tout autant naturels.



Après les événements du premier cycle, Sioban décide de rendre visite à un de ses oncles : Lord Heron. Sur la route avec Seamus (un chevalier du Pardon), elle fait un petit crochet pour voir par elle-même la porte des Gardiens. Le scénariste reste fidèle au principe de la série : des aventures dans le genre médiéval fantastique, sur la base d’une intrigue de pouvoir dans une famille noble, voire royale. L’héroïne manie les armes avec dextérité et elle a gagné en maturité par suite des épreuves du cycle précédent. Comme dans les autres cycles, la conquête du pouvoir constitue le moteur de l’intrigue, avec traîtrise et combats physiques pour pouvant mobiliser des dizaines d’individus. Sans doute possible, Sioban lutte pour le camp du Bien, ce qui fait de ses opposants des agents du Mal. Comme dans les cycles précédents, le Mal se loge au cœur de l’Amour : le scénariste brouille ainsi la dichotomie simpliste, reprenant le concept de Yin et de Yang.


Au fur et à mesure, le lecteur constate que ce cycle s’éloigne des thèmes du quatrième tome du Cycle Sioban. D’un côté, il reste le thème de la famille puissante et des machinations, les actions de Sioban en toute indépendance. De l’autre côté, la libération des petites créatures noires qui ont emporté avec elles les mots sacrés, le langage des grands Anciens semblent bien avoir délivré la génération de Sioban du poids du passé, elle ne semble pas condamnée à reproduire les erreurs du passé. Seul Seamus l’accompagne, le petit frère Wulff n’apparaît pas dans ces pages. Cependant… Les légendes anciennes n’ont pas complètement disparu, puisqu’il est question d’un Cryptos, et d’un dragon. Puis il est question d’une action passée de Wulff Loup Blanc, le père de Sioban, et l’échange du sang lors de la cérémonie des noces ramène aux cérémonies identiques dans les autres cycles. Et le scénariste ne se prive pas de susciter la curiosité du lecteur en mentionnant l’image de Sioban qui se reflète à la surface des yeux du Niddhog qui se déforme jusqu’à présenter une autre vérité… qui n’est pas montrée au lecteur. Finalement, les thèmes de ce tome reviennent sur le poids du passé sur les jeunes générations, la soif de pouvoir, les forces souterraines métaphores de l’inconscient qui modèlent la vie des individus.


Revenir sur le personnage central du premier cycle pour raconter le chapitre suivant de sa vie ? D’un côté, c’est faire revenir la série dans une succession de saisons classique et permettre au lecteur de retrouver cette jeune femme qui a déjà surmonté de terribles épreuves. De l’autre côté, l’artiste apporte sa propre personnalité à la narration visuelle, très solide et riche, admirablement complétée par la mise en couleurs. Les auteurs savent s’inscrire dans la continuité des autres cycles, tout en questionnant l’inéluctabilité de la rémanence des forces issues de l’héritage du passé. Se renouveler.



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