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vendredi 11 mai 2018

The Girl from Ipanema

Perdu à Hollywood

Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre, parue en 2005. Le scénario a été écrit par Yves H. (Yves Huppen, le fils d'Hermann). L'histoire a été dessinée et peinte par Hermann (Huppen). Le père et le fils avaient déjà collaboré sur 3 autres récits : Liens de sang (2000), Zhong Guo (2003), Manhattan Beach 1957 (2002).

À Los Angeles, à bord de sa Ferrari, Tony Masciello (36 ans, surnommé Jazz) est allée chercher Dorothy Knowles (21 ans) et Jennifer Shapiro (18 ans) pour les emmener essayer des robes chez Bodo Horvarth, avant qu'une autre voiture vienne les chercher pour les conduire à une soirée chez Dan Hannah et George Scarpa. Sur place, elles trouvent plusieurs robes étalées sur le lit du propriétaire qui les engage à se changer rapidement. Dorothy demande à Bodo Horvarth de quitter la pièce, et il va se soulager aux toilettes. Après avoir enfilé une robe, elle profite de son absence pour farfouiller dans sa chambre. Elle y découvre des accessoires sexuels, ainsi que son pistolet dans le tiroir de sa table de nuit. Elle commence à le manipuler et quand Bodo Horwarth revient, elle refuse de lui rendre. Elle prend une balle dans l'empoignade qui s'en suit.

Bodo Horvarth appelle Jazz à l'aide. Il prend en charge le cadavre et Jennifer Shapiro bâillonnée et ligotée. Il recommande à Bodo Horvarth de ne rien dire à personne. Dans une maison éloignée de la ville, il commence à découper le cadavre en petits morceaux. Ayant repris connaissance pendant ce temps-là, Jennifer Shapiro en profite pour s'échapper. Elle tombe aux mains de Mickey Sweany que Jazz a appelé en renfort. Le cadavre de Dorothy, sans la tête ni les mains, est retrouvé par la police au pied du signe Hollywood dans le Griffith Park. Le lieutenant Ron Chevez est chargé de l'enquête, avec son adjoint Munroe. Pendant ce temps-là, Ed Jennings (capitaine de police, à la solde de George Scarpa, 52 ans) fait ce qu'il peut pour limiter les dégâts et détruire toute preuve pouvant mener à son employeur officieux.


Avant même de commencer cette bande dessinée, le lecteur sait qu'il a affaire à un ouvrage de qualité. Hermann est un auteur confirmé, ayant débuté sa carrière professionnelle en 1966, et ayant réalisé sa première série Comanche en 1969, avec des scénarios de Greg. Il a ensuite illustré les séries Bernard Prince, Jeremiah et Les tours de Bois-Maury, écrivant les scénarios de ces 2 dernières. Il constate dès le début qu'Yves H. a construit un scénario de telle sorte à ce que les personnages se déplacent dans plusieurs quartiers de Los Angeles, ce qui donne l'occasion à son père de les représenter. Le lecteur peut donc admirer la grande voie bordée de palmiers de Beachwood Canyon, les lettres Hollywood sur le mont Lee, une belle villa avec piscine sur les hauteurs, une bicoque bon marché de nuit dans un canyon isolé, la maison modeste du lieutenant Ron Chavez dans un quartier résidentiel, un studio de cinéma à Burbank, un chambre de l'hôtel Belvédère à Pasadena, une route de terre de la Perdido River Trail, un petit tour par Mulholland Drive dans le hauteurs de Los Angeles, etc. Un coup de fil ou un souvenir peuvent également faire apparaître une illustration d'un endroit différent comme le quartier de La Jolla à San Diego.

Le lecteur constate rapidement que pour les décors naturels, Hermann réalise des cases en peinture directe, sans forcément détourer les formes par un trait encré ou tracé au pinceau. Il rend ainsi compte de la qualité de la lumière, de la texture des éléments (arbres, rochers, végétation, etc.), et des reliefs de chaque forme. Le lecteur a l'impression de voir la brise de l'océan agiter les palmiers, de trébucher dans le noir sur des cailloux qu'il distingue mal, de profiter de l'ombre des parasols, de sentir, dans sa bouche, la poussière soulevée par le 4*4 sur une piste du désert, de contempler un paysage surréaliste d'un désert dans lequel pousse un champ d'éolienne (le parc d'éoliennes de San Gorgonio Pass). Il apprécie la dimension touristique du récit car il peut se projeter dans chacun de ces endroits, même s'il trouve ces cases un peu petites.

Les auteurs ont opté pour des constructions de planche sur la base de 5 à 8 cases par page, avec des cellules de texte assez copieuses. Le lecteur est un peu décontenancé au départ par ce choix narratif d'inclure des cellules de texte pouvant occuper jusqu'à un tiers de la page. Le premier effet est de laisser moins de place aux dessins, ce qui est vraiment dommage, car Hermann est en très grande forme. Pour les cases établissant un fait ou un lieu, il sait à la fois évoquer des caractéristiques visuelles qui sont devenues iconiques dans la représentation de l'Amérique, et les restituer dans le contexte original de l'histoire, ne tombant jamais dans le cliché visuel. Pour les pages décrivant une action, le lecteur est sous le charme d'une mise en scène dynamique sans être épileptique, rendant bien compte des mouvements des personnages, et de l'enchaînement des gestes. Du coup, il ressent une forme de frustration à voir que plusieurs de ces prises de vue sont réduites à moins d'une page. Il est assez décontenancé que les auteurs choisissent de couper court à une scène milieu ou en tiers de page, pour continuer sur une autre, ne souhaitant pas faire correspondre l'unité d'une page à l'unité d'une scène.


Cette caractéristique narrative n'empêche pas le lecteur de se régaler de l'apparence des personnages et des jeux d'acteurs, entre attitudes légèrement dramatisées, et naturalisme des vêtements et des gestes. Herman maîtrise les compétences de directeur d'acteurs et de metteur en scène, insufflant une vie naturelle à chaque personnage, au point que le lecteur éprouve l'impression qu'ils se tiennent dans la même pièce que lui. Du coup, il est également un peu déstabilisé par le lettrage un peu irrégulier, dépassant même de la bordure d'une case en page 34. D'un côté cette irrégularité apporte plus de personnalité ; de l'autre elle n'est pas en phase avec le style de l'écriture. Yves H. a pris un parti narratif qui sort de l'ordinaire pour une bande dessinée. Dès la première page, le lecteur ne peut faire autrement que de constater que la quantité de texte est plus importante que dans une bande dessinée traditionnelle, et qu'il a choisi de l'inclure dans des cellules de texte traversant toute la page, plutôt que de le disséminer dans de petites cellules à chaque case, ou de le répartir dans des dialogues.

Yves H. raconte une partie de l'histoire par le biais de ces cellules de texte. Il les rédige dans un style très factuel, sans jugement de valeur, sans transcrire l'émotion d'un personnage, ou son ressenti. Cette histoire se classe dans le genre polar, avec une enquête sur un meurtre, menée par un inspecteur de police, se déroulant dans un milieu social et un lieu bien défini. Le lecteur s'attend dès lors à ce que l'auteur utilise les conventions du polar : narrateur racontant son histoire orientée en fonction de ses convictions personnelles, et récit révélateur de la condition sociale des personnages. Du coup, l'absence de point de vue dans les cellules de texte, de prise de position, de jugement de valeur dénote par rapport aux habitudes du genre. Par contre, le déroulement de l'intrigue découle bel et bien de la condition sociale de Ron Chevez, et des milieux dont sont issus la victime et les autres protagonistes. Alors que la psychologie des personnages n'est pas très développée, leur comportement et leur histoire personnelle sont façonnés par leur condition sociale et les cercles dans lesquels ils évoluent.


Yves H. ne s'attache pas à décrire les souffrances de Jennifer Shapiro, la cruauté de George Scarpa, ou les motivations d'Ed Jennings. Il préfère montrer qu'expliquer. Jennifer Shapiro est réduite au rôle de jeune écervelée n'ayant pas pris conscience à temps des risques inhérents à son style de vie. George Scarpa se comporte comme un salaud sans égard pour autrui, agissant quasiment par nécessité pour rester maître de la situation et préserver ses investissements. L'histoire fait bien ressentir son manque d'émotions et d'empathie lors d'une scène de torture avec un pistolet comme objet intrusif. Ed Jennings a adopté une ligne de conduite qu'il ne remet jamais en cause, à nouveau sans grand égard pour autrui sauf son fils envers qui il éprouve une forme de responsabilité, dénuée d'affection. De ce point de vue, l'histoire s'inscrit bien dans le genre polar puisqu'elle montre des individus dont la trajectoire de vie est déterminée par des contraintes sociales dont ils sont le jouet, le récit s'avérant un révélateur de la société dans laquelle ils se tiennent.


Du coup, l'appréciation du lecteur dépend fortement de ce qu'il attendait du récit. D'un côté, il découvre un polar honnête bien ficelé, révélateur des mécanismes d'une société aux règles du jeu truquées, avec une bonne dose de poisse, et bénéficiant de magnifiques dessins. Il peut alors juste regretter que les personnages ne soient pas plus consistants, 4 étoiles. Il peut également avoir été alléché par la perspective de profiter de magnifiques images qu'ils trouvent un peu trop petites, de lire une bande dessinée classique et déchanter à la vue de cette narration qui repose beaucoup sur de copieuses cellules rendant la narration assez lourde. Il regrette alors queauteurs n'aient pas pris le parti de réaliser un album avec une pagination plus élevée, pour une meilleure mise en valeur des personnages et des dessins, 3 étoiles. Dans tous les cas, il ressort de sa lecture avec une envie irrépressible de (ré)écouter A Garota de Ipanema (1962) de Antônio Carlos Jobim & Vinícius de Moraes, par exemple la version de Stan Getz sur l'album Getz / Gilberto.


2 commentaires:

  1. Tiens, je note une remarque sur la densité de cases par planche :-) .
    Bon, il s'agit d'un scénario écrit par son fils ; je n'ai encore lu aucun album écrit par lui. Hermann est habitué à des formats plus longs pour développer ses personnages, en témoigne le nombre de séries sur lesquelles il a travaillé.

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    1. Pour la densité, c'est une question qui me trotte effectivement dans la tête depuis quelques temps que de m'interroger sur ce qui distingue les comics de la BD franco-belge. Pour le scénario, ça m'a coupé l'envie de tester d'autres scénarios d'Yves H.

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