Ce tome est le premier d'une série qui en compte 24. Il est paru initialement en janvier 1987. Il a été écrit par Jean Dufaux, dessiné et encré par Renaud (Renaud Denauw) et mis en couleurs par Béa Monnoyer. La dernière page précise que le travail de travail de documentation a été réalisé par Léon Lekeu. Ce tome a été réédité avec les 2 suivants dans format plus petit, dans Jessica Blandy - L'intégrale - tome 1.
Dans une belle villa isolée donnant sur la mer, à Big Sur en Californie, Scott Mitchell vient de se réveiller. Il fait couler son café, fume sa première cigarette de la journée, et vérifie le chargeur de son arme de poing, avant d'aller prendre sa douche. Une fois rasé et son café pris, il s'habille, cache une photographie dans un exemplaire de Sylvie et Bruno (1889-1893) de Lewis Carroll (1832-1898) et prend une fleur dans un vase pour l'amener à Jessica Blandy, encore endormie nue dans le lit. Elle se réveille alors qu'il remonte le drap sur elle. Elle l'embrasse et il s'en va dans son coupé sport. Elle tente de se mettre au travail, mais ne retrouve pas ses lunettes. Scott Mitchell arrive chez lui et trouve le portail grand ouvert. Il découvre le cadavre de sa femme, puis de ses 2 enfants Jim & Andy. Il est à son tour abattu d'une balle en pleine tête, tirée à bout portant, alors que son assassin déclare : souviens-toi d'Enola Gay. Pendant ce temps-là, Jessica Blandy contemple les vagues sur la plage.
Ayant appris l'assassinat de son amant, Jessica Blandy se rend chez Gus Bomby, un détective privé, ancien lieutenant de police. Il interrompt son rendez-vous avec un mari cocufié pour la recevoir. Elle veut qu'il l'aide à trouver l'assassin. Après l'entretien, elle décide de se rendre chez Kim, une copine, à Sausalito. Sur le trajet, elle quitte volontairement la route, et hésite à se précipiter depuis le haut d'une falaise. Elle renonce à son projet à quelques mètres de l'à-pic. Chez Kim, elle lui explique ce qui lui arrive et lui demande si elle peut dormir chez elle. Pendant ce temps-là, Pad Jester, un journaliste travaillant pour la presse à sensation a réussi à s'introduire chez Scott Mitchell et farfouille dans ses affaires. Il finit par trouver une photographie de Scott & Jessica, nus sur la plage.
(Re)Découvrir Jessica Blandy, c'est revenir aux débuts de la carrière de scénariste de BD de Jean Dufaux qui a débuté en 1983 dans le Journal de Tintin. C'est aussi retrouver une association fructueuse avec l'artiste Renaud. L'édition en intégrale s'ouvre avec une introduction rédigée par Jacques Baudou, spécialiste des littératures populaires, et en particulier des romans et films policiers. Il explicite les influences de Jean Dufaux pour cette série, essentiellement des auteurs de polars américains : Raymond Chandler, Dashiell Hammett, Ed McBain, Michael Connelly ou encore John Maddox Roberts. À la fin du récit, le lecteur pense également beaucoup à Ross Macdonald, et à sa manière d'inscrire ses personnages dans les événements d'une époque, en mettant en scène les différentes strates de la société dans laquelle se déroule l'enquête. À ce titre la séquence d'ouverture inscrit l'histoire dans les paysages de la côte Ouest des États-Unis avec une villa à l'architecture reconnaissable.
Lors de cette histoire, le lecteur va pouvoir ressentir la présence proche de l'océan, et le climat ensoleillé de cette côte. Il constate que Renaud s'investit pour représenter des environnements différents que ce soit cette villa, l'autre villa de Scott Mitchell avec une architecture différente, les rues en pente de la grande ville la plus proche, les maisons desservies par un ponton à Sausalito (avec le beau vitrail de celle de Kim, la cartomancienne), les grandes plages désertes, ou les rochers de la digue où se promène Jessica, ou encore la terrasse d'un restaurant à San Francisco où elle déjeune avec son éditeur. Il peut également ressentir le vent sur son visage quand Jessica conduit sa décapotable sur une autoroute. Il peut même voir les mouettes s'envoler sur la plage. Les pages présentent un fort taux d'arrière-plans dans les cases, ceux-ci ne disparaissant que lorsqu'une conversation s'étale sur une page. Renaud effectue un travail visible de casting pour les personnages de manière à ce qu'il soit tous facilement identifiables que ce soit la chevelure de Jessica Blandy, la corpulence de l'inspecteur Robby, les cheveux blancs de Gus Bomby, ou encore le corps athlétique et le crâne rasé de l'assassin. Il apporte le même soin à doter chaque personnage d'une tenue vestimentaire spécifique, adaptée à sa condition sociale, à ses occupations et au climat. Évidemment, il consacre plus de temps aux différentes toilettes de Jessica Blandy. Le lecteur ne peut faire autrement que de remarquer qu'elle ne porte jamais de soutien-gorge et qu'elle maximise systématiquement son décolleté.
Il s'agit d'un polar assez violent, dans lequel des individus trouvent la mort de manière soudaine, avec des brutalités physiques plus ou moins sadiques. Renaud représente cette violence de manière factuelle, à commencer par les cadavres de l'épouse et des enfants de Scott Mitchell, sans effet sensationnaliste, sans dimension gore. Lorsque le tueur assassine un couple d'amants, à nouveau leurs corps ne sont que des pantins désarticulés, avec une petite entaille où le stylet effilé a frappé. Le mort par noyade regarde le lecteur de ses yeux morts. Lorsque le journaliste Pad Jester se fait frapper, c'est un coup porté soudainement, sans chorégraphie élégante, sans angle de prise de vue pour en accentuer la force. Du coup, quand Jessica Blandy se fait malmener par 3 gros bras, le lecteur n'y voit que la douleur occasionnée, l'absence écœurante d'empathie de ses agresseurs. La narration visuelle devient choquante non pas par la nudité frontale ou la violence graphique, mais à cause de son apparence factuelle sans effet esthétique.
Du fait des dessins, le lecteur plonge son regard dans un monde consistant, prosaïque, et finalement un peu froid, avec une réalité et des décors totalement insensibles à la souffrance de l'humanité. Jean Dufaux raconte une histoire d'assassinats prémédités contre des individus soigneusement choisis. L'histoire se termine dans le tome suivant, et le lecteur reste sur sa faim concernant l'identité du tueur, ses motifs, et la raison pour laquelle il prononce les mots Enola Gay avant de faire passer ses victimes de vie à trépas. Les personnages se comportent comme des adultes, souvent désabusés et désenchantés, vaguement cyniques, mais encore concernés et impliqués émotionnellement et moralement. Le déroulement de l'intrigue découle de l'histoire personnelle des différents protagonistes. Le lecteur n'en apprend pas beaucoup sur Jessica Blandy, si ce n'est qu'elle est romancière et qu'elle a besoin de lunettes pour lire de près. Elle se retrouve mêlée à cette histoire parce qu'elle était l'amante d'un homme mariée. Elle refuse de se résigner à ce crime sordide, et elle s'implique pour découvrir l'identité du meurtrier et l'amener devant la justice si possible. Le récit ne porte pas de jugement moral sur le fait que Scott Mitchell trompe sa femme, avec Jessica Blandy qui le sait parfaitement.
Parmi les autres personnages, le lecteur remarque le détective privé Gus Bomby, retiré du service actif de la police, attaché à Jessica Blandy pour une raison non explicitée. L'inspecteur Robby apparaît plus cynique, sans être forcément corrompu, plus violent aussi, usant de la force et des coups pour se faire respecter auprès de petits criminels. Il relève la pique contre l'éditeur qui refuse d'entendre les besoins pécuniers d'un auteur. Il remarque le comportement de l'une des victimes, malade alité, qui accueille son assassinat avec une forme de satisfaction. Jean Dufaux sait distiller un malaise sous-jacent par le comportement défaitiste de certains personnages, sadiques pour d'autres. Il déploie des efforts pour donner plus de consistance à l'environnement dans lequel se déroule le récit, en particulier en intégrant des références culturelles, par exemple à Greta Garbo, Brest Easton Ellis, Ethan Frome (1911) d'Edith Wharton (19862-1937), Sylvie & Bruno (1889-1893) de Lewis Carroll (1832-1898), et même à John Maher président et fondateur d'un organisme (avec une explication de qui était cet homme, mais qui reste introuvable dans une encyclopédie en ligne). Il subsiste quand même quelques moments un peu factices, que ce soit le comportement de Pénélope Mitchell, la sœur de Scott Mitchell, ou l'assassinat du couple d'amants qui n'apporte rien au récit.
Arrivé à la fin du tome, le lecteur se rend compte que l'intrigue n'était pas très consistante dans cette première partie, et que les auteurs ont préféré développer une atmosphère autour de ces assassinats commis par un tueur efficace, et de ces individus qui semblent exister chacun dans leur bulle, sans vraiment communiquer entre eux. La froideur de la narration et les références trop visibles donnent parfois une impression d'artificialité. Pour autant il se dégage un vrai malaise de ces existences fragiles et vaines, une fatalité existentielle qui finit par mettre le lecteur mal à l'aise.
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