Bram n’est pas bête, seulement inculte. Il faut l’aider.
Ce tome est le premier d’une pentalogie. Sa première publication est survenue en 2015. Il a été réalisé par LEO (Luiz Eduardo de Oliveira) & Rodolphe (Rodolphe Daniel Jacquette) coscénaristes, et Zoran Janjetov, dessinateur et coloriste. Ce trio a ensuite réalisé la série Europa.
Dans une grande place du village, avec la forêt en arrière-plan, Abraham Roscoff, surnommé Bram, s’apprête à lutter à main nue, contre un ours muselé. L’ours se tient debout sur ses antérieurs, Bram attaque frontalement. Il enserre le cou de l’animal, le fait tomber à terre, passe derrière assurant sa prise autour du cou et commence à exercer une pression croissante. Dans la foule, les jumelles Joy & June Osmond observent le combat : June l’encourage, alors que sa sœur réprouve cette violence. Dans le ciel, un petit dirigeable blanc arrive à proximité du village. Joy demande à June de dire à Bram qu’il ne doit pas tuer l’ours. Sa sœur envoie un message mental à l’homme : il n’a jamais compris comment elle arrive à faire ça, mais il a parfaitement entendu le message à l’intérieur de sa tête, Joy ne veut pas qu’il tue l’animal. Il obéit bien sûr, il ferait tout pour Joy. C’est ce jour-là, le jour où il a lutté avec l’ours que sa vie a basculé. Car au même moment, arrivait dans leur village cette femme dans son petit dirigeable blanc. Bram va trouver les jumelles pour leur demander si elles ont aimé la lutte, et il leur dédie cette victoire. Joy lui demande de ne pas trop l’approcher car il sent l’ours : il décide d’aller prendre une douche. La femme du dirigeable arrive.
Ethel se présente à Joy & June Osmond : elle a été envoyée par le gouvernement et elle souhaite leur parler chez elle. Elle aimerait connaître leur mère, et qu’elles puissent parler toutes les quatre. Alors qu’elles vont pour entrer dans le pavillon, elles sont interpellées par le révérend Solers : il se présente à Ethel et lui dit qu’il aimerait participer à leur conversation si ça ne la dérange pas. Une fois installés dans le salon, Ethel explique qu’elle est venue chercher Joy & June pour les amener à la capitale. Leur mère Lucy y est opposée. Le révérend rappelle que la terre promise qu’il évoque dans ses prêches n’est pas une création de l’esprit : elle existe et ils se dirigent vers elle. Ethel poursuit : elle est un haut fonctionnaire du gouvernement et elle se porte garante de la sécurité des filles. Des événements importants ont eu lieu et les filles de Lucy peuvent aider, le gouvernement a besoin d’elles. June suggère que Bram les accompagne pour les veiller sur elles. Une fois arrivé, ce dernier est tout excité à l’idée d’aller à la capitale. Peu de temps après, Ethel, Joy & June et Bram ont pris place à bord du petit dirigeable et font route vers la capitale. Vu du ciel, la courbure concave du paysage saute aux yeux, et devant eux se trouvent une énorme structure métallique cylindrique qui s’élance vers les cieux.
LEO et Rodolphe avaient déjà collaboré sur une autre série de science-fiction composée de trois cycles : Kenya - Namibia – Amazonie. Le dessinateur avait déjà collaboré avec Alejandro Jodorowsky sur plusieurs séries : Avant l’Incal, Les technopères, L’Ogregod. Le lecteur sait qu’il a affaire à des créateurs confirmés. De fait, il ressent que chaque séquence est calibrée au millimètre, pour apporter les informations nécessaires à l’exposition de l’intrigue, en s’appuyant sur des dessins propres sur eux et descriptifs donnant à voir au lecteur, cet univers de science-fiction. L’intrigue suit un développement linéaire rigoureux : la présentation des principaux personnages : Joy & June Osmond avec leur relation entre elles, leurs capacités qui justifient qu’elles soient choisies pour la mission, leur mère pour les ancrer dans une famille, Bram avec sa force, son manque de culture mais pas d’intelligence et son courage naturel. Puis le lecteur côtoie un peu Ethel : sa manière de recruter doucement mais fermement les jumelles, son rapport de subalterne avec le gouverneur Korolev. Quelques pages plus, le lecteur fait connaissance avec deux autres membres de la mission : Mary-Maë Randolf coordinatrice générale et Pierre de Bourges et son chien Graal, grand spécialiste de la faune et la flore. Douze pages après, la coordinatrice présente les trois derniers membres de la mission Jenny Goldman, médecin, Richard Klein, ingénieur et pilote, Feng Liu, spécialiste de la sécurité. Chaque personnage dispose d’une morphologie et d’un visage bien distincts, la composition de l’équipe recouvrant une grande fourchette d’âge et d’origine ethnique.
L’intrigue se déroule de manière linéaire : recrutement de personnages novices, ce qui permet à ceux qui disposent de plus d’informations d’expliquer, et ainsi d’informer le lecteur de manière organique. La séquence d’ouverture ne donne pas beaucoup d’indications : un village de type campagnard avec ce qui semble être une église, des maisons à un ou deux étages de type seconde moitié du vingtième siècle, des collines très vertes et boisées, des tenues vestimentaires assez ordinaires, sauf pour la tunique et le pantalon pourpres du révérend Solers. Lors du vol en dirigeable, le lecteur peut voir la courbure importante du sol, le gigantesque pilier métallique et il sait qu’il se trouve dans un environnement de science-fiction. Il se fait la remarque de l’efficacité discrète de la narration visuelle qui montre avec évidence les différents lieux au point qu’il peut devancer une partie des explications qui vont être données quelques cases plus loin. L’intrigue repose sur un vaisseau-monde ayant voyagé pendant une très longue période et l’arrivée à proximité d’une planète habitable. En outre, les visuels impressionnent par leur évidence. La courbure du paysage vu du ciel présente une cohérence parfaite avec le relief des collines en arrière-plan dans la scène de combat contre l’ours. L’énorme tour métallique apparaît d’abord juste de manière très partielle : un petit morceau de son pied, en arrière-plan de la capitale. Puis quelques pages plus loin, le lecteur peut la voir dans son intégralité, et comme élément d’un réseau plus vaste. Quelques pages plus loin, une navette est sortie dans l’espace et le lecteur bénéficie d’un aperçu du vaisseau-monde.
D’un côté, les coscénaristes semblent légèrement à la traîne avec ce petit décalage entre ce qui est montré, puis expliqué ; de l’autre côté, l’histoire progresse à un rythme régulier chaque scène venant apporter soit une vue plus générale, soit un développement sur un point particulier. L’attention du lecteur est captée par ce combat contre un ours, puis l’arrivée d’Ethel et sa mission, puis le voyage jusqu’à la capitale, et les explications du Gouverneur Korolev, puis les révélations sur le vaisseau -monde et son histoire, etc. L’enchainement est impeccable et implacable, chaque séquence apportant une information supplémentaire qui vient répondre à une question de la scène précédente, et qui pose une nouvelle question fonctionnant comme une transition parfaite pour la scène suivante. Arrivé à la dernière page, il tarde au lecteur de découvrir ce que la mission sur la planète Vera va révéler. En scénaristes chevronnés, LEO & Rodolphe brisent cette linéarité à deux reprises : quelques cases consacrées aux circonstances de l’origine de cette mission et l’embarquement à bord du vaisseau-monde, ainsi qu’une intrigue secondaire. Celle-ci concerne tout d’abord les capacités extraordinaires de June, mais elle semble céder le pas à une autre. Il s’est produit une intrusion presque impossible à bord du vaisseau-monde alors qu’il voyageait à une vitesse gigantesque, et il semble que cette infiltration avait comme destination le village des jumelles.
En fonction de ses attentes, le lecteur peut être parfaitement contenté par ce récit clairement structuré, progressant à bonne allure de mystère en mystère. Il peut parfois être déconcerté par un choix ou un autre : les traits non signifiants sur les visages, ou le rôle très nébuleux de la religion à bord du vaisseau-monde, mais ce sont des détails. Il peut aussi trouver intriguant que les coscénaristes insèrent des allusions en passant à des thèmes plus consistants, ou au contraire s’agacer qu’ils ne les abordent pas de manière claire. Par exemple, le gouverneur dit en passant que les êtres qui vivent sur Vera peuvent accepter de les accueillir. Sinon, cela dépend de leur niveau de civilisation, mais peut-être que les voyageurs du vaisseau-monde pourraient s’y installer sans leur autorisation. Cette remarque évoque la question morale de la colonisation, mais ce point ne sera pas plus développé. June fait remarquer que Bram n’est pas bête, seulement inculte et qu’il faut l’aider : une observation sur les chances données à chaque individu, répétée quelques pages plus loin, mais pas développée, le lecteur sent bien que c’est une accroche pour un événement ultérieur. Arrivé à la capitale, Bram désœuvré se met à pourchasser un perroquet, scène oubliée par la suite : encore une balise probable pour la suite, mais insuffisante pour elle-même. Une équipe de maintenance revient d’une tournée de surveillance dans un endroit peu visité : le lecteur croit percevoir une forme de commentaire sur une société qui n’a pas assez investi dans les équipes d’entretien et de réparation pour pouvoir faire fonctionner tout ce qu’elle a construit, mais en fait ce constat ne sert qu’à introduire le mystère d’une intrusion restée indétectée des années durant.
Ce premier tome constitue une lecture un peu frustrante. Le lecteur y trouve exactement ce qu’il attendait. Son horizon d’attente est comblé : un vaisseau spatial, un voyage spatial, des mystères qui s’enchaînent, des personnages juste assez épais pour exister, un enjeu énorme en termes de vies humaines, la certitude d’un conflit physique à venir, des dessins très concrets donnant une consistance et une cohérence remarquable à chaque lieu, chaque accessoire, chaque personnage, chaque situation. Dans le même temps, il semble qu’il n’y ait que cela.
Aaah ! Une série de science-fiction : super !
RépondreSupprimer"C’est ce jour-là, e jour où il a lutté avec l’ours que sa vie a basculé." - Tu as oublié un "l" (ou un "c").
"Pus le lecteur côtoie un peu Ethel" - Il manque un "i".
des dessins propres sur eux et descriptifs [...] des dessins très concrets donnant une consistance et une cohérence remarquable à chaque lieu, chaque accessoire, chaque personnage, chaque situation - De ce que je vois là, j'adore ! J'aime ce style net, propre, élégant, avec un degré supérieur de finition, du détail en quantité, mais sans surcharge. J'ai bien l'impression que la mise en couleurs a été effectuée avec un outil numérique ; me trompé-je ?
L’intrigue se déroule de manière linéaire - Est-ce que cette linéarité t'a gêné ?
Bon, je vois que ta conclusion ne traduit pas un enthousiasme débridé ; mais j'ai vu que tu avais continué la série, donc ça t'a quand même suffisamment plu.
Les couvertures de cette série m'avaient fortement intriguée au fur et à mesure de leur parution, aussi je n'ai pas hésité un seul instant quand j'ai vu arriver l'intégrale. Comme je me suis fait la promesse à moi-même de lire tout ce que j'achète, la lecture des autres tomes a été menée à bien, avec un commentaire à chaque fois.
SupprimerLa narration visuelle me plaît beaucoup, et je présume que la mise en couleurs est réalisée avec un outil numérique.
Mince : faut-il que je fasse vérifier mon clavier, et en particulier les lettres I et L ? Merci pour le signalement, je corrige.
La linéarité ne me gêne pas : ce n'est pas un de mes critères d'analyse d'habitude, mais j'ai pensé à toi.