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lundi 27 mars 2023

Monsieur Jean T04 Vivons heureux sans en avoir l'air

Ah ouais, d’accord, le genre intello-branchouille !


Ce tome fait suite à Monsieur Jean T03: Les femmes et les enfants d'abord (1994) qu’il vaut mieux avoir lu avant. Dans la réédition en intégrale, l’éditeur a inséré le tome hors-série Monsieur Jean - La théorie des gens seuls (2000) entre les tomes 3 et 4 dans la mesure ou les histoires correspondantes se déroulent entre les deux, même s’il est paru après le tome 4. Dans l'ordre de parution, le présent tome fait suite au premier hors-série : Journal d'un album (1994) dans lequel les auteurs évoquent leur vie personnelle pendant la réalisation du tome 3. La première édition du présent tome date de 1998. Les deux auteurs, Philippe Dupuy et Charles Berberian, ont écrit le scénario à quatre mains et dessiné les planches à quatre mains. La mise en couleurs a été réalisée par Isabelle Busschaert. L’album compte cinquante-quatre planches.


Dans l’appartement de Monsieur Jean, la fête bat son plein : la marmaille s’agite en tous sens, pour l’anniversaire d’Eugène, trois ou quatre ans, un vrai carnage. Jean regarde d’un air effaré les verres renversés par terre, les bibelots en train de chuter, un enfant aux doigts sales maculant son fauteuil, un autre jouant avec les allumettes pour allumer les bougies, deux autres en train de se battre pour un robot en plastique. Il intervient pour les séparer, confisque le jouet objet de discorde et le place sur une étagère en hauteur ce qui déclenche une crise de larmes chez les deux. Monsieur Jean leur tourne le dos et s’éloigne estimant l’affaire réglée. Cathy intervient prend le robot sur l’étagère et fait mine de parler à sa place pour s’adresser aux enfants. Faisant mine d’être Globultor, elle leur indique qu’il est le gardien des verres vides et des assiettes salles, qu’il voit que son trésor est éparpillé partout dans l’univers, et il leur demande de l’aider à le rassembler ici sur la table. Du coin de l’œil, Jean a vu des enfants jouer dans la pièce qui lui sert de bureau. Il découvre deux enfants en train de gribouiller sur les pages du manuscrit de son prochain livre. Il les sort de là et il se plaint à Cathy qui lui répond qu’il devrait plutôt travailler sur ordinateur et que les dessins sont plutôt pas mal.



Monsieur Jean s’isole dans son bureau et passe un coup de fil à son ami Clément qui lui propose de sortir le soir même. Pendant ce temps-là, Cathy prend en charge le déroulement de la fête d’anniversaire, toute seule. Elle va répondre au coup de sonnette : c’est Jacques qui débarque avec ses jumeaux. Il lui explique qu’il vient de se disputer avec son épouse Véronique, qu’ils ont besoin d’un peu de temps tout seuls, qu’il lui laisse les jumeaux. Elle accepte gentiment. Dans son bureau, Jean continue de papoter tranquille, pendant que la fête bat son plein dans le salon. Cathy entre dans le bureau avec air courroucé. Elle lui explique qu’elle en a assez, assez d’être la bonne poire qui rapplique quand on a besoin d’elle, tout ça parce que les enfants, monsieur, ça lui prend la tête. Parfois, elle a vraiment l’impression de le déranger. Ça fait un an qu’’ils sont ensemble et elle a l’impression qu’il s’investit à reculons. La vérité, c’est que ça lui fait peur de s’impliquer, de remettre en question son petit confort de célibataire. Elle lui dit au revoir et le laisse avec les enfants.


Au fur et à mesure des album, monsieur Jean grandit lentement mais inexorablement, poussé vers les responsabilités, confronté à des adultes, à leurs choix, à ses propres non-choix qui finalement se révèlent en être. Comme Cathy lui fait observer, il ne souhaite pas remettre en cause son petit confort de célibataire, et elle en a marre d’attendre qu’il se décide. Elle décide de s’éloigner quelques temps, profitant d’un voyage professionnel à New York : il aura ainsi tout le temps de réfléchir et de se décider, à moins que ce soit la vie qui le fasse pour lui. Le début s’avère brutal : Monsieur Jean confronté à la sauvagerie déchaînée de petits enfants hors de contrôle. Le chaos est libéré dans son petit appartement parisien, et il ne dispose d’aucun moyen pour le maîtriser, ni même pour l’endiguer. Les artistes s’amusent bien à faire s’alterner une case avec ces petits enfants sans retenue aucune, et la tête de Monsieur Jean abasourdi par ce qu’il contemple. Par comparaison, les gestes de Cathy sont calmes et posés, ses postures sont assurées et calment les enfants, en totale opposition avec le dégoût qui habite Jean. Lorsque ce dernier se rend compte que Jacques a laissé ses jumeaux, il est encore plus atterré, ne comprenant même pas comment ces enfants ont pu arriver là, totalement désemparé face à Véronique qui vient les chercher. De son côté, elle semble résignée et même quelque peu accablée par les tensions entre elle et son époux, avec une larme coulant sur sa joue, et cherchant un peu de réconfort sur l’épaule de Jean. Avec des images toutes simples, les dessinateurs savent faire passer la détresse qui l’habite.



Avec cette approche esthétique qui n’appartient qu’à eux, Dupuy & Berberian simplifient les silhouettes tout en leur donnant une réelle élégance, donnent un appendice nasal appartenant au registre gros nez aux hommes, des nez très fins et un peu pointus aux femmes. Ils jouent également sur les simplifications et les exagérations des visages pour les rendre plus expressifs : les yeux en forme de billes de loto pour l’effarement de Monsieur Jean devant les enfants déchaînés, les bouches très grandes ouvertes des enfants jusqu’à en voir la luette quand ils braillent en s’époumonant, les traits secs pour les yeux et la bouche quand Cathy est de mauvaise humeur, la bouche en croissant de Félix pour souligner sa bonne humeur insouciante, le visage très aplati de Mme Poulbot et son air satisfait, la bouche en fer à cheval de Clément pour montrer son dégout, les yeux mi-clos de Pierre-Yves, etc. Le langage corporel des personnages s’avère tout aussi parlant : Cathy qui claque une porte, Monsieur Jean étendu très détendu alors que la fête enfantine bat son plein de l’autre côté de la porte, Félix avec les épaules tombantes alors que Jean lui démontre l’inanité de son plan pour se refaire, Eugène se débattant dans la baignoire parce que du shampoing lui coule dans les yeux, Marion et ses postures attentives vis-à-vis de Jean, Pierre-Yves dans des postures pleines d’assurance pour mettre en valeur son corps bien découplé.


Les artistes ont également repris l’idée d’une métaphore visuelle, à l’instar de celle du château fort dans le tome précédent. Cette fois-ci, il s’agit d’une sirène représentée sur un tableau qui se trouve dans un restaurant japonais, spécialisé dans les teriyakis. Le lecteur la découvre pour la première fois sur la couverture : une jeune sirène accorte dont la tête a les traits de Cathy, la jeune femme que Jean fréquente depuis un an, et, sur sa queue, un jeune enfant, celui que Félix a adopté, né du précédent de lit de sa compagne, et dont il laisse la charge à Jean. Au-delà des personnages de la série, le message semble être que la femme exerce son pouvoir de séduction dans le but de transformer le mâle en père pour avoir un enfant. Néanmoins cette métaphore visuelle se fait plus polysémique que celle du château. Le lecteur comprend que Monsieur Jean est impressionné par le tableau du restaurant, et tout autant par l‘histoire que lui narre le propriétaire, à savoir un conte japonais… mais l’arrivée de Cathy l’interrompt et il ne finit pas son histoire. L’image de la sirène revient alors tarauder l’inconscient de Monsieur Jean, soit quand il se met à rêvasser, soit pendant son sommeil, s’incarnant avec le visage de femmes différentes, dans des circonstances en lien direct avec les expériences du jour du rêveur. Dans le même temps, cette silhouette de femme couchée aux jambes masquées revient sous une autre forme, dans une autre histoire relative à un autre tableau. Ainsi les dessinateurs tissent un lien entre ces différentes parties du récit, par le biais de variations d’un motif visuel.



Le lecteur remarque également que pour la première fois ce tome n’est pas découpé chapitres, chacun avec leur titre, mais forme une unité. À une ou deux reprises, il éprouve une sensation de transition un peu maladroite, comme si les scénaristes avaient construit leur récit avec plusieurs développements emboîtés à posteriori. Le lecteur oublie vite cette sensation, car la thématique de fond et le déroulement chronologique assurent une continuité narrative. Il s’agit à la fois de l’évolution de la relation entre Cathy et Monsieur Jean, à la fois de la manière dont le petit Eugène est pris en charge par des adultes, sans oublier les tensions dans le couple de Véronique & Jacques, ou encore de la tentative de séduction de Pierre-Yves, du mariage de Virginie & Laurent, et même de la solitude de madame Poulbot. Le dispositif est simple et efficace : Monsieur Jean est le témoin direct des difficultés de couple. Véronique & Jacques font face à une frustration insidieuse parce qu’ils ne trouvent plus de temps ensemble parce qu’ils doivent s’occuper de leurs jumeaux qui deviennent donc une charge. Virginie & Laurent se marient ensemble pour la deuxième fois, mais des tensions subsistent à commencer par la jalousie de Laurent. Jean se retrouve à prendre en charge l’enfant Eugène, parce que Félix le délaisse, oubliant d’aller le chercher à l’école, n’étant pas là pour son anniversaire alors qu’il devait en animer la fête. Sans oublier Marion qui est mariée et qui essaye de de se retrouver dans les bras de Jean. Avec tout ça, l’histoire sur le trafic de tableaux devient quasiment superflue. Ainsi Monsieur Jean a tous les mauvais exemples devant lui, toutes les raisons de continuer à éviter de s’engager.


Le lecteur savoure le fait que la narration des auteurs se bonifient avec les albums qui passent. Peut-être que la narration visuelle progresse plus rapidement que la construction proprement dite du récit, avec une esthétique de plus en plus personnelle, de plus en plus élégante et expressive. Pour autant, le passage d’une succession de scénettes à un récit à la taille d’un album fonctionne majoritairement bien, ainsi que la métaphore visuelle de la sirène. Le temps passe inexorablement pour tout le monde, y compris pour Monsieur Jean qui doit faire face au constat que prendre une décision ou ne pas le faire, c’est toujours choisir, et que le temps fuit.



2 commentaires:

  1. qu’il vaut mieux avoir lu avant - J'en déduis donc qu'il y a une forme de continuité dans "Monsieur Jean".

    Cathy - C'est sa sœur ou sa copine ? Je ne me souviens plus s'il monsieur Jean est fils unique. Bon, en fait, j'ai la réponse à la fin du paragraphe.

    Monsieur Jean confronté à la sauvagerie déchaînée de petits enfants hors de contrôle. - Effectivement, les images font peur. Sur ce coup-là, les auteurs ne lui épargnent rien !

    l’histoire sur le trafic de tableaux devient quasiment superflue - Je suppose néanmoins qu'elle ne nuit pas non plus à l'histoire ? Ou est-elle vraiment inutile ?


    Peut-être que la narration visuelle progresse plus rapidement - Je mentirais en affirmant que je me suis fait la réflexion, mais il m'a néanmoins semblé que les cases étaient plus fournies, les compositions plus détaillées, et qu'il y avait parfois une recherche, comme par exemple cette case dont le phylactère occupe une moitié et le visage - tronqué - de Cathy l'autre.

    prendre une décision ou ne pas le faire, c’est toujours choisir, et que le temps fuit - Je crois que c'est l'une des phases les plus difficiles de la vie d'adulte.

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    1. Il s'installe une forme de continuité au fil des tomes : Monsieur Jean passe de célibataire sans aucune responsabilité et légèrement dragueur, à un engagement avec une femme (Cathy), puis des enfants. Il s'installe dans la vie.

      Depuis le départ des mes enfants, j'imagine très bien le traumatisme de l'irruption d'enfants dans une appartement bien rangé.

      Le fil narratif sur les tableaux se rattache au thème du créateur et de sa création, c'est-à-dire Monsieur Jean et ses livres, tout en produisant un effet similaire au raboutage de deux intrigues pour faire un album complet.

      La narration visuelle : le tait composite des deux artistes glisse doucement vers une approche plus conceptuelle de la représentation, déjà très visible dans les visages féminins.

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