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dimanche 15 novembre 2020

Jessica Blandy, Tome 17 : Je suis un tueur

Je peux m'en sortir par l'écriture.


Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 16 : Buzzard Blues (1999) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2000, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée par Renaud (Renaud Denauw), et mise en couleurs par Béatrice Monnoyer. Elle compte 46 planches. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy - L'intégrale - tome 5 - Magnum Jessica Blandy intégrale T5 qui contient les tomes 14 à 17.


Dans une grande ville de la côte Ouest des États-Unis, Jessica Blandy fait la connaissance d'August Dance, avec qui elle avait rendez-vous. Ils vont participer au même programme de thérapie. Il lui explique qu'il s'est inscrit pour surmonter ses angoisses : la maladie qui le contraint à porter une perruque et un corset, le fait de savoir qu'il va mourir dans quelques mois. Ils s'assoient sur un banc dans un parc pour évoquer ce qui les attend : le prix assez élevé, le fait que souvent les participants ne tiennent qu'une semaine ou deux, le fait de vivre à deux vingt-quatre heures sur vingt-quatre, le fait qu'August ne connaisse pas de meilleure thérapie que la haine. Il se lève, prend congé et lui donne rendez-vous à jeudi prochain pour la première réunion de leur groupe. Un inconnu arrive, en jean et blouson noir. Il s'assoit à côté de Jessica, prenant la place laissée vacante par August, sort une flasque d'une poche de son blouson et s'octroie une généreuse lampée. Il la propose à Jessica, en lui indiquant qu'il n'a pas de maladie. Elle accepte et s'octroie également une généreuse lampée. Angel est un peu surpris et lui dit qu'elle boit comme un mec. Il repart.


Le jeudi suivant, les participants sont réunis dans une grande salle avec le responsable du programme : Tatch (le responsable), Jessica Blandy, August Dance, Billy Sender, Philip Lascomb, Alex Skoras. Tatch leur explique qu'ils vont vivre à deux pour les semaines à venir : le tirage au sort aboutit aux tandems suivants Jessica avec Alex (un tueur), August (malade) avec Tatch, Billy (fils d'une mère riche et autoritaire) et Philip (patron d'un bureau d'avocats, marié, deux enfants, et homosexuel). À la sortie de la réunion, Alex propose à Jessica d'aller piquer une tête dans l'océan : elle répond qu'elle n'a pas de maillot. Lui non plus, mais ça ne l'arrête pas. Jessica l'observe mais ne le rejoint pas. Ils continuent avec un piquenique sur les dunes devant la maison de Jessica. Alex lui pose des questions sur sa vie privée comme le prévoit le programme de la thérapie. Pourquoi n'est-elle pas amoureuse ? Y a-t-il des hommes qui ont compté pour elle ? Elle évoque Scott Mitchell et son assassinat, ainsi que son mariage forcé qui a engendré son dégoût pour les Doors. Puis elle évoque des musiciens qu'elle apprécie : John Mayall, Keb Mo, JP. Harvey, Burt Bacharah, Otis Redding, Giulini dans la sixième de Beethoven, Bernstein dirigeant Mahler, la chanson de Dumbo lorsque sa maman le berce. Jessica Blandy finit par interrompre la conversation, et va au-devant de Victoria qui arrive avec le jeune Rafaele.



Le précédent album semblait avoir confirmé une ligne directrice : Jessica Blandy recommence à faire faire face à des individus pas bien dans leur tête, du fait de l'influence pernicieuse d'un mystérieux individu dénommé Razza. Rien de tout ça dans cet album. Cette fois-ci, elle a décidé de participer à un programme thérapeutique, avec une méthode des plus étranges : vivre à deux en acceptant de répondre aux questions de l'autre, et de se soumettre à des tests réputés violents. Le programme fonctionne sur la base d'un groupe de 6 ou 7 personnes (6 pour cette session) qui sont appairés pour une durée de plusieurs semaines. Comme il s'agit d'une psychothérapie, les participants sont affligés d'un petit grain, plus ou moins prononcé pour participer à un tel programme si peu orthodoxe. Le lecteur fait connaissance avec eux lors de la réunion du jeudi. Renaud a donné une apparence bien distincte à chacun : Tatch avec sa barbe, sa queue de cheval et son surpoids, August avec sa gueule d'ange et son physique avantageux, Billy jeune, un peu chétif, rouquin, avec un regard fuyant attestant de son manque d'assurance, Philip portant bien la cinquantaine avec élégance et assurance, mais déconcerté par la découverte de sa sexualité profonde, et Alex bel homme moins souriant et moins solaire qu'August déclarant de but en blanc qu'il est un tueur. Le langage corporel de chacun est différent, en cohérence avec leur caractère.


Jean Dufaux a conçu son intrigue sur la base de plusieurs mystères. Quelle est la véritable raison pour laquelle Jessica Blandy s'est inscrite dans un programme thérapeutique aussi peu orthodoxe ? Que faut-il comprendre quand Alex déclare qu'il est un tueur ? Comment se fait-il que l'inspecteur de police Robby s'intéresse de si près à plusieurs membres de ce groupe ? Tout du long de ce tome, le lecteur peut apprécier le savoir-faire des auteurs en termes de narration visuelle, pour éviter que ce thriller psychologique ne se limite à une succession de têtes en train de parler. Le scénariste prend bien soin de varier les lieux dans lesquels se déroulent les discussions, et le dessinateur est toujours aussi précis et minutieux dans ses descriptions, sans jamais surcharger ses cases, sans jamais donner l'impression de tomber un registre démonstratif. Ainsi le lecteur peut admirer le singulier pylône qui abrite l'horloge à côté de laquelle Jessica attend son rendez-vous, les différentes plantes d'agrément du jardin autour du banc où elle s'assoit, la très belle façade de briques et de poutrelles métallique abritant la salle de réunion du jeudi, la verrière dominant l'immense salle de restaurant où dînent Billy et sa mère, l'installation portuaire à l'horizon quand Alex se baigne nu, les aménagements intérieurs de la villa de Jessica qu'elle s'est fait construire dans le tome 7 (Répondez, mourant…), le port de plaisance en arrière-plan alors que Gus Bomby et Jessica prennent un vers sur un ponton, les bouteilles d'alcool bien alignées sur les étagères derrière le bar, ou encore une belle vue sur la ville depuis un talus herbeux surélevé. Le lecteur est à nouveau sensible à la mise en couleurs qui vient discrètement compléter les surfaces détourées par les traits encrés.



Les auteurs ont également apporté un soin patent aux circonstances des différentes discussions, à la fois quant à ce que les personnages sont en train de faire, à la fois à leur état d'esprit. Il revient à nouveau à Renaud de montrer qu'aucune discussion n'est semblable à une autre, par le positionnement des personnages, leur occupation, leurs postures, et l'expressions de leur visage. Le lecteur commence par assister à la discussion entre Jessica assise sur un banc, avec August, puis avec Angel. Effectivement, il observe deux interlocuteurs très différents : l'un souriant et détendu, l'autre au visage fermé et au regard inquisiteur à en être inconvenant, les différences ne se limitant pas aux particularités physiques ou à la tenue vestimentaire. De même, pendant la réunion du jeudi, chacun des 6 participants se tient de manière différente sur sa chaise, avec une expression de visage différente quand vient son tour de prendre la parole pour exposer sa situation. Jessica et Alex ont deux discussions différentes sur la plage : le lecteur constate par lui-même que leur tonalité est différente, et pas seulement du fait qu'il s'agit d'un piquenique la première fois et pas la seconde. Comme souvent, Jessica Blandy se retrouve nue, et cela donne lieu à un jeu malsain entre elle et un voyeur. Ici cette séquence dure 4 pages et elle est soumise à rude épreuve, sans pour autant qu'il y ait une menace de type agression sexuelle, ou une volonté d'humiliation liée à la nudité. Cette conversation, comme les autres, charrie des enjeux d'ordre psychologique, des jeux de manipulation pervers. La direction d'acteurs permet de bien visualiser ce qui se joue, sans que le scénariste n'ait besoin de recourir à des bulles de pensée, ou à ces cartouches de texte avec le flux de pensées ou les commentaires d'un personnage.


Cette épreuve psychologique entre Angel et Jessica revoie à une de ses aventures traumatisantes dans les tomes 9 & 10. D'ailleurs, au fur et à mesure des discussions, Jessica Blandy évoque les traumatismes qu'elle a subis dans plusieurs de ses aventures précédentes : l'assassinat du premier homme dont elle a été amoureuse dans Jessica Blandy, tome 1 : Souviens-toi d'Enola Gay (1987), son mariage forcé dans Jessica Blandy, tome 3 : Le Diable à l'aube (1988), son dressage pour devenir une prostituée dans une ville frontalière dans Jessica Blandy, tome 6 : Au loin, la fille d'Ipanema... (1990), ainsi que la perte de la poupée de Loretta, la mort de Kim, le terrible Jalaga, etc. Du coup, cette histoire parlera plus à un lecteur de longue date, qu'à un lecteur de passage, même si elle reste intelligible pour ce dernier. La structure du récit apparaît progressivement, dévoilant deux enjeux différents : le déroulement de la thérapie et ses mises en danger, l'enquête qui se déroule en filigrane et qui ne se dévoile que très progressivement, impliquant un autre des personnages récurrents de la série, à l'hygiène douteuse, et aux méthodes répugnantes. Le lecteur revoit également passer Gus Bomby, à la recherche d'une nouvelle secrétaire, puisque la précédente a mal terminé, une nouvelle référence à un autre tome. Le scénariste boucle son intrigue par une suite de dialogues successifs entre Jessica Blandy et 4 interlocuteurs, dans un format un peu artificiel, mais qui fonctionnent quand même grâce à l'attention portée à la mise en scène.


Le lecteur est un peu décontenancé que le scénariste laisse de côté Razza au profit d'une enquête masquée par un programme de thérapie. Mais il retrouve avec grand plaisir la narration visuelle descriptive impeccable de Renaud, tout en discrétion, ainsi que l'art avec lequel Jean Dufaux confronte des personnages traumatisés, ou sous l'emprise d'un traumatisme. Il voit avec plaisir Jessica Blandy faire preuve de son caractère bien trempé, à l'opposé d'un comportement de victime. Il souffre avec elle à l'idée qu'elle doive manger un œuf, la scène la plus éprouvante de ce tome. Il ressent tout le malaise de cette enquête faisant ressortir les noirceurs de l'âme humaine, sous le sympathique soleil de la côte ouest.



2 commentaires:

  1. Nouveau tome, nouvelle orientation - ou réorientation - de la série, semble-t-il.
    Tout ça - cette histoire de thérapie - a l'air terriblement intrigant et donne vraiment envie de lire cet album.  
    J'ai adoré ton paragraphe qui présente les personnages ; on s'y croirait. 

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    1. Oui, j'ai été assez surpris que le scénariste mette en jeu des éléments de continuité. Impossible de se faire une idée du contexte de parution de la série, de son succès réel, de l'envie de Renaud de continuer, de la production annuelle de Dufaux (combien de séries, de tomes pouvait-il écrire par an dans ces années-là ?). Contrairement à une série de comics, je lis un tome après l'autre en ignorant tout de l'envers du décor.

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