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mercredi 29 mai 2024

L'héritage d'Émilie T04 Le rêveur

La rêveuse me ramènera.


Ce tome fait suite à L'héritage d'Émilie T03 L'exilé (2004), quatrième tome dans une série de cinq racontant une histoire complète. Sa première édition date de 2006. Il a entièrement été réalisé par Florence Magnin, scénario, dessin et couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. Cette série a fait l’objet d’une intégrale publiée en 2023.


Dans la cité principale de la planète Thétys, un riche responsable écoute un rapport. Son agent lui indique que le guetteur est formel : l’étranger venait de la Terre. Le dignitaire se gausse : Encore ! Et on dit que leurs portes sont closes ! Ah ! Le rapporteur garde tout son sérieux, indiquant que son interlocuteur a tort d’en rire, car son laxisme finit par devenir gênant. L’autre explique que l’étranger a déjà quitté la ville à bord d’un transporteur, néanmoins il l’abandonne à l’agent, si jamais il en revient vivant. Dans l’immense forêt jouxtant la ville, Bran a pris place sur une longue barque menée par Finn. Ils abordent le rivage herbu sur lequel a été construit une maison dont les pilotis sont des troncs d’arbre. Ils sont accueillis par John Hatcliff qui houspille sa main d’œuvre de petite taille aux oreilles pointues, en les qualifiant de minus. À une table, Bran exhorte son interlocuteur à se souvenir car il y va de la vie de plusieurs personnes, dont celle de son arrière-arrière-arrière-petite-nièce. L’autre exige qu’il l’appelle Capitaine, car Bran fait partie de son équipage. Ce dernier insiste ce qui provoque une réponse énervée de Capitaine : il l’a embauché pour remplacer son second dont la seule qualité était d’être insomniaque, ce qui aurait évité à Capitaine de veiller cette nuit. Sur ce, il va se coucher dans son hamac.



Bran s’assoit au bord de la terrasse, les pieds pendant dans le vide. Il discute avec deux marins : il leur indique que le passage à rendu amnésique John Hatcliff. Il se souvient de sa propre arrivée dans la cité, comment il a été traqué, et qu’il n’a dû son salut qu’à sa rencontre inopinée avec Finn qui l’a attiré sur le territoire des passeurs, une zone libre, rendant le fuyard intouchable. Au temps présent, Finn indique à Bran qu’il finira par se plaire ici. Son interlocuteur lui répond qu’il n’a pas l’intention de rester, que la rêveuse le ramènera. Capitaine se réveille et décide d’emmener Bran avec lui pour aller chercher des cristaux. Ils montent dans la longue barque, et Bran fait les fonctions de gaffeur. En descendant le fleuve, Bran avise une longue plante très haute à la forme singulière, et il reconnaît une rêveuse. Hatcliff le corrige : il s’agit d’une gardienne, de sacrés dangers, capables de manger une jambe comme amuse-gueule. Ils arrivent enfin dans le territoire des Krills. Bran lève la tête et voit trois cadavres en état de décomposition avancée : Capitaine explique qu’il s’agit d’un simple avertissement, ils ne tolèrent que les passeurs. Et on ne trouve les cristaux que dans leurs nids. Ils pénètrent dans une caverne et mettent pied à terre. Capitaine ramasse une sorte de grosse noix : elle contient quelques cristaux, des résidus de poussière d’étoile.


Le lecteur anticipe le plaisir de repartir pour le domaine d’Hatcliff en Irlande, avec ce manoir gigantesque, le domaine avec son jardin et sa forêt, ainsi que les mystérieux souterrains. Or voilà que ce tome commence sur une planète extraterrestre appelée Thétys, évoquée dans le tome précédent. La première page s’ouvre avec une case occupant les deux tiers de la planche : une vue en contreplongée des immeubles, évoquant une version de New York entre Art Déco et anticipation (en particulier des voitures volantes), et un détail amusant (un té de dessinateur). En planche quatre, Bran court dans les rues de la ville pour échapper aux autorités : le lecteur ouvre grands les yeux pour apprécier l’architecture, entre poutrelles métalliques de type Eiffel, et colonnes bombées, une échoppe évoquant un souk, une voiture volante, des dirigeables, comme un hommage à Metropolis. Le contraste n’en est que plus saisissant avec la forêt luxuriante. Le lecteur la découvre d’abord par sa canopée dans une case de la largeur de la page : un beau ciel avec des lueurs jaune orangé, une demi-douzaine d’oiseau volant, de hauts arbres et des plaines. La case suivante est également de la largeur de la page : sous la canopée, de nombreux troncs d’arbres, un oiseau d’une autre espèce, de hauts arbustes avec un feuillage abondant. Enfin une troisième case de la largeur de la page : la longue barque, le fleuve, le pied des arbres qui apparaissent d’un énorme diamètre rendant minuscules les silhouettes humaines.



Le lecteur va encore bénéficier de deux autres déambulations. Bran parvient à influer sur l’état d’esprit de John Hatcliff et sur ses résolutions. Celui-ci va alors trouver l’Arcane, une rêveuse, car il a besoin d’un rêve. L’artiste emmène alors le lecteur dans de grandes cathédrales de pierre avec quelques vestiges de pont à des hauteurs vertigineuses, la présence d’immenses stalactites et stalagmites, des sources de luminescences, des formations cristallines, une étrange faune souterraine, et la salle du trône cyclopéenne, tout en roche, intégrant harmonieusement les formations naturelles et les éléments taillés et construits par ce peuple, dans un dessin en pleine page qui en impose. Et bien sûr dans la dixième planche, l’autrice ramène le lecteur dans le domaine d’Hatcliff. Celui-ci est recouvert d’un manteau de neige, à la fois la période hivernale (arbres dénudés, arbustes ensevelis), mais aussi une métaphore d’une vie qui s’achemine vers sa fin (Émilie qui remarque un petit oiseau mort à ses pieds). Le froid s’est immiscé dans les plus grandes pièces du château, avec des stalactites de glace visibles au plafond. Le jardin est lui aussi envahi par la neige, la cuisine est insuffisamment éclairée par une poignée de bougies. La dessinatrice sait créer une atmosphère de désolation, d’abandon progressif, qui fend le cœur, une forme de renoncement devant une entropie que rien ne peut arrêter.


La distribution de personnages présente un équilibre bien pensé entre les individus à l’apparence extraordinaires qui font ressortir la normalité des autres, ces derniers disposant de particularités qui les rendent uniques. Dans la première catégorie, il y a cet habitant de Thétys en surcharge pondérale, affalé dans un haut divan garni d’une montagne de coussins, les matelots du Capitaine avec leur tignasse hirsute, leurs habits de paysans et leurs oreilles pointues, la gigantesque créature mi-dinosaure mi-dragon dans les eaux du fleuve, les Krills créatures mi-insectes mi-humains habitant dans les cavernes et gardant les cristaux et leur reine l’Arcane, sans oublier la rêveuse. Dans la deuxième catégorie, le lecteur retrouve la jeune Émilie Bertin et ses jolies toilettes, Dorothy et ses toilettes trop chargées, Alex l’homme de main à la haute stature et son costume impeccable mais d’un autre âge, Nancy avec son grand tablier toujours d’un blanc impeccable, Christopher Jenkins dans son costume confortable, le voyageur dans son long manteau (ou robe de chambre ?) vert, tous les clients de l’auberge (trio de musiciens, enfants en train de courir entre les tables, serveuse, barman, clients). L’artiste a l’art et la manière de faire ressortir à la fois la banalité et les particularités du monde normal, par rapport aux caractéristiques extraordinaires des mondes fantastiques, tout en établissant qu’il s’agit de leur mode de fonctionnement normal et quotidien.



Le lecteur continue de se demander comment l’intrigue va évoluer. Quel sera le sort du domaine Hatcliff ? Quelle population va pouvoir rester, quelle population va devoir partir ? Ou regagner son monde d’origine ? Quel personnage va jouer un rôle essentiel ? Qui va subir et devenir une victime des événements ? Il prend conscience de l’ampleur de l’histoire, des différents fils narratifs intriqués, de l’importance du passé dans la situation actuelle. Il a été impliqué dans cette situation par l’héritage d’Émilie qui lui a permis de découvrir progressivement les faits. En réalité, il en sait plus qu’elle car le premier tome commençait avec la découverte du cairn par le trisaïeul Louis-André Bertin et son compagnon de route Christopher Jenkins. Il y a eu l’histoire de ce mystérieux voyageur, l’existence d’une communauté d’individus de taille plus petite avec des oreilles pointues, les habitants du domaine d’Hatcliff, et ce vieillard alité envoyant ses agents pour faciliter les déplacements d’Émilie. Puis il a été question du sort de John Hatcliff, de l’histoire de son domaine, d’un mystérieux voyageur venu de l’au-delà, et de la rêveuse. Dans le même temps, le déroulement du récit ne correspond pas à celui d’un récit d’aventure, avec un héros providentiel qui brave tous les dangers. Le comportement John Hatcliff n’est pas toujours exemplaire. Émilie Bertin ne devient pas une sauveuse providentielle qui comprend tout par éclairs de lucidité. Le mystérieux voyageur s’en trouve réduit à la dernière extrémité, avec peu de temps à vivre. Voire, dans ce tome, l’action la plus héroïque et la plus inattendue est accomplie par la cuisinière Nancy qui prend l’initiative de mettre un puissant somnifère dans le vin de celui qui avait toutes les caractéristiques pour être le sauveur providentiel, mais animé par des motivations très personnelles antinomiques avec le rôle du héros altruiste.


Plus l’histoire progresse, plus le lecteur se sent emmené loin, dans un monde pleinement abouti et tangible. L’intrigue continue de développer ses ramifications révélant toute sa richesse, bien plus élaborée que la simple découverte d’un domaine visité par le petit peuple. Florence Magnin régale le lecteur avec des lieux très concrets et très différents, allant d’un magnifique domaine au début du vingtième siècle à une lointaine planète, des personnages alliant normalité et unicité, qu’ils soient des êtres humains banals ou des êtres fantastiques. Le récit se révèle plus complexe que la simple histoire d’un héros sauvant la situation par sa bravoure, des actes plus plausibles suite à des décisions très personnelles.



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