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dimanche 20 mai 2018

La petite Bédéthèque des Savoirs - tome 19 - Les zombies. La vie au-delà de la mort

Approche anthropologique

Il s'agit d'une bande dessinée de 56 pages, en couleurs. Elle est initialement parue en 2017, écrite par Philippe Charlier, dessinée et mise en couleurs par Richard Guérineau. Elle fait partie de la collection intitulée La petite bédéthèque des savoirs, éditée par Le Lombard. Cette collection s'est fixé comme but d'explorer le champ des sciences humaines et de la non-fiction. Elle regroupe donc des bandes dessinées didactiques, associant un spécialiste à un dessinateur professionnel, en proscrivant la forme du récit de fiction. Il s'agit donc d'une entreprise de vulgarisation sous une forme qui se veut ludique.

Cette bande dessinée se présente sous une forme assez petite, 13,9cm*19,6cm. Elle commence par un avant-propos de David Vandermeulen de 5 pages, plus une page de notes. Il commence par évoquer le fait que, dans les années 2010, les zombies sont devenus un phénomène de société, jusqu'à donner lieu à un programme destiné aux jeunes recrues américaines en les initiant aux mesures de survie en cas d'apocalypse zombie (sic). Il situe le début de la contamination zombie en 2003, avec la parution du livre Guide de survie en territoire zombie de Max Brooks. Il revient ensuite sur les précédentes œuvres majeures ayant utilisé le mythe du zombie en remontant dans le passé : Night of the living dead (1968) de George Romero, White Zombie (1932) des frères Halperin, L'île magique (1928) de William Searbrook. Il évoque ensuite les origines ethniques du vaudou, et même d'autres exemples d'individus étant revenus à la vie, présents dans la Bible.

La bande dessinée commence en évoquant la première mort de Claivius Narcisse le 2 mai 1962, décédé d'une crise d'hypertension à l'âge de 40 ans. Il est revenu à la vie en tant que zombi. Puis il est évoqué l'utilisation de ce mythe par l'industrie du divertissement en commençant par le film White Zombie (1932) jusqu'à nos jours, en indiquant qu'il ne s'agit pas seulement d'une mode, mais du reflet des angoisses liées à une grande période de transition sociale économique et politique. 18 ans après son décès officiel, Clairvius Narcisse a croisé sa sœur, et lui a expliqué ce qui lui était arrivé : cercueil déterré, esclavagisme dans une plantation jusqu'à le gardien soit tué dans une bagarre et voyage de par le monde car il ne souhaitait pas retrouver sa famille. Le récit revient alors à l'origine de la religion syncrétiste qu'est le vaudou, mélange de croyances traditionnelles de l'Afrique noire et du christianisme.


L'introduction de David Vandemeulen est impeccable comme généralement dans cette collection. Il retrace à rebours l'appropriation du mythe du zombie par les différents médias culturels, en accrochant immédiatement le lecteur avec cette information brute sur le plan CONOP 888 établi par le Pentagone, puis il passe en revue les films et les comics de zombies des années 2000/2010, sans oublier de mentionner le phénomène The Walking Dead de Robert Kirkman, et sa déclinaison en série télé The Walking Dead saisons 1 à 7. Au travers de cette plongée dans le passé, le lecteur voit apparaître la rupture d'interprétation de ce type de monstre avec George Romero qui le déconnecte de ses racines vaudou pour le transformer en une métaphore de situations sociales. En arrivant au film White Zombie, le zombie se retrouve bien connecté à une culture et retrouve ses sources vaudou. Le préfacier n'hésite pas alors à remonter plus loin et à trouver des exemples célèbres d'individus revenus d'entre les morts, dont Lazare et celui qui l'a ramené à la vie. La conclusion établit le cadre de la bande dessinée qui suit : la réalité contemporaine des cultes vaudou en Haïti et les patients considérés comme zombis.

Dès le départ, Philippe Charlier établit la distinction entre le monstre de fiction (le zombie) et l'état particulier de plusieurs citoyens haïtiens (le zombi, sans e à la fin). Il commence par évoquer le cas de Clairvius Narcisse, ayant subi l'état de zombi, dont le lecteur peut vérifier l'existence dans des encyclopédies en ligne. Il consacre alors 4 pages à la récupération du zombi sous forme de zombie dans les films cités dans l'avant-propos. Puis il revient à Clairvius Narcisse lors de son retour à la vie civile normale, et son parcours jusqu'à sa mort (finale). Il émaille son discours d'autres exemples de cas avérés et répertoriés de zombis : Adeline, une patiente de l'hôpital psychiatrique de Port-au-Prince, 9 zombis embauchés en 1918 par l'entreprise Haitian-American Sugar Corporation, Felicia Felix-Mentor (en 1936), les tontons macoutes, Francina Îleus (Ti-femme, 1979), Medula Charles (1970, une zombi enceinte), ou encore Exilus (1979). Richard Guérineau donne à voir ce qui dit le texte en apportant quelques éléments visuels supplémentaires. Dans les 2 premières pages, il montre une végétation évoquant à grand trait celle d'Haïti, puis un individu qui progresse sur ce chemin, en haillons, une silhouette très vague. Les éléments de décors restent assez vagues dans les 2 autres pages consacrées à Clairvius Narcisse, même si le lecteur se doute qu'il a été représenté depuis un document photographique. Les évocations des autres zombis comprennent plus d'informations visuelles, essentiellement sur leur apparence, sur leur tenue vestimentaire et sur le milieu dans lequel ils se trouvent une rue, une maison, une chambre.


La manière de dessiner ces cas avérés de zombis ne relève pas d'une approche photoréaliste ou d'une reconstitution historique très détaillée. En particulier, l'artiste ne s'attarde pas trop sur les détails morphologiques, ou l'état de santé de l'individu représenté. De même le texte ne donne qu'un minimum de précision en évoquant ces cas. Du coup, il se produit un étrange phénomène, comme si le lecteur devait juste croire à ce qui lui est montré, sans preuve réelle, sur la bonne foi du scénariste. Il s'interroge alors sur les qualifications de l'auteur. Un petit retour en arrière dans l'avant-propos permet de se faire une idée des qualifications de Philippe Charlier, un coup d'œil à sa bibliographie sélective en fin de volume en apporte la confirmation, et une recherche sur internet la transforme en certitude avérée. Le lecteur peut donc se fier à ces exemples de zombis (sans E). En outre, il reprend explicitement les observations de Wade Davis consignées dans un livre (The serpent and the Rainbow, 1985) qui a servi base pour le film de Wes Craven L'empire des ténèbres (1988). D'ailleurs l'impression de superficialité disparaît dans les autres types de séquence.

Richard Guérineau est un artiste de bande dessinée confirmé, ayant illustré la série Le chant des Stryges (17 albums à ce jour) avec Éric Corbeyran, et réalisé l'album Charly 9 d'après le roman de Jean Teulé. Lors de l'évocation des films de zombie, il reproduit de manière satisfaisante les affiches correspondantes. Lorsque le récit revient à Port-au-Prince, il en représente les rues, les cimetières et un péristyle, le palais de justice, etc. Le lecteur observe qu'il représente les personnes connues à partir de photographies pour en transcrire les traits : les dictateurs Duvalier père (François, 1907-1971) et fils (Jean-Claude, 1951-2014), Max Beauvoir (1936-2015), ou encore l'ethnologue afro-américaine Zoza Hurston (1891-1960). Lorsque le lecteur s'attarde sur un dessin, il peut voir qu'il comporte un degré élevé d'informations visuelles, certaines représentées sous formes de traits encrés, d'autres apportées par la mise en couleurs. Lorsqu'il ne s'agit pas simplement de mettre en scène un zombi, les dessins montrent ce qu'évoque le texte en apportant des informations supplémentaires sur l'environnement ou les accessoires. En outre, le mode de représentation permet d'intégrer le panthéon du vaudou (les Loas, Baron Samedi, etc.) aux dessins sans qu'ils ne ressemblent à des créatures surnaturelles de pacotille.


Dans cet ouvrage, Philippe Charlier n'aborde pas que quelques cas de zombies répertoriés, il évoque également la constitution de la religion vaudou (3 pages). Il développe plus longuement les pratiques actuelles des bokors, des sorciers qui louent leurs services et qui pratiquent aussi bien la magie bénéfique que la magie maléfique. Il évoque rapidement les 5 entités qui habitent chaque être humain (z'étoile, n'âme, Gwo-bon-anj, Ti-bon-anj, kadav ko), ainsi que les Loas, la vierge à a peau noire Erzulie, le péristyle (temple vaudou), le potomitan (pilier au centre du péristyle), le Baron Samedi (chef des guédés, esprits de la mort) & sa femme maman Brigitte, Papa Legba et le poisson globe. À la fois anthropologue et médecin légiste, Philippe Charlier aborde également le versant scientifique du phénomène des zombies, en particulier la tétrodotoxine qui se trouve dans les poissons-globe, la famille à laquelle appartient le fugu préparé au Japon. Il se produit alors un phénomène étrange dans l'esprit du lecteur, comme si on lui avait donné la solution au phénomène du zombie. Mais dans le même temps, les auteurs continuent de présenter les pratiques vaudou au premier degré. Il faut un peu de recul au lecteur pour comprendre un tel parti pris de l'auteur. En procédant ainsi, il évite de prendre une position condescendante vis-à-vis de croyances bien vivantes et toujours mises en pratique. En se concentrant sur les pratiques contemporaines, il évite de les rabaisser à un simple folklore d'un autre âge. Il parle de ce qui existe aujourd'hui dans une société culturellement différente, sans moquerie ni la transformer en spectacle touristique.


Comme à chaque fois qu'il se lance dans un ouvrage de cette collection, le lecteur n'a pas de moyen de savoir a priori quel sera l'angle d'attaque des auteurs. L'avant-propos de David Vandermeulen établit le cadre du propos de la bande dessinée, en rappelant que les zombies n'ont pas toujours été mangeurs de cervelle, et en établissant les qualifications de l'auteur. La bande dessinée adopte un parti pris d'ethnologue et de sociologue, avec des dessins apportant des éléments d'informations sur les environnements et les accessoires. La partie scientifique explicitant les moyens de l'existence des zombis s'insère parmi les autres, sans prendre la forme d'une révélation d'un tour de passe-passe. En filigrane, le lecteur peut distinguer des informations qui viennent démystifier pour partie le folklore, en particulier la déclaration de Mambo Mireille (page 54) sur le niveau d'activité des zombis. Au final ce tome de la petite bédéthèque des savoirs remplit son office : effectuer un tour d'horizon de ce que recouvre la notion anthropologique de zombie.


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