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mercredi 16 mai 2018

Baron rouge, Tome 2 : Pluie de sang

Maintenant, j'ai envie de l'achever.


Ce tome fait suite à Le bal des mitrailleuses. C'est le deuxième tome d'une trilogie qui se termine avec Donjons et Dragons. Il est paru en 2013. Il est écrit par Pierre Veys, et illustré par Carlos Puerta.

Le récit commence à la seconde suivant la dernière page du tome précédent. Georg et Richthofen se rendent compte que l'avion qui les pourchassait n'est plus derrière eux. Richthofen fait signe à Georg de faire demi-tour pour découvrir ce qui est arrivé à leur poursuivant. Ils finissent par repérer une colonne de fumée noire, et découvrir le trou béant dans le mur de la cathédrale, causé par le crash de l'avion. D'un côté, ils n'ont aucune idée de la raison pour laquelle l'avion a percuté la cathédrale ; de l'autre côté cette mission peut être considérée comme une victoire car un avion ennemi a été abattu. Ils rentrent à leur base, mais il y a une tension entre eux. Richthofen va se faire soigner la main qu'il s'est coupée sur l'hélice de l'avion pendant un moment d'inattention. Le médecin découvre que son épaule gauche présente également une longue estafilade causée par une balle, Richthofen n'ayant même pas eu conscience d'avoir été blessé. La discussion entre pilote et tireur est chargée d'acrimonie : Georg estime que Richthofen n'a pas su tirer au bon moment, et ce dernier estime que le pilote était incapable d'anticiper les mouvements de l'avion français.

Georg et Richthofen se retrouvent quelques dizaines de minutes plus tard devant leur avion et constatent le nombre élevé d'impacts de balle. Ils prennent conscience de la difficulté de la tâche de l'autre, et Richthofen se fait la réflexion que les avions peuvent encaisser beaucoup de balles avant de tomber. Ils refont des sorties autour d'Ostende les jours suivants, mais sans croiser aucun avion ennemi. Quelques jours plus tard, Richthofen effectue un autre vol au-dessus d'un champ de batailles et de tranchées en Champagne. Il voit les soldats effectuer une sortie. Ils repèrent un Farman français dans le ciel et lui donne la chasse. Richthofen tire toutes ses munitions sur l'avion (100 balles) sans effet apparent, avant qu'il ne finisse par s'écraser. Le soir les différents pilotes allemands fêtent leur tableau de chasse dans le mess, au champagne. L'ennemi abattu par Richthofen ne peut pas être comptabilisé parce qu'il est tombé en territoire ennemi. Mais la décision de Richthofen est prise : s'il veut utiliser pleinement son pouvoir, il doit devenir pilote.


Dès la première séquence, le lecteur éprouve le plaisir de retrouver les sensations du premier tome. La fin du combat aérien permet de survoler Bruges à nouveau, avec toujours la même qualité d'immersion. Le lecteur développe la conviction que l'artiste travaille d'après photographies, voire qu'il utilise un logiciel pour les travailler et les intégrer à ses cases. C'est une impression qu'il ressent dans différentes scènes, comme l'entrée en Russie par un petit pont de pierre, ou sur la place d'une ville du Luxembourg. En fonction de sa sensibilité, il peut être tiré un instant de son immersion par cette qualité si élevée de la reconstitution historique et par cette impression de photographie. C'est une sensation paradoxale, à la fois parce que l'artiste avait utilisé les mêmes méthodes dans le tome 1 (donc le lecteur avait eu la possibilité de s'y adapter), à la fois parce qu'il s'étonne de la trop grande qualité de la représentation. Si ce sursaut se produit, il ne lui faut que peu de temps pour se rendre compte que cette véracité de la reconstitution apporte énormément à la narration, donnant la sensation de voir un reportage factuel sur place, et que Carlos Puerta assure une cohérence graphique sans faille entre les environnements d'après référence, les autres et les personnages. Il n'apparaît aucune solution de continuité d'une case à l'autre, ou entre les protagonistes et le milieu dans lequel ils évoluent. En outre, cette approche graphique ajoute une dimension touristique à celle de la reconstitution pour une expérience de lecture visuellement très riche.

Si nécessaire, le lecteur réalise donc cet ajustement dans sa façon d'envisager les illustrations, et se replonge dans cette reconstitution si tangible. Débarrassé de toute arrière-pensée sur les choix techniques de la représentation, il se délecte alors des combats aériens. Il a l'impression d'évoluer à côté du biplan AEG de Georg et Richthofen, en survolant le tracé d'un canal de Bruges, puis en en survolant les toits, et en arrivant à proximité de l'imposante cathédrale. Les prises de vue sont réalisées avec intelligence pour pouvoir comprendre les changements de direction effectués par le pilote, et éprouver la sensation de le suivre dans sa trajectoire. Lors du vol suivant (pages 13 à 17), le lecteur assiste à un affrontement en plein ciel, aux tirs à la mitrailleuse. Il peut observer la concentration du tireur (Richthofen) sur son arme à feu, l'impression de tirer sur une machine suspendue dans le ciel sans intervention humaine, la perception étrange de tirer sur une cible sans aucun effet visible. Le vol suivant s'effectue à bord d'un Albatros C.III (avion mis en service fin 1916), avec cette fois-ci Richthofen pilote de l'avion, ayant adapté une mitrailleuse pour pouvoir tirer par lui-même, sans besoin d'un autre équipier. L'enjeu de ce vol réside dans un duel qui oppose Richthofen au pilote d'un biplan français Nieuport. Juste avant d'apercevoir l'ennemi, le Baron Rouge survole le fort de Douaumont, dans la région fortifiée de Verdun. S'il en a la curiosité, le lecteur peut effectivement retrouver le cliché qui a servi de référence à l'artiste pour réaliser la vue aérienne en page 23.


Le lecteur est venu avec comme horizon d'attente de découvrir plusieurs séquences de vol permettant d'admirer des modèles d'avion de la première guerre mondiale, ainsi que les manœuvres du Baron Rouge pour prendre le dessus sur ses opposants. Sur 46 pages de bande dessinée, 18 sont consacrées à des évolutions aériennes, tenant ainsi la promesse implicite pour ce genre de récit. Chaque vol s'avère différent du précédent, que ce soit par le modèle d'avion, par l'identité du pilote, ou par les événements qui surviennent. Le lecteur apprécie que le scénariste rattache ces sorties en vol, à la situation des soldats dans les tranchées, le temps de 2 pages. Carlos Puerta représente une sortie de tranchée, les soldats montant à l'attaque. Les dessins font ressortir la différence de situation entre ces hommes affrontant les balles de l'ennemi de front, et la position plus confortable du pilote et du tireur survolant le bourbier dans leur biplan. La reconstitution historique est tout aussi soignée que dans les autres séquences, et cela permet de rattacher le parcours du Baron Rouge à celui des hommes de troupe.

Pour ce deuxième tome, Pierre Veys continue de raconter l'histoire personnelle de Manfred von Richthofen, sur la base de scènes clef. Il y a donc la fin de ce premier vol décisif au-dessus de Bruges, qui confirme la certitude de Richthofen de vouloir voler, et de devenir pilote pour ne dépendre de personne en situation de combat. Le récit passe ensuite à son premier ennemi abattu, puis à son premier vol en solo, dans lequel il assure à la fois le pilotage du biplan et le tir, et à l'arrivée de Willy (son copain de classe, présent dans le premier tome) dans la même base que celle où il est affecté. Le lecteur se retrouve assez surpris quand le récit revient en arrière en page 32, alors que Richthofen faisait encore partie de l'infanterie et qu'il se trouvait en Russie. En découvrant cette séquence et les suivantes, le lecteur comprend que le scénariste souhaite développer d'autres éléments sur la personnalité de Manfred Richthofen qu'il ne lui semblait pas possible de faire apparaître dans les séquences de vol. Si le lecteur n'est venu que pour un récit de combats aériens historiques, il peut s'agacer de ces diversions qui le ramènent sur Terre. S'il s'intéresse à Manfred Albrecht, Freiherr von Richthofen, il a également constaté que cette histoire n'a pas la prétention d'être une biographie rigoureuse et exhaustive.


Le lecteur est alors amené à considérer le dernier tiers de ce tome comme une façon de d'étoffer le portrait du Baron Rouge, en revenant sur des situations qui ont participé à sa construction, mais qui constituent aussi des éclairages sur sa personnalité. L'objectif de l'auteur est de creuser le profil psychologique du personnage, en montrant plutôt qu'en dissertant. Le lecteur peut ainsi voir par lui-même que Manfred Richthofen n'éprouve pas d'empathie pour les individus qu'il tue, et qu'il fait preuve d'un goût pour abattre ses ennemis, pour les achever. La séquence dans le village russe montre un individu qui prend plaisir à triompher de l'ennemi, et pour qui la preuve de tangible de la victoire est la mort de l'opposant. La séquence suivante met en lumière une forme de code moral de Richthofen ou en tout cas fait ressortir une autre des valeurs qui l'animent, avec laquelle il structure sa vie. Même s'il ne voit que des diversions dans ces séquences, le lecteur finit par abandonner toute réticence grâce à la qualité sans faille de la narration visuelle. Carlos Puerta s'implique au même niveau pour ces passages, avec le même souci de conformité à la réalité historique (pour les uniformes ou pour les armes, les lieux) et la même science de la mise en scène. La séquence nocturne dans le village russe installe un suspense intense, en trouvant le bon équilibre entre les ombres de la nuit, et ce qui est montré, ainsi qu'avec les déplacements furtifs pour éviter les cavaliers.

La dernière séquence (un combat de boxe) étonne le lecteur par ses implications. Une fois encore, Richthofen exige d'être victorieux sur son opposant, mais dans le même temps sa démarche vise à convaincre Willy, comme s'il souhaitait un témoin, ou une personne comprenant son don. C'est comme s'il avait besoin d'être assuré que son ami éprouve une forme d'empathie pour lui. Ce match de boxe se déroule sur 3 pages dépourvues de texte, et Carlos Puerta se montre encore parfait comme metteur en scène, compréhensible du premier coup d'œil, rendant compte avec évidence des attaques, des feintes et des esquives, donnant l'impression au lecteur de suivre le match en direct, et pas sous forme de dessins juxtaposés.

Ce deuxième tome apporte au lecteur tout ce qu'il attendait : des combats aériens intelligibles et cohérents, dans une reconstitution historique soignée et rigoureuse, avec des dessins descriptifs conservant une forme de poésie visuelle. Du grand art ! Il y trouve également plus que ce qu'il était venu y chercher, avec des séquences détachées de l'aviation, dans lesquelles les auteurs prennent soin de rattacher l'histoire de Richthofen à celle de la guerre, et dans lesquelles ils font apparaître la personnalité monstrueuse de cet as de l'aviation.


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