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lundi 21 mai 2018

Requiem - Tome 05: Dragon Blitz

L'heure est venue d'un peu de harcèlement sur le lieu du travail.

Ce tome fait suite à Le bal des vampires qu'il faut avoir lu avant. Il est initialement paru en 2004, publié par les éditions Nickel (il a bénéficié d'une réédition en 2017 par Glénat). Le scénario est de Pat Mills. Olivier Ledroit a réalisé les dessins et la mise en couleurs. Le tome se termine avec 2 pages d'étude graphique sur Requiem, 2 autres sur Claudia, et un bestiaire passant en revue les miroirs, les mutants des champs de bataille, les zombies, l'arachnoïde, le centaure.

En 1961, en Terre de Feu (Argentine), 4 individus arrivent dans une auberge isolée au pied d'une montagne enneigée. Leur chef demande à l'aubergiste s'il sait où se trouve Otto Holmann, en lui présentant une photographie d'un dignitaire nazi en uniforme. Dans un premier temps, l'aubergiste nie avoir vu cet individu. Quand le chef lui indique que le chef de la police a balancé Holmann, il accepte de leur dire qu'il est parti dans les montagnes. Otto Holmann est prêt à les recevoir, mais il finit par se faire avoir, et découvre qu'il reçoit le coup de grâce porté par Sarah, la sœur de Rebecca. Dans le ciel de Résurrection, la bataille aérienne se poursuit au-dessus du Satanik, le vaisseau amiral du comte Dracula. À bord d'une Faucheuse (un triplan démoniaque), Heinrich Augsburg fait tout son possible pour rester hors de portée des griffes des dragons, et Rebecca n'arrive pas à ajuster son tir depuis son poste de mitrailleur. Fort heureusement, Thurim réaffirme son emprise sur le corps d'Augsburg, chassant l'esprit de son propriétaire. Il met immédiatement à profit ses talents de pilote, acquis pendant la première guerre mondiale.

Tout de suite, la Faucheuse d'Augsburg fait une différence, affrontant les dragons de front, et permettant à Rebecca de viser précisément. Ses acrobaties sont observées par le comte Dracula et Néron, depuis la cabine de commandement du Satanik. Elles leur évoquent à tous deux les talents de Thurim qui avait mystérieusement échappé à son supplice pour retourner sur la grande roue de la réincarnation. Ils évoquent aussi la disparition de son marteau de combat. Ils sont interrompus par l'arrivée du Grand-Prêtre qui leur explique que la fragilité et la faillibilité des boucliers psychiques sont imputables à la pénurie d'opium noir à bord du vaisseau. Le comte Dracula lui rétorque qu'il a mis en œuvre une mission de récupération de cargaison d'opium noir. À l'extérieur, le combat aérien continue. À sa grande surprise, Thurim est pris en chasse par un autre pilote de Faucheuse : Otto von Todt. Rebecca lui explique qu'il en a après Heinrich Augsburg, mais aussi après elle du fait de sa judéité. Dans les gorges des schismatiques, en Draconie du nord, les goules (avec à leur tête Dame Vénus) s'apprêtent à prendre à l'abordage, le train transportant l'opium noir.



Après 4 albums, le lecteur a pris conscience de la démarche hors norme des 2 auteurs : mettre en scène les pires travers de l'humanité, dans une forme exubérante, à la fois dans le fond de l'intrigue (une planète où se retrouvent la réincarnation des plus grands tortionnaires de l'humanité), et des dessins ostentatoires, très chargés et débridés. Même s'il éprouve quelques désagréments en s'investissant dans l'histoire, il est subjugué par la force des images. Cette immersion dans un univers consistant et cohérent commence dès la couverture (réédition 2017), avec cette femme à la plastique parfaite (il y a une justification dans le récit) maniant des armes à feu finement ouvragées, et outrageusement détaillées, ces cordages auxquels il ne manque aucun toron, et ces 6 goules tous différents, tous avec une tenue spécifique. Comme le lecteur a pu le constater les pages intérieures offre la même qualité d'illustration que la couverture. Dès la première scène, il peut se projeter dans ce petit village de Terre de Feu, entendre la neige crisser sous ses pas, scruter les habitations basses, reconnaître un vieux modèle de pompe à essence, détailler les modèles de voiture, suivre les traces de pneus dans la neige, et tout cela en une seule case. Par la suite, le lecteur peut ressentir le froid alors que les traqueurs s'engagent dans une gorge rocailleuse, avec des rochers couverts de neige.

Lors de la séquence de combat aérien, Olivier Ledroit transforme le ciel en un environnement fourmillant de détails et de textures, comme s'il s'agissait d'un organisme vivant, d'un biotope regorgeant de vie et de flux. Bien évidemment, il y a des nuées tourbillonnantes et des nuages aux formes torturées, mais aussi des volées de diablotins, des éclairs, et des dragons gigantesques. Même dans le ciel, le lecteur peut se livrer à une longue observation de chaque détail : la morphologie des dragons, la structure du triplan, les mitrailleuses montées sur la Faucheuse, les cadrans de son tableau de bord, le casque ouvragé de Rebecca, le casque hérissé de pointes et d'yeux d'Heinrich Augsburg, les motifs sur les crêtes des dragons, leur dentition, les formes prises par les flammes qu'ils crachent. Comme à son habitude, l'artiste ne laisse pas un seul centimètre carré vide dans ses planches, et il les compose souvent à l'échelle des 2 pages qui se font face. La scène suivante se déroule dans la pièce d'apparat du comte Dracula, à bord du Satanik. L'attention du lecteur est accaparée par le faste des tenues de Dracula et de Néron, et il lui faut un temps d'adaptation pour se rendre compte que les arrière-plans représentent bel et bien les murs de la salle, avec les colonnades, les balcons et les gigantesques baies vitrées.



Les endroits suivants sont tout aussi dantesques. Lors de l'attaque du train, le lecteur découvre un mastodonte à vapeur conjuguant steampunk et gothique de la plus noire eau. L'amateur de hard rock reconnaît un bel hommage au train figurant sur la pochette de l'album Orgasmatron (1986) de Mötorhead. Le métro menant à Nécropolis est tout aussi gigantesque et victorien dans l'âme. L'arrivée à Nécropolis donne lieu à un dessin occupant la moitié de 2 pages, une vision déformée de Londres vu par Charles Dickens, avec d'étranges attelages dans les rues, rappelant des corbillards, des races diverses et variées, des mendiants, et des dignitaires drapés de noir. Le lecteur pénètre ensuite dans une taverne tout en bois du plancher aux poutres du plafond, en passant par les tables, les chaises, le comptoir ébréché et les étagères. Les bougies des tables reposent sur des crânes, et il y a même un orchestre miteux de 6 personnes qui jouent sur une estrade minuscule. Le lecteur peut voir la graisse sale suinter des lattes du parquet, ainsi que la suie imprégnée dans les piliers. Comme dans les tomes précédents, les dessins obsessionnels d'Olivier Ledroit donnent une consistance exceptionnelle à ce monde, comme s'il existait vraiment. Le lecteur éprouve même un sentiment familier en se retrouvant dans les appartements de Requiem, avec son cercueil en ébène, les chaînes descendant du plafond, auxquelles il ne manque pas un seul maillon.

Les personnages bénéficient du même niveau de détails, et de la même manière de les sublimer, en exagérant plusieurs de leurs caractéristiques. Même dans la scène d'ouverture qui se passe dans le monde normal, la peau du visage du meneur est particulièrement parcheminée, les yeux de l'aubergiste sont fortement plissés rendant son visage indéchiffrable, et la peau du visage de Sarah est d'une blancheur immaculée, à la fois maladive, à la fois surnaturelle. Ledroit prend soin de faire changer de vêtement le groupe de traqueurs, abandonnant leurs costumes de ville, pour des tenues adaptées au froid de la montagne enneigée. Lors du combat aérien, le lecteur ne peut apercevoir que les casques des pilotes et des mitrailleurs, mais il y a quand même la cuirasse d'un monstre, noire et hérissée de pointes, avec des articulations qui assure une mobilité suffisante au monstre. La cuirasse de Dracula impressionne par sa couleur sanglante et son faste. La robe violette et le bras mécanique de Néron viennent compléter son masque baroque et décadent. Dame Vénus est magnifique en tenue pirate, avec son bustier pigeonnant, sa taille de guêpe enserrée dans 2 ceintures, son pantalon à rayure allongeant ses jambes, et ses bottes en cuir, à talon haut, ouvragées au niveau du genou. L'apparence de Sabre Erectica en dit long sur sa personnalité : très sensible à la mode, une belle tignasse soigneusement entretenue, sa belle redingote militaire avec ses galons d'apparat, et ses lunettes de soleil effilées. Dans les pages bonus des arcanes du Hellfire Club, le lecteur prend la mesure du travail préparatoire de l'artiste pour l'un des costumes de Requiem avec des recherches sur 5 blousons différents, et pour les cuissardes de Dame Claudia dans 2 autres pages. Olivier Ledroit se livre à un véritable travail de costumier professionnel, spécialisé dans le gothique et le sadomasochisme.



Alors qu'il peut craindre une surcharge cognitive du fait de la densité d'informations visuelles, le lecteur s'aperçoit que ça ne gêne en rien le plaisir de lecture, ni même la fluidité des scènes d'action. Il peut suivre les évolutions des dragons dans le ciel, la descente des goules sur le train depuis leur navire céleste, ou encore la bagarre généralisée dans la taverne de Nécropolis. Bien sûr le spectacle visuel est de chaque page, et le lecteur qui prend le temps de scruter chaque case est récompensé par le train d'Orgasmatron, mais aussi par Hellboy (de Mike Mignola) en train de balayer des mort-nés cannibales. De son côté, Pat Mills intègre également 2 ou 3 références dont celle à la pratique du Chicken run (2 véhicules qui se foncent dessus, pour savoir quel conducteur changera de direction le premier), une à la chanson Fais-moi mal Johnny (1955), de Boris Vian et Alain Goraguer. Le scénariste reste donc concentré sur son récit. Dans ce tome, il entremêle donc plusieurs fils narratifs : Rebecca et Heinrich Augsburg réunis pour le moment, la défense de la forteresse volante de Dracula, l'attaque du train pour s'emparer de la cargaison d'opium noir, les manigances de Sire Mortis et Black Sabbat, l'introduction d'un nouveau personnage Sabre Erectica, l'existence du marteau de Thurim et le mystère de sa disparition, et rapidement les agissements de Claudia Démona. Le lecteur reste impressionné par l'aisance avec laquelle Pat Mills réussit à évoquer autant de personnages et de situations, sans donner l'impression de papillonner ou de se disperser. L'intrigue avance donc à un rythme satisfaisant.

Au fil des différentes séquences, le scénariste aborde plusieurs thèmes dont certains très inattendus. Sans surprise, il retrouve les évocations de la seconde guerre mondiale, avec l'obsession d'Otto von Todt de tuer les juifs, mais aussi la traque aux anciens nazis s'étant réfugiés en Amérique du Sud pour échapper à la justice, et en particulier Adolf Eichmann (1906-1962) exilé en Argentine sous le nom de Riccardo Klement. Il constate également des références à la première guerre mondiale comme les triplans, ou encore les bombardiers de modèle Gotha G. Ce qui le prend par surprise est que l'un des personnages s'avère être une féministe convaincue, dénonçant la discrimination et le harcèlement. Il prend un malin plaisir à la faire parler avec une terminologie politiquement correcte au point d'en être lourde et parfois hypocrite à vouloir être trop inclusive. Par exemple, elle n'utilise pas le mot de Vampire qui est trop connoté ; elle préfère le terme plus neutre de photoréceptivement ingrat. Il ne s'attend pas non plus à des remarques de nature écologiste, sur les armes non polluantes et renouvelables, entre préoccupation décalée (par rapport à l'environnement de Résurrection) et dérision sarcastique. Il finit même par s'offusquer d'un humour assez lourd : des étrons de dragon explosifs, des jeux de mots sexuels sur le nom de Sabre Erectica (Sabre Erotica / Sabre Erectica), l'attitude sexiste de ce même personnage, et même un dragon qui essaye de se reproduire avec un triplan Faucheuse.



Cet humour bas du front détone en comparaison de la sophistication des dessins, et d'un scénario mettant en scène les comportements violents et meurtriers d'individus ayant commis des atrocités durant leur vivant, avec une réelle adresse, en jouant sur les forces graphiques de l'artiste. Le lecteur peut voir dans cet humour un reflet de la bassesse des âmes des personnages, une preuve du nivellement par le bas qu'occasionne une absence de valeurs morales. Cette dépravation apparaît également les rapports sexuels entre les personnages. Olivier Ledroit y va franchement avec le corps de Claudia, en particulier ses seins pointant fièrement en avant, et il n'hésite pas à la dessiner prenant à pleine main le membre turgescent de Sean. Le lecteur se souvient d'ailleurs de la position indécente d'Elizabeth Bathory dans le tome précédent, ou encore cette dame avec un bijou vulvaire. Mills joue avec le sous-entendu que Thurim habite le corps de Requiem sans prévenir, ce qui expose Rébecca à un viol par Thurim, alors qu'elle aurait consenti au rapport avec Heinrich Augsburg. Là encore, les auteurs décrivent les mœurs d'individus préoccupés de leur propre plaisir, du paraître, jouissant sans entrave de leur position dominante. Dans ce contexte, l'amour entre Rébecca et Requiem, entre une goule et un vampire, devient plus qu'une utilisation primaire de la situation de Roméo & Juliette, en opposant au comportement égocentré et dépourvu d'empathie, les principes de confiance et d'amour. En tous les cas, du fait de la nature du récit, il n'est pas possible de n'y voir qu'une bluette de circonstance.


Dans ce cinquième tome, le lecteur retrouve Olivier Ledroit toujours aussi en verve, proposant page après page d'excès visuels, tout en restant au service de la narration du récit, et en lui donnant une consistance extraordinaire. Pat Mills déroule son intrigue de manière intelligible, en imaginant des situations et des scènes qui jouent sur la démesure des illustrations de l'artiste. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut trouver que la tonalité du récit se fait trop graveleuse, un peu facile, ou que le scénariste en dénonçant certains comportements est trop premier degré et tombe dans le piège de se montrer tout aussi grossier. Mais il ne s'agit que de quelques cases, au milieu d'autres thèmes abordés de manière bien plus subversive.



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