Il faut toujours qu’elle fanfaronne, comme si s’en tenir au réel ne lui était pas suffisant…
Ce tome contient une histoire complète de nature biographique. Son édition originale date de 2022. Il a été réalisé par Marie Bardiaux-Vaïente pour le scénario, et par Gaëlle Hersent pour les dessins et les couleurs, avec la participation du conseiller historique Farid Ameur. Il comporte quarante-six pages de bande dessinée. Il se termine par un dossier de huit pages, rédigé par Ameur, revenant sur la vie de Calamity Jane, l’aventurière : les repères biographiques avérés, son esprit rebelle, sa fureur de vivre, l’éternelle incorrigible, avec une carte retraçant ses voyages, des encadrés relatifs à la condition des femmes à cette époque, les lettres à sa fille (un authentique canular), À la vôtre (l’alcool et sa consommation à l’époque), une chronologie, des références bibliographiques.
Fin des années 1880 ou début des années 1890, Calamity Jane chevauche au fond d’un canyon une région sauvage, un aigle planant haut au-dessus d’elle. Elle lève la tête comme si elle regardait le lecteur, déclarant qu’il y a quelque chose qu’elle devrait confesser… En 1873, à Goose Creek dans le Wyoming, un détachement de cavalerie fait feu sur un groupe d’Indiens en train de fuir à cheval. Une fois cette action accomplie, les cavaliers s’arrêtent et le capitaine Egan s’adresse à Martha Jane Cannary, en lui indiquant qu’elle ne pourra pas l’empêcher de songer que sa présence parmi eux est des plus contestables : une femme n’a rien à faire dans l’armée. Elle lui rétorque qu’il s’agit là de l’avis d’un bonhomme. Agacé, il lui ordonne de passer devant, en tant qu’éclaireuse. Elle obéit et prend de la distance pour devancer le détachement. Soudainement, les Indiens reviennent à l’attaque contre les soldats. Elle raconte la suite de son point de vue, un peu enjolivé : son demi-tour en entendant le bruit de l’attaque, sa cavalcade et sa charge héroïque pour récupérer le capitaine Egan blessé, puis l’amener jusqu’à la ville la plus proche pour qu’un médecin s’occupe de lui. Enfin, la gratitude et les remerciements du capitaine à son égard.
En juillet 1876, à Deadwood dans le Dakota du Sud, Calamity Jane achève de raconter cette aventure à son ami Charlie Litter, en lui indiquant que c’est depuis qu’elle s’appelle Calamity Jane. Leur discussion est interrompue par l’arrivée d’un monsieur qui se présente comme se nommant Merrick. Il est le propriétaire et l’éditorialiste du Black Hills Pioneer. Il se déclare vraiment honoré d’enfin rencontrer Calamity Jane car la rumeur de ses exploits est parvenue jusqu’à eux, et c’est pourquoi il a annoncé son arrivée dans leurs colonnes. Il remet l’exemplaire du journal à la jeune femme. Elle se félicite d’être dans le journal et accoudée au comptoir, elle demande un whisky au barman. Il fait mine de ne pas l’entendre, et un autre client fait observer que le bar c’est pas pour les gonzesses. Enfin le barman se retourne pour indiquer à Jane qu’elle n’a rien à faire là, qu’à chaque fois elle met le bazar. Elle insiste pour être servie, allant même jusqu’à le menacer avec son fusil. Elle l’arme, mais une voix se fait entendre demandant que ce whisky lui soit servi. Depuis sa table de poker, Wild Bill Hickock intervient en faveur de son amie.
La couverture précise qu’il s’agit d’un tome dans la collection La véritable histoire du Far West, qui comprend également des tomes consacrés à Jesse James (1847-1882), Wild Bill Hickok (1837-1876), Jim Bridger (1804-1881), Little Big Horn (25 & 26 juin 1876), Chef Joseph (1840-1904), Alamo (du 23 février au 6 mars 1836), OK Corral (26/10/1881), La ruée vers l’or (1848-1856). La présente biographie se focalise sur les années 1870, majoritairement dans la petite ville de Deadwood, avec quelques retours en arrière sur sa famille, et sur son enrôlement dans l’armée. Au fil des séquences, le lecteur croise ainsi qu’un capitaine de l’armée (Egan), James Butler Hickok (dit Wild Bill Hickok) ; il assiste à une attaque de diligence servant également de malle postale, et il est présent lors d’une épidémie de variole à Deadwood en 1878. En fonction de sa connaissance sur le personnage, le lecteur prend pour argent comptant cette biographie, tout en relevant l’usage de passages contés à la manière de récits sensationnels (dime novels). Puis il lit le dossier en fin d’ouvrage, ce qui lui permet de mieux situer la démarche des autrices par rapport à la vérité historique. Il peut également continuer sa découverte de ce personnage historique en allant consulter une encyclopédie, et faire ainsi la part des choses entre la légende créée par Calamity Jane elle-même dans son autobiographie, et les lettres à sa fille avec leur authenticité discutée.
En termes de biographie, personne ne peut prétendre à recréer à la perfection une époque, ou tout du moins la perception qu’en a le personnage central, encore moins ce qui se passait dans sa tête à tel ou tel moment de sa vie. Les autrices ont pris le parti de raconter leur version de la légende de Calamity Jane, en choisissant les éléments historiques avérés, et ceux remodelées par cette aventurière. Cette façon de faire apparaît dès la première page quand Martha Jane Cannary indique qu’il y a quelque chose qu’elle devrait confesser, c’est-à-dire à la fois qu’elle s’est livrée à l’écriture de sa propre légende, et à la fois qu’elle est elle-même une conteuse, une narratrice subjective. Ce choix apparaît également de manière visuelle, l’artiste modifiant quelques caractéristiques de ses dessins, selon que le récit soit en train de suivre Calamity Jane au temps présent, qu’elle raconte sa vie passée, ou bien qu’elle soit passée en mode Enjolivements. Pour ce dernier, la mise en couleurs comprend une trame mécanographiée, des points de couleurs, des dessins aux contours plus secs et plus fins comme pris sur le vif, et des postures soulignant la vivacité de l’héroïne, sa témérité, ses prises de risques. Dans la page sept, un journaliste vient se présenter à Martha Jane Cannary et le lecteur sent bien que son reportage relève plus de l’exagération publicitaire, que de l’enquête et des faits. En page quarante-sept, un éditeur vient lui présenter des Dime Novels (nouvelles à sensations), confirmant la démarche commerciale. Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende, pour reprendre la célèbre citation du film L’homme qui tua Liberty Valance (1962) de John Ford (1894-1973), avec John Wayne (1907-1979), James Stewart (1908-1997), Lee Marvin (1924-1987).
Le lecteur est venu pour un récit de type Western, et son horizon d’attente comprend une reconstitution historique et une évocation de l’Ouest américain dans lequel il puisse se projeter. Il est immédiatement mis en confiance par la première planche une succession de cinq cases de la largeur de la page, un travelling avant en partant en hauteur pour descendre vers le visage de Calamity Jane. Il peut ainsi admirer le sommet d’une chaîne rocheuse, un aigle planant sous lui dans le ciel, et la cavalière qui se rapproche. L’artiste fait en sorte de combler son attente de grands espaces : une plaine dans laquelle la cavalerie poursuit les Indiens, un cours d’eau paisible dans une gorge boisée, une voie de chemin de fer en construction traversant une prairie ouverte à perte de vue, des bisons se déplaçant en harde dans une autre prairie, une épaisse forêt interminable, la grand-rue de Deadwood en terre et interminable, un convoi de chariots bâchés progressant du Missouri vers le Montana, etc. Elle soigne tout autant les séquences dans Deadwood : le saloon, les façades en bois des bâtiments, les pièces communes de la maison close et sa cuisine, la prison et une cellule rudimentaire, l’installation de fortune du médecin pour soigner les malades lors de l’épidémie de syphilis, etc. Le lecteur se sent bien au Far West, trouvant les conventions visuelles attendues, et celles-ci disposant d’assez de détails pour être spécifiques, plutôt que des décors artificiels génériques.
Bien évidemment, le lecteur observe cette jeune femme qui a réussi à s’émanciper du rôle imposé par la société, pour vivre comme elle l’entend : un métier d’homme, des vêtements d’homme, même une façon masculine de monter à cheval et pas en amazone. Les autrices montrent ce comportement et les réactions qu’il suscite de manière organique et factuelle, plutôt que d’un point de vue militant. Les retours en arrière permettent de comprendre comment cette adolescente a acquis des compétences au tir (et en cuisine), comment elle a subvenu aux besoins de ses jeunes frères et sœurs en l’absence de leurs parents. Les autrices montrent ce qui lui en coûte en terme social : des remarques misogynes systématiques, des comportements destinés à lui faire reprendre un rôle de femme à cette époque, du mépris, une ostracisation systémique, aussi radicale que celle subie par Samuel Fields, un afro-américain. Martha Jane Cannary est pleinement consciente de cet état de fait, sans que cela n’entame sa bonne volonté, en particulier de se mettre au service de ses prochains lors de l’épidémie. Le lecteur comprend que la scénariste a choisi les faits qu’elle met en scène, piochant dans la légende que Calamity Jane s’est elle-même construite, dans quelques faits historiques, et en en laissant d’autres de côtés, comme son recours à la prostitution. Pour autant, elle la décrit comme un être humain faillible, par exemple son addiction à l’alcool.
Une version personnelle de Martha Jane Cannary, entre réalité historique et légende forgée par l’intéressée elle-même. Le lecteur s’immerge dans un western consistant et plausible, aux côtés d’une femme avec une forte personnalité. Il en ressort avec une meilleure compréhension de la personne qu’a pu être Martha Jane Cannary, une interprétation humaniste, baignant dans l’amour que leur portent les autrices. Une belle résilience dans une société intolérante à une femme indépendante.
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