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mercredi 31 mai 2023

Marshal Bass T01: Black and White

C’est toujours bien de lancer un mensonge par-ci par-là. La vérité a fait tomber davantage d’hommes que les balles de revolver.


Ce tome est le premier d’une série à suivre. Sa première publication date de 2017. Il a été réalisé par Darko Macan pour le scénario, Igor Kordey pour le dessin et la supervision des couleurs, et par Desko pour la mise en couleur. La traduction et le lettrage ont été assurés par Fanny Thuillier. Le personnage principal est inspiré de Bass Reeves (1838-1910), premier shérif adjoint noir de l’United States Marshals Service à l’ouest du Mississippi, qui a essentiellement officié en Arkansas et en Oklahoma. Il comprend cinquante-quatre pages de bandes dessinées.


Arizona, 1875. Alors que le ciel se pare de magnifiques tons pour le coucher de soleil, River Bass, un afro-américain, se trouve dans une situation intenable : au pied d’un très gros arbre, une corde autour du cou, les mains liées dans le dos, sur un cheval dont la longe est attachée à une des racines, mais qui résiste de plus en plus mal à la tentation d’aller manger les feuilles d’un buisson à deux ou trois pas de distance. Bass tente de le calmer avec des paroles douces, mais la corde se resserre inexorablement. Soudain un cavalier arrive au grand galop et prend les rênes de la monture de Bass pour l’empêcher de l’avancer. Le colonel Terrence B. Helena présente ses excuses au pendu, tout en coupant la corde et en desserrant le nœud. Il lui explique la situation : la bonne nouvelle est que Bass n’est effectivement pas la personne qu’il cherche. La mauvaise nouvelle est que l’homme en question, un dénommé Bill Derby, s’est révélé véritablement pénible. Il a fichu la frousse à ses adjoints et Helena a dû régler ça tout seul. Du coup, il a une proposition pour Bass. Il a entendu beaucoup de bien de lui, du mal aussi mais moins qu’il ne l’aurait cru. Il en est venu à se dire qu’il serait peut-être l’homme de la situation pour appréhender le gang que Bill Derby prévoyait de rejoindre. Il lui demande de réfléchir à sa proposition et il lui offre le chapeau de Derby, avec le trou là où la balle qui l’a tué a pénétré.



Le lendemain, par une belle journée, la famille Bass, monsieur & madame, ainsi que leurs six enfants, ont fini de manger. Bathsheba indique à son mari River qu’elle n’aime pas ce nouveau chapeau, car le trou en fait un mauvais présage. Elle n’aime pas l’idée qu’il pourrait être pendu à un arbre à cet instant précis, que les enfants et elle pourraient atteindre en vain son retour sans savoir qu’il est pendu quelque part. et elle n’aime pas le travail qu’on lui a proposé. River décide de la convaincre par la douceur, et leur plus grande fille fait sortir ses sœurs et frères pour assurer l’intimité nécessaire à ses parents. Après leurs ébats, Sheba livre le fond de sa pensée à son mari : la seule et unique raison pour laquelle ce colonel blanc veut qu’il soit son adjoint, c’est parce que River est un homme noir et qu’il doit arrêter un gang de noirs. C’est comme envoyer un chien chasser des loups, voilà ce que c’est. Elle défie River de lui dire le contraire. Quelques jours plus tard, le gang de Milord attaque la ville d’Olive Grove. Ils ont pillé la banque et s’enfuient à cheval, mais plusieurs habitants sont armés et leur tirent dessus.


Ce n’est pas la première fois que ce scénariste et ce dessinateur collaborent ensemble, et tout en menant à bien cette série, ils ont également réalisé un superbe diptyque : Colt & Pepper, Colt et Pepper T01 Pandemonium à Paragusa (2020), Colt et Pepper T02 Et in Arcadia ego (2021). Un western de plus : certes la bande dessinée franco-belge ne manque pas d’excellentes séries dans ce genre, ce qui incitent les auteurs à se montrer originaux. Ces derniers ont choisi de mettre en scène un marshal adjoint afro-américain, ce qui en fait un personnage original et ce qui rend sa mission plus difficile du fait du racisme qui est bien présent dans ces pages. Le lecteur peut se dire que les auteurs en font un peu de trop, ce qui nécessite de sa part un surcroît de suspension d’incrédulité consentie, mais il s’avère qu’un tel individu a bel et bien existé. Cet état de fait ramène l’histoire dans un domaine plausible, même si le lecteur sait bien qu’il s’agit d’un récit de type aventure, avec actes de courage et conventions de genre, comme les chevauchées dans des paysages naturels, des individus patibulaires sans foi ni loi, des échanges de coups de feu, tout ce qui fait un western classique. Le lecteur plonge dans cette ambiance western dès la première page, avec ce bel arbre et ce ciel presque enflammé par le coucher de soleil.



L’artiste impressionne par le degré de détails de ses dessins et sa capacité à reconstituer l’époque et les environnements pour une véracité historique saisissante. En page six, le lecteur découvre la ferme modeste des Bass : une vue en extérieur du bâtiment construit à l’ombre de deux grands arbres magnifiques, les murs en pierre, l’enclos à cochon, les poules et le coq, le chien à l’ombre de l’avancée du toit, les deux chevaux dans leur enclos, le puits artésien, le tonneau en bois à demi enterré pour servir d’abreuvoir, le soc de charrue. L’aménagement intérieur a bénéficié de la même implication de l’artiste : la grande pièce principale, la table en bois et les bancs tout simples, la cuisinière à bois, les quelques casseroles et pots sur l’unique étagère, le baquet en bois, le lit des parents uniquement séparé de la pièce principale par une tenture et le crucifix accroché au-dessus du lit. Dans un dessin en double page, dix & onze, spectaculaire, le lecteur se retrouve dans la grand-rue, l’unique rue, d’Olive Grove. Par a suite, il se retrouve aux côtés de divers personnages dans des environnements comme un zone désertique rocailleuse pour un feu de camp et une nuit à la belle à étoile, un long chemin de terre, entre deux vastes prairies, menant à une ferme, avec son portique en bois pour marquer le début de la propriété, l’intérieur de cette ferme avec également sa grande pièce principale, le crâne d’un buffalo avec ses deux cornes suspendu à un autre portique, une haute éolienne avec sa girouette, une superbe chevauchée dans une zone désertique avec ses cactus et ses formations rocheuses en arrière-plan, l’approche de la petite ville de Dardanelle avec un début de végétation rase et éparse, et les bâtiments de cette ville une fois le gang en pleine action pour le pillage.


Il s’agit bel et bien d’un récit d’aventure, avec ses scènes spectaculaires. Le lecteur admire les paysages naturels et leur belle mise en valeur grâce à la mise en couleurs qui vient rehausser les reliefs, installer une ambiance lumineuse, que ce soit la nuit tombée ou la belle luminosité d’une espace grand ouvert à perte de vue, qui vient ajouter des éléments descriptifs en couleur directe. Le dessinateur emporte d’entrée de jeu le lecteur dans ces lieux, et rend plausible chaque situation, avec un dosage sophistiqué du spectaculaire en fonction des besoins. Le lecteur en prend plein la vue avec le dessin en double page dix & onze : la demi-douzaine de membres du gang de Milord en train de s’enfuir à tout allure d’Olive Grove après avoir dévalisé la banque, et un groupe d’une vingtaine d’habitants en train de se défendre et de les attaquer, soit avec des armes à feu, soit avec n’importe quel outil contondant ou tranchant qui leur est tombé sous la main. Une scène d’une sauvagerie peu commune, à l’opposé d’une violence esthétique, attestant d’un affrontement fruste, désordonné, avec des individus qui ne sont pas des combattants de métier. C’est brutal, violent, barbare, primal, sans même parler de Myra abattu par un coup de feu à bout portant dans le visage. Par la suite, le lecteur se rend compte qu’il est totalement investi et impliqué dans des scènes comme des dialogues avec une tension à couper au couteau, les pauvres propriétaires de la ferme battus et attachés en plein soleil par le gang de Milord, leur fille qui risque de se faire abattre de sang froid pour éviter de laisser des témoins, la chevauchée dans les rues de Dardanelle.



Le scénariste maîtrise donc pleinement son dosage, et conçoit un récit qui fait la part belle à la narration visuelle, avec des moments où les dessins portent largement plus de la moitié des informations. L’intrigue s’inscrit dans un fil directeur très classique du western : un groupe de bandits mené par un chef autoritaire et qui écume la région pour s’approprier les richesses des patelins (piller les banques), et investir des fermes pour y séjourner en massacrant les propriétaires et leur famille, voire leur serviteur ou leur esclave, et consommer leurs ressources. Le lecteur apprécie que le récit soit porté par l’intrigue comme une vraie aventure. Il ressent que le scénariste la raconte comme un adulte, avec des touches d’acceptation de l’état du monde (la réalité du racisme), d’indignation (le colonel demandant à son adjoint Steff s’il trouve normal qu’il y ait toujours eu des antis et des pauvres), de résignation (obligation de faire usage de la force et de la violence, de subir pour partie la loi du plus fort), de cynisme (tant pis pour les pauvres bougres qui connaissent une fin brutale, c’était inéluctable), d’acceptation (Sheba sait qu’elle ne pourra pas faire changer d’avis son mari), d’arbitraire (Milord peut décider d’abattre la fillette comme il peut très bien la laisser en vie, sans autre raison que l’impulsion du moment), d’injustice (Pourquoi River Bass se retrouve-t-il pendu une deuxième fois ?), et de pulsion de vie, de continuer à se battre malgré tout parce que l’alternative est pire. Il s’agit donc d’un récit profondément adulte sous ses atours de western et d’aventures.


Pour un western de plus, avec toutes les conventions bien établies du genre ? Oui, sans aucune hésitation. Igor Kordey est un conteur formidable, à la fois pour la vitalité et la justesse de ses personnages, pour ses mises en scène spécifiques à chaque situation, pour la qualité de sa reconstitution historique, pour le souffle et la lumière de ses grands espaces, pour le dosage parfait du spectaculaire quand nécessaire, pour son implication exemplaire dans les séquences visuelles complexes. En plus, le scénario fonctionne sur une dynamique simple et efficace, avec une soif de justice inextinguible, et des individus qui se comportent en adulte conscient du caractère imparfait et injuste de la vie et de la société, ce qui ne les empêche pas de faire leur possible pour l’améliorer en fonction de leurs moyens, avec un courage admirable.



8 commentaires:

  1. Non ! Un autre western sur ton blog, et cette fois plus proche que les autres de ce que j'aurais pu lire.

    Marshal Bass - Celui-là m'aura fait de l'œil. La couv du premier tome est tout simplement parfaite. Une invitation à suivre le cavalier et à voir si l'on tiendra la cadence. Cela étant, suivant toujours "Bouncer" et "Durango", et ayant le projet de me lancer dans "Jerry Spring" et "Comanche", je me suis dit que j'en avais plus que suffisamment pour le moment.

    la famille Bass, monsieur & madame, ainsi que leurs six enfants - Cette famille représente une première nouveauté par rapport au stéréotype du cowboy itinérant. Cartland a été marié et a un fils, les autres sont d'indécrottables célibataires.

    ils ont également réalisé un superbe diptyque : Colt & Pepper - Ah, de là ta lecture.

    Le lecteur en prend plein la vue avec le dessin en double page dix & onze - Quelle incroyable double planche, en effet, et ce malgré l'aspect parfois un peu figé du dessin.

    Merci de me faire découvrir cette série par l'intermédiaire de ton regard, d'autant plus je ne l'aurais pas lue.

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    1. Oui, finalement, je me laisse aussi tenter par des BD relevant du genre western : je suis faible.

      Bouncer, Durango, Jerry Spring, Comanche (sans oublier Blueberry, peut-être que tu peux te lancer dans La jeunesse de Bleuberry): finalement tu vas pouvoir concrétiser ta vision d'un blog spécialisé dans la BD de Western.

      Six enfants : je prends des notes au fur et à mesure, et je n'ai pas encore relevé le prénom de ces six enfants, voire ils ne sont pas présents dans tous les tomes. Mais sa descendance continue à jouer un rôle souvent majeur.

      En vérifiant les dates, j'ai constaté que Macan & Kordey ont publié Colt & Pepper en parallèle de la série Marshal Bass : je ne sais pas comment ils arrivent à être aussi productifs.

      Cette série compte pour l'instant 9 tomes, la parution du 10ème étant prévue pour le 06/09/23.

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    2. Un blog spécialisé dans le western - Je crois qu'il est trop tard pour ça. Et j'aurais certainement trouvé ça trop restrictif, avec le temps.

      Mais voilà plusieurs fois que je me pose la question du comics de western. Chez nous, c'est vraiment un genre, mais là-bas, je crois que c'est très différent et je me demande vraiment ce qu'il en est. Si tu prends l'exemple de cette série, elle est citée dans l'article en anglais que Wikipedia consacre à Bass Reeves, à côté d'un "Lucky Luke" (il apparaît aussi dans une autre série). Cela veut dire qu'il n'y a rien d'autre concernant les grandes figures de l'Ouest ?

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    3. Une question un peu compliquée pour moi.

      Des séries de Western, il y en a eu de nombreuses avec une belle longévité, ne serait-ce que Western (85 numéros 1948 - 1961) et All-American Western (24 numéros 1948 - 1952) pour DC Comics, puis les séries Jonah Hex publiées sporadiquement depuis les années 1970, Wild Western (55 épisodes 1948 - 1957) et Gunsmoke Western (46 épisodes 1955 - 1963) pour Marvel, et plein d'autres, avec le personnage récurrent de Two-gun Kid, ou encore Rawhide Kid.

      https://www.comics.org/searchNew/?q=western&selected_facets=facet_model_name_exact:series&selected_facets=publisher_exact:DC

      https://www.comics.org/searchNew/?q=western&selected_facets=facet_model_name_exact:series&selected_facets=publisher_exact:Marvel

      Et d'autres éditeurs très productifs dans ce genre comme Dell Comics et Fawcett Comics.

      https://www.comics.org/searchNew/?q=western&selected_facets=facet_model_name_exact:series&selected_facets=publisher_exact:Dell

      https://www.comics.org/searchNew/?q=western&selected_facets=facet_model_name_exact:series&selected_facets=publisher_exact:Fawcett

      Concernant les grandes figures de l'ouest, je me souviens de la biographie de Simon Girty en deux tomes Wilderness.

      Mais peut-être ai-je mal compris ta question…

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    4. Belle réponse exhaustive, dont je te remercie. Tu vois, je n'aurais pas cru qu'il y en avait tant, bien que cela soit évident. En tout cas, rien en version française.

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    5. En cherchant des comics western, j'ai été un peu surpris de ne pas en trouver plus.

      Il est également possible de citer l'éditeur Gold Key qui a réalisé des adaptations de séries télé comme Roy Rogers ou Lone Ranger, Wild wild West (les mystères de l'ouest), mais finalement beaucoup moins que je ne croyais.

      Il y a dû y en avoir d'autres durant le golden Age, visiblement des histoires courtes sur des personnages ou des acteurs de western célèbres :
      • Wild Bill Hickok
      • Jesse James
      • Annie Oakley
      • Davy Crockett
      • Daniel “Dan’l” Boone
      • Tex Ritter
      • Gene Autry

      https://powerhousebooks.com/books/golden-age-western-comics/

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  2. Tu as étais surpris de ne pas en trouver plus ? Cela fait écho au sentiment que j'avais et confirme un peu la perception que j'avais.

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    1. Avant d'aller chercher des références précises de comics, je me faisais l'idée que ça avait dû être un genre aussi populaire que l'horreur ou les comics de guerre (de longues séries anthologiques chez DC), et finalement il n'y a pas d'équivalent pour le genre Western chez DC ou chez Marvel. Il me semblait qu'il existait également de longues séries sur des personnages de fiction, ou dérivées de séries télé, mais je n'en ai pas trouvées non plus.

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