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mercredi 20 juin 2018

Jessica Blandy, tome 2 : La Maison du Dr. Zack

Oui, mon chat a horreur qu'on le dérange.

Ce tome fait suite à Souviens-toi d'Enola Gay avec lequel il forme une histoire complète en 2 parties. Il est initialement paru en 1987, écrit par Jean Dufaux, dessiné par Renaud (Renaud Denauw) et mis en couleurs par Béa Monnoyer. Ce tome a été réédité avec le premier et le troisième dans format plus petit, dans Jessica Blandy - L'intégrale - tome 1 - Intégrale Jessica Blandy 1.

À San Francisco, le détective Gus Bomby mène l'enquête à sa manière : au cours d'une partie de poker nocturne, avec Pete le rat. Comme ce dernier est rincé et que Gus continue de gagner, la mise devient des informations. Gus apprend ainsi que l'assassinat de Scott Mitchell est lié à celui de Jeffrey Lanes. Gus relance d'une partie, mais il se fait choper par les 2 autres joueurs la main dans le sac en train de tricher. Il s'en suit un échange de coups alors que les 2 joueurs essayent de la neutraliser afin de lui faire passer l'envie de tricher. Une fois qu'ils l'ont maîtrisé, Ma (une femme enrobé d'un certain âge qui était occupée à repasser dans la même pièce) s'approche de lui avec le fer à repasser brandi d'une main pour s'en servir sur le visage de Gus. Il réussit à se libérer de justesse et fait usage de son arme à feu, tuant Ma sur le coup. Contre toute attente, il appelle la police pour signaler ce qui vient de se passer, en parlant à l'inspecteur Robby. Ce dernier s'apprête à interroger Lee, l'un des agresseurs de Jessica Blandy.

Grâce à une mise en scène roublarde pour intimider le détenu, l'inspecteur Robby obtient 2 noms : celui de Chuck qui a commandité l'agression à l'encontre de Jessica, et celui de son employeuse Pénélope Mitchell, la sœur de Scott Mitchell. Cette dernière est immédiatement avertie de l'aveu de Lee et prend les mesures qui s'imposent. Jessica Blandy se rend à un rendez-vous fixé par un appel anonyme dans un casino abandonné à l'écart de tout. Elle y découvre Lars Groffin affalé dans un fauteuil, une méchante blessure au ventre, faite au couteau. Il se présente à elle et a juste le temps d'énoncer une citation : none knows how it comes, how it goes, but the name of the secret is love. Pendant ce temps-là l'agresseur de Groffin est en train de fouiller la boîte à gant de la voiture de Jessica Blandy, où il y trouve son permis qu'il empoche. Il la laisse repartir sans se manifester. Jessica rentre à la villa qu'elle partageait avec Scott Mitchell et se dirige vers la bibliothèque pour consulter l'exemplaire de Sylvie et Bruno (1889/1893) de Lewis Carroll.

Intrigué par le premier tome (et un peu aguiché par la singulière héroïne), le lecteur revient pour découvrir le dénouement de ce polar poisseux. Il lui faut attendre une dizaine de pages avant de retrouver les beaux paysages de la côte ouest des États-Unis, lorsque Jessica Blandy se rend à son mystérieux rendez-vous dans un casino désaffecté qui commence à tomber en ruine. Il a alors le plaisir de retrouver de grands espaces, avec un océan d'une belle eau, et une végétation authentique. Une quinzaine de pages plus loin, il peut apprécier le soin avec lequel Pénélope Mitchell a choisi les plantes de sa serre, grâce aux dessins précis de Renaud. Il aura encore une fois l'occasion de bénéficier d'une scène en extérieur, lors d'une évocation du passé, dans la jungle du Vietnam, à nouveau avec une représentation fidèle, précise et une colorisation transcrivant bien l'ambiance lumineuse.


Pour le reste il faut attendre la fin de la partie de poker pour que les décors acquièrent plus de substance. Passée cette première séquence, le lecteur peut se projeter dans le commissariat de l'inspecteur Robby, puis dans la somptueuse demeure de Pénélope Mitchell. Il bénéficie d'une vision d'ensemble du grand hall du commissariat (avec une architecture fonctionnelle et réaliste pour disposer d'une aussi grande pièce, puis du bureau de l'inspecteur Robby (avec ses casiers métalliques tout aussi fonctionnels), qu'il peut mettre en regard de la vue sur la grande pièce de la demeure de Pénélope Mitchell, puis de la pièce de dimension plus petite abritant sa bibliothèque, l'artiste ayant sciemment établi un parallèle entre les 2 en adoptant un plan de prise de vue similaire.

Les scènes suivantes recèlent encore des surprises en termes de lieux, à commencer par la découverte de la grande salle du casino ayant subie les ravages du temps et des intempéries. Le lecteur accompagne encore les personnages dans un laboratoire souterrain à l'aménagement plus spartiate et plus convenu. Il peut effectuer une autre comparaison entre la chambre de Jessica Blandy et celle de Pénélope Mitchell, toutes les 2 arrangées avec goût. D'ailleurs, Jessica Blandy est toujours aussi aguicheuse. Le lecteur la retrouve à partir de la page 12 dans un magnifique tailleur blanc immaculé, avec un décolleté moins prononcé que dans le tome 1. Par contre, il assiste à sa douche et à sa toilette. Renaud lui fait adopter des postures un peu cambrées, mais dans le même temps, il s'agit d'un moment ordinaire, à sa place dans sa journée. Il est indéniable que cette séquence a pour but de titiller le lecteur masculin, mais elle établit aussi que le personnage n'est pas pudique, sans connotation sexuelle. Le lecteur a encore l'occasion de se rincer l'œil une deuxième fois, dans une séquence plus perverse où un homme profite de sa position de force pour obliger une femme à se déshabiller et à se tenir nue devant lui. À nouveau, cette scène se justifie par ce qu'elle révèle de la personnalité du personnage masculin, mais aussi de la femme choisissant de se livrer à cet effeuillage pour obtenir une faveur d'une autre nature. Elle participe également à la représentation de rapports humains fondés sur différentes formes de domination.

Comme dans le premier tome, le lecteur peut s'interroger sur le choix de Renaud de n'utiliser que des traits fins pour détourer les formes, de proscrire les aplats de noir (à de rares exceptions près pour des ombres portées) et de ne pas faire varier l'épaisseur des traits encrés, engendrant une impression visuelle étrange de formes uniquement détourées, sans réelle substance. Dans le même temps, chaque case bénéficie d'une construction qui permet de hiérarchiser les différents plans, de faire ressortir les formes les unes par rapport aux autres et de donner du relief aux éléments représentés. S'il y prête attention, le lecteur se rend compte que l'artiste utilise régulièrement des vues de dessus avec des angles plus ou moins inclinés pour donner une vision adaptée du positionnement relatif des personnages. Il s'aperçoit aussi que les plans de prise de vue sont variés, adaptés à chaque séquence, et qu'ils permettent de montrer les environnements suivant différents angles de vue, ainsi que les interactions des personnages avec les différents accessoires. Alors que l'usage exclusif de traits fins donnent une impression de superficialité, la richesse et la sophistication de la narration visuelle racontent une histoire substantielle, avec de nombreux détails qui viennent la nourrir, que ce soit la planche à repasser de la matrone, le présentoir à trombone sur le bureau de Robby, le modèle de cheminée du salon de Pénélope Mitchell, les sous-vêtements de Kim, ou encore les postures de Pearl, la secrétaire du détective privé Gus Bomby.


Le lecteur revient donc pour la résolution de l'intrigue et pour un récit inscrit dans le genre polar poisseux. Jean Dufaux continue d'utiliser une partie des conventions du polar : des individus avec un comportement agressif et sadique (l'agression au fer à repasser, l'intimidation pendant l'interrogatoire, l'assassinat à l'arme blanche, etc.), une sexualité soumise à des rapports de force (l'inspecteur Robby extorquant une faveur à Kim), les privilèges illégaux de l'argent (Pénélope Mitchell commanditant un meurtre et rabaissant son personnel), des individus pas tous bien dans leur tête (du comportement obsessionnel au syndrome post traumatique). En outre, Jessica Blandy se retrouve à nouveau dénudée. Dans le même temps, le scénariste raconte bien un polar dont les personnages et les événements servent de révélateur à l'état d'une société, que ce soit le flic prêt aux compromis pour aboutir et en même temps conscient des limites de ses interventions, ou les vétérans d'une guerre sans gloire et sale. Néanmoins en ayant choisi de situer son récit aux États-Unis, l'auteur se retrouve toujours sur le fil entre une évocation nourrie de faits et de recherches, et des clichés prêts à l'emploi. Par exemple, plusieurs personnages picolent régulièrement, comme une forme de stéréotype, sans incidence sur leur comportement ou leur état d'esprit.

Même si son enthousiasme peut être un peu émoussé par quelques éléments un peu factices, le lecteur se rend compte qu'il reste sensible au mal être des personnages. Dufaux & Renaud ne font pas qu'assembler des situations éculées, leur histoire exhale un parfum entêtant de difficulté à exister d'imperfection, de comportements déviants pour pouvoir supporter la douleur d'exister. L'inspecteur Robby parle de lui à la troisième personne du singulier comme s'il se voyait comme un personnage différent de ce qu'il est vraiment. Il ne peut satisfaire ses pulsions sexuelles que par des moyens détournés. Le lecteur se retrouve face à plusieurs personnes handicapées physiquement, comme une matérialisation dans leur chair des traumatismes psychologiques qu'ils ont endurés. Kim doit se déshabiller devant l'inspecteur Robby, contrainte à accomplir des actes humiliants pour le bien-être d'une tierce personne qui n'en saura jamais rien. Jessica Blandy se retrouve dans un casino désaffecté tombant en ruine, oublié de tous, une preuve manifeste du temps qui passe, d'une époque révolue dont personne ne se souvient, d'efforts qui n'ont rien produit de durable, la preuve matérielle que l'entropie est plus forte que tout.


Pour la deuxième fois, le lecteur est fortement tenté de ne voir dans ce récit qu'un polar un peu facile, aux dessins manquant 'épaisseur à l'instar des traits de contour trop fins, au scénario s'appuyant sur des situations toutes faites. Pourtant, l'histoire prend une forme inhabituelle avec son personnage principal ayant un rôle presqu'incident et une souffrance d'exister bien réelle, s'exprimant sous des formes variées.


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