On a peu de chances de le retrouver vivant, mais sait-on jamais…
Ce tome contient une histoire complète inspirée d’un fait réel, qui ne nécessite pas de connaissance préalable. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Jean-Luc Cornette pour le scénario, et par Renaud Garreta pour les dessins, avec Cyril Saint-Blancat pour les couleurs. Il comprend quatre-vingts pages de bande dessinée. Il se termine par un article de deux pages, intitulé : Mais qui est Dan Cooper ? Est-il vivant et si oui… où se trouve-t-il ? Article de deux pages, rédigé par le scénariste, agrémenté par le portrait-robot de Dan Cooper.
Dans la nuit du vingt-quatre novembre 1971, un homme a ouvert la porte-escalier du Boeing 727-051 de la compagnie Northwest Orient Airlines. Il porte un parachute dorsal, et il saute dans le vide en plein vol. L’avion continue son vol, alors qu’il chute vers le sol, sous la pluie, un sac de sport accroché relié à sa ceinture par une longe. Portland, le dix-huit novembre 1971, Dan Cooper, lunettes de soleil sur le nez, avance la chaise de Sally qui vient de s’assoir à la table du restaurant. Elle lui indique qu’elle ne se lasse pas de la vue, ni du Pink Lady de l’établissement. Il s’assoit à son tour et commande un Pink Lady pour elle et un Bourbon-7 Up pour lui. Il se retourne vers la jeune femme et lui demande si elle a bien compris ce qu’elle va devoir faire. Elle lui répond que ce n’est pas très compliqué. Il insiste : Ce n’est pas compliqué, mais cette opération est une mécanique de précision. Il continue en allumant une cigarette : La moindre erreur, aussi minime soit-elle, aurait des conséquences dramatiques, pour lui… et peut-être même pour elle.
Dan Cooper donne ses instructions à Sally : elle doit bien tout répéter dans sa tête pour que chaque instant soit naturel. Elle doit surtout ne jamais le regarder, lui parler. Aucune interaction entre eux, il faut qu’elle demande une place à l’avant de l’appareil. Il lui explique ensuite la raison pour laquelle c’est elle qui doit amener le sac dans l’avion : il doit avoir son attaché-case avec lui, cependant il a absolument besoin du contenu du sac, sans quoi ce serait du suicide. Il préfère laisser croire qu’il commet un acte de folie et qu’il a de grandes chances de se tuer. Personne ne saura que, dans l’avion, il y a tout le matériel pour échapper à la mort. Il termine en lui rappelant qu’elle devra patienter plusieurs semaines, plusieurs mois peut-être, car il doit disparaître. Enfin, il écrit les coordonnées du vol Seattle – Tacoma sur un bout de papier. À l’issue du repas, il lui appelle un taxi, et lui remet le sac. Quelques jours plus tard, il lit un album de Dan Cooper dans son salon, au milieu des cartons. Enfin le déménageur arrive. Il s’en va, et il laisse les clés aux déménageurs, leur demandant de fermer derrière eux, et de ramener les clés à l’agence. Puis il prend un taxi pour se rendre à l’aéroport de Portland. De son côté, Sally a bien le sac, et elle dit au revoir à Angie, sa copine, en lui demandant de venir la chercher le lendemain au Jet Inn Motel de Seattle.
La quatrième de couverture résume la première partie de la bande dessinée, ou plutôt explicite le fait divers qui sert de point de départ à l’histoire, un pirate de l’air qui s’est enfui avec deux cent mille dollars (soit un peu plus de un million et demi de dollar en valeur actualisée à 2025), sans aucune violence sur autrui, et qui n’a jamais été retrouvé. Ce texte complète avec la précision : le douze juillet 2016, le FBI abandonne officiellement la plus longue enquête de son histoire près quarante-cinq ans de recherches infructueuses, sans avoir jamais pu identifier le responsable de ce détournement d’avion devenu mythique. Les auteurs optent bien sûr pour une narration de type réaliste et détaillée : une solide reconstitution historique, pour les lieux, les tenues vestimentaires, les véhicules (à commencer par le Boeing 727 et sa porte escalier), les différents accessoires. S’il se montre tatillon, le lecteur peut être surpris par le modèle de calculatrice dont disposent le jeune garçon et la femme pour effectuer le change de dollars en pesos. Le scénariste a choisi une trame très linéaire (à part pour la scène d’introduction) : suivre Dan Cooper depuis le dîner de préparation des derniers détails avec Sally, jusqu’à une forme de résolution satisfaisante. Il ne s’agit donc pas d’un dossier exhaustif sur l’affaire. En particulier il laisse de côté les recherches ultérieures et les suspects potentiels : Richard McCoy jr., Duane Weber, John List, ou encore la création et la mise en œuvre de l’aile de Cooper, un mécanisme aérodynamique empêchant l’escalier arrière d’être abaissé pendant le vol.
La couverture s’avère très efficace, avec cet homme en chute libre sur fond blanc, et la promesse de tous ces dollars : il est riche, il a réussi son coup. Les auteurs ont choisi une scène d’introduction très spectaculaire, en deux pages, sans un seul mot. Trois cases dans la première planche, le lecteur se tient dans l’avion, et il voit devant lui Dan Cooper sauter dans le vide, avec un gros sac relié à sa ceinture. Deuxième planche : la reprise du dessin de couverture en pleine planche, sans les billets et avec un ciel d’orage. Ils attirent l’attention du lecteur sur ce moment qu’ils mettent ainsi en avant : le courage et la détermination qu’il faut pour sauter d’un avion en plein vol, avec une solide dose d’optimisme que tout se déroulera comme prévu. Plus loin, pendant quatre pages (vingt-cinq à vingt-huit), ils montrent le pirate à l’œuvre dans l’avion, alors qu’il se prépare à sauter, puis la descente en parachute, avec un unique phylactère dans une case consacrée à Sally. L’album comprend encore d’autres pages sans texte, où la narration est entièrement réalisée par les dessins : Dan Cooper reprenant ses esprits en pleine forêt, le même au volant d’une voiture sur une highway déserte et pénétrant en Californie, deux autres pages pour faire disparaître la voiture, encore une page muette où cette fois-ci Sally est au volant pour rallier Mexico. Ainsi, cette bande dessinée s’inscrit dans le registre du roman, le lecteur appréciant pleinement la narration visuelle.
Du fait de la nature du récit, l’artiste a fort à faire pour la reconstitution historique. Il emmène le lecteur dans une restaurant avec vue panoramique à Portland, et il est visible qu’il était autorisé de fumer à table. En page neuf, le personnage principal est dans son pavillon, au milieu des cartons en train de lire une bande dessinée : Le secret de Dan Cooper (1965). Il s’agit d’une série Dan Cooper (1957 à 1992, 41 albums) d’Albert Weinberg (1922-2011), à laquelle le pirate aurait peut-être pu emprunter son nom. Il retrouve le même album dans un commerce de Mexico en page soixante. Vient ensuite l’arrivée à l’aéroport, l’achat d’un billet à un comptoir de la Northwest Orient, les uniformes des pilotes et des hôtesses de l’air, les rangées de siège avant la montée des passagers. Le lecteur peut apprécier le calme de Dan Cooper, alors qu’il montre la bombe à une hôtesse, en plein vol, la maîtrise de celle-ci. La mise en scène s’avère plausible et convaincante pour ce chantage à la bombe qui n’a rien de spectaculaire, très pragmatique. L’artiste s’avère être un excellent metteur en scène pour les moments de tension psychologique. Le lecteur se rend compte qu’il scrute le visage et les gestes du couple de paysans qui a recueilli Dan Cooper pour essayer de deviner les menaces sous-jacentes, le jeu de prise d’ascendant en train de se dérouler dans la tête de chacun. Le face à face entre Cooper et Sally le tient également en haleine, pour savoir ce qui l’emportera des émotions, de la raison, de la conviction.
À partir de ce fait divers singulier, le scénariste s’interroge sur ce qu’il a pu advenir de ce Dan Cooper. Son approche apparaît singulière. Il ne dit rien de cet homme, aucune information sur son passé ou sa vie personnelle, aucune remarque qui puisse permettre de se faire une idée de sa personnalité. Le lecteur en est réduit à faire ses propres déductions à partir de ce que les auteurs ont choisi de montrer : un homme rigoureux dans sa planification, astucieux pour pouvoir tirer parti de la possibilité d’ouvrir la porte-escalier en vol, capable d’apprendre par lui-même (par exemple pour la technologie du Boeing 727), capable d’anticiper (comment faire pour déjouer les deux chasseurs à la poursuite du Boeing 727), privilégiant la non-violence, confiant dans ses capacités physiques pour réaliser un saut en parachute au milieu de nulle part, réglo à sa manière puisqu’il fait tout pour honorer son engagement financier auprès de sa complice Sally. Pour autant, du fait de l’absence d’émotion de sa part, le lecteur ne s’y attache pas vraiment. Il se concentre plus alors sur les réactions qu’il suscite chez les autres. Indubitablement Sally a été séduite : elle indique à Angie qu’elle le trouve beau et charmant, mais pas assez stable pour envisager une relation amoureuse. Le couple de paysans est certainement impressionné par l’efficacité avec laquelle il a mené son arnaque. Les autres rôles secondaires ne voient qu’un individu de passage sans beaucoup de personnalité.
Au travers de la réalisation de ce coup et de la suite inventée, le scénariste met incidemment en scène d’autres thèmes. Ce Dan Cooper se trouve face à des individus prêts à saisir l’occasion de se faire du blé rapidement et donc de manière illicite, que ce soit Sally, ou les paysans, ou encore les changeurs de rue. Mine de rien, les différents services de police apparaissent comme efficaces et bien organisés : mise en place d’un dispositif de recherche très rapidement, avec une méthodologie éprouvée, même s’il n’est pas possible de retrouver une aiguille dans une meule de foin. Une fois que Cooper a passé la frontière, le Mexique ressort comme le pays de la débrouille, et aussi comme une sorte de territoire où les Américains disposent d’un avantage économique ce qui fait d’eux des gens riches et au-dessus des lois. Enfin, le lecteur observe l’effet produit par la promesse d’un enrichissement facile grâce à un pactole mal acquis : sur les paysans, sur Sally, et par contraste sur Cooper lui-même.
Les auteurs ont choisi un traitement original de cette affaire célèbre de pirate de l’air aux États-Unis : reconstituer le vol en lui-même, et imaginer ce qui a pu se passer par la suite, sans rien dire sur Dan Cooper lui-même. La narration visuelle montre bien une époque, des lieux précis, et sait aussi bien raconter les événements de manière plausible, que faire apparaître la tension psychologique entre les personnages. Au lieu de révélations fracassantes et sujettes à caution, le lecteur se retrouve à se questionner ce que représente cette somme d’argent (entre il fait le bonheur et bien mal acquis) et la force de caractère de ce Dan Cooper. Surprenant.
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