Il s'agit du deuxième tome d'une série humoristique, constituant une compilation de gags en 1 bande verticale, chaque page comprenant 1 bande. Il n'est donc pas de besoin d'avoir lu le premier tome avant celui-ci, mais ce serait dommage de s'en priver. Il se présente sous un format original : demi A4 vertical, avec des bandes verticales (par opposition à l'habitude des strips qui se présentent sous la forme d'une bande dans laquelle les cases se suivent à l'horizontal). Il est initialement paru en 2011, écrit par Sergio Salma, dessiné par Libon. Ce tome comprend 92 strips.
Le personnage récurrent de ces strips est le Libraire. Son nom est prononcé par un animateur de débats télévisés : Bernard Doux, libraire à BD Boutik. Il travaille souvent seul, parfois avec un employé ou avec un stagiaire. Il reçoit régulièrement de nouveaux arrivages, et il doit gérer le retour des invendus. Bien sûr il voit défiler différents types de lecteurs, pas forcément assez à son goût, mais parfois trop d'un certain type. Il arrive que certains gags ne le mettent pas en scène, avec uniquement un lecteur, ou 2 en train de se parler, parfois un père et un fils, une femme et son mari, ou même 2 inconnus. C'est le cas du premier gag où un lecteur évoque l'année 1959, avec la première apparition des Schtroumpfs, d'Astérix, de Boule & Bill, et son chien évoque un autre événement de la même année.
Les gags sont bien sûr orientés sur la lecture et sur le métier de libraire. Cela commence par le titre qui évoque l'attente insupportable au lecteur qui guette la sortie du prochain album de sa série favorite, ou de son auteur préféré. Le lecteur peut également y voir un double sens : tous les gens de l'autre côté de la vitrine se demandant quand le libraire va oser sortir à l'extérieur et qu'il sera à leur merci. Dans les différents gags, Bernard Doux doit souvent renseigner des lecteurs un peu perdus, essayer lui-même de se retrouver dans le classement thématique de plus en plus pointu, supporter les récriminations des clients s'adressant directement à lui, ou se parlant entre eux du bon vieux temps. Il y a plusieurs scènes d'extérieur (en tout cas extérieures à la boutique) que ce soit juste devant, ou dans un parc, dans une chambre, sur un plateau de télévision, et même à la plage.
Libon dessine des personnages caricaturaux, aux expressions exagérées pour mieux faire passer leur état d'esprit et donner plus de force à leurs ressentis, à leurs émotions. Ils ont des gros yeux, des gros nez, des morphologies un peu exagérées et des bouches beaucoup trop grandes pouvant s'ouvrir sur presque toute la largeur de la tête. La dentition est très approximative. Cette approche sert très bien un propos comique. Le lecteur tombe d'ailleurs sur un gag en page 22 qui évoque cette approche graphique. Un monsieur expose ses réflexions sur les dénominations BD réaliste / BD humoristique. Il explique comment tout est enjolivé et idéalisé dans les BD réalistes, et comment la caricature croque les individus de manière juste et expressive dans les BD humoristiques, celles-ci contenant une part plus réaliste que les autres. L'analyse du trait de Libon est toute entière synthétisée dans ces 5 cases. Cela rappelle Pierre Desproges effectuant un résumé de son spectacle au début pour que les critiques le prennent en note pour écrire leur papier, et ne soient pas obligés de rester plus longtemps pour voir le spectacle.
Il y a une dizaine de gags qui reposent essentiellement sur la narration visuelle, soit sans aucun phylactère, soit uniquement pour la chute. Le lecteur peut alors apprécier l'art de l'économie de l'artiste qui raconte une histoire en peu de cases et peu de traits, tout en sachant construire une histoire avec une chute comique. La majeure partie des gags se déroule sous la forme d'une discussion ou d'un monologue. Quelques-uns mélangent des éléments visuels tels que les gestes ou les actions des personnages avec leurs paroles pour arriver à la chute. Les strips comprennent en majorité 5 cases les unes au-dessus des autres. Sur les 92 gags contenus dans ce tome, il y en a aussi une partie qui est découpée en 4 cases.
Une quarantaine des strips se déroulent à l'intérieur de BD Boutik, le reste soit à l'extérieur, soit à des endroits variés. À chaque fois, Libon sait faire comprendre où se trouvent les personnages en un minimum de traits, sans qu'il n'y ait d'incompréhension possible. L'artiste représente souvent les individus en plan poitrine, en train de papoter entre eux. La tenue vestimentaire n'est que très vaguement esquissée : t-shirt, chemise, polo. L'accent est mis sur l'expression de leur visage, exagérée pour mieux faire passer l'émotion. S'il est un peu lent, il lui faut attendre de passer la page 22 pour que le lecteur comprenne le fonctionnement visuel des gags. Il peut alors observer que l'analyse effectuée en page 22 s'applique bien aux dessins de Libon et que ses dessins montrent l'état d'esprit du personnage en train de parler, ainsi que de celui qui l'écoute le cas échant. Les réactions peuvent à de rares reprises s'avérer trop exagérées, mais le reste du temps elles donnent vie au dialogue, elles font apparaître le ressenti des interlocuteurs. Elles suggèrent les intonations de leur phrase. Sergio Salma n'est pas toujours très prévenant avec son artiste, surtout quand il conçoit un gag où il n'y a qu'un seul personnage qui s'adresse au lecteur face caméra. Certes, il y a moins d'éléments à représenter pour Libon, mais c'est aussi plus difficile de rendre ce genre planche visuellement intéressante. La narration visuelle est donc entièrement inféodée à mettre le gag en images, débarrassée de tout enjolivement visuel.
Dans le premier tome, le lecteur a remarqué qu'une partie de l'humour repose sur la fréquentation d'une librairie, et les habitudes qui y sont associées, et une autre partie sur des blagues référentielles au monde la bande dessinée. Bien sûr il retrouve quelques gags sur des thèmes présents dans le premier tome, que ce soit la surproduction, le flux incessant de BD, ou la place grandissante des mangas dans les rayonnages. Mais Sergio Salma sait se renouveler dans ces thèmes avec des gags qui en abordent un autre aspect. En ce qui concerne les mangas, il évoque les habitudes de lecture des japonais, n'hésitant pas à jeter un manga après l'avoir lu, ou leur regard sur la BD franco-belge pour une inversion des stéréotypes, ou encore le libraire qui se résigne à accorder plus de place aux mangas parce que ça lui assure un meilleur chiffre de vente. Le lecteur perçoit bien que l'auteur cherche d'autres angles d'attaque pour ces thèmes, et en même temps ces nouveaux points de vue dressent un panorama plus complet, en confrontant des perceptions et des a priori des différentes parties intéressées, et pas uniquement du libraire ou du vieux lecteur de BD franco-belge.
Le scénariste fait également régulièrement référence à des éléments culturels de la BD franco-belge, généralement facilement intelligibles pour un lecteur de BD. Il cite régulièrement le nom de Raoul Cauvin, considéré comme un des scénaristes les plus prolifiques de la bande dessinée franco-belge, sans le déprécier ou le tourner en dérision. Certains interlocuteurs citent leurs œuvres favorites, soit sur le thème de C'était mieux avant, soit sur celui des vraies Œuvres de BD, par comparaison à la production industrielle de masse. Il est également régulièrement question de la bande dessinée en tant qu'industrie, en particulier le volume de production (environ 5.000 BD / an) qui fait que les libraires n'arrivent pas toujours à se souvenir de tout, mais aussi qu'il s'agit d'une industrie de flux, et de la spécialisation incroyable et toujours plus pointue des séries, pourquoi pas sur les podologues spécialistes du pied gauche (non, ça n'existe pas). Cela amène à des réflexions sur les lecteurs considérés comme des moutons, et sur la BD artisanale ou produite dans des conditions dignes pour les auteurs. Il est bien sûr également question des lecteurs, que ce soit leur incroyable naïveté (celui qui cherche une BD dont il ne se souvient ni du titre, ni de l'auteur, ni l'histoire), des habitudes des collectionneurs (soit désabusés, soit accros à la nouveauté). Sergio Salma se montre un fin observateur des habitudes des lecteurs, sachant monter en épingle leurs travers, sans pour autant les déconsidérer. Au détour d'un gag le lecteur peut également percevoir son réel amour pour ce média : par exemple avec un interlocuteur soulignant que dans une bibliothèque remplie de BD, il est vraisemblable que son propriétaire les ait toutes lues, ce qui n'est pas forcément le cas dans une bibliothèque remplie de romans.
Ce deuxième tome de la série se révèle aussi drôle que le premier. Libon sait insuffler de la vie à tous les gags, même les moins visuels, dans lesquels il n'y a qu'une seule personne en train de parler, s'adressant directement au lecteur. Sergio Salma sait se renouveler, aussi bien pour les thèmes déjà abordés dans le premier tome, que dans de nouveaux. L'amour de la BD transpire dans chaque gag ; les auteurs savent de quoi ils parlent et ils s'amusent à en parler avec dérision mais sans méchanceté.
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