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mardi 4 juillet 2023

Le Mercenaire T12 La délivrance

L’intelligence humaine ne peut arriver naturellement, elle vient d’ailleurs.


Ce tome fait suite à Le Mercenaire T11 La fuite (2001). La première édition de ce tome date de 2002, réalisée intégralement par Vicente Segrelles, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. L’intégralité de la série a été rééditée dans une intégrale en trois volumes, en 2021/2022. Pour un autre point de vue sur cet album, Les BD de Barbüz : La délivrance.


Il y a des années de cela un puissant souverain oriental fut ridiculisé par les épouses de son harem. Quand ces jeunes prisonnières recouvrèrent la liberté à bord de l’énorme ballon qu’elles avaient fabriqué, le monarque, humilié, jura de les retrouver et de les exécuter en public. Son pouvoir et ses alliances étaient si étendus que les jeunes femmes se trouvèrent obligées de rester en permanence en l’air, à fuir, à jamais. Leur route croisa même un jour celle du pays des nuages permanents. Aujourd’hui, le vent capricieux les emmène au-dessus d’une forteresse. Le ballon de la communauté des amazones survole la cité de Pagan, proche de Catay. Le jour commence à se lever, et la responsable ordonne de remonter vite avant qu’on les voie. Des fusées de poudre sont tirées depuis la cité, et l’une d’elles enflamme la toile du ballon. La cité volante descend inexorablement vers la terre. Dans un territoire éloigné, de nuit, à la lumière de la Lune, Yusuf et Rachid guettent le ciel. Bientôt un petit individu casqué arrive sur ce qu’ils prennent pour un tapis volant. Il se pose à terre et va tremper ses jambes dans la mare. Il finit par se rendre compte qu’il est observé et commence à rejoindre son tapis volant, mais trop lentement. Yusuf le ceinture par derrière, et le neutralise, pendant que son cousin s’approche du dispositif volant. Zusuf l’a déshabillé pour découvrir un lézard anthropomorphe. Ce dernier appuie sur un dispositif accroché à son cou, et sa plateforme volante explose. Les cousins décident de se rendre à Pagan pour le vendre au souverain de Kaherzm dont le fils aîné collectionne les bêtes. Leur rareté fait leur beauté.



Dans le monastère de l’Ordre du Cratère, Nan-Tay rend compte à son grand-père : Karim les a contactés et ce qu’ils redoutaient est arrivé. Le sultan a attrapé les amazones, le ballon est tombé à Pagan, près de Catay. Le grand lama ne peut que constater que les tentacules du tyran s’étendent loin, et il demande à sa petite-fille si son plan pour les sauver tient toujours la route. Elle le confirme : Karim a même trouvé une solution à ce qui les empêchait d’accéder à leur cellule dans le dédale des prisons royales. Mais elle ne pensait pas que les exécutions débuteraient aussi vite. Elle se rend compte qu’elle en a pour dix jours de voyage : elle n’arrivera jamais à temps pour toutes les sauver. Le grand-père répond que même s’ils ne parviennent à n’en sauver qu’une cela en vaudra déjà la peine. Elle décide de partir sur le champ en emmenant Mercenaire. Ky déplore de ne pas pouvoir les accompagner.


En route pour une nouvelle aventure… malheureusement la dernière. En entamant ce tome, avec les années passées, le lecteur sait qu’il s’agit de la fin de la série répartie sur deux tomes, celui-ci et le suivant. Il n’en prend plus que soin de savourer sciemment chaque séquence, chaque page. Il est fort aise de retrouver la cité aérienne des amazones, apparue dans le premier tome de la série Le mercenaire T01 Le feu sacré (1982). Par la suite, il recroise un vaisseau caractéristique apparu à la fin de Le Mercenaire T07 Le voyage (1995). Le scénariste ne l’avait pas habitué à développer une telle continuité, d’autant qu’il est à nouveau question des survivants de l’Atlantide. Mais avant tout, ce qui occupe la plus grande place dans l’horizon d’attente du lecteur, c’est le voyage visuel. Quel plaisir renouvelé à chaque tome, de retrouver la formation caractéristique des chutes d’eau circulaires au-dessus du monastère de l’ordre du cratère. Juste une bande de trois cases, consacrée au toujours majestueux vol à dos de dragon, avec des dialogues qui viennent manger un peu le superbe ciel. Qu’importe, le plaisir de ce vol calme et posé reste intense et intact. Histoire de respecter les attendus de la série, le scénariste explique que le sultan a instauré une nouvelle tradition, un cruel raffinement : ses ex-épouses doivent se dénuder avant la décapitation, ce qui lui donne l’occasion de dessiner une femme nue à deux reprises, représentation somme toute assez chaste. Le lecteur exhale un soupir d’aise en découvrant un monstre marin avec des dents bien aiguisées, un autre classique dans la série, et un autre soupir encore plus grand lors d’un nouveau vol à dos de dragon, cette fois-ci dans des cases sans texte, et une seconde vision du monastère de l’Ordre du Cratère dans la dernière page.



Pour autant, le bédéiste va de l’avant, sans se complaire à ressasser les mêmes scènes, ou les mêmes visuels. Le lecteur fait l’effort conscient de se montrer plus attentif, de ralentir sciemment sa progression pour une case ou une séquence. Dès la deuxième planche, la deuxième case s’avère mémorable : comme un décollage de missiles pour aller abattre la cité flottante, un rapprochement visuel avec ces fusées fonctionnant comme des feux d’artifice. L’arrivée d’une petite créature humanoïde sur un croisement entre un tapis volant et un aéroglisseur monoplace frappe pour son élégance et son alliance visuelle entre ces deux moyens de déplacements. La ville arabisante de Pagan occasionne des visuels superbes : la vue d’ensemble de la ville avec ses dômes, le cadre d’une porte décorée de carrelages, le jardin intérieur d’une grande demeure, la pièce de réception du sultan, les entrailles du palais, etc. Au passage, s’il entretenait encore quelques doutes sur le recours à l’infographie, le lecteur en a la confirmation avec un ou deux effets spéciaux typiques de ce mode de dessin. Les personnages reprennent leur vol à dos de dragon et emmènent le lecteur dans un autre environnement, une autre cité, très différente, une autre communauté, très inattendue, une autre architecture plus futuriste et élégamment dépouillée, un autre enchantement.


L’intrigue commence par surprendre le lecteur avec ce retour sur des personnages du premier tome, qui n’avaient jamais été évoqués par la suite. Puis elle prend un tour très familier : une mission de sauvetage dans une forteresse, à l’identique de la trame du cinquième tome Le Mercenaire T05 La forteresse (1991). Pour autant, les différences rendent cette histoire distincte : Nan-Tay part rencontrer leur contact Karim. Ils bénéficient par la suite d’un guide appelé Wor, d’une race inattendue. Le sauvetage n’est pas une réussite éclatante. Comme d’habitude, les femmes subissent l’intention des hommes de les réduire à l’état d’objet, à commencer par ce sultan Kaherzm qui exige que ses épouses se dénudent avant la décapitation, et comme d’habitude ces mêmes femmes jouent un rôle indispensable et essentiel dans la victoire, à l’opposé d’artifices pour appâter le jeune lecteur mâle. Le souverain apparaît comme un tyran dont les caprices incitent ses sbires à ne faire preuve d’aucune initiative de peur de déplaire, ce qui les rend inefficaces, et fait passer par contraste le tyran pour un individu plus intelligent, mais quand même pas assez pour faire face à l’intelligence collective de l’équipe qui a organisé le sauvetage des prisonnières.



À l’issue de cette phase du récit, le lecteur en a déjà pour son argent : il a trouvé tout ce qu’il attendait, et vécu une belle aventure aux côtés du Mercenaire. Sans s’y attendre, il s’envole avec les personnages pour les vingt-six pages suivantes, pour cette seconde destination, et des découvertes formidables : le peuple de leur guide dans les souterrains de Pagan, la cité qu’ils habitent, leur civilisation. Le scénariste a déjà construit d’autres tomes de la série ainsi : une aventure en deux parties, ou parfois trois, comme s’il agrégeait deux histoires distinctes, ou qu’il écrivait des histoires plus brèves que les quarante-huit pages classiques. Dans cette seconde partie, il joue avec les préconceptions du lecteur. Un tel peuple ne peut qu’être une rémanence du passé, une forme de vie inférieure à l’être humain. Le lecteur se prête bien volontiers à ce jeu, en essayant d’anticiper les circonstances qui ont mené à préserver ces créatures de l’extinction, s’interrogeant sur la manière dont elles ont pu acquérir une conscience et faire preuve d’intelligence. Il se dit que le fait que la machine de vie connaisse déjà Mercenaire sera expliqué dans le dernier tome. Un développement supplémentaire dans la mythologie de la série, sans certitude qu’il sera repris dans la seconde partie de La délivrance. Survient alors la dernière page avec les explications du grand lama et une révélation tonitruante que rien ne laissait présager. Vite la suite et fin !


Bon, la dernière histoire de la série, en deux parties dont ce tome constitue la première : la cause est acquise d’avance. S’il est parvenu jusqu’ici dans la série, le lecteur sait déjà ce qu’il est venu chercher, l’auteur le lui a donné à chaque tome, il va en faire ainsi de nouveau. Effectivement, la narration visuelle génère un enchantement savoureux, avec tous les ingrédients visuels attendus, et de nombreux autres. L’intrigue reprend la trame d’un tome précédent, avec des variations significatives générant l’intérêt du lecteur. Que demander de plus ? Le bédéiste en donne beaucoup plus : à la fois dans les visuels toujours aussi peaufinés avec une densité de détail roborative, et avec une seconde partie emmenant le lecteur beaucoup plus loin qu’il ne pouvait s’y attendre dans l’univers de Mercenaire.



4 commentaires:

  1. Malheureusement comme tu dis... Je suis d'accord avec tout ce que tu égrènes et relève. Mais on sait déjà clairement que cette série se relira de nombreuses fois.

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    1. J'ai l'habitude de lire chaque tome pour le plaisir, puis le refeuilleter pour prendre des notes afin de nourrir mon commentaire. A chaque fois, je me surprends à me mettre à le relire, plutôt que de me concentrer sur ce que je souhaite en dire : le potentiel de relecture est immédiat, chose qui ne m'arrive pas si souvent que ça.

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  2. Merci pour le lien.

    "Il y a des années de cela un puissant souverain oriental fut ridiculisé par les épouses de son harem." - Je me souviens effectivement de cette introduction et de cette histoire avec peut-être plus de clarté que les autres.

    En route pour une nouvelle aventure… malheureusement la dernière. - À l'époque de ma lecture, je croyais - naïvement - que Segrelles allait continuer sa série. Hélas...

    Le scénariste ne l’avait pas habitué à développer une telle continuité - Voilà qui est très vrai. À l'époque, je venais juste de reprendre les comics, ma conception de la continuité en bande dessinée était floue, ce n'était pas un concept sur lequel je m'interrogeais à chaque lecture.

    le bédéiste va de l’avant, sans se complaire à ressasser les mêmes scènes, ou les mêmes visuels. - Ça m'avait rappelé les suppléments sur les contrées exotiques que tu trouvais dans certains univers de jeux de rôles. Tu as un monde de base et plusieurs cahiers sur d'autres régions.

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    1. l'époque de ma lecture, je croyais que Segrelles allait continuer sa série : alors qu'avec les années passées, j'ai abordé cette lecture en sachant que c'était l'avant-dernier tome, ce qui influe forcément sur mon état d'esprit pendant la lecture.

      La continuité en bande dessinée : ça me fait penser à des séries comme XIII ou Thorgal qui fonctionne sur une forte continuité.

      Des suppléments sur d'autres régions : j'aime bien cette comparaison, elle me parle aussi.

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