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mardi 28 mars 2023

Le Mercenaire T05 La forteresse

La providence est décidément de notre côté.


Ce tome fait suite à Le Mercenaire, tome 4 : Le sacrifice (1988). La première édition de ce tome date de 1991, réalisée intégralement par Vicente Segrelles, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. L’intégralité de la série a été rééditée dans une intégrale en trois volumes, en 2021/2022. Pour un autre point de vue sur cet album, Les BD de Barbüz : La forteresse.


Dans la grande salle du monastère, le grand lama s’adresse au conseil au grand complet. Claust, après son coup d’état et sa tentative d’inondation du cratère, les a laissés tranquilles afin de concentrer tous ses efforts à construire une énorme forteresse, réputée inexpugnable. Cet entrepôt de poudre et d’armes lui permet d’intimider les états limitrophes et de dominer le pays des nuages permanents. Depuis lors, ils débattent du bien-fondé d’offrir la formule de la poudre à ses voisins, dans l’espoir d’un retour de l’équilibre et d’une annihilation de Claust. Cette décision provoquerait une furieuse réaction du tyran aux dépens du monastère… Cette fois, sans aucun doute, il les décimerait tous. Pourtant, le moyen d’en finir une fois pour toute avec lui est apparu aujourd’hui. Nan-Tay a infiltré la forteresse. Elle a porté à leur connaissance, un fait surprenant : un point faible dans sa conception, dans la partie basse de l’édifice, là où se situe le dépôt de poudre. Les torches sont interdites. Un système de lucarnes à l’épreuve de toute arme y est intégré. Pourtant, c’est là que le bâtiment est vulnérable. Ils pourraient le détruire, et Claust avec, en envoyant par surprise une charge de plusieurs quintaux depuis une barque amarrée dans le lac. Le tir devra pénétrer par une lucarne et atteindre la poudre. Dit ainsi, cela semble impossible. Pourtant, frère Arnoldo, ici présent, va expliquer le plan, et il les assure, il est réalisable. Il laisse la parole à Arnoldo.



Arnoldo de Vinci prend la parole en leur indiquant qu’il va leur demander un effort collectif considérable. Au coucher du soleil, l’obscurité recouvre peu à peu le grand lac. L’énorme édifice s’emplit jusqu’au moindre recoin du son d’un puissant gong. À cet instant, la ronde débute, les herses sont baissées et on obstrue les lucarnes du dépôt de poudre. Ainsi se déroule la routine quotidienne de défense nocturne de la nouvelle forteresse de Claust. Cette même nuit, Mercenaire chevauche un dragon pour se rendre jusqu’au port du grand lac. Il rend visite à Auro, le responsable de la construction du navire : c’est le bateau le plus solide qu’il ait jamais construit. Toutefois, l’affût du canon est très exposé au feu. Satisfait de ce qu’il a vu, Mercenaire repart en rappelant à Auro que personne ne doit suspecter ce qu’ils préparent. Chevauchant son dragon, Mercenaire descend dans la cascade circulaire qui permet d’accéder au monastère. Il effectue son rapport au maître : le bateau est presque fini. Il s’enquiert de la marche des choses. Le maître répond que les choses vont plutôt bien : le grand canon à vapeur fonctionne parfaitement, le léger, moins.


Au cours des tomes trois et quatre, le lecteur a eu la confirmation de la nature de la dynamique de la série : Mercenaire travaille maintenant de manière pérenne pour le monastère, et ces derniers doivent se défendre contre les assauts de Claust et de son armée, voire essayer de le neutraliser si possible. Comme à son habitude, le scénariste déroule un scénario sur un mode linéaire : exposition de la situation de départ avec une nouvelle menace (la nouvelle forteresse de Claust et de son armée), préparatifs de Mercenaire et de la communauté du monastère, attaque, bataille, actions d’éclat de Mercenaire. Le lecteur retrouve ce schéma très classique de récit d’aventures hérité du dix-neuvième siècle comme si les évolutions du vingtième siècle en termes de narration n’étaient jamais survenues. Pour autant, cette structure à base d’exposition, d’attaques et de contre-attaques parvient à capter son attention car l’enjeu est clair, et les obstacles à surmonter titillent la curiosité du lecteur qui se demandent comment les héros vont s’y prendre, sur quels imprévus ils vont tomber, avec la promesse de la démonstration de leur ingéniosité et de leur courage pour triompher à la fin.



L’autre attrait qui capte l’attention du lecteur réside dans la qualité de la narration visuelle : l’artiste sait quelles scènes méritent d’être montrées dans le détail, quelles scènes se prêtent à des visuels mémorables. Il sait également doser entre images et textes, de manière favoriser les premières pendant les moments d’action. Ainsi dès la planche quatre, le lecteur découvre une page sans aucun texte, le vol de nuit de Mercenaire sur un dragon, tout en silence, avec le lent mouvement des ailes de la monture, les quelques sources lumineuses qui se reflètent sur l’eau, dont un phare, le calme du port endormi, les eaux du lac parfaitement étal. Deux pages après, le héros fait le chemin en sens inverse, à nouveau au cours d’une planche dépourvue de mot, avec seulement trois cases. Il est toujours aussi impressionnant de (re)voir cette étonnante formation géologique avec une cascade à trois cent soixante degrés, et le vol qui amène à descendre dans cet immense gouffre circulaire, entouré par la brume des eaux tumultueuses.


La première bataille est de nature navale, avec un bâtiment à l’apparence de navire marchand qui vogue lentement vers la cité-forteresse, l’objectif à détruire. Survient le premier tir de canon destructeur, et bien sûr la riposte de l’armée assiégée. Les phylactères se font moins nombreux, laissant les images raconter, et laissant parler la poudre. Le lecteur apprécie la clarté du récit permettant de comprendre et de voir les attaques des deux camps en lice. L’artiste sait aussi bien montrer la trajectoire d’une charge explosive depuis le fût du canon, jusqu’au bâtiment, que l’avancée des soldats sur leur dragon, avec leurs propres charges explosives, et les tirs pour essayer de les descendre avant qu’ils ne soient au-dessus de leur cible. Segrelles n’hésite pas à représenter la violence de la guerre, par exemple un projectile traversant le cou d’un dragon, ou la tête arrachée d’un soldat par un autre projectile. Cette volonté de montrer les actions dans leur durée apporte une consistance à des phases qui sinon ne seraient qu’une collection de clichés vidés de leur substance. Par exemple, le lecteur suit Nan-Tay et Mercenaire pendant quatre pages, alors qu’ils progressent prudemment et rapidement au sein de la forteresse afin d’accomplir leurs missions.



Outre les dragons, les armures, les armes médiévales et la coiffure toujours impeccable de Mercenaire, l’artiste ne résiste pas à l’envie de montrer la poitrine dénudée de Nan-Tay pendant un peu plus d’une page. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut y voir une titillation gratuite pour retenir l’attention du lecteur mâle et adolescent à moindre frais, ou l’acte de guerriers qui y voient une manière d’humilier une faible femme sans défense, en abusant de leur force. Toutefois, comme dans les tomes précédents, cette femme n’est pas réduite à un objet du désir comme artifice narratif misogyne : une fois encore, la victoire ne peut être acquise que par ses actions. Ainsi dans un récit de Fantaisie médiévale, une femme joue un rôle de premier plan : sans elle, les bons ne triompheraient pas des méchants, ce qui accrédite la dénonciation des soldats l’humiliant par la nudité, plutôt que la complaisance. Plus les tomes passent, plus l’artiste prend confiance dans ses capacités : il n’y a pratiquement plus de contours tracés, la couleur directe devenant la technique majoritaire. Le dosage en informations visuelles gagne lui aussi en qualité. L’artiste semble particulièrement conscient de sa pagination limitée et du fait que les images constituent le moyen par lequel le lecteur se trouve transporté dans ce monde extraordinaire. Ainsi le nombre de cases avec un camaïeu pour fond diminue drastiquement, le dessinateur s’attachant à montrer chaque lieu, son aménagement, les accessoires. Outre cette qualité réelle d’immersion, le lecteur s’attarde sur de nombreux détails : l’aménagement de la pièce du conseil avec son vitrail, ses dais rouges, ses bancs, les bâtiments du port, les colonnades et les escaliers du monastère, les outils dans l’atelier des forgerons, le schéma du canon léger d’Arnoldo de Vinci (certainement inspiré des schémas de Léonard de Vinci), le plumage de l’oiseau apportant le message codé, les formations rocheuses des rives du lac, les harnais des dragons, l’architecture intérieure de la forteresse, le trône de Claust, etc.


Un nouveau tome, une nouvelle phase dans la guerre qui oppose Claust et son armée à la communauté du monastère et ses deux agents d’élite Nan-Tay et Mercenaire. La narration visuelle est encore une fois enchanteresse, gagnant en capacité immersive, l’artiste devenant plus assuré, et toujours autant investi dans chaque planche, chaque case. Une aventure prenante fonctionnant sur le principe d’une mission de destruction. La personnalité des protagonistes reste peu développée, ce qui n’empêche pas de ressentir leurs convictions et d’admirer leur bravoure.



4 commentaires:

  1. Dans celui-ci, j'ai été étonné d'être pris par le suspense. J'ai vraiment cru à un moment, qu'ils allaient échouer, au moins partiellement. C'est un peu le descendant des films de guerre des années 60 (comme Les canons de Navarone que cite Barbüz), aux enjeux clairs mais toujours plein de détails et sans facilité scénaristique. Tes deux derniers paragraphes sont plein de bon sens et parfaitement formulés. Un jour j'arriverai peut-être aussi à m'exprimer aussi clairement avec tant de fond.

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    1. Le suspense : il a moins fonctionné sur moi car j'ai assimilé le fait que la série fonctionne sur la base d'un héros qui gagne à la fin… mais qui ne gagne pas tout seul, ni qui ne triomphe totalement, ce qui permet de conserver un minimum de suspense.

      Merci pour les mots gentils.

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  2. À nouveau merci pour la référence.

    la grande salle du monastère - Elle est splendide, d'ailleurs.

    Dit ainsi, cela semble impossible - Une belle opération commando qui rappelle les meilleurs films de guerre ou d'action. Je pense notamment aux "Canons de Navarone", mais la liste est sans doute très longue.

    La première bataille est nature navale - Tu as oublié un "de".

    a coiffure toujours impeccable de Mercenaire - Big Jim a encore frappé.

    l’artiste ne résiste pas à l’envie de montrer la poitrine dénudée de Nan-Tay - Segrelles devait être un fan de Steel Panther avant l'heure.

    Plus les tomes passent, plus l’artiste prend confiance dans ses capacités : il n’y a pratiquement plus de contours tracés, la couleur directe devenant la technique majoritaire - Très intéressant, cette remarque. J'étais persuadé que l'artiste utilisait la couleur directe dès le début. Je me suis trompé, semble-t-il.

    l’aménagement de la pièce du conseil avec son vitrail, ses dais rouges, ses bancs - J'en parle plus haut, merci d'y revenir.

    Un bel article plaisant à lire.

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    1. Merci pour le mot oublié : j'ai rectifié.

      La coiffure impeccable de Mercenaire : la formulation Big Jim est excellente, elle a déclenché un franc sourire sur mon visage. Je l'associe également aux premier James Bond où il n'était jamais décoiffé, même en sortant d'un bain forcé.

      La couleur directe : à mes yeux, il y avait quelques traits de contour dans des cases essentiellement réalisée en couleur direct, une forme mixte.

      Les décors : quand je tombe sur une case comme la grande salle du monastère, je mesure par comparaison à quel point les décors de certaines BD sont vides ou sans imagination, sans personnalité, de l'IKEA prêt à l'emploi.

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