Tôt ou tard, on doit rendre compte aux dieux. Souvenez-vous en.
Ce tome fait suite à Le Mercenaire T06 Le Rayon mortel (1994). La première édition de ce tome date de 1995, réalisée intégralement par Vicente Segrelles, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. L’intégralité de la série a été rééditée dans une intégrale en trois volumes, en 2021/2022. Pour un autre point de vue sur cet album, Les BD de Barbüz : Un rêve inquiétant.
Mercenaire chevauche un grand dragon blanc aux amples ailes. Ils volent au-dessus de la mer, avec la silhouette d’une île dans le lointain. Bien protégé dans son armure, Mercenaire lit la carte qui lui a été remise pour accomplir sa mission : cette île ne figure pas dessus malgré sa grande taille. Bizarre. Pour autant, il cherche de l’eau pour lui et sa monture, et il décide de s’y arrêter. Ils approchent des rives, passant par-dessus des récifs, franchissant la légère langue de brume, et parvenant à l’orée d’une vaste et dense forêt. Les troncs sont tellement resserrés que le vol du dragon en devient impossible : Mercenaire décide de continuer à pied. Il fait atterrir son dragon sur les rives d’un petit lac avec une chute d’eau. Le dragon se désaltère et Mercenaire remplit sa gourde. Soudain, il entend un cri poussé par une voix humaine. Il décide d’aller investiguer. Il tire son épée de son fourreau et avance prudemment. Il découvre une autre clairière et repère l’entrée d’une caverne avec une toile d’araignée sur tout le pourtour. Il en déduit que l’araignée doit être démesurée. Une voix s’élève en provenance de la toile.
Mercenaire joue habilement de son épée pour tailler dans la toile d’araignée et libérer la personne qui s’y trouve. Il découvre une jeune femme pourvue d’ailes diaphanes. Elle est inconsciente : il en déduit qu’il est arrivé trop tard. Un bruit se fait entendre en provenance de la caverne et l’araignée gigantesque commence à en sortir. Mercenaire abat son épée et tranche une patte en même temps que la tête. Il continue à entendre un bourdonnement : il en déduit qu’il n’est pas seul. Il entend que ça bouge derrière lui : il se retourne vivement et devine une autre femme ailée qui se cache derrière un tronc d’arbre. Il lui enjoint de se montrer en la rassurant : il ne lui veut aucun mal. Elle lui répond sans bouger les lèvres : elle l’a vu sauver sa sœur. Elle est troublée : il ressemble à un roi-insecte, avec un visage humain. Elle ne sait que faire. Il lui confirme qu’il est un humain normal et que malheureusement sa sœur est morte. Elle le rassure : elle n’est que paralysée, ce qu’elle vérifie en soulevant sa paupière pour regarder son œil. À son tour, il lui explique qu’il pourra échapper aux insectes humanoïdes grâce à son dragon qui vole et le transporte. Elle l’avertit que les insectes s’en sont emparé et qu’ils le mangeront : ils mangent tout. Mercenaire lui déclare qu’il faut le sauver : elle lui propose un plan un peu étrange.
Voilà qui est fort déconcertant : une aventure qui commence sans explication, sans exposition de la nature de la mission de Mercenaire. Un atterrissage sur une île qui n’est pas sa destination, une rencontre avec une créature féérique puis avec des créatures monstrueuses, un combat gagné par la ruse, un autre monstre dont seule un tentacule est visible… Le lecteur reprend pied quand Mercenaire chute de la falaise et manque d’être avalé tout cru par un monstre marin qui ressemble à ceux croisés dans les tomes précédents. Mais il perd derechef toute constance avec l’apparition de Claust, un personnage récurrent, dans une séquence qui semble sans queue ni tête. La suite s’avère tout autant déconcertante, comme une succession de courtes aventures, la principale se déroulant sur moins de vingt pages. Le lecteur passe de séquence en séquence, cherchant à établir le fil directeur de cet album dont la première édition en français portait un autre titre : Un rêve inquiétant. Il se demande effectivement s’il ne faut pas y voir une fugue onirique plutôt qu’une intrigue en bonne et due forme. Peut-être que le scénariste disposait de bouts d’idée qu’il a enfilés pour obtenir la pagination requise. Ou qu’il s’est laissé guider par l’inspiration du moment jusqu’à atteindre le nombre de pages requis pour un album ?
D’un autre côté, le lecteur retrouve dès la première page les qualités de la narration visuelle qui constitue une grande partie de son horizon d’attente. Le vol du dragon est majestueux, avec ses ailes amples, son corps solide, visiblement capable de supporter le poids de Mercenaire en armure, et les vagues de la mer en dessous. En trois cases, le ton de l’aventure est donné et le lecteur ne demande qu’à accompagner le héros dans la découverte de lieux surprenants. Un peu plus loin, il sourit quand Andolfo de Vinci évoque justement l’importance de la charge alaire de Mercenaire qui teste une de ses inventions, et qui lui recommande de plonger en piqué sans hésiter pour atteindre une bonne vitesse, comme un clin d’œil au vol du dragon. Tout du long, le lecteur se délecte des visions offertes par les cases : la jungle dense, la cascade, les femmes ailées, bien peignées comme il se doit, les insectes humanoïdes avec leurs mandibules et leur carapace, les eaux agitées venant battre le pied d’une falaise, la tour à partir de laquelle Mercenaire se jette dans le vide pour tester ses ailes, le dragon s’échouant sur une plage de nuit, un volcan commençant à entrer en action, un tsunami, et des éléments bien plus surprenant encore.
Effectivement, l’artiste semble s’être fait plaisir à dessiner ce qui l’inspire, des aventures extraordinaires dans un monde vaguement moyenâgeux et des îles recelant des surprises indicibles. Après tout qu’importe si l’enchaînement des séquences dégage un parfum d’artificialité. Les composantes constitutives de la série sont garanties : un valeureux héros peu communicatif, bien protégé dans son armure, sauvant une demoiselle en détresse (enfin presque, une jeune femme ailée), des monstres à pourfendre sans se préoccuper de savoir s’ils disposent d’une intelligence encore moins d’une personnalité, de la bravoure, de la résilience, et aussi une compréhension de ce qui se passe qui place le héros au-dessus de la mêlée. En outre, l’artiste ne se fait pas juste plaisir à peindre avec entrain. Sa narration présente une fluidité et une évidence remarquables. En créateur complet, il alloue l’espace qu’il souhaite à chaque action. Mercenaire ayant impressionné les insectes humanoïdes, ceux-ci le conduisent devant le roi-insecte sur son trône. L’auteur régale le lecteur avec une vue des murailles devant le palais, avec l’approche dans la salle du trône dans une page de cinq cases culminant avec le roi et son épée entre les jambes, le combat en deux pages, un plan fixe de Mercenaire en train de chuter le long de la paroi verticale de la falaise. Il consacre des cases occupant les deux tiers d’une page à des vues à couper le souffle. Un spectacle d’une grande qualité.
Le lecteur remarque rapidement que, plus encore que dans les tomes précédents, l’artiste effectue un travail particulier avec sa palette de couleurs. Chaque séquence dispose de sa tonalité propre de couleur. Cela devient une évidence avec le rose qui infuse chaque case lors du test des ailes de vol inventées par Andolfo de Vinci. Cette approche prend également tout son sens avec le vert s’imposant dans toutes les cases quand Mercenaire pénètre dans le rayon lumineux. Le lecteur se fait également la remarque que l’auteur semble s’amuser discrètement avec des détails. Il y a bien sûr l’étonnement de la femme ailée sur le mode de communication très limité de Mercenaire, ou l’air ahuri du marin pointant du doigt le tsunami. Le lecteur sourit en voyant que Nan-Tay porte son épée, pendante entre les deux jambes, comme le roi-insecte, étrange écho visuel phallique, mais aussi reflétant bien le rôle de guerrière. Puis la nature de la mission se trouve enfin révélée, avec une énorme surprise quant à un vaisseau inattendu. Le lecteur se souvient que Nan-Tay avait fait une observation sur l’origine de la sphère qu’elle et Mercenaire avaient récupérée au beau milieu d’une très ancienne cité dans le tome précédent. Le lecteur en déduit que cette nouvelle composante sera développée dans les tomes suivants.
Un septième tome très déconcertant. Pourtant il présente les caractéristiques attendues : des vols en dragon dans des vieux paisibles, des sites surprenants, en l’occurrence trois îles, des situations de combat dans lesquelles Mercenaire se conduit en héros valeureux de peu de mots, des personnages récurrents (Nan-Tay, Andolfo de Vinci, Claust), une narration visuelle qui laisse le temps de contempler les actions et les voyages. Mais, cette fois-ci, Nan-Tay n’intervient pas pour lui sauver la mise, elle n’est présente que dans deux pages. D’un autre côté, le lecteur éprouve une sensation de déconnexion : il n’est pas fait allusion au géant du tome précédent, ou même à un nouveau plan de Claust. Les péripéties se suivent comme autant de brefs chapitres sans beaucoup de rapport entre eux. Pourtant la magie opère toujours sur le lecteur, ravi de pouvoir savourer ces pages servies par une narration visuelle claire et fluide, spectaculaire et pragmatique.
Encore une fois, le titre de l'édition intégrale est différent, il s'agit de Le voyage (apparemment ces traductions sont plus proches de la VO). J'ai oublié de dire que depuis le tome 4 ou 5, ce sont de nouvelles lectures pour moi : je n'avais jamais lu ces tomes parus à partir de la fin des années 80. Je confirme que ce voyage fut plaisant malgré son aspect déroutant. Et forcément, j'ai pensé à Thorgal.
RépondreSupprimerJ'ai lu moins d'une demi-douzaine de Thorgal, ce qui fait que je ne suis pas à même d'établir des comparaisons.
SupprimerLa présence d'un vaisseau spatial m'a déconcerté, d'autant que cet élément n'est pas développé ou même évoqué par la suite.
Pour ce que ça vaut, je te conseille de lire les 16 premiers tomes de Thorgal (surtout que depuis l'an passé, ils les rééditent avec de nouvelles couleurs bien plus modernes, en tout cas sur les premiers tomes, parce qu'à partir du 6 ou 7, les couleurs d'origine sont très bien). https://www.lelombard.com/actualite/actualites/nouvelles-couleurs-thorgal
SupprimerHoula ! Il va me falloir du temps avant de me lancer dans 16 tomes.
SupprimerLe Mercenaire T07 - Ça y est, tu es déjà arrivé à plus de la moitié. Une belle productivité !
RépondreSupprimerMerci pour le lien !
l’araignée gigantesque commence à en sortir. Mercenaire abat son épée et tranche une patte en même temps que la tête. - Quelle scène, mon Dieu, mais quelle scène !
Peut-être que le scénariste disposait de bouts d’idée qu’il a enfilés pour obtenir la pagination requise. - Je m'étais fait une remarque similaire, mais j'avais trouvé qu'il y avait là beaucoup d'inspiration.
Un septième tome très déconcertant. Pourtant il présente les caractéristiques attendues - Effectivement. Il n'empêche que j'étais resté plus sceptique qu'à l'accoutumée à l'issue de la lecture. J'avais trouvé cet album moins efficacement structuré - moins bien écrit, tout simplement - que les précédents volets de la série.
Beaucoup d'inspiration : je trouve que c'est compatible avec le principe de rabouter des idées éparses (nombreuses) qui ne sont pas assez consistantes pour fournir matière à un récit de quarante-huit pages.
SupprimerMoins bien écrit : je l'ai pris comme un recueil de nouvelles, avec à chaque fois une ou deux scènes fortes par nouvelles, et la difficulté d'ajuster mes attentes de lecteur à un recueil de nouvelles et pas une histoire au long court.