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jeudi 20 février 2025

Colette: Un ouragan sur la Bretagne

Elle sait y faire avec les bestioles.


Ce tome contient une bande dessinée de nature biographique, relative à une période de la vie de l’écrivaine Colette. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Jean-Luc Cornette pour le scénario, et par Joub (Marc Le Grand) pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-seize pages de bande dessinée.


Dans la commune de Saint-Coulomb, la propriétaire du manoir de Rozven ne peut plus supporter la Bretagne, son temps exécrable : elle informe Titouan, son homme à tout faire, qu’ils partent. Il entre dans la pièce et elle insiste : elle se demande ce qui lui a pris le jour où elle a décidé de s’installer dans un pays où il pleut de janvier à décembre. Elle ne sait pas encore exactement pour où elle veut partir : à Tombouctou, à Jaïpur, aux Grenadines… Ou à Saint-Tropez, c’est bien aussi Saint-Tropez. En tout cas, Titouan doit mettre la maison en vente. À la pointe du Grouin en mai 1910, Sidonie-Gabrielle Colette et Mathilde de Morny, dite Missy, contemple la Manche. L’écrivaine s’émerveille : La Manche est la plus belle mer du monde ! Elle aimerait vivre face à elle le restant de ses jours. Elle enjoint Missy, de humer ce Noroit qui leur fouette la face et leur rougit les joues. N’exhale-t-il pas de délicates senteurs de moules, d’huîtres, d’ormeaux sauvages… De coques, de palourdes, de patelles, de bigorneaux… Et de homard ! Colette est prise d’une envie aussi soudaine qu’irrépressible de homard : il lui faut un homard tout de suite, sinon elle meurt !



Les deux femmes remontent dans leur automobile et Missy les conduit vers Cancale. Colette continue : La Manche est le plus beau garde-manger de France, elles doivent rendre honneur à ce qu’elle leur offre. Elles s’arrêtent à un restaurant, et elles déjeunent en terrasse. Elle commande un homard pour elle, et un pour Missy. Elle indique au serveur comment elle le souhaite : il faut le faire revenir dans une demi-livre de beurre, avec beaucoup de sel et beaucoup de poivre. Et en attendant, elles vont prendre deux douzaines d’huîtres chacune. Après, elles reprennent la route, Missy se demandant si le homard de Saint-Malo n’est pas meilleur que celui de Cancale. Chemin faisant, elles passent devant un panneau indiquant que le manoir de Rozven est à vendre. Missy arrête la voiture, et va faire une offre à la propriétaire, mais celle-ci refuse de vendre à une femme habillée en homme. Après en avoir été informée, Colette descend de voiture et va faire une proposition à son tour. Elle explique à la propriétaire que c’est elle qui va acquérir sa baraque, et si son interlocutrice veut vérifier que son acheteuse est une vraie femme, elle peut soulever ses jupes et la laisser contempler l’origine du monde, joignant le geste à la parole. L’affaire est conclue, et elles doivent passer le lendemain devant le notaire. Les deux femmes reprennent la route et vont déguster un homard à Saint-Malo, ce qui ne leur permet pas de conclure, car leurs saveurs se ressemblent entre ceux de Saint-Malo et ceux de Cancale. Le lendemain, elles prennent possession du manoir, et elles essayent le lit. Puis Colette rejoint Monte-Carlo où elle effectue un numéro de pantomime dans la pièce intitulée La Chair.


Une vie de Colette ? Pas tout à fait, le sous-titre indique Un ouragan sur la Bretagne, et le récit se focalise sur la période de la vie de l’écrivaine, quand elle est propriétaire du manoir Roz-ven, c’est-à-dire entre 1910 et 1925. Le lecteur est amené à se rappeler de ce parti-pris à au moins deux reprises. Quand il découvre que les années de la première guerre mondiale sont traitées en ombre chinoise dans le chapitre qui y est consacré, de la page soixante-sept à la page soixante-treize. De manière plus diffuse quand il se fait la réflexion que les ouvrages de l’écrivaine sont mentionnés juste en passant, et qu’il n’y a qu’une ou deux scènes où il la voit écrire. Le texte de la quatrième de couverture attire l’attention du lecteur sur ce choix : En 1910, Colette acquiert le manoir de Rozven en Bretagne et elle y fit de nombreux séjours jusqu’en 1926, mentionnant des aventures sentimentales tumultueuses avec son deuxième mari, et plus tard avec le fils de celui-ci, Bertrand. Le lecteur peut apprécier cette bande dessinée, sans rien connaître de l’écrivaine et de son œuvre. Il en goûtera plus de saveurs s’il dispose d’une connaissance superficielle des principaux romans de l’œuvre de Colette. Quoi qu’il en soit, les personnages sont présentés en douceur, et le lecteur succombe rapidement, et en plein consentement, au charme de cette femme, vive, entraînante et sachant ce qu’elle veut.



De séquence en séquence, les auteurs font œuvre de reconstitution historique, à l’évidence avec les personnages, et aussi au sein de la narration visuelle. Le lecteur est aspiré à la suite de Sidonie-Gabrielle Colette (1873-1953), donc âgée de trente-sept ans lorsqu’elle fait l’acquisition de Roz-ven. Il se prend tout de suite d’amitié et d’admiration pour cette femme qui sait ce qu’elle veut et qui conduit sa vie comme elle l’entend. Les dessins s’inscrivent dans un registre réaliste, avec un degré de simplification qui les rend plus immédiatement lisibles, avec une petite exagération de temps à autre dans l’expression des visages. Cela a pour effet d’atténuer l’intensité scandaleuse (pour l’époque) du comportement de l’actrice, qu’elle montre un sein dénudé sur scène, ou qu’elle couche avec son amant du moment au gré de sa fantaisie. Cela lui confère également une forme de spontanéité allié à une nature enjouée, qui la rend séduisante et agréable au quotidien. Par la force des choses, le lecteur compare Missy (Mathilde de Morny, 1863-1944, artiste) visiblement moins souriante, et résistant aux élans de son amante. Parmi les personnages féminins, le lecteur tombe également sous le charme de Jeanne Roques (1889-1957, Musidora, actrice et réalisatrice), plus jeune que Colette et plus facétieuse.


Pendant ces années, l’actrice et écrivaine croise le chemin de plusieurs hommes. Il y a le serviteur bourru qui décide de rester à s’occuper du domaine de Roz-ven après son rachat par Colette : chapeau à large bord, sabots et large moustache délicatement entretenue. Le lecteur peut y voir un Breton typique, ou au moins pittoresque, qui ne part pas en mer, et qui n’est pas paysan, agréable et doté de bon sens. Séduit par son jeu d’actrice dans La Chair, Auguste-Olympe Hériot (1886-1951) la rejoint dans sa loge où il a vite fait de se faire dépasser par la répartie de Colette, et il se retrouve à lui obéir, malgré son magnifique costume queue de pie et liquette blanche (et aussi une fine moustache) qui attestent de son rang social et de sa valeur économique. Le lecteur établit la comparaison avec Henry de Jouvenel (1876-1935, époux de Colette de 1912 à 1923) : son costume noir est plus simple et tout aussi strict, son comportement est plus assuré que celui d’Auguste-Olympe (on ne se lasse pas de ce prénom), peut-être est-ce pour partie imputable à sa moustache tout aussi fine, mais plus longue (elle gagnera en épaisseur au fil des années). Georges Wague (1874-1965) dispose de moins de temps d’exposition : quelques cases pour faire connaissance avec ce mime et pédagogue, tout aussi séduisant, dans un autre registre. En fin de récit, Colette rencontre enfin Maurice Ravel (1875-1937), lui aussi fort élégant, et très à l’aise dans le décor fastueux de l’opéra de Monte-Carlo, pour la représentation de L’enfant et les sortilèges, son œuvre commune avec Colette.



Comme indiqué sur la couverture, le récit se focalise sur période bretonne de Colette : enfin, la période durant laquelle est la propriétaire de la malouinière Roz-ven. Cette région de la Bretagne remplit également le rôle de personnage. Le dessinateur représente la Manche vue depuis la pointe du Grouin, un quai de Saint-Malo, ladite malouinière, quelques paysages côtiers avec la plage, la Manche, les sentiers, et le mont Saint-Michel. Ces mises en scène ne relèvent pas du guide touristique ; elles mettent en avant le grand air, la présence de la mer et le calme de la région… sans la pluie comme le fait remarquer l’ancienne propriétaire de la demeure. Les pérégrinations de Colette l’amènent également à Paris, à Monte-Carlo, à Paris dans le seizième arrondissement, et même à Alger. L’artiste représente chaque lieu avec un niveau de détail le rendant unique et conforme à l’esprit de l’endroit.


Dans un premier temps, le lecteur éprouve la sensation de suivre une suite de tableaux sur la vie de Colette, respectant l’ordre chronologique, ne développant ni son œuvre littéraire, ni son mode d’écriture ou comment elle se consacre à son art, ni sa vie d’actrice. Cela peut déconcerter, malgré la référence à deux ou trois de ses livres, en lien direct avec l’une de ses relations amoureuses, en particulier avec Bertrand de Jouvenel (1903-1987, écrivain et journaliste), fils de Henry de Jouvenel et de Claire Boas de Jouvenel, c’est-à-dire le fils du mari de Colette à ce moment-là. En cours de route, le lecteur prend conscience de la liberté dont dispose Colette et dont elle jouit. Il voit une femme avec un amour profond et prononcé de la nature, une femme libérée en particulier dans ses relations sexuelles très diversifiées, et assumant sa bisexualité. La narration visuelle atténue ces caractéristiques par son apparence bienveillante et sa bonne humeur, accentuée encore par ces animaux de compagnie (Gamelle la chienne, Pati-Pati la chatte et Pitiriki l’écureuil) qui donne un petit air de princesse de dessin animé à Colette. Il peut falloir un peu de temps au lecteur pour bien mesurer le caractère hors du commun d’une telle forme de vie, à une époque où le port du pantalon par une femme n'était permis qu'après une autorisation dérogatoire accordée par l'autorité administrative pour motif particulier. Son regard se fait alors plus admiratif pour cette femme libérée dans une société qui ne l’était pas.


Un ouragan sur la Bretagne : c’est tout à fait ça. Les auteurs focalisent leur bande dessinée sur la période de la vie de Colette pendant laquelle elle a été propriétaire de la villa Roz-ven à Saint-Coulomb, dans le département d’Ille-et-Vilaine en Bretagne. Plutôt que l’œuvre de l’écrivaine, sa manière d’écrire ou ses talents d’actrice, le lecteur découvre la vie personnelle de Colette, son énergie qui semble inépuisable, son attachement à cette région, ses amours et ses voyages, bain de minuit compris.



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